Mayotte, ce
confetti de l’ex-empire français si maltraité,
cette partie
des Comores, elles-mêmes désarticulées.
On
ne peut comprendre la situation de blocages et de grèves dans l’île de Mayotte,
ce 101ème département français, sans évoquer son histoire tumultueuse
et les responsabilités de l’impérialisme français. Ce détour est d’autant plus
nécessaire que les médias dominants réduisent le mouvement local d’ampleur à l’afflux
de migrants des autres îles de l’archipel ; si cette réalité n’est pas
contestable, les causes de ce « besoin de sécurité » sont largement
ignorées.
Détour
par l’histoire coloniale et néocoloniale
Tout
commence en 1841, le sultan Andriantsouli cède à la France l’archipel contre
une rente viagère annuelle. Cette cession est ratifiée par Louis-Philippe en
1843. Dès 1886, l’archipel des Comores devient colonie française. Il comprend 4
îles : Anjouan, la grande Comore, Mohéli et Mayotte. Les populations qui y
vivent partagent la même culture traditionnelle, la même religion sunnite, la même
langue, le shikomori. En 1912, le statut colonial est réaffirmé : la
position de l’archipel est en effet considérée comme stratégique ; située
entre Madagascar (colonie française) et le Mozambique, elle constitue un verrou
dans l’océan indien pour la circulation maritime qui passe par le cap de bonne
Espérance.
En
1946, l’archipel devient Territoire d’Outre-Mer. L’heure de la décolonisation
semble ouvrir une nouvelle voie. Il faut néanmoins attendre 1974 pour qu’un
référendum soit organisé. 94.75% de la population se déclarent pour
l’indépendance. Alors même que la loi française avait prévu un comptage global,
le gouvernement français se prévaut du vote île par île pour revenir
unilatéralement sur sa décision, Mayotte ayant voté à 63% contre l’indépendance.
Contre la décision de l’ONU, admettant en son sein l’intégralité de la jeune
République des Comores, le gouvernement français décide de se maintenir dans
l’île de Mayotte. En 1976, un nouveau référendum, avec force trucages et fraudes,
proclamera à 99.4% que Mayotte doit rester française. Il s’agit de fait
d’extirper cette île de son contexte comorien et africain pour assurer la
présence impérialiste de la France. Les décisions de l’ONU condamnant la France
« d’atteinte à l’unité des Comores »,
de « violations de l’intégrité
territoriale » et du droit international n’y changeront rien. La
France néocoloniale s’installe et ignore l’admonestation de l’ONU exigeant son
retrait de l’île de Mayotte. Pire, les autres îles des Comores vont payer très
cher le fait d’avoir mal voté. La France gaullienne ne pardonne pas. La cellule
de l’Elysée avec Foccart d’abord puis Michel Debré et Olivier Sterne, aidée par
les services secrets, va tout faire pour déstabiliser les Comores en employant
ses chiens de guerre.
Les déstabilisations
successives des Comores
Bob
Denard et ses mercenaires vont faire l’affaire. Dès le 6 juillet 1975, ils
débarquent et destituent le président Ahmed Abdallah. Le président nouvellement
élu Ali Soilihi est très vite en disgrâce. Il entreprend une réforme agraire,
pire, il se revendique du marxisme. Nouveau coup d’Etat initié de l’Elysée et
conduit par Bob Denard et ses miliciens. Ils s’installent dans l’île. Le
nouveau gouvernement s’aligne sur les positions françaises et devient un
partenaire de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce dernier pays conclut un
accord tacite avec l’Elysée. Les mercenaires sont payés en grande partie par
l’Afrique du Sud, le reste provenant des fonds secrets de la DGSE.
En
1989, le président Ahmed Abdallah revient au pouvoir… pas pour longtemps, il
est assassiné dans des conditions des plus troubles… en présence de Bob Denard.
En 1990, Mitterrand soutient le nouveau président Saïd Mohammed Djohar… pas
pour longtemps…, il a osé se rapprocher de l’Iran et de la Libye. 1995, nouveau
coup d’Etat, Bob Denard toujours à la commande. Cette fois est la fois de trop,
la réprobation nationale et internationale oblige le gouvernement à reculer.
Juppé proclame que la France n’est pas responsable ( !). Bob Denard est
lâché mais ses hommes et lui-même sont récupérés par l’armée française et la
DGSE (1). Rocard se félicite d’une opération si bien menée.
Ces
diverses tentatives opaques pour préserver le néocolonialisme sur l’ensemble de
l’archipel ont donc échoué. Balladur en prend acte de manière répressive. Les
Comoriens sont interdits à Mayotte. Entretemps, les médias, pour dissimuler les
coups fourrés de l’Elysée, ont répandu l’idée que ces îles des Comores, hors du
giron de la France, forment une République bananière incontrôlable. Reste que
depuis 1995, 15 000 Comoriens ont tenté de rejoindre Mayotte et se sont
noyés dans l’océan indien. Quant aux affreux comme Bo Denard et tous ceux qui
ont agi dans l’ombre de la république française… ils n’ont pas été inquiétés.
Encore aujourd’hui, ces mercenaires recrutés dans la mouvance d’extrême droite,
sont qualifiés de « corsaires de la République » ( !)
Mayotte, la
maltraitée
Ce
département, français depuis 1976, n’a pas pour autant connu le développement
qu’il aurait pu espérer, bien au contraire. Il se caractérise par des records
d’illettrisme (40%) des jeunes de 16-24 ans, de chômage des jeunes (47%) et une
situation de santé publique déplorable. Les hôpitaux sont saturés tant et si
bien qu’il faut multiplier les évacuations sanitaires vers l’île de la Réunion
à 684 km à l’est de Madagascar, pour encombrer le CHU de cette île dont le
déficit est abyssal. Les records de fécondité, la multiplication de la
population passée depuis 1958 de 23 300 habitants à 256 000, tout
comme l’immigration résultant pour l’essentiel de la déstabilisation des
Comores, rendent la situation inextricable : 84% de la population vit en-dessous
du seuil de pauvreté ; on compte des milliers de mineurs isolés livrés à
eux-mêmes dans les bidonvilles. Le manque de services publics est criant, y
compris en matière d’éducation et de prévention. Evidemment, l’économie
informelle, la délinquance, les viols, les milliers d’enfants abandonnés, ne
sont guère des « aspects positifs » ( !) du néocolonialisme.
Coupé de son environnement proche, l’Afrique, ce DOM reste dépendant et sous
perfusion aléatoire de l’Hexagone.
Les
déstabilisations successives des Comores, la misère qui y règne, incitent par
conséquent leurs habitants à rejoindre
Mayotte pour mieux pourrir dans des bidonvilles. Ils représentent désormais le
¼ de la population. Face à l’immobilisme des différents gouvernements français,
il n’y a guère lieu de s’étonner de la paupérisation croissante de la
population, de la hausse de la mortalité infantile et de la baisse de
l’espérance de vie. Si les Français de métropole installés dans cette île gagnent,
en moyenne, 1 400€/mois, les originaires de Mayotte se contentent de 290€.
Quant aux sans-papiers, sans-visa Balladur, ils végètent dans des conditions
semi-esclavagistes, installés dans des habitats précaires après avoir loué les
terrains où ils ont pu construire leurs cahutes. La surpopulation devient
dramatique, générant une concurrence entre les pauvres et les miséreux,
développant des violences xénophobes et ne rencontrant, au mieux, que l’indifférence
de la métropole, au pire, l’entretien des rejets sécuritaires comoriens. Et ce
n’est pas d’aujourd’hui que la situation est devenue intenable. En 2011, un
grand mouvement contre la vie chère, puis un autre en 2016 pour l’harmonisation
du statut de cette île vis-à-vis des autres confettis de l’ex-empire français,
n’ont guère incité l’Etat français à améliorer la situation. Rien d’étonnant donc
à la reprise, avec plus de force, d’un nouveau mouvement social depuis le 20
février 2018.
La ministre
d’Outre-mer chahutée et toujours les mêmes recettes
Après
bien des tergiversations, Macron a envoyé Annick Girardin à Mayotte pour
« renouer le dialogue » qui
n’a jamais réellement existé. Face au Collectif d’associations, de syndicats et
d’élus, elle avait pour mission de rétablir le calme dans cette île
complètement bloquée. Accompagnée d’une cohorte d’experts en retour à l’ordre, tels le général Lambert
et l’ex-préfet de ce département Jean-Jacques Brot, croyant bien faire, elle a,
sitôt débarquée, annoncé un nouveau renfort des forces de l’ordre, en plus des trois
escadrons de gendarmerie déjà à l’oeuvre. La veille de son arrivée, en effet,
ces derniers étaient intervenus pour dégager le rond-point
« stratégique », celui de l’entrée du port de Langoin et ce, bien que
les dirigeants du collectif aient toujours laissé passer les véhicules
sanitaires et de livraison. Provocation inutile. Le lendemain, le carrefour
était réoccupé.
C’est
donc dans une île paralysée par la grève et les blocages que la ministre a
cherché des interlocuteurs, sans en trouver. Bravache, elle s’est rendue place
de la République, mégaphone en main. Et ce fut une pluie de quolibets et
d’interpellations véhémentes jusqu’à son exfiltration sous les huées. Elle
n’eut guère plus de succès au conseil départemental, l’hémicycle étant vide. Se
précipitant alors vers la Maison de l’entreprise, elle finit par trouver quelques
patrons pour… une heure d’entretien.
Après
bien des flottements et hésitations, faute d’élus « responsables »,
elle consentit à recevoir une délégation du collectif, pour annoncer des
mesures sécuritaires et une vague promesse : des navires patrouilleurs
coiffés par un état-major pour stopper les migrants, un plan de destruction des
habitations illégales et un « plan de rattrapage » dont trois hauts
fonctionnaires seraient chargés. Aucun protocole d’accord ne fut signé.
La
délégation crut bon de proposer, comme souhaité par la ministre, une suspension
du mouvement. Désavouée, « balayée
par la colère des grévistes et des barrièristes », la délégation ne
put qu’acter la poursuite du mouvement, tout en exigeant la présence d’un
« véritable interlocuteur » en capacité de prendre en compte les
revendications populaires. Jupiter va-t-il s’y risquer et descendre de son
Olympe ? Bref, rien n’est réglé et la voie est étroite entre le chaos et
la répression.
Un
peuple qui laisse son Etat dominer d’autres peuples ne saurait être un peuple
libre. C’est dire, par cette paraphrase que, pour le moins, la métropole doit
être solidaire des Mahorais. Les mouvements qui secouent périodiquement les
confettis de l’ex-empire colonial doivent acquérir l’autonomie réelle de ces
territoires, voire leur indépendance. Celle-ci ne peut se construire qu’avec la
coopération des pays limitrophes et, pour ce qui concerne Mayotte, avec les
pays africains à proximité, avec la Réunion, Madagascar et ce, dans le cadre de
la réunification de l’archipel des Comores
Gérard
Deneux, le 3 avril 2018
(1)
Bob Denard
possédait en 1978, 800 000 millions sur des comptes au Luxembourg. Ce
« sultan blanc » des Comores qui se conduisit en despote, pratiquant
au besoin la torture, était devenu un homme d’affaires trafiquant avec
l’Afrique du Sud. Avec la fin de l’apartheid, il fut lâché par ce pays et par
la France qui ne pouvait admettre des liens troubles avec ce chien de guerre.