Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 14 mai 2019


Macron, en mal de convalescence de la jaunisse

Cette grande annonce attendue, révélée, puis différée, pour cause d’incendie de Notre Dame de Paris, se devait de clore, voire enterrer la mobilisation des Gilets Jaunes dans laquelle Macron est empêtré depuis de bien trop longues semaines. La séquence des élections européennes devait ouvrir de nouveaux horizons politiciens. C’est encore raté.

Et pourtant, le roitelet de l’Elysée y avait cru. Plus gaullien en apparence que dans les faits, pendant 2h30 devant les journalistes complaisants, il avait péroré ; certes, ses propositions étaient vagues, mais c’était la 2ème fois qu’il lâchait du lest, pour tenter de s’échapper de la nasse des Gilets Jaunes : baisse des impôts sur le revenu, conseil de Défense ( !) écologique, maison des services au public dans chaque canton…

Lui qui s’occupait de tout dans les détails déléguait au gouvernement le soin de la mise en œuvre de ses orientations. Le séminaire qui s’ensuivit est vite apparu laborieux ; ça patinait. Ce n’était pourtant pas si difficile d’implanter, par exemple, 200 maisons de services au public, puisqu’il en existe déjà 1 340 ! « On va en construire 500 d’ici la fin de l’année » a dit Macron. Plus fort que la réhabilitation de Notre Dame de Paris ?

Puis, comme en son temps Sarko, Macron nous a chanté « J’ai changé ». Il allait désormais « mettre l’humain au centre », « au cœur du projet », « écouter les gens » pour faire de la pédagogie plus adaptée, bref, construire de nouvelles entourloupes. Buzyn, pour faire le buzz, d’ajouter : « je prends le sujet des déserts médicaux à bras le corps ». Ce n’est pas très propre cette calinothérapie… Et patatras, ce fut ce 1er mai qui ne parvint pas à se couler dans le rituel des déambulations traîne-savates.

Passe encore que les syndicalistes soient gazés, matraqués, que certains plient bagages et banderoles, mais Castaner, avec l’épisode de l’hôpital de la Salpêtrière « nous a gâché la semaine », lança Macron furieux face à l’outrance de son ministre du désordre public. « L’attaque » se convertit en « intrusion violente » alors que les images diffusées démontraient que l’hôpital ne fut qu’un lieu de refuge face à la violence policière. Mais comment étouffer ces 230 plaintes pour violences policières, qui risquent de tout gâcher dans les semaines à venir ? Castaner va-t-il ordonner le refus de les enregistrer ? Et Macron de s’en prendre à la presse : « Qu’on arrête cette querelle de mots ». Cocasse ! Lui qui en abusait contre ces « Gaulois réfractaires », ces fainéants qui refusent de traverser la rue pour trouver du boulot, « ces gens qui ne sont rien » et ces retraités qui n’ont « pas le droit de se plaindre ».

Et cette campagne électorale qui patine, qui ne démarre qu’à grand’ peine. Cette Loiseau, à la tête de la liste LRM qui a tellement appris à marcher au pas, qu’elle ne s’envole pas : elle est en perdition. Macron se voyant obligé, pour tenter de racoler des écolos, de descendre de nouveau dans l’arène pour défendre la vie sauvage, sauvegarder les espèces en voie de disparition, bien qu’il nous assure qu’il manque d’espèces budgétaires. Ce sursaut écolo, malgré le glyphosate prolongé et le Hulot perdu, la démago peut-elle faire illusion ?

Pire, semble-t-il, rien ne va plus, la marche prend des allures de débandade. Il ne peut même plus compter sur LRM. Une dizaine de ses salariés, sur 90, veulent bénéficier ( !) d’une rupture conventionnelle ; ils digèrent très mal leurs salaires « inférieurs de 20 à 30 % à ce qu’ils pourraient obtenir dans le privé ». Refus de la DRH ! Vont-ils rejoindre les ronds-points ? D’autres se sont fait la malle dans le privé, comme la directrice de la Com,  Pettavino ; ses fonctions sont, depuis, externalisées, l’agence Havas fera l’affaire. En outre, le recrutement de Paul Midy, ancien patron de livraisons de repas Frichti, est censé faire prendre la mayonnaise LRM…

Reste que Macron espérait avoir rallié les juppéistes, et bien, là aussi, ça ne marche qu’à reculons. Certains l’ont lâché pour faire liste à part, d’autres, ces grands maires qu’il a tant soignés, ont rejoint Bellamy/Wauquiez, le reste se fait très discret et évite de se mouiller : les ingrats ! Alors, Macron de tonner « il faut maintenant les prendre les uns après les autres pour qu’ils traduisent leur soutien en acte ». Vaste programme.

Sans compter l’abstention, arriver en 2ème place, derrière la liste lepéniste serait du plus mauvais effet pour la suite du mandat macronien. La désertion du premier cercle, ses conseillers, pourrait s’amplifier. Jouer au grand fédérateur de l’Europe néolibérale n’engendrerait que rires sardoniques. Pire ! Les élections suivantes ne pourraient plus permettre à LRM, ce parti hors sol, de s’implanter dans les territoires.

Enfin, il y a tous ces partis de l’ancien monde qui jouent maintenant au  plus protectionniste que moi tu meurs ! Qu’ils soient verts, solidaires, made in France, tous les néolibéraux s’y mettent. « L’Europe macronienne qui protège », les Français n’y croient plus ; un nouvel assaut démago n’y changera rien. Qu’importe que ces clameurs soient incompatibles avec les traités européens, le chapitre XV de la Constitution, et qu’en Europe, une grande partie des pays émettent une opposition farouche à toute limitation du libre-échange. Racoler le populo reste la règle politicienne.

Bref, comme disait Chirac, pour Macron « Les emmerdes volent en escadrilles ». La dernière en date risque de lui pourrir la vie jusqu’en 2020. Les Gilets Jaunes ont donné du courage à 248 parlementaires d’opposition, pour lui polluer sa fin de mandat. Cette alliance contre nature, inédite, a reçu l’aval du Conseil constitutionnel : proposition de loi référendaire contre la privatisation des Aéroports de Paris, malgré (ou à cause !) du vote par le Parlement de la loi Pacte, dans laquelle, elle est inscrite… mais dont les décrets d’application ne sont pas parus. Ça n’a pas marché assez vite ! Et le gouvernement est obligé d’annoncer le report de la privatisation et les recettes envisagées pour satisfaire Bruxelles, avant le décret gouvernemental, dans le délai d’un mois maxi, afin de s’engager dans la collecte, pendant le délai de 9 mois, de 4 717 396 signatures. Va falloir également mettre en place un site informatique spécial pour les saisir. Ensuite, le Parlement aura à se prononcer dans un délai de 6 mois. Si l’une des deux Chambres refuse, ce sera… enfin ! Le référendum. Macron, qui proposait de simplifier le RIP (Référendum d’initiative populaire), risque d’être ripoliné en jaune pendant toute cette période agitée. Bref, malgré toutes ses contorsions, pas moyen pour le 1er de cordée de se guérir de cette jaunisse…

On peut toutefois espérer que la séquence qui va s’ouvrir dissipera les brumes confusionnistes de l’Europe néolibérale en accentuant ses propres contradictions. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres tant que résonnent les bruits de bottes sécuritaires, xénophobes. Qui plus est, les illusions électoralistes persistent. Jusqu’à preuve du contraire, il faut s’en tenir au bon mot de Coluche : « Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit » !

GD le 12 mai 2019


Rencontre d'été des Amis de l'Emancipation Sociale le 16 juin prochain


Les Amis de l’émancipation Sociale
Gérard Deneux
Président
76 avenue Carnot
70200 Lure                                                                                                                           Lure, le   12 mai 2019


Cher(e) ami(e),

Chaque année, nous organisons une rencontre entre les adhérents/sympathisants des AES, pour échanger sur les actions entreprises, suite à l’assemblée générale mais, surtout, en analysant la situation sociale, politique dans laquelle nous sommes – et l’année 2019, dans ses 6 premiers mois, est riche en évènements et en mouvements sociaux et politiques inattendus. C’est pourquoi, il nous semble important de refaire le point sur notre « place » et notre « utilité », pour ne pas subir les évènements mais pouvoir, à notre niveau y être « acteurs », sur la base de notre charte, à savoir comprendre le monde et ce qui s’y passe pour affirmer ce que nous voulons, tant au niveau local que global.

Voilà de très bonnes raisons, outre le plaisir de se retrouver, pour participer à notre rencontre d’été  
Dimanche 16 juin 2019
de 14h30 à 19h (pour la discussion, suivie d’un repas à 19h30)
au Chapitre, 8 rue Kléber à LURE

Ordre du jour :
14 h30 – accueil
15h – 19h (avec une pause) : montée inquiétante de l’idéologie d’extrême droite en Europe, reculs de la démocratie en France : réalités ou fantasmes ?
19h/21h30 - repas  

Cette rencontre conviviale se termine par un repas préparé par Tass - moyennant une participation de 10€. Nous paierons les boissons, en plus, au vu de ce que nous aurons consommé.

Merci de nous faire savoir au plus vite, si tu peux ou non y participer soit par tél. 03.84.30.21.06 ou  03.84.30.35.73, soit par mail  odile-mangeot@wanadoo.fr  et d’envoyer à Françoise (trésorière) ta participation de 10€ si tu restes au repas. Tu peux inviter des amis intéressés.

Fraternellement
Pour le Conseil d’Administration 
Gérard

Bulletin à retourner avec le paiement du repas
à Françoise Rougy – 17 avenue Carnot 70200 Lure
avant le 3 juin 2019

Nom…………………………………………………………………. Prénom……………………………………..
Téléphone………………………………………………………… 
Adresse mail…………………………………………………………
Participe à la réunion des AES du 16 juin 2019        oui               non
Participe au repas                                                          oui              non
Si oui, verse ma participation de 10€ - chèque à l’ordre des AES

dimanche 5 mai 2019


Pour l’Emancipation Sociale - Appel à dons

Nous auto-produisons et éditons le périodique Pour l'Emancipation Sociale - PES - depuis 5 ans (le n° 53 vient de sortir). Notre budget est constitué des abonnements et dons de nos lecteurs.

Le duplicopieur Rizo avec lequel nous éditons PES donne des signes inquiétants de fatigue (réparations successives). Le technicien/maintenance nous conseille de le changer. La société SIGEC propose un Ricoh MPC 3003 SP reconditionné (tirage en noir et blanc et couleur) au prix de 3 180€ TTC (payable en plusieurs fois). Nous partagerons la facture avec les Amis de l’Emancipation Sociale mais cela reste une somme importante. Aussi, nous faisons appel à votre soutien financier, dans la mesure de vos moyens. Merci.  

Le comité de réalisation : Gérard Deneux, Jano Celle, Odile Mangeot, Jérôme Vuittenez

à envoyer à Pour l'Emancipation Sociale
76 avenue Carnot 70200 LURE
aesfc@orange.fr 



Ripolinage et gazage en même temps
(Editorial de PES n° 53 - parution début mai)

Durant 1h30, le discours-bavardage de Macron devant la cohorte de journalistes et de courtisans-ministres bien alignés, a révélé l’état de fébrilité du pouvoir, obligé de multiplier les actes de contrition. Pensez donc, Jupiter face aux coups de boutoir des Gilets Jaunes « a beaucoup appris ». Il a découvert l’injustice régnante, le sentiment d’abandon, l’existence de familles monoparentales, les handicapés délaissés, les retraités modestes et même l’état lamentable des EHPAD. Pour ripoliner la façade craquelée de ce pouvoir lézardé, la pommade acide qu’il administre sur les plaies sociales consiste à mieux y enfoncer les clous de l’austérité, en les enrobant de baumes démagogiques : « je crois qu’il faut continuer comme avant », tout en jetant pour les Gilets Jaunes des amuse-gueules de proportionnelle à venir, de réduction du nombre de parlementaires, d’initiatives référendaires bien encadrées et à parsemer de quelques citoyens, tirés au sort, ce Conseil économique et social dont on n’entend guère la voix.

Il s’agit, en fait, de gagner du temps, en espérant apaiser les déshérités de ce régime, pour mieux faire accepter les souffrances à venir. On ne fermera plus d’écoles mais… des classes, plus d’hôpitaux… mais des services. On supprimera l’énarchie pour la voir renaître sous le sigle de l’ISF – Institut Supérieur de la Fonction Publique. On répondra aux plaintes de la ruralité par de pauvres maisons de services publics cantonaux… Les concessions de pure forme pour les retraités pauvres, notamment via la ré-indexation des pensions, se mesureront à la décote qui va leur être imposée, les obligeant à travailler au-delà de 62 ans.
Quant à l’écologie, elle vaut bien un comité Théodule, un Conseil de la Défense ( !), pour affirmer qu’il est urgent d’attendre.

Pour tenter de reconquérir une popularité en berne, il fallait bien quelques badigeons de baisses d’impôts sur le revenu, en attendant l’augmentation des taxes. De même, flatter les maires s’imposait afin que, demain, responsables, ils assument une nouvelle dose de décentralisation qui s’annonce, sans fric. Quant au grisbi du profit, pas touche, à moins que, selon leur bon vouloir, les actionnaires consentent à verser quelques primes dérisoires.

Tout ça, parce que le roitelet de l’Elysée n’est que le serviteur zélé de la politique économique de Bruxelles, celle définie par les traités européens et, désormais, depuis Sarko, fixée dans le marbre de la Constitution, en son chapitre XV. Afin que l’on ingurgite la dose de précarité maintenue, quelques placebos de « patriotisme » dit « inclusif », tout en agitant le spectre de l’islamisme dans les quartiers, devraient faire l’affaire, du moins pour tenter de reléguer en deuxième position le lepénisme aux prochaines élections.

Mais, ce 1er mai, les Gilets Jaunes ont continué de chanter « On est toujours là. Pour défendre les salariés, les retraités » et avec les syndiqués. Et ce dont Macron a évité de parler, les violences policières, de redoubler : charges et gazages n’épargnant aucun d’entre eux. Martinez exfiltré, les manifestants se réfugiant dans l’hôpital de la Salpêtrière…Tous les matraqués ne se satisferont pas de l’excuse de la présence des Black Blok. Il en faudra plus... pour croire Macron qui prétend « mettre l’humain au centre » tout en contournant les ronds-points.

Quant à la scène électorale, elle risque d’être largement désertée. Certes, des strapontins peuvent être réservés pour ceux qui vocifèrent contre les étrangers, les macroniens pur jus et ceux voulant faire entendre une voix différente, s’époumoneront, impuissants dans ce Parlement sans pouvoir réel, à faire croire que « Bouge l’Europe » serait possible, comme le préconisait Robert Hue, de triste mémoire.

Reste que cette deuxième partie du quinquennat risque d’être bien agitée. Le ripolinage et le gazage ont encore de l’avenir.

GD, le 3 mai 2019       



Conséquences logiques
Pour montrer que la politique ne fut pas oubliée

je ne connais rien à l’allemand
et pourtant
je comprends
l’opéra de Schubert
joué  en FM

je parle bien le français
je l’écoute encore mieux
toutefois
quand Monsieur le Président
parle à la télé
je n’y saisis rien du tout

peut-être car…
ne suis-je pas français ?
parle-t-il peut-être le multination-nais ?

Pedro Vianna
En toute nudité,
livre IX : in-explications
Paris, 22.XI.1976


Nous avons lu...  La Gauche à l’épreuve de l’Union européenne
Voilà un petit livre pédagogique qui tombe au bon moment, celui des élections européennes. Il invite à penser que les injustices sociales, fiscales, le déni de démocratie proviennent, pour l’essentiel, de la construction européenne. Certes, la mondialisation y est pour quelque chose mais le carcan monétaire, juridique et institutionnel de Bruxelles rend plus difficile l’avènement d’une politique de reconquêtes sociales et démocratiques. La loi de la concurrence débridée assujettit les peuples. En France, Macron n’en est que le gardien zélé. Cet ouvrage fait le point sur les barreaux de cette « prison » (monnaie unique, traités, directives), bref, le rétrécissement de la souveraineté nationale. Sa critique s’exerce également sur les propositions émises par la Gauche et la droite souverainiste. Aux plans A-B de la France Insoumise, au Frexit d’Asselineau, au « mythe » de la révolution européenne et mondiale, il propose un scénario de sortie de l’UE réaliste et offensif, rompant avec les illusions d’une possible modification interne de cet appareil coercitif, de cet ordre juridique verrouillé jusque dans le titre XV de la Constitution française. S’il évoque lucidement les stratégies pour reconquérir la souveraineté monétaire et politique, on peut regretter quelques angles morts. Si le rôle des mouvements sociaux est souligné, il reste subordonné (alors qu’il peut en être la matrice) à l’évolution-transformation des partis se réclamant d’une gauche de transformation sociale. De même, au-delà du Brexit, la déconstruction par le haut de l’Europe néolibérale par la concurrence entre Etats n’est pas approfondie. Enfin, la nature de l’appareil d’Etat acquis au néolibéralisme (Bercy, l’ENA…) n’est pas analysée. Reste, qu’avant ou après le résultat des élections, cet opuscule est une référence pour ceux qui veulent en finir avec le statu quo actuel. 
Collectif « Chapitre 2 » (Aurélien Bernier, Morvan Burel, Clément Caudron, Christophe Ventura, Frédéric Viale), le Croquant, 2019, 10€          




Jaunes, rouges, verts…
 contre les régressions sociales de Macron

Certes, on ne va pas faire la fine bouche : le mouvement social des Gilets Jaunes tient, après plus de 5 mois de manifestations, de présence aux ronds-points, de volonté de structuration en Assemblée des assemblées à Commercy puis à Saint Nazaire… Macron a dû, en décembre, lâcher quelques miettes : retrait de la taxe carbone, mesurettes pour le pouvoir d’achat… Mais ne gâchons pas notre plaisir de constater que, malgré le dénigrement, les violences, les tentatives de division, les mises en garde à vue, les peines et amendes contre les Gilets Jaunes, le jaune est toujours dans la rue et… timidement, côte à côte, le rouge et le vert. Paniqué - les européennes approchant - Macron lance le « grand débat », dit « le grand enfumage ». Le « roi » consulte « son » peuple et, faute de peuple, ce sont les maires et autres édiles qui sont convoqués ; en bons courtisans, ils font « remonter » leurs doléances et voici…. le 25 avril… la révélation ! Le « roi » sort « transformé » par cette immersion dans le peuple ; il a « senti dans sa chair » l’injustice sociale, fiscale, territoriale. Diantre ! Il a « beaucoup appris sur ce sentiment d’abandon, ce manque de considération et de confiance », en rencontrant ces femmes seules, ces enfants dans la précarité, ces handicapés, ces retraités pauvres… « Les plaies de la société lui ont été révélées », il a compris leur « peur des grands changements à venir (climat, immigration, numérique) ». Alors, arrêter tout ? Non bien sûr. « Mes orientations sont justes, les mesures ne sont pas assez radicales » pour réduire le déficit des services publics, accélérer la croissance, parvenir au plein emploi, etc… « Face au sentiment d’injustice, il faut un projet plus humain ». « Face aux grands changements à venir, il faut garder la maîtrise de nos vies, redonner une espérance de progrès… en demandant des efforts à chacun ». Et « il n’aura pas de répit » (pour nous imposer des efforts) « car il y a tant d’attentes » ! Il faut gagner centimètre par centimètre du « bonheur civique et républicain » !!! Traduit en langage direct, sans langue de bois, c’est quoi le programme ?    

1 - Rien pour taxer les riches

La suppression de I’ISF a coûté 3.2 milliards d’euros au budget de l’Etat. Cet impôt ne sera pas ré-institué car, cette mesure, dit Macron, ne consistait pas à faire un cadeau aux riches mais à les faire produire plus afin que leurs réinvestissements « ruissellent » sur les pauvres  (moins de chômage, plus de pouvoir d’achat, etc…). Pour l’heure, la fondation Copernic a fait les comptes : la suppression de l’ISF a permis en 2019, un regain de pouvoir d’achat de 6.4 % pour… les 1 % les plus riches et de 17.5 % pour… les 0.1 % les plus fortunés. Les pauvres sont bien trop impatients !!!

Dans « l’annonce faite à son peuple », le « roi » promet la baisse des impôts sur le revenu (pour ceux qui gagnent moins de 2000 euros), soit une recette en moins au budget de l’Etat, de 5 milliards. Qui va payer ? Serait-ce au prix de nouvelles mesures d’austérité et de fermeture de services publics, accroissant encore les inégalités ? Conclusion : pas touche à la répartition des richesses tout en continuant à casser les services publics. Ah ! mais, tout de même, il a annoncé la « suppression des niches fiscales pour les entreprises », sans en préciser les contours, ni les niches, ni les entreprises concernées. Aussitôt, le Medef monte au créneau pour clamer son désaccord. Rassurons-le ! Macron ne s’est pas converti à la justice fiscale et sociale ! D’ailleurs, il ne touche pas au CICE, au Crédit Impôt Recherche... Rien sur l’augmentation du SMIC, rien sur la suppression de la TVA pour les produits de première nécessité… Il va continuer à faire suer sous le burnous les classes populaires et les classes moyennes à coup de contre-réformes laminant les systèmes de solidarité existants.

2 - Le « libre choix » de travailler plus

Pas question de revenir sur les 35 heures. Pas question d’un jour férié en moins, mais laisser le « libre choix » à chacun de travailler plus longtemps.

Nous voilà au cœur de la régression sociale, celle de la suppression du système solidaire de retraite, ouvrant la porte à d’autres sur la sécurité sociale, l’assurance-chômage… Bref, la destruction, pan par pan, des conquis sociaux en 1945, que le Medef poursuit depuis de longues années. Kessler (1) l’avait formulé ainsi en 2007 « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance ». C’est toujours d’actualité. Depuis une trentaine d’années, les gouvernements successifs n’ont cessé, au nom d’une équité de façade, d’allonger la durée d’activité, de repousser l’âge de départ à la retraite, de réduire le montant des pensions et de le déconnecter des salaires (cf encart). Aujourd’hui, Macron veut donner le coup de grâce au système de retraite par répartition à prestations définies, pour le remplacer par un régime à points dit « universel et responsabilisant », selon sa formule : « un euro cotisé doit rapporter les mêmes droits à tous ».

Le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Delevoye, s’apprête à boucler la période de concertation entreprise il y a plus d’un an, avec les représentants des salariés et des employeurs, pour présenter le projet en juin, qui serait soumis au vote au Parlement courant du dernier trimestre 2019, avec une mise en œuvre envisagée en 2025.
 
Cette « contre-réforme » est la réponse aux exigences européennes de diminution de la part du PIB, actuellement consacré aux retraites (14 %) qui devrait baisser de 24 % d’ici 2050. Macron, en accord avec la politique de l’UE, propose « un régime universel plus juste » qui regrouperait les 42 régimes existants. Cela signifie-t-il que les salariés du régime général, les fonctionnaires et autres régimes spéciaux (SNCF, EDF, etc.) cotiseront au même niveau et à revenu identique, auront les mêmes droits à la retraite ? La CGT affirme qu’aujourd’hui, si les mécanismes sont différents, ils produisent pour une carrière complète, un niveau comparable de pension à qualification équivalente. En fait, ce sont les modalités de calcul liées aux différences de carrières suivant les régimes qui varient, pour aboutir à peu près au même taux de remplacement. Depuis 2014, des structures de coordination concernant l’ensemble des régimes, de base, complémentaires, du privé et du public, sont en place pour veiller à aligner les droits entre les régimes. La France dépasse encore largement les autres pays européens pour le montant des retraites, avec un taux de remplacement de 73 % contre une moyenne de 63 % pour les pays de l’OCDE (2). 

La contre-réforme annoncée poursuit un tout autre objectif que celui de la « justice sociale ». Delevoye l’affirme : il s’agit de « faire en sorte que le système de demain soit adaptable soit aux périodes de tempête soit aux périodes de croissance et que nous puissions, sans psychodrame, avoir cette capacité d’adaptation ». En d’autres termes, si la caisse de retraite est déficitaire, la variable d’ajustement sera le montant des pensions. La Suède a choisi ce modèle, ce qui lui a permis de diminuer les pensions en 2009, suite à la crise économique de 2008 et au regard de son évolution démographique.

« Plus tu travailles, plus tu gagnes ! »

Le système actuel (à prestations définies) tient compte des années travaillées et des années attribuées (en cas de chômage, maladie, maternité, etc.). Le projet de Macron c’est  « plus tu travailles, plus tu gagnes des points. Si tu ne travailles pas (maladie, maternité, chômage…), c’est zéro point ». 

Dans le système à points, les cotisations versées chaque mois, sont transformées en points. Au moment du départ, le montant de la pension est égal au nombre de points cumulés, multiplié par la valeur du point, celle-ci fluctuant en fonction de la situation financière du régime et de la santé économique du pays. En période de chômage – donc moins de cotisations en recettes - et d’espérance de vie plus longue - donc plus de pensions en dépenses – le point va baisser, les pensions vont, en conséquence, diminuer. D’autant qu’il n’y a plus possibilité d’augmenter le taux de cotisation (part salariale et part patronale), celui-ci étant bloqué à 28 % du salaire brut.

Deuxième phénomène. Le calcul individuel des droits s’appuie sur le nombre de points acquis tout au long de la vie professionnelle et non plus sur le niveau des salaires des 26 meilleures années pour le régime général, par exemple. Le taux de remplacement n’est plus garanti.  En conséquence, un euro cotisé ne donne pas les mêmes droits d’une année sur l’autre ! Il est facile de deviner qu’avec la prise en compte des salaires de l’ensemble de la carrière, toutes les retraites vont baisser.

Enfin, les malades, les privés d’emploi, les salariées en congé maternité, auraient des pensions diminuées puisque, contrairement au régime actuel qui tient compte de ces interruptions de carrière, le gouvernement a précisé : « Il n’y aura plus de points gratuits ». Ces périodes ne sont plus comptabilisées. Adieu le principe de solidarité ! De la même manière, les pensions de réversion pour les veufs ou veuves de salariés sont en danger, ainsi que la majoration de durée d’assurance pour enfants. Tout ce qui ne relève pas de la cotisation sur le salaire sera considéré comme une aide aux retraités pauvres, aléatoire, prise sur un autre budget.

Alors, plus de justice ? Non, il s’agit d’une volonté d’accaparement par l’Etat des sommes non négligeables que sont les réserves des caisses complémentaires obligatoire du régime général (Arrco et Agirc) 110 milliards et les 35 milliards du fonds de réserve des retraites. Plus besoin de réserves puisque le système s’équilibre lui-même, de manière comptable.


Fin de l’âge légal de départ en retraite

La main sur le cœur, Macron a clamé « J’ai promis ». Hors de question de reculer l’âge de départ à la retraite qui restera à 62 ans ! Chacun pourra exercer son « libre choix » de s’arrêter à 62 ans ou de continuer à travailler. Et pour que le « choix » soit totalement « libre » ( !), Macron envisage de créer un système de décote, suffisamment dissuasif pour que le salarié ne prenne pas sa retraite mais continue à accumuler des points !

Le modèle anglo-saxon n’est pas loin : une pension minimale de base, complétée, pour ceux qui le peuvent, par un système de fonds de pensions privés. Le projet Delevoye n’interdit pas les régimes spéciaux, chaque entreprise ou branche est libre de maintenir des avantages comme elle le souhaite, à condition qu’elle l’assume financièrement.

Les inégalités entre les retraités vont encore grandir et l’injustice sociale s’accentuer. Ceux qui le pourront s’achèteront une retraite complémentaire par capitalisation sur le marché de l’épargne retraite, ce qui fait baver de convoitise les banques et autres fonds assurantiels. On en sera alors, comme aux Etats-Unis, où le cotisant supporte seul les risques liés au transfert de son épargne sur le marché boursier. La pension de retraite est tributaire de l’évolution de l’action de l’entreprise et en cas de krach, elle part en fumée.  

Abandon de la gestion paritaire

Le projet Delevoye prévoit la gestion du système de retraite par une structure de tête portant les 42 régimes, sous la forme d’un établissement public, doté d’un Conseil d’administration (composé de représentants des employeurs et des salariés) et d’une Assemblée générale. Qui décidera, de l’Etat ou du Conseil d’administration, de la valeur du point chaque année, tant au niveau de la cotisation qu’au moment du calcul de la pension ? Va-t-on conserver un régime de gestion paritaire indépendante de l’Etat ? Cela ne semble pas être la tendance mais, pour l’heure, les débats sont très opaques. 

Ce qui est certain, c’est que cette « réforme » permettra au gouvernement de baisser les retraites sans décision politique mais par simple « automatisme ». Choisir ce système, c’est abandonner l’idée d’une retraite équitable garantissant des prestations face à des aléas économiques et politiques ; c’est prendre en mains une gestion jusqu’alors paritaire, pour échapper au contrôle social des représentants des salariés. C’est passer d’un système solidaire et universel à un système ultralibéral favorisant les fonds de pension.

3 - Des miettes pour retraités pauvres

Lors de son allocution du 25 avril, Macron a promis qu’il n’y aurait plus aucune retraite en-dessous du minimum contributif de 1000 euros (actuellement de 700 euros). Ce montant annoncé ne concerne que les salariés ayant atteint l’âge du taux plein et il ne s’appliquera qu’aux nouveaux retraités en 2020. Vaut-il mieux un minimum contributif à 1000 euros, à 62 ans après 43 annuités de travail dur, ou un minimum vieillesse à 903 euros ? Annoncer une mesure aussi rabougrie est d’une indécence inacceptable. Ainsi, Macron pointe du doigt des retraités qui « profiteraient » du minimum-vieillesse plutôt que de gagner leur retraite… et pour lutter contre, il dit vouloir « créer un différentiel (93 euros !) entre les gens qui ont travaillé toute leur vie et ceux qui reçoivent le minimum vieillesse ». De biens pauvres mesures pour mépriser les pauvres !   
  
Autre annonce : la « sous-indexation » imposée sur les retraites en 2019 (0.3 % d’augmentation contre 1.8 % d’inflation) ne se répètera pas. En 2020, les retraites (en-dessous de 2000 euros) seront réindexées sur l’inflation, et en 2021, elles seraient toutes réindexées. Impossible de calculer ce que cela va représenter en euros, d’autant que l’on ne sait pas si la base retenue de 2000 euros est en net, en brut, sans ou avec le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, etc…

Ces annonces, tout comme la baisse des impôts sur le revenu (pour ceux qui gagnent moins de 2000 euros par mois) relèvent, à la veille des élections européennes du 26 mai prochain, d’une opération séduction des retraités, qui sont encore très nombreux, voire majoritaires, sur les ronds-points des Gilets Jaunes. 

En conclusion

La grandiloquence des objectifs de Macron cache mal une politique qui reste inchangée après 6 mois de Gilets Jaunes et 3 mois de grand débat. Dans les prochains numéros, nous analyserons la capacité gymnastique de Macron à pratiquer les grands écarts du type : vouloir créer dans chaque canton des « Maisons France Services » ou dédoubler toutes les classes de la grande section maternelle au CE1, tout en affichant la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires ; ou encore, sortir de l’échec des négociations de l’assurance-chômage, prévoyant notamment un malus pour les entreprises abusant des contrats courts, tout en leur promettant la suppression de certaines niches fiscales… Autant d’embûches qui peuvent le faire trébucher, nous laissant espérer que le mouvement des Gilets Jaunes pourrait se structurer autour d’un projet social et écologique, ouvrant des perspectives de convergences avec d’autres acteurs porteurs de revendications similaires.

Odile Mangeot, le 30 avril 2019
   

(1)   Denis Kessler – vice-président du Medef de 1998 à 2002. Depuis 2002, PDG du groupe SCOR – 5ème réassureur mondial - propose aux compagnies d’assurances une offre de services pour maîtriser la gestion des risques (solutions financières dans les domaines des grandes catastrophes ainsi que dans les assurances Vie et longévité).
(2)    OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques (36 membres à travers le monde). source : CGT Fédération des organismes sociaux août 2018

Reculer l’âge de départ effectif sans l’annoncer

L’âge légal de départ à la retraite, rabaissé de 65 à 60 ans en 1983, est remonté progressivement à 62 ans depuis 2011. D’autres leviers ont été utilisés pour retarder l’âge de départ effectif, sans toucher à l’âge légal. Le passage de 37.5 ans (150 trimestres) à 40 ans (160 trimestres), puis à 41.5 ans (166 trimestres), nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein, et le calcul sur la base du salaire moyen des 25 meilleures années (au lieu des 10 meilleures), ont déjà rapproché des 63 ans l’âge effectif moyen de départ d’un salarié du privé non-cadre. Cette tendance a été brutalement accélérée par la réforme des retraites complémentaires Agirc-Arrco qui a instauré, au 1er janvier 2019, un malus de 10% pendant 3 ans pour tous ceux qui liquident leur retraite avant 63 ans. Le taux de remplacement du salaire par la retraite, qui était encore de 83 % au début des années 1990 pour les salariés ayant effectué une carrière complète dans le privé, n’est aujourd’hui maintenu à ce niveau que pour ceux qui liquident leur retraite à 67 ans. Ramené à moins de 73 %, il a chuté de 10 points pour ceux qui font liquider leur retraite à l’âge légal de 62 ans.
Rapport annuel du COR – juin 2018




Nous avons lu... 
Le fond de l’air est jaune

Ce livre est le recueil de nombreuses contributions (Sophie Wahnich, Ludivine Bantigny historienne, David Graeber, Alexis Spire, Etienne Balibar…), autant d’analyses à chaud de l’avènement d’un évènement impensable avant son déclenchement. Accompagné de photos, de slogans, de l’appel de Commercy, de textes des Gilets Jaunes, il insiste sur deux facteurs essentiels : la violence symbolique du pouvoir macronien à l’encontre des classes subalternes et le « rejet d’un monde où la pauvreté et la précarité côtoient la richesse éhontée, où la concurrence et le marché saccagent l’environnement, épuisent à petit feu les classes populaires ». Ce mouvement a déjà réussi ce que 30 ans de luttes sociales et écologiques n’étaient pas parvenues à faire : s’en prendre au pouvoir lui-même et non composer avec lui. En investissant les Champs Elysées, interdits de manifestations depuis le 6 février 1934, et les beaux quartiers bourgeois, il s’en est pris à l’oligarchie régnante et à son commis, Macron. Face aux politiques néolibérales des partis dominants de droite et de gauche, les ronds-points investis sont les lieux où des gens qui s’ignoraient apprennent à échanger et à se connaître. Cette repolitisation par en bas, cette demande de justice sociale, fiscale, environnementale, manifeste également une volonté de démocratie sociale, une réappropriation du pouvoir par le peuple. En l’absence de convergence des luttes, le « retour à l’ordre » peut finalement s’imposer mais la continuité des politiques d’austérité ne peut que provoquer à terme, une nouvelle vague de mobilisations plus importante et encore plus cohérente. C’est ce qui semble se dessiner après les appels et rassemblements à Commercy et à Saint-Nazaire. Un mouvement social et politique peut-il en naître ? La réponse est inscrite dans l’histoire présente et à venir. A lire de toute urgence pour « comprendre une révolte inédite ». 
Collectif, Seuil, janvier 2019, 14.50€


Soudan, Algérie… Révoltes des peuples

Assiste-t-on à la naissance d’une deuxième séquence des révoltes arabes, au vu des mobilisations populaires monstres qui affectent les régimes en place en Algérie et au Soudan ? Mis à part en Tunisie, où tout avait démarré en 2011 (ce que les médias ont appelé les printemps arabes), les pays concernés ont été l’objet, soit d’une restauration dictatoriale (Egypte, Bahreïn), soit ont basculé dans des guerres civiles attisées par les interventions étrangères (Syrie, Yémen, Libye). Au-delà des mouvements anti-Béchir et anti-Bouteflika, l’aspiration à la liberté et à la démocratie traverse le Proche-Orient et l’Afrique du Nord avant, demain, de se répandre sur tout le continent africain ? Depuis une soixantaine d’années, les indépendances accaparées ou octroyées n’ont permis que l’installation de systèmes de prédation, d’économies rentières et d’Etats militaro-policiers gangrenés par la corruption. Les révoltes n’ont pas manqué, sauf dans les pétromonarchies gorgées de pétrole qui sont, jusqu’à présent, à l’abri des secousses telluriques déstabilisant les tyrannies. Partout, le feu couve sous la braise, même dans les régions dont on ne parle pas (Rif marocain, Bassora dans le sud de l’Irak). En s’attardant plus sur la situation au Soudan, on voudrait ci-après montrer que les convulsions présentes ne sont qu’un avant-goût des révoltes à venir, scandées par des répressions et des interventions étrangères pour maintenir ou restaurer l’ordre tyrannique qui, en dernière instance, satisfont les grandes puissances et les sous-impérialismes régionaux.

1 - Soudain, le Soudan

Tout a commencé, en apparence et à bas bruit médiatique, le 19 décembre 2018, après une longue impatience du peuple : les classes moyennes sont, depuis 8 ans, laminées par une crise économique qui a débouché sur une hyper inflation (officiellement 70 %). Le régime d’oppression et de surveillance d’Omar El Bachir reposant et imposant une vision rétrograde de l’islam au moyen d’une armée et de milices omniprésentes, ne peut, dans un premier temps, se maintenir à flot qu’avec l’aide des pétromonarchies qui le renflouent, en se payant sur la spoliation de terres agricoles et en chair à canon pour la guerre au Yémen, menée par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis contre la rébellion houthiste. Mais, désormais, malgré tous les artifices, les caisses de l’Etat sont pratiquement vides, les banques n’ont plus de liquidités, les distributeurs automatiques sont vides.

Suite à l’appel lancé par la « déclaration pour la liberté et le changement », le peuple est dans la rue et prétend imposer, pacifiquement, la fin du régime. Avant d’examiner les caractéristiques de ce mouvement populaire massif, une rétrospective s’impose.

Du colonialisme à l’indépendance marquée par des guerres internes

Il y a plus de 130 ans, les forces anglo-égyptiennes interviennent pour mater la révolte du Mahdi (le sauveur) qui entend se débarrasser de l’oppression ottomane. Le Royaume Uni, qui prétend que ses intérêts ( !) sont menacés, prend Khartoum, avant de subir, après un siège d’une année (1884-1885), une défaite cinglante. La deuxième intervention anglo-égyptienne prend la forme d’une vengeance sanglante contre les troupes du Mahdi, lui-même est décapité en place publique.
Colonie britannique dès 1896, l’indépendance du Soudan est octroyée en 1953. Le pays est marqué à la fois par le tiers-mondisme de Nasser et surtout par l’influence de l’islam. En fait, ce sont des cliques militaires qui vont se succéder jusqu’au coup d’Etat d’Omar El Bachir qui ravit le pouvoir à l’occasion du mouvement populaire de 1985 et de l’influence de son mentor, le cheikh prêcheur Tourabi, prônant un islam rétrograde antioccidental. La junte militaire islamiste qui s’installe en 1989, non seulement va héberger des terroristes, Carlos et Oussama Ben Laden, et pour ce dernier jusqu’au moment de son départ en Afghanistan (1996), mais surtout, va mener des guerres impitoyables contre son propre peuple. Dès 2003, ses milices janjawids opèrent au Darfour (est du Soudan) un véritable génocide (300 000 morts), puis c’est la région la plus pauvre, la plus abandonnée de Kordofan au sud du Nil, puis la guerre contre le Soudan du sud qui parvient, au prix d’effroyables souffrances et de divisions ethniques, à obtenir son indépendance en 2013. Dans la même période, se succèdent les répressions contre les révoltes populaires en 1995, 2011, 2013. Ce qui vaut, surtout pour le nettoyage ethnique au Darfour, au dirigeant El Bachir, d’être accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, sans pour autant être déféré devant la Cour Pénale Internationale, malgré les méthodes employées : « tuer, brûler, violer, piller, mutiler, affamer et recommencer ».

Toutefois, la décennie 1999-2011 s’apparente à une période de paix relative et de prospérité. Le boom pétrolier rapporte des devises, le pouvoir semble changer de cap, il s’aligne de fait sur le néolibéralisme. Il obtient ainsi la levée des sanctions américaines et des fonds de sociétés étrangères. Les entreprises publiques sont privatisées et cédées à des proches du pouvoir, incompétents et corrompus. Sous couvert d’un discours islamiste, c’est une politique ultralibérale qui est menée. Les obligés du pouvoir d’El Bachir s’enrichissent par spoliation. Le secteur minier de l’or passe sous le contrôle des services de renseignements et des milices. Bien que ce pays soit le 3ème producteur mondial derrière l’Afrique du Sud et le Ghana, le peuple n’en bénéfice pas. Qui plus est, l’exploitation de ce minerai a un impact environnemental catastrophique, tout particulièrement dans les zones agricoles où il pollue les eaux du Nil. La classe moyenne est spectatrice de ce gâchis et de ce pillage. Quant aux plus pauvres, ils en subissent les conséquences. La donne change avec la sécession du Soudan du sud où s’effectuent les ¾ de la production pétrolière. Les compensations, prévues lors de l’indépendance de ce nouveau pays, ne seront jamais versées et pour cause, la guérilla se scinde en deux fractions qui se livrent une guerre meurtrière, résultant pour partie des divisons ethniques qu’avait instrumentalisées Khartoum. C’est à l’issue de cette période que date la prise de conscience du peuple sur la nature des guerres menées par le pouvoir : « Nous sommes en train de récupérer notre histoire ».

La révolte populaire, son organisation, sa nature et sa détermination

Contrairement à ce qui se passe en Algérie, la révolte semble organisée. Le triplement du prix du pain fut l’occasion saisie par la coalition, que semble diriger le syndicat alternatif Association des professionnels soudanais (SPA), pour lancer son appel à manifester le 18 décembre 2018. Outre le syndicat, cette structure regroupe ce qui reste des groupes armés du Darfour, du Kordofan, de l’Etat du Nil bleu et même des Frères musulmans. Les têtes de la contestation, dont certains sont en prison depuis 4 mois, sont dans la clandestinité.
Le programme de ce regroupement, outre la paix, veut instaurer un gouvernement provisoire de techniciens ( ?) pendant 4 ans, dont la tâche serait d’instaurer une économie de transition, de rallier une partie au moins de l’armée et de mettre fin à la corruption. Les consignes de la SPA semblent suivies avec la constitution des comités de quartier, de rassemblement dans des lieux différents, donnés en dernier moment, et de fusion des manifestants. En tout état de cause, depuis décembre 2018, le peuple n’a cessé de descendre dans la rue. Face à cette déferlante qui touche toutes les villes du Soudan, le pouvoir semble pris au dépourvu, divisé sur les mesures à prendre. Ce n’est que le 22 février qu’El Bachir décrète l’état d’urgence, sans d’ailleurs que cela ait un impact sur la détermination des manifestants. Au contraire, leur nombre ne cesse de s’accroître. Les 6 et 7 avril, des centaines de milliers convergent vers le quartier général de l’armée de l’air et de la marine et appellent à la fraternisation. Rien ne les arrête malgré les ponts bloqués, les violences, les tirs. Et tout commence à basculer : les forces dites de sécurité ont tenté d’attaquer les manifestants mais les militaires ont pris parti pour les manifestants et ont ouvert le feu sur les forces répressives. La  Force de réaction rapide du colonel Daglo Hemetti se trouve face à l’armée. Le 9 avril, c’est une foule immense qui se retrouve de nouveau devant le quartier général de l’armée comme pour fêter une première victoire après plus de 60 morts. La dualité entre les forces armées permet de rendre compte de cette première brèche : fraternisation avec les simples soldats et officiers de rangs intermédiaires face aux armées bis d’Omar El Bachir de 30 000 hommes, mieux dotées mais elles-mêmes divisées et réparties sur tout le territoire, y compris aux frontières pour empêcher l’émigration. En effet, nombre de milices et de Janjawids ont été, avec  les deniers de l’Europe, reconvertis en garde-frontières quand ils ne sont pas allés, comme chiens de guerre, combattre au Yémen.

Coup de théâtre en deux temps le 11 avril. Le fusible El Bachir est débarqué… en prison. L’instauration d’un conseil militaire dit de transition semble être un coup d’Etat dans l’Etat. Il interdit d’être dans les rues de 22 heures à 4 heures du matin. Les manifestants n’obtempèrent pas. Le quarteron de 10 officiers et généraux, ayant à sa tête Ibn Auf, ministre de la défense depuis 2015, celui qui a attisé une guerre fratricide au sud, armé des groupes de pillards qui ont commis des atrocités contre la population, ainsi que le général Salah Gosh, chef du service de renseignement, entendent mener une transition pour que rien ne change afin de préserver leurs intérêts. Le second semble avoir le soutien de l’Egypte, des USA, de l’Arabie Saoudite et d’une partie des pétromonarchies. Malgré la décision prise de libérer les prisonniers politiques, les manifestants continuent d’exiger la chute du régime.

Entre compromis, restauration et libération ?

Pour l’heure, un compromis entre les aspirations du peuple et le replâtrage du régime semble impossible,  compte tenu, surtout, de la nature du mouvement et celle des forces répressives. Ceux qui manifestent pacifiquement ne peuvent oublier la répression qui s’est abattue sur eux de décembre à février. Des centaines, puis des milliers d’arrestations ont rempli les prisons où la torture est parfois pratiquée jusqu’à la mort (60 décès comptabilisés au 6 avril) et toutes les mains brisées à coups de crosse ou de tuyau. Ils ne peuvent « pardonner » les coups de fouet, de bâton, les tirs de kalachnikovs. Car « ce n’est pas juste la peur qui s’en est allée, c’est le droit de vivre qui nous est revenu ». Plus fondamentalement, outre la misère effrayante, c’est la composition des manifestations qui est significative : les femmes sont les plus nombreuses. Elles en ont marre du régime islamiste et des interdictions qui les brident : les vérifications de la « décence » de leurs tenues, l’interdiction du pantalon, la vérification de ceux qui les accompagnent, surtout en  voiture, et cet article 152 du code pénal qui permet de les arrêter, de les condamner à être fouettées et de se voir infliger de lourdes amendes. Et comme dit l’une d’entre elles « la liberté vaut la peine d’aller mourir dans la rue » », et ce, à l’instar d’Alaa Salah, cette icône du mouvement. Elle n’hésite pas, le 8 avril, depuis le toit d’une voiture à haranguer la foule et à entonner des chansons à la gloire de la « révolution » en cours. Autre particularité du même ordre, dans les universités, les femmes représentent 76 % des étudiants. La contestation, de fait, est partie des classes moyennes éduquées avant d’entraîner le grande masse du peuple, surtout dans les villes. Et comme dit la sœur d’Alaa « on ne veut pas changer de dictateur, on veut changer le monde, la façon dont nous vivons ».

Face à ces aspirations, l’appareil d’Etat, quoique divisé, est intact. A sa tête demeurent les responsables des exactions et de l’incurie du régime. Leur plan : sauver les intérêts de la caste, y compris le haut commandement de l’armée. Ils trouveront, à coup sûr, le soutien des dictateurs et des pétro-monarques qui veulent à tout prix éviter la propagation dans leurs pays de cette insurrection iconoclaste, à leurs yeux. Tout est possible mais rien n’est encore joué. La coalition autour de l’Association des Professionnels parviendra-t-elle à entraîner une partie de l’armée, à organiser la prise de pouvoir et nettoyer les écuries d’Augias ? Cette interrogation traverse de nombreux pays du Moyen Orient et du Maghreb. Jusqu’ici la restauration, y compris par la guerre civile, a permis aux prédateurs de conserver le pouvoir. La voie révolutionnaire est souvent étroite et le pire est toujours possible.

2 – De l’Algérie en passant par la Libye, le Yémen et l’Afghanistan

On ne peut, ici, qu’évoquer les situations différentes de ces pays, sans souligner la mise en garde des Egyptiens solidaires du peuple soudanais : « Ne laissez pas l’armée confisquer les fruits de votre combat » (Gamel Eid). Cette sentence vaut notamment pour les Algériens.

Le mouvement populaire de grande ampleur qui secoue leur pays, tous les vendredis, a commencé par le refus de la candidature de Bouteflika pour un 5ème mandat, sur fond de ras-le-bol d’une situation sociale douloureuse, marquée entre autres par le chômage abyssal de la jeunesse. Le mort-vivant qui n’apparaissait plus qu’en photo dans son cadre fut l’humiliation de trop. La détermination du peuple, malgré les exactions policières, le 12 avril, a contraint la clique au pouvoir de se débarrasser de cette figure conspuée. Mais ce qui s’est mis en place, à savoir la continuité des « 3 B » d’un côté, et de l’autre le général de l’armée Gaïd Salah, démontre les tiraillements qui secouent l’appareil d’Etat. Ce dernier en se démarquant de la police à l’égard des manifestants le 12 avril, réaffirme qu’en dernière instance (et ce, depuis, de fait, 1962), c’est l’armée qui dirige. Quant aux obligés de Bouteflika, Belaiz, le président du conseil constitutionnel, Bensalah, le président par intérim ou Bedoui, le 1er ministre, ils sont renvoyés à leur rôle de marionnettes transitoires. Pour le pouvoir maffieux, qui vit de l’accaparement de la rente pétrolière depuis des décennies, il s’agit de sauver l’essentiel, leurs intérêts, quitte à exfiltrer quelques têtes. Face à l’exigence populaire « Qu’ils partent tous », le général, ex-bras droit de Bouteflika l’a assuré : « Il serait déraisonnable de gérer la période de transition sans les institutions qui organisent cette opération ». Autrement dit, les organisateurs de la fraude électorale pourraient toujours sévir, d’autant que les candidats de la campagne électorale et son financement remettraient, sur le devant de la scène, les mêmes… Pas si simple, « ce piège à cons » doit être mis en œuvre pour le 4 juillet prochain, date fixée pour l’échéance électorale. En effet, nombre de maires ont refusé d’organiser cette consultation… Le mouvement peut-il prendre de l’ampleur, les manifestations monstres se poursuivre ? En tout état de cause, il semble que le général Gaïd Salah anticipe un arrêt de la mobilisation. A la différence de la situation soudanaise, le mouvement spontané algérien ne semble pas en état, pour l’heure, de se doter d’une organisation d’opposition.

En Libye, ce pays qui a sombré dans la guerre civile, après l’intervention franco-anglaise appuyée par les USA, ne semble pas prêt d’en sortir. Deux gouvernements se font face. L’un, reconnu initialement par ladite communauté internationale, siège à Tripoli. A sa tête, un dénommé Sarraj, débarqué pour réaliser une union nationale des différentes milices. L’autre, qui s’est imposé en Cyrénaïque (Est libyen), a obtenu le soutien et l’aide militaire de l’Egypte d’Al Sissi, de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis. Aux commandes de ce gouvernement autoproclamé, le général Haftar, ancien cacique de Kadhafi, récupéré par la CIA, puis résident aux Etats-Unis avant de reprendre du service. Il est parvenu à occuper les champs pétroliers au sud et menace désormais Tripoli. L’attaque surprise, le 4 avril, vers Tripoli, a fait plus de 200 morts, 800 blessés et provoqué le déplacement de 25 000 personnes. Macron soutient de fait cet « homme providentiel » et, au grand dam de l’Italie, prétend avoir sa part de gâteau sur les ressources pétrolières. Quant aux migrants, piégés, ils seraient 810 000 dont nombre d’entre eux pourrissent dans des camps. L’un d’entre eux aurait été pris par les troupes d’Haftar et leurs « résidents », enrôlés de force. Les soutiens d’Haftar n’ont qu’un souhait, évacuer le fief de Benghazi, de ces miliciens « révolutionnaires » sous influence des Frères musulmans et étouffer toute velléité d’aspirations démocratiques. Elles étaient fragiles dans ce pays, malgré la volonté manifeste en son temps, de se débarrasser du dictateur Kadhafi. Les subsides distribués par la manne pétrolière, cette « merde du diable », comme disent certains Africains, ainsi que le recours à de la main d’œuvre étrangère, avaient dissipé les faibles lueurs démocratiques sous le poids des grilles de lecture religieuses.

Il en est de même, sous d’autres formes, au Yémen et en Afghanistan.

Le Yémen est coupé en deux suite à l’intervention militaire de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis et de la rébellion houthiste qui ont étouffé les aspirations démocratiques, les transformant en guerre civile alimentée notamment par les terroristes et milices islamistes. Inconcevable pour les pétromonarchies wahhabites que les Houthistes prennent le dessus : ceux qui se réfèrent à une religion s’apparentant au chiisme iranien. D’où le blocus du port d’Hodeïda, visant à affamer la population. Quant à la France, elle est à la manoeuvre : les Mirage 2000, les blindés Leclerc, l’artillerie Caesar (42 km de portée) et autres hélicoptères, frégates et corvettes, sans compter les armes US, prouvent s’il en est besoin que l’industrie de la mort tourne à plein régime. Hollande puis Macron ont en effet décidé de continuer de livrer du matériel militaire à l’Arabie Saoudite et aux EAU. Que des journalistes français viennent révéler qu’il en est bien ainsi, est considéré comme un « crime » leur valant les foudres de la DGSE qui leur intente un procès pour violation du secret-défense. Ainsi va ce pays à la dérive. Contre toute attente, malgré les 24 000 bombardements, les Houthistes résistent. Il n’empêche, force est de constater que l’intervention étrangère n’est guère source de progrès, au contraire.    

Pour s’en convaincre, si nécessaire, il n’est que de se référer à l’Afghanistan. Les successives interventions militaires de l’URSS, puis des USA, y compris l’ingérence du Pakistan, n’ont guère permis d’avancer vers la paix. A moins que, de guerre lasse, Trump ne retire ses troupes, comme il l’a annoncé, suite aux négociations plus ou moins secrètes avec les talibans. En tout état de cause, la Cour Pénale Internationale, sous pression états-unienne, vient d’annoncer qu’elle renonce à enquêter sur les crimes de guerre commis par les Etats-Uniens, les talibans et le gouvernement de Kaboul. Que l’on ne parle plus à Trump des tortures à Abou Graib, à Guantanamo, ni dans les prisons secrètes de la CIA en Pologne, en Roumanie, en Lituanie ou en Egypte… La justice des vainqueurs ne le permet pas.

Tout ceci pour constater que la longue marche des peuples pour la liberté et l’égalité se trouve entravée par les interventions étrangères, les appareils d’Etat oppressifs et les grilles de lecture archaïques de leur propre oppression et exploitation. Il n’en demeure pas moins qu’en Afrique et au Moyen-Orient, l’importance de la jeunesse, y compris celle qui s’exile, porte les combats à venir. Elle se laissera de moins en moins manipuler.

Gérard Deneux, le 27 avril 2019



Alertes écologiques

« La maison brûle » sous l’effet de l’empreinte carbonée du mode de production, d’échange et de consommation. Outre l’exploitation humaine, le recours intensif aux énergies fossiles (charbon, pétrole) et à l’extractivisme minier devient insupportable. Depuis des lustres, le réchauffement climatique est avéré, les catastrophes se multiplient (ouragans, inondations…). Qu’importent les alertes scientifiques répétées, les grandes messes médiatisées mettant en scène les « grands » de ce monde pour nous rassurer. Et ce, en prônant une écologie punitive (taxe carbone) assez dérisoire par rapport aux enjeux : ceux du saccage de la planète, de la destruction de la biodiversité et de la vie humaine. Que Trump se retire de l’accord non contraignant sur le climat et permette l’accélération de l’extraction effrénée du gaz et du pétrole de schiste, ou que Bolsonaro, au Brésil, autorise le défrichage intensif de la forêt amazonienne, tout en organisant la chasse aux Indigènes… ne font guère sourciller les gouvernants qui « regardent ailleurs ». Ils pointent du doigt les consommateurs et les incitent à faire de petits gestes, tout en les ponctionnant. Les mobilisations en cours et à venir, comme celle qui s’est produite dernièrement au quartier financier de la Défense à Paris, ont désigné les vrais pollueurs, en particulier Total.

Pour illustrer ce propos général, le recul des glaciers, l’exploitation minière en Norvège, la privatisation prévue des barrages hydroélectriques en France, sont autant d’exemples significatifs.

La ressource en eau qui fond… dans la mer

Une équipe internationale de chercheurs a rendu le verdict après avoir notamment examiné 19 000 glaciers dans le monde et en comparant les photos aériennes et satellites au cours des 50 dernières années : 9 600 milliards de tonnes de glace ont disparu. Le phénomène s’est accéléré au cours de la dernière décennie (2006-2016), occasionnant la perte de 335 milliards de tonnes de glace chaque année, soit 3 fois le volume de glace de l’ensemble des Alpes européennes. Cette fonte se produit aussi bien en Alaska qu’en Patagonie. Le plus alarmant, pour les populations qui y vivent, c’est l’état dégradé des glaciers dits tropicaux dans la cordillère  des Andes, en Equateur, au Pérou, dans le Caucase ou les Alpes. Si le rythme actuel de réchauffement et de fonte se maintient, nombre d’entre eux disparaîtront d’ici la seconde moitié du 21ème siècle, diagnostiquent les chercheurs. On imagine déjà les conséquences, pour l’agriculture et les hommes, de l’amenuisement de cette ressource en eau qui, via les fleuves, se déversera dans la mer.

Demain, des Lapons intoxiqués

La société NUSSIR vient d’obtenir, en Norvège, l’autorisation d’exploiter en Laponie, le plus gros gisement de cuivre, d’or, d’argent, de platine. Elle compte extraire 6 500 tonnes de minerai par jour. Elle a prévu de déverser dans un fjord à proximité, les boues toxiques chargées de produits chimiques et de métaux lourds. Tant pis pour le saumon sauvage qui s’y trouve et les terres traditionnelles d’élevage de rennes. Les Sami, ces populations qui en vivent, se mobilisent. Le ministre leur a répondu que c’était pour la bonne cause de la transition écologique : « Les matériaux seront utilisés pour les panneaux solaires, les éoliennes et les voitures électriques ». Le même type d’argument pour un pétrole propre et moins cher avait déjà été utilisé pour l’exploitation de l’or noir dans l’Arctique.

Bientôt… la grande braderie es barrages

La France est mise en demeure par la Commission européenne : la privatisation des barrages, par mise en concurrence des prétendants, doit être réalisée d’ici fin 2019. Fillon en a fait la promesse en 2010. Edouard Philippe a répondu que son gouvernement y travaillait et que 150 barrages étaient concernés. Total, la suédoise Vattenfall, le finlandais Fortum, à l’affût, sont autant de rapaces qui piaffent pour s’accaparer ces actifs rentables, financés par les contribuables. Las, il faut compter avec les Gilets Jaunes et, pour la privatisation des aéroports de Paris qui provoque des haut-le-cœur, sur les critiques virulentes de la CGT, de SUD et des experts. Les barrages hydro-électriques ne produisent pas seulement de l’électricité à bas coût, mais aussi de l’eau pour les agriculteurs, les bases de loisirs, et refroidissent également les centrales nucléaires. Pour les gouvernants, il ne faut donc pas « agir trop vite » et attendre les européennes pour les brader…

Serge Victor