Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 21 décembre 2016

Massacres à Alep : lettre à un « camarade » qui s’obstine à justifier l’injustifiable


« Camarade »,

Cela fait plusieurs semaines que je me dis que je vais t’écrire, et ce sont les événements tragiques d’Alep et ta réaction à ces événements, ou parfois ta non-réaction, qui ont fini par me persuader que l’heure était venue de m'adresser à toi. Pas nécessairement dans le but de te convaincre, car je crois que malheureusement il est déjà trop tard. Mais au moins, comme ça, les choses seront dites et tu ne pourras pas dire que tu ne savais pas. 


Au nom de l’anti-impérialisme ?

La ville d’Alep est victime d’un massacre, d’une véritable boucherie qui fait immanquablement penser à d’autres villes martyrs comme Srebrenica, Grozny, Fallouja, mais aussi Varsovie et Guernica, ou encore aux camps palestiniens de Sabra et Chatila. Les témoignages directs qui affluent de la ville, venus de Syriens « ordinaires », et non des seuls membres d’un quelconque groupe armé, sont éloquents, a fortiori lorsqu’ils sont accompagnés de photos ou de vidéos. Des mots et des images qui disent la détresse, qui disent l’impuissance, qui disent l’horreur.

Mais toi, « camarade », tu t’es évertué ces derniers jours – si l'on peut considérer que cet exercice peut avoir de près ou de loin un quelconque rapport avec une vertu – à expliquer qu’il ne fallait pas s’engager aux côtés des habitants d’Alep et qu’il ne fallait pas dénoncer les bombardements dont ils étaient victimes, pas plus qu’il ne fallait dénoncer les exactions commises par les troupes au sol lors de la « libération » de la ville. En d’autres termes, tu es venu nous expliquer qu’il ne fallait pas prendre de position claire et déterminée contre un massacre planifié et perpétré par le régime dictatorial de Bachar al-Assad et par ses alliés, au premier rang desquels la Russie et l’Iran.  

Si je m’adresse à toi, « camarade », c’est parce que nous avons par le passé partagé nombre de combats, notamment – mais pas seulement – le combat pour les droits du peuple palestinien. Parce que je pensais que, malgré nos divergences, nous avions des principes communs. Je n’ai en effet rien à dire à la droite et à l’extrême-droite pro-Poutine et/ou pro-Assad, qui assument clairement leur soutien à des régimes autoritaires au nom de « valeurs » communes, et qui n’ont jamais fait semblant de vouloir construire une réelle solidarité avec les peuples opprimés.

Mais toi, « camarade », tu te pares de vertus « progressistes », « anti-impérialistes », voire « socialistes », « communistes » ou même « révolutionnaires ». Et c’est au nom de ces vertus que tu tentes de nous convaincre aujourd’hui qu’il ne faut pas se tenir résolument aux côtés de la population d’Alep assiégée et massacrée, et qu’il ne faudra pas se tenir demain aux côtés des populations des autres villes syriennes déjà assiégées et bientôt massacrées.

Ce qui n’est pas, tu l’avoueras, le moindre des paradoxes.




« Les plus méchants ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit. »

J’avais en effet cru comprendre que ce qui constituait le patrimoine génétique commun de la gauche anti-impérialiste, c’était d’être aux côtés des peuples écrasés par les États impérialistes et leurs alliés. J’avais cru comprendre que dans ce patrimoine génétique que nous semblions partager, on ne transigeait pas avec la solidarité internationale. Et j’avais espéré que malgré tes positions parfois plus qu’ambigües quant à la tragédie syrienne, le martyr d’Alep te ramènerait à la raison, et à la maison.

Mais non. Tu t’obstines. Tu t’obstines à tenter d’expliquer que l’on ne peut pas prendre partie pour la population massacrée à Alep. Tu t’obstines à tenter d’expliquer que « les choses ne sont pas si simples ». Tu t’obstines à tenter d’expliquer que dans cette « guerre », il n’y a pas « des gentils d’un côté et des méchants de l’autre », et qu’il faut ainsi savoir raison garder et ne pas céder à la facilité.

Car toi, bien évidemment, « camarade », tu ne cèdes pas à la facilité. Jamais. Tu nous proposes d’ailleurs ton analyse complexe, pleine de hauteur et de nuance, qui ressemble à peu près à ceci : « Non, Assad n’est pas un démocrate, et les pays qui le soutiennent ne sont pas franchement des modèles non plus. Mais attention : la soi-disant rébellion syrienne est en réalité majoritairement composée de forces issues de l’islam intégriste, voire jihadiste, téléguidées et armées par des régimes réactionnaires comme l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, voire par les parrains occidentaux de ces derniers, notamment les États-Unis et la France. »

Conclusion : « Prudence, les plus méchants ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit. »


La population syrienne, tu connais ?

Le premier problème avec ton analyse, « camarade », est qu’elle « oublie » un acteur essentiel : la population syrienne. Tu sembles en effet « oublier » que le point de départ des « événements » en Syrie n’est pas une intervention saoudienne, états-unienne, qatarie ou turque. Ni même russe. Le point de départ de tout cela, c’est qu’en mars 2011 des centaines de milliers de Syriens se sont soulevés contre un régime dictatorial et prédateur, comme en Tunisie, comme en Égypte, comme en Libye. Et que si Assad et ses sbires n’avaient pas fait le choix de réprimer ce soulèvement dans le sang, avec plus de 5000 morts et des dizaines de milliers d’arrestations durant l’année 2011, ils seraient eux aussi tombés sous la pression populaire.

Et nous parlons bien de l’année 2011, cette année où, souviens-toi, « camarade », tu t’enthousiasmais pour les autres soulèvements dans la région. « Le peuple veut la chute du régime », tu te rappelles ? Tu l’as peut-être même chanté dans les rues d’une ville française, toi qui es si épris de liberté, de justice sociale et de démocratie. En Syrie aussi, on le chantait, avec les mêmes revendications économiques, sociales et politiques que dans les autres pays de la région touchés par le soulèvement, et Ryad, Doha, Paris ou Washington n’avaient rien à voir avec ça. Si tu t’intéresses de si près à la chose syrienne, tu dois d’ailleurs savoir qu’à chaque fois qu’il y a eu une trêve au cours des dernières années, les manifestations ont recommencé. Que sans l’intervention de l’Iran, puis de la Russie, le régime serait tombé, sous la pression des Syriens, pas de quelques milliers de « combattants étrangers » – qui sont arrivés, soit dit en passant, bien après que le régime eut tué des milliers de Syriens désarmés, et fait sortir de prison des dizaines, voire des centaines, de « jihadistes », t'es-tu déja demandé pourquoi ? Et que oui, les racines de la « crise » syrienne sont bel et bien la contestation populaire d’un clan et la réponse de ce dernier : tout détruire plutôt que de perdre son pouvoir et ses prébendes.

À moins que tu ne veuilles signifier que depuis le début les Syriens sont « manipulés » par les pays occidentaux, que tout ça n’est, au fond, qu’une histoire d’hydrocarbures, et que le soulèvement syrien était téléguidé depuis l’extérieur par des puissances qui n’ont qu’à appuyer sur un bouton pour que des populations se soulèvent. Mais je n’ose même pas le penser : tu n’es pas de ceux qui estiment que les Arabes sont tellement benêts qu’ils ne sont pas capables de penser par eux-mêmes et que quand ils se mettent à se mobiliser et à revendiquer en pensant « justice sociale », quitte à risquer de perdre leur vie, c’est forcément parce qu’ils sont manipulés par des Occidentaux qui pensent « hydrocarbures ». 

Pas vrai, « camarade » ?


Lance-roquettes contre aviation

Le deuxième problème avec ton analyse, « camarade », est que tu mets sur le même plan, d’une part, le « soutien » apporté par la Russie et l’Iran à Assad et, d’autre part, le « soutien » apporté par les États-Unis, la France, la Turquie et les monarchies du Golfe aux forces d’opposition syriennes. Tu essaies de faire croire qu’il n’y aurait pas une supériorité militaire écrasante du régime Assad et de ses alliés et qu’après tout, pour reprendre, en la modifiant à peine, une formule en vogue dans un pays frontalier de la Syrie, « Assad a le droit de se défendre ».

Mais oses-tu réellement comparer, d’une part, les milliers de « conseillers militaires » et l'armement iraniens, les milliers de combattants du Hezbollah et, surtout, l’aviation russe (ainsi que les véhicules et l’armement lourd fournis par la Russie, 2ème puissance militaire mondiale) qui viennent en appui à un État et une armée régulière et, d’autre part, les armes légères, les lance-roquettes et lance-missiles vétustes fournis ou financés par les monarchies du Golfe ou la Turquie et les armes légères, les lance-roquettes, les quelques armes anti-char et les systèmes de communication et dispositifs de vision nocturne fournis, au compte-goutte, par les États-Unis et la France ?

Sais-tu que ce que demandent les forces d’opposition syriennes depuis le début ce sont des missiles anti-aériens, pour pouvoir se défendre contre les avions de la mort de Poutine et d’Assad, et que ce sont les États-Unis qui ont systématiquement mis leur veto à la livraison de telles armes ? Sais-tu qu’au début de l’année 2014, après l’échec de la conférence de « Genève 2 », les Saoudiens ont pour la première fois suggéré de livrer des lance-missiles aux forces d’opposition syriennes, que les États-Unis s’y sont opposés, et qu'ils n'ont pas changé de position depuis ? Les États-Unis qui ne voulaient pas, qui ne veulent pas, que ces armes tombent « entre de mauvaises mains », et qui ne veulent surtout pas que l'appareil d'État syrien soit détruit car ils ont tiré, contrairement à d'autres, les bilans de leur brillante intervention en Iraq.  

Pose-toi la question : elles sont où, les terribles armes des forces d'opposition ? Penses-tu sérieusement qu’Assad aurait pu bombarder des quartiers entiers depuis des hélicoptères volant à basse altitude si les opposants syriens disposaient d’un réel armement ? 

Et te souviens-tu qu'en mai dernier l'ambassade de Russie en Grande-Bretagne, qui doit pourtant être bien renseignée et qui, si elle avait des preuves du surarmement des opposants à Assad, les exhiberait, en était réduite à tweeter des images extraites d'un jeu vidéo (!) pour « démontrer » que les forces d'opposition syriennes recevaient des armes chimiques ? 



Alors soyons sérieux, tu veux bien ?


Qui détruit la Syrie ?

Le troisième problème avec ton analyse, « camarade », est que tu oublies tout simplement une donnée fondamentale : les faits. Car tu pourras toujours me dire que ce que je viens d’écrire est impossible à prouver, même si ce sont les acteurs principaux de ce « non-soutien » et les « non-soutenus » qui en ont témoigné, et qui continuent de le faire, car peut-être, après tout, sont-ils de fieffés menteurs.

Mais si tu veux absolument des preuves, contente-toi d’ouvrir les yeux et pose-toi cette question simple : comment la Syrie a-t-elle pu être détruite ? Quand tu commentes les images des villes rasées en disant qu’il y a « de la violence des deux côtés », tu occultes un détail : qui possède les armes nécessaires pour des destructions d’une telle ampleur ? Pour le dire autrement : qui peut mener des bombardements ? Où sont les avions des forces d’opposition syriennes ? Où sont les hélicoptères des forces d’opposition syriennes ? Où sont leurs tanks ? Cachés sous terre, comme la surpuissante armée de Saddam Hussein qui menaçait le monde entier ? Combien les forces d’opposition syriennes ont-elles détruit d’avions ? Sais-tu qu’en 2013, lorsqu'elles ont abattu deux hélicoptères, il s’agissait d’un événement tellement rare qu’elles l’ont célébré en grande pompe et qu’elles ont diffusé partout des images de leur « exploit » ? Deux hélicoptères ! À l’époque, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux Gazaouis célébrant la chute accidentelle d’un drone israélien…

La « coalition » menée par les États-Unis intervient militairement, objectes-tu. Mais peux-tu me faire la liste des bombardements menés par cette « coalition » contre les forces armées du régime d’Assad ou contre les forces armées qui le soutiennent ? Non, ne perds pas ton temps à chercher, car je me renseigne moi-même quotidiennement auprès de sources sûres : d’après le régime de Damas et les médias qui relaient sa communication, sources que l’on ne peut guère soupçonner de vouloir dissimuler ce type de bombardements, la chose est arrivée… deux fois. La première fois, c'était en décembre 2015 (4 morts), dans la région de Deir ez-Zor, la « coalition » démentant avoir visé l'armée syrienne et affirmant qu'elle avait bombardé Daech. La deuxième fois, c’était en septembre 2016 (entre 50 et 80 morts selon les sources), près de l’aéroport de Deir ez-Zor, la « coalition » reconnaissant cette fois-ci avoir bombardé les positions du régime et présentant des excuses officielles à Bachar al-Assad et à Vladimir Poutine. 

En résumé, et sauf erreur de ma part (nul n'est infaillible), la « coalition », qui revendique environ 5000 « frappes » sur la Syrie, a ciblé deux fois, depuis le début de sa campagne de bombardements en 2014, le régime Assad, dont une fois où elle s'est « excusée ». À noter, donc, dans ton calepin : « les véritables opérations militaires menées par la "coalition" ont visé Daech et d'autres groupes "jihadistes", et non Assad et ses alliés ».


Pour finir, quelques remarques « préventives »

Il y a bien d’autres problèmes avec ton analyse, « camarade », mais je ne veux pas abuser de ton temps. D’ailleurs, pour avoir eu souvent l’occasion de discuter de vive voix avec toi de ces « problèmes d’analyse » en confrontant, à ta « géopolitique » et à ton « anti-impérialisme », les faits et la chronologie réelle des événements, je sais que tu n’aimes pas trop ça, les faits. Ils sont vraiment trop têtus.

Car c’est beaucoup plus simple de venir provoquer ou semer le trouble via des posts/commentaires Facebook ou dans des forums de discussion que de prendre le temps d’avoir un échange un peu précis et argumenté.  

Alors au cas où tu serais quand même tenté de céder à la facilité et de vouloir jouer à ce petit jeu, je te soumets quelques remarques « préventives » :

- Avant de me dire que je défends les mêmes positions que les États-Unis, la France, l’Arabie saoudite, le Qatar, BHL ou quelques autres « compagnons encombrants », souviens-toi que, si on raisonne de la sorte, tu défends de ton côté les mêmes positions que la Russie, l’Iran, le maréchal Sissi, François Fillon ou Marine Le Pen, et demande-toi si c’est un argument.

- Avant de me dire qu'Israël a bombardé, depuis 2011, à une quinzaine de reprises, des positions du régime Assad, et que ceux qui sont contre Assad sont donc avec Israël, souviens-toi qu’en juin dernier Poutine déclarait, au terme d’une rencontre avec Netanyahu avec lequel il venait de signer plusieurs accords commerciaux, ce qui suit : « Nous avons évoqué la nécessité d'efforts conjoints dans la lutte contre le terrorisme international. Sur ce plan, nous sommes des alliés. Nos deux pays ont une expérience importante en matière de lutte contre l'extrémisme. Nous allons donc renforcer nos contacts avec nos partenaires israéliens dans ce domaine ». Et demande-toi si c’est un argument.

- Avant de me dire que la rébellion syrienne en a appelé aux pays occidentaux pour recevoir des armes et bénéficier d’un appui militaire conséquent, notamment aérien, et que ça cache forcément quelque chose, souviens-toi que les forces kurdes que tu admires tant – à juste titre – depuis qu’elles ont repoussé Daech à Kobané ont fait exactement la même chose, et qu’elles ont, elles, obtenu cet appui, au point qu’elles ont remercié publiquement les États-Unis de leur soutien, et demande-toi si c’est un argument.

- Avant de me dire que la rébellion syrienne, quand bien même on aurait pu avoir au départ de la sympathie pour elle, est aujourd'hui confisquée par des forces réactionnaires issues de l'islam politique, et que certaines de ces forces n'hésitent pas à s'en prendre violemment à des civils ou, variation sur le même thème, que c'est vraiment tragique de bombarder des civils mais que c'est parce que les terroristes se cachent parmi eux, quand ils ne les utilisent pas comme boucliers humains, souviens-toi que c'est le discours de ceux qui veulent justifier les campagnes de bombardements meurtriers sur Gaza, et demande-toi si c'est un argument.

- Avant de me dire que les insurgés syriens sont des « alliés objectifs » de Daech, souviens-toi que Daech a été chassé d'Alep au début de l'année 2014 par ceux qui sont en train de se faire aujourd'hui massacrer par Assad, réfléchis ensuite au concept d'« allié objectif », et demande-toi si c'est un argument. Tu peux aussi repenser, si tu n'es pas convaincu, à ce qui a été rappelé plus haut à propos des véritables cibles des bombardements de la coalition, et te demander une deuxième fois si le coup de l'« allié objectif » est un argument. 

- Avant de me dire, enfin, que ceux qui dénoncent Assad et Poutine « oublient » de dénoncer les massacres commis par les grandes puissances occidentales et par leurs alliés, sache que parmi ceux qui se mobilisent pour Alep, nous sommes nombreux à nous être mobilisés pour Gaza, contre les interventions militaires en Afghanistan, en Iraq, en Libye ou ailleurs, et que nous ne renonçons pas, contrairement à toi qui as choisi de ne pas être dans la rue hier soir pour dénoncer la boucherie en cours, à notre cohérence politique, à nos idéaux et à l’anti-impérialisme. Et demande-toi si c’est un argument.


***


Voilà donc, « camarade », ce que je voulais te dire. Le ton n'est pas très agréable, j'en conviens, mais ce n'est pas grand chose à côté de l'indifférence, parfois même du mépris que tu affiches vis-à-vis du martyr d'Alep. 

Tu feras ce que tu veux de cette lettre, et tu as bien évidemment le droit de continuer à te gargariser de ta vision « géopolitique » à courte vue et de ton « anti-impéralisme » pavlovien pendant que les Syriens crèvent sous les bombes de Poutine et d’Assad, et sous tes yeux.

On ne parle pas ici d'un exercice de rhétorique sur Facebook par commentaires interposés, mais de milliers, de dizaines de milliers de vies. On ne parle pas d’une divergence entre nous sur l’appréciation de tel ou tel événement, mais de ton silence complice ou de tes misérables contorsions face à l’une des plus grandes tragédies de notre temps. On ne parle pas d’un simple désaccord politique, mais d’une véritable rupture. 

Je ne sais pas quand nous nous parlerons la prochaine fois, « camarade ». Mais ce que je sais, c’est que si tu persistes, et malheureusement je crois que c'est ce que tu vas faire, il n’y aura même plus de guillemets, car il n’y aura plus de camarade.

Je te laisse avec le Che, qui a quelque chose à te dire :

« Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n'importe quelle injustice commise contre n'importe qui, où que ce soit dans le monde. C'est la plus belle qualité d'un révolutionnaire. »


Julien Salingue, le 15 décembre 2016


PS : Non, je n'ai pas mis de notes. Ce n'est pas dans mes habitudes de ne pas indiquer de références, mais tu auras probablement compris que c'est volontaire. Car comme tu es très doué pour faire des recherches sur internet (et ailleurs ?), on sait très bien toi et moi que tu pourras retrouver l'ensemble des sources utilisées ici.

dimanche 18 décembre 2016

Pas de fumée sans feu

Ne rate pas le train de l’espoir
Méfie-toi, il est déjà entré en gare
Viens avec nous changer l’Histoire
Il est temps de ranger ta pétoire,
De laisser tomber ton  vin, ton pinard
Regarde la pauvreté s’étaler sur les trottoirs

Hassen




Vers le démantèlement total de la Sécu

En créant une franchise maladie globale et universelle, les jeunes, les bien-portants continueraient à verser des cotisations d’assurance-maladie sans bénéficier du moindre remboursement. Quel meilleur moyen pour détruire complètement l’adhésion déjà fragilisée à un système d’assurance-maladie solidaire ? Car c’est bien ce que veulent détruire les partisans du libéralisme. Le formidable système de protection sociale, créé en 1945, basé sur le principe de la solidarité « je cotise en fonction de mes moyens et je reçois en fonction de mes besoins », fait l’objet d’attaques régulières de la part du patronat. Nous devons traquer toutes les mesures de ce type figurant aux programmes, de Fillon, mais aussi de Macron, lui propose de supprimer les cotisations maladie et chômage et les faire financer par l’impôt, augmentation de la CSG. C’est le démantèlement programmé du système de solidarité.    

Kessler, au nom du Medef en 2007, saluait le programme : « le modèle social français est le pur produit du Conseil National de la Résistance… Il est grand temps de le réformer et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. La liste des réformes est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du CNR ! »

Le processus est en route : réduction du périmètre des affections de longue durée (hypertension par ex.), institution des franchises, complémentaire santé obligatoire pour tous (ouvrant ainsi les portes aux assureurs privés), financement des hôpitaux à l’acte et non plus sous forme de dotation globale… Mesures souvent prises par la droite que la « gauche » au pouvoir n’a pas abrogées. L’enjeu est énorme si on ne bloque pas ces régressions sociales, sources de retour d’inégalités flagrantes.

Pour mobiliser celles et ceux qui ne connaissent pas l’histoire de la Sécu, allez voir et recommandez le formidable documentaire

« la Sociale »
de Gilles Perret

 Il redonne leur place dans l’Histoire officielle à toutes celles et ceux qui ont participé à mettre en œuvre la solidarité. Il prouve que quand on veut, on peut !


                pour Nicolas Blanc

ne reste pas là mon frère
devant le feu éteint
à contempler tes larmes
glissant vers le passé

si la cendre ne couve plus la braise
si ton souffle n’est plus à même de raviver la flamme
transforme-toi en étincelle
fais-toi combustible
consume-toi
pour rallumer l’incendie

l’avenir

Pedro Vianna
Paris, 10.IV.2000
In Curiosités


Voici, ci-dessous, l'édito
du PES n° 29 (décembre 2016)

Au sommaire, vous trouverez
- Trump, énormément. Jusqu'à quand ? (publié ci-dessous)  
- Turquie ou comment imploser pour ne pas exploser
- Fillon prépare la guerre sociale (publié ci-dessous)
- Stocamine = poubelle
- Autoroutes : vous avez dit "gel du prix des péages" ?
et nos rubriques habituelles : Ils, elles luttent et Nous avons lu

Pour vous abonner : pour 10 n°s : 5€ par courrier ou 18€ par la Poste
adresser un chèque à l'ordre de PES, à Gérard Deneux,
76 avenue Carnot 70200 LURE


Que de produits politiques avariés !

L’heure est au marketing politique. Pour tenter de combler le fossé, les partis dits de gouvernement du système, ont inventé les primaires pour départager leurs prétendants au poste suprême. A grand renfort de pub médiatique, ces joutes, apparemment démocratiques, pratiquent la vente forcée en présentant des produits dont la date de péremption est dépassée. Le néolibéralisme et toutes les régressions sociales qui l’accompagnent ont atteint leurs limites. Depuis notamment la crise de 2007-2008, tous les efforts pour persister dans cette voie n’ont généré que des produits toxiques : nationalisme, racisme, xénophobie, ce terreau sur lequel a prospéré l’extrême droite.

N’empêche, il y a ceux qui, comme Fillon, persévèrent. Revêtant la soutane, il s’est placé, à droite, en tête de gondole. Produit thatchérien sur le tard, sa nouveauté surannée a pu convaincre une clientèle aisée et vieillissante. Il est très vite apparu, à une plus large palette de consommateurs, que pareille tambouille provoquerait de néfastes aigreurs d’estomac. Modifiant derechef la dose de privatisation de la Sécu, lui et ses VRP se sont mis à jargonner que l’on avait mal compris son message. Ils allaient donc faire preuve de plus de pédagogie, vis-à-vis des ignares, prétendant que lui, n’était que le produit recyclé du sérail sarkozyste. Et de se précipiter avec  force médias à ses trousses dans le premier hôpital public venu pour maintenir la réputation d’un produit bien avarié qui ne plaît qu’à une clientèle droitière dont le ventre est bien garni.

Dans le magasin d’en face où l’on arbore toujours l’étiquette socialiste bien altérée, c’est le trop plein de produits frelatés depuis la décomposition du ragout hollandais. Valls a dû maquiller son étiquette autoritariste et ses amitiés aux entreprises, pour prétendre se recomposer une image en trompe l’œil, de rassembleur démocrate  purgé du 49.3. Montebourg, abandonnant sa reconversion de PDG de l’ameublement, se la joue en franchouillard protectionniste salvateur. Hamon falsifie sa participation au gouvernement «hollandais» en nouveau produit bio. Puis, vint se mettre en piste, Peillon, le retranché en Suisse qui, comme seule tare, n’a que l’oubli des cotisations qu’il n’a pas versées au PS depuis quelques lustres. C’est qu’Hidalgo, maire de Paris, Aubry et quelques autres estiment qu’il est le seul à pouvoir concurrencer Valls, ce produit faisandé, incapable de réconcilier les clans du Parti. Dans cette fricassée de soupirants subsistent quelques frondeurs illusionnistes qui prétendent éviter la mise en faillite de la maison mère.

Face à eux, dans le marais incertain du ni droite ni gauche, fanfaronne Macron, l’ex-banquier de chez Rothschild. Ayant abandonné Hollande, le gâteux, il entend se régénérer en fringante nouveauté, en s’égosillant devant son public. Lui qui plaît à l’uber-classe de technos, n’est-il qu’une bulle médiatique qui crèvera lorsque sa composition sera mise à jour ? Quant à la gauche de gauche qui, face à la présidentielle où il faut, vaille que vaille, présenter un homme providentiel, elle reste empêtrée dans ces chicaneries. Elle pourrait créer néanmoins quelques surprises… éphémères ? En effet, au 2ème tour, comme chacun le pressent, ne resteront dans la course que deux produits au mieux-disant d’un néolibéralisme avarié. Rien de nouveau, sinon la poursuite de la présentation de la même mangeaille inspirée par l’Europe délétère de l’austérité renforcée.


Bon réveillon, néanmoins. 


Ce sont les métiers dits sales, comme éboueurs ou égoutiers, qui contribuent le plus à la propreté et, paradoxalement, ce sont dans les professions de prestige comme politiques, financiers, hauts responsables… que l’on retrouve le plus d’ordures.
 Coluche


 TRUMP, énormément. Jusqu’à quand ?

Présenter les « personnalités » dont Trump s’entoure, celles qui sont nommées, pressenties ou en concurrence pour obtenir les postes les plus élevés de l’administration états-unienne, c’est suggérer, pour le moins, que les loups les plus carnassiers de Wall Street ainsi que les va-t-en-guerre les plus répressifs vont participer à la définition de la politique étatsunienne dans les années à venir. Tenter de répondre au pourquoi de ce changement de cap qui, potentiellement, comporte des risques de « guerre civile » interne et de nouvelles aventures guerrières à l’extérieur, n’est pas sans risque dans la mesure où les tenants du néolibéralisme, contre l’apparent isolationnisme de Trump, n’ont pas dit leur dernier mot.

En effet, cette « intelligentsia arrogante » soutenant Hillary Clinton, qui n’a que mépris pour les classes populaires, devrait céder la place au « vulgaire et incompétent » Trump, celui qui a rallié le « panier de gens déplorables, misogynes et racistes » (Hillary Clinton, sic). Ces « ploucs affreux, sales et méchants », ces ouvriers blancs de la « ceinture de la rouille »(1) de la désindustrialisation qui n’ont pu se tourner vers Bernie Sanders, pourraient bien faire volte-face contre Trump au vu de son entourage et de la politique qu’il va mener réellement.

Pour de plus amples développements à ce sujet, tout comme sur savoir pourquoi, dans ce système dit démocratique, la « démagogie la plus outrancière » et le « style paranoïaque » ont triomphé, je renvoie au dossier du Monde diplomatique de décembre 2016. Vous y trouverez également la description de la « stratégie dite désastreuse de la favorite des multinationales et des bancocrates, à savoir Hillary Clinton ».

Reste qu’un charlatan, grand boni-menteur, va s’installer à la Maison Blanche et qu’il s’entoure d’hommes qui lui ressemblent. Lui qui a vu affluer contre lui plus de 6 000 plaintes pour escroqueries dans les contentieux de sa Trump University de management vient d’éviter un procès d’un revers de manche, en acceptant de verser 25 millions de dollars… Les rapaces osent tout…

Les loups de Wall Street aux commandes

Dans l’énumération qui suit, on omettra Stephen Bannon, le nominé « stratège en chef » d’extrême droite, raciste, dont la vocation consiste à dresser les cols bleus contre les minorités ethniques et sexuelles.

En tout bien tout honneur de la canaille en col blanc, il faut commencer par Steven Mnuchin, nommé secrétaire au Trésor, chargé de la baisse des impôts, de la mise en place des barrières douanières et du programme d’investissement dans les infrastructures. Cet ex-banquier de Goldman Sachs, directeur de campagne de Trump, a accumulé 46 millions de dollars en sa «qualité » de vice-président de cette pieuvre mondiale, dénoncée par Trump lui-même… Puis en 2002, il rejoint un fonds spéculatif. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il fonde son fonds spéculatif, ce qui lui permet en 2009 de racheter, pour une poignée de 1,5 milliard de dollars, Indymac Bank, une caisse d’épargne spécialisée dans les prêts hypothécaires qui venait de faire faillite. C’est à cette époque, en 2008, que Trump fait appel à lui pour financer un projet immobilier à Chicago. Il devient « le leader des saisies immobilières des personnes âgées », expulse des dizaines de milliers d’Etats-uniens de leurs maisons et est accusé de discrimination raciale. Qu’importe ! Lui et ses comparses revendent cette caisse d’épargne et se partagent 3,4 milliards de dollars. Lui, indispensable encore, reste à la vice-présidence de cette banque, sa rémunération étant fixée à 4,5 millions de dollars par an. Puis, après quelques mois, empochant un parachute doré de 10,9 millions de dollars, il se reconvertit dans le financement cinématographique (XMen, Avatar). Secrétaire du Trésor, s’il ne pique pas dans la caisse, il saura faire fructifier ses affaires.

Paul Atkins n’a pas son envergure d’escroc de haut-vol mais, idéologiquement, il le vaut bien. Nommé « ministre » des finances, c’est un adversaire de la régulation financière qui veut démanteler la loi Dodd-Frank (2), dont les contraintes ne sont guère drastiques. Ancien de la SEC, de 2002 à 2008, cette autorité ( !) sur les marchés, il connaît tous les arcanes de la finance. Il dirige toujours un cabinet conseil spécialisé dans le contournement des règles…  

David Malpass, en passe d’être « ministre » de l’économie, est quant à lui un visionnaire à court terme. Ancien conseiller de Reagan, économiste en chef de la banque d’affaire Bear Stearns, il n’a pu en éviter sa faillite en mars 2008.
Gary Cohn, nommé dirigeant du Conseil national économique est un généreux donateur de Trump. Cet ex-n°2 de Goldman Sachs est un spécialiste de la finance de l’ombre qui sait « remplir les poches d’une poignée de multinationales ». Alors, Trump ? Oubliée cette violente charge contre « cette structure du pouvoir mondial », « cette grande pieuvre, collée aux basques de l’humanité qui plonge sans relâche dans tout ce qui a l’odeur de l’argent » ? A moins qu’il ne se considère lui-même comme une de ses tentacules…
Wilbur Ross, secrétaire au Commerce. Il serait chargé de mettre en place des barrières douanières pour faire revenir des emplois industriels aux USA. C’est un Bernard Tapie à la puissance 10. A la tête d’un fonds dit  d’investissement, il s’est spécialisé dans la reprise « pour une bouchée de pain » de sociétés en faillite dans les domaines les plus divers (fabricants d’acier, de textile, mines de charbon). Après avoir procédé à des milliers de licenciements, au mépris des règles de sécurité et en interdisant de se syndiquer, il remet à flot ces entreprises exsangues pour les revendre à bon prix…
Micke Torrey à l’agriculture est moins connu. Ce capitaliste de la fabrication et de la vente de boissons est aussi un… assureur agricole. Sûr qu’il saura faire fructifier ses affaires.
Scott Pruitt nommé à la direction de l’Agence de protection de l’environnement. C’est un climato-sceptique, convaincu qu’il est là en tant que bras armé des compagnies pétrolières. Ce ministre de la justice de l’Oklahoma, riche en pétrole, a engagé dans 28 Etats des procédures judiciaires contre le plan climat d’Obama. Sûr qu’il saura stopper les réformettes de l’ex-président.

Avec Andy Puzder, les salariés, quelle que soit la couleur de leur peau, vont déchanter. Nommé « ministre » du travail, cet ex-patron d’un fonds spéculatif, défenseur de l’industrie pétrolière, est à la tête de la chaîne de restauration rapide CKE. Patron de combat, c’est un adversaire acharné du relèvement du SMIC, des heures supplémentaires valorisées, des congés-maladie, de la généralisation de la couverture-maladie et de l’amélioration des conditions de travail. D’après lui, il est nécessaire de soulager les PME des réglementations superflues. D’ailleurs, les salariés coûtent trop cher et ne sont pas fiables. Au printemps, il affirmait vouloir les remplacer par des machines. « Elles sont toujours polies, n’arrêtent pas de faire du business, ne prennent jamais de vacances, ne sont jamais en retard, ne sont pas victimes d’accident et il n’y a jamais de cas de discrimination selon l’âge, le sexe ou la race ». Sûr qu’il pourra s’entendre avec son futur collège, Jeff Sessions, nommé « ministre » de la justice, anti-immigré et raciste assumé.

S’il faut mater les travailleurs, mieux vaut, d’après Trump, avoir recours aux militaires.

Le général John F Kelly, ancien Marine, opposé à la fermeture de Guantanamo, y veillera. Nommé à la sécurité intérieure, il sera épaulé par le général Michael T Flynn qui le conseillera. Le premier est un expert de terrain. Cet ex-chargé des affaires militaires en Amérique centrale et du Sud, ce spécialiste des coups tordus, se voit confier la défense de la frontière mexicaine. Foin des civils, ils n’ont plus leur place pour diriger l’armée. Le général James N. Mattis, est nommé secrétaire à la Défense. Trump l’a assuré : il a « un plan », il donnera 30 jours aux généraux pour lui présenter une stratégie pour « vaincre et détruire les terroristes ». « On recherchera la paix par la force ». « Nous allons reconstruire notre armée et nos alliances » et la nomination de Rex Tillerson aux affaires étrangères en est la préfiguration. Pour être gendarme du monde, Trump entend enrôler dans sa croisade, Poutine. Les dictateurs seront rassurés ainsi que l’industrie pétrolière. D’ailleurs n’a-t-il pas déjà encensé Rodrigo Duerte des Philippines, sa méthode de lutte contre la drogue et les drogués lui convient et il l’encourage. Que sa police ait le droit de tuer, qu’elle tire à vue et ait provoqué la mort de 4 800 personnes depuis juin, soit 30 par jour, ne l’émeut  nullement. Alors, avec Rex, ce PDG d’Exxon Mobil, où il a fait toute sa carrière, lui l’ami de Poutine qui l’a décoré de l’ordre de l’Amitié, lui qui connaît bien les pétro-monarques, les intérêts des énergies fossiles seront préservés… tout comme l’ordre du monde. 

Trump signe le retour des « barons voleurs »(3) en s’entourant d’une kyrielle de loups de Wall Street, d’initiés, de lobbyistes et de faucons. Reste que le festival des vautours n’est pas si simple à organiser.     

Restaurer la puissance US ou précipiter son déclin ?

Tel est l’enjeu. « Les gars des fonds spéculatifs s’en sont bien tirés » de la crise de 2008, dit Trump. Et puisque la FED - banque centrale des Etats-Unis – (comme la BCE en Europe), malgré les taux dérisoires dits « accommodants », ne parvient pas à relancer l’économie, « qu’elle est arrivée au bout de ce qu’elle peut faire », il faut changer de politique. La peur de la stagflation règne, ce mélange de stagnation économique et de faible inflation, ce stade précédent la récession économique. La solution ? Une relance budgétaire massive, des grands travaux d’infrastructures, des stimuli fiscaux et des valeurs boursières en hausse, tout en se protégeant de la concurrence étrangère. D’où les barrières douanières et la fin des accords de libre-échange.

Pas si simple, car il faut faire revenir sur le sol américain les montagnes de liquidités des entreprises US qui sont entreposées, par leurs filiales, à l’étranger, en Europe, en Asie et dans les paradis fiscaux, soit  la bagatelle de 2 600 milliards de dollars. Trump leur propose « le deal du siècle » pour combler le manque à gagner du fisc et de l’économie américaine : « Je vous diminue vos impôts sur les bénéfices (10% au lieu de 35%) mais vous réinvestissez ce pactole dans nos usines ». Pas sûr que ça marche, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Le principal souci de ces firmes, c’est de gâter leurs actionnaires en rachetant au besoin leurs propres actions pour en faire monter le cours(4). Et peut-il réellement diminuer les importations compte tenu de la désindustrialisation du pays et du bas coût des produits étrangers qui maintiennent, vaille que vaille, la consommation ?

Certes, grâce à la fracturation hydraulique, sous Obama, l’industrie pétrolière US a rejoint les premiers rangs aux côtés de la Russie et de l’Arabie Saoudite. En 2015, 9,6 millions de barils par jour ont été extraits, l’on passerait à 8,6 millions en 2016. Mais le coût du baril qui doit désormais être extrait à 2 000 voire 3 000 mètres sous le sol est passé à 40 dollars contre 5 à 10 dollars en Arabie Saoudite. Bref, on comprend mieux l’alliance avec la Russie car, en tout état de cause, Trump n’a pas les moyens d’accroître en interne la production d’hydrocarbure et de gaz.

En politique étrangère, avec Trump et l’armée US, l’empire prétend toujours être le gendarme du monde mais à moindre frais. La fragilité économique, l’énorme dette de l’Etat fédéral (5) imposent une reconfiguration. « L’OTAN est obsolète et coûteuse », « le Japon doit payer les dépenses militaires comme les autres pays ». Mais, « nous ne faillirons pas », « nous devrons agir autrement ». La bataille de Mossoul est « stupide, en voulant épargner les civils », « je vais les écraser sous les bombes »… à la Tchétchène ! Et puis, « nous sommes dans un endroit où nous ne devons pas être » (en Europe ?) « Nous ne voulons pas que des pays  fragiles profitent de nous » « Nous allons reconstruire notre armée et nos alliances ». La Chine devient-elle l’ennemi principal, tournant qu’Obama avait déjà entamé ? Cette orientation isolationniste et interventionniste à la fois, au coup par coup, va provoquer de vifs débats au sein de la classe dominante dont les intérêts sont contradictoires.

En interne, la présidence de celui qui s’est affirmé, pendant la campagne électorale, comme le leader du courant réactionnaire, affirmant la suprématie de la race blanche, des cols bleus, sera très vite confronté à la réalité des inégalités sociales abyssales qu’il ne peut qu’aggraver. Pour preuve, non seulement la ré-industrialisation promise, si elle voit le jour, prendra du temps mais, surtout, la bataille des 15 dollars par heure travaillée (actuellement à 7.25 dollars) est loin de s’éteindre. Partie en 2012, elle s’est étendue dans toutes les grandes villes, entraînant des milliers de grévistes. En avril, dans 200 villes, plus de 6 000 salariés ont répondu au mot d’ordre de grève générale.  Une alliance a été tissée avec l’association La vie des Noirs compte, des succès ont été emportés dans des villes comme Seattle, San Francisco, obligeant Hillary Clinton sous la pression de Bernie Sanders, à s’engager à augmenter le SMIC fédéral… Le mouvement revendicatif va persister. Trump « la voix des Américains oubliés », de la loi et de l’ordre, devra y faire face. Démagogie et matraque seront à l’ordre du jour pour assurer la « paix intérieure ». D’autant que ses fanfaronnades d’expulsions massives risquent d’être contrariées. Il y a 11 millions de personnes en situation irrégulières (y compris des millions de Mexicains), dont profitent nombre d’employeurs peu scrupuleux. Quant aux Afro-américains engagés contre la pauvreté et le racisme dont ils sont l’objet, avec l’association  La vie des Noirs compte, leur mobilisation ne s’éteindra pas.

Reste la répression et l’impunité des policiers : en 2015, selon Jacques Maillard(6), 990 morts par balles ont été recensés. La quasi-totalité des morts sont des Noirs. Reste la prison : le taux d’incarcération des Noirs est déjà 6 à 7 fois supérieur à celui des Blancs. Trump peut-il « mieux » faire ? Reste l’exacerbation démagogique, cynique, contre les boucs émissaires et l’appel au Ku Klux Klan qui a soutenu Trump et s’est félicité de sa victoire. Mais bien d’autres peuvent être mobilisés dans les affrontements à venir. Dans ce pays où 300 millions d’armes sont en libre circulation, soit 112 armes par personne, le pire est à craindre.

Pas sûr que l’invocation du dieu de la Bible comme l’a fait l’escroc Trump, ni sa volonté d’abroger les dispositions concernant la liberté de l’avortement et le mariage homosexuel, apaisent les esprits.

Gérard Deneux, le 14.12.2016


(1)    Ex-poumon industriel des Etats-Unis (au nord-est) aujourd’hui en crise profonde ; jusqu’aux années 70, elle était appelée « la ceinture des usines »
(2)    La loi Dodd-Frank, votée en 2010 suite à la crise de 2008, organise le contrôle sur les banques. Interdiction de spéculer pour leur compte sauf exceptions… Organisation de plus de transparence. En cas de crise bancaire, les contribuables ne pourront plus être sollicités (à voir …). Ne rétablit pas la séparation entre les banques de dépôt et les banques d’affaires qu’avait supprimée Bill Clinton
(3)    L’expression fait référence à la période d’essor du capitalisme aux USA au sortir de la guerre civile. Les barons voleurs, sans scrupules, recourraient à la corruption pour s’accaparer terres et richesses minières. Exemple : la centrale Pacific, compagnie de chemin de fer « arrosa Washington de plus de 200 000 dollars pour obtenir gracieusement 3.6 millions d’hectares de terres et quelque 24 millions de dollars en subventions diverses »… Quant à l’exploitation des travailleurs, elle était féroce « 3 000 Irlandais et 10 000 Chinois travaillèrent pendant 4 ans (pour relier la côte Est à la côte Ouest) pour 1 à 2 dollars par jour ». cf le livre de Howard Zinn Histoire populaire des Etats-Unis  (p. 293 à 340)
(4)    Rachat des actions : opération qui consiste à faire monter le cours de l’action. Nombre d’actions, une fois rachetées, sont annulées. Chaque action voit sa valeur augmentée et les dividendes s’envolent.
(5)    L’énorme dette de l’Etat fédéral : 108.2% du PIB (UE : 86.3% - France : 98%)
(6)    professeur à  Sciences  Po Paris/Versailles




Mon père et son cirque

Mon père il dit qu’à sa Boîte c’est un vrai cirque
parce que y’a tant à faire qu’y faut toujours jongler
Y faut se battre comme des lions sur des « objectifs »
mais en restant dociles comme des toutous.

Mon père y dit qu’y a des chefs qui font leurs numéros
de clowns mais qu’y font rire personne.
Y dit aussi qu’y a un grand chef qui n’a
rien à voir avec un monsieur Loyal
mais qu’c’est l’roi des illusionnistes
                      et aussi des contorsionnistes.

Mon père y dit qu’y a des vrais ours,
de sales fouines, des serpents,
et pas mal de chiens de garde.
Y paraît aussi qu’y faut bien connaître la musique
et qu’y a de drôles de numéros :
le fauteuil éjectable, la mise au placard,
une sorte de chasse avec des sorcières,
                      Excès taira.

Mon père y dit qu’un jour ça s’ra
à mon tour d’aller en piste
mais j’le crois pas, y veut
                        me mettre en boîte.

Raymond Louis
Ateliers d’écriture du comité d’établissement
De Renault Trucks Lyon,
écrit à la main début juin 1999 sur la page
d’expression du journal mural de poésie
« Au plaisir des mots » n° 1
(paru dans Page 7, n°1, octobre 1999)
(signalé par Bébert)