Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 29 août 2021

 

Le bateau ivre

 Editorial de PES n°75 (juillet/août 2021). pour s’abonner, voir ci-dessous

 

Après la déroute en Afghanistan de l’impérialisme US et de son bras armé, l’OTAN, une métaphore analogique s’impose : celle du navire dans lequel est embarquée l’humanité. Dirigé par des castes ivres de puissance qui se disputent le gouvernail, il semble en perdition. Jusqu’il y a peu, l’hyperpuissance prétendait imposer la route de son « destin manifeste ». Noam Chomsky désignait les dirigeants des USA qui ont succédé à Eisenhower comme des criminels de guerre qui, tous, auraient été condamnés si le Tribunal de Nuremberg avait continué à siéger.

 

Après l’effondrement de l’URSS, les « stratèges » US ont connu l’échec de la suprématie totale sur le « grand Moyen-Orient » qu’ils entendaient remodeler à l’aide de supplétifs fantoches et de guerres interminables. Après ces reculs successifs, les apprentis successeurs se disputent la prééminence sur le pont du navire. Et ils sont légions, les milliardaires et leurs suppôts dictateurs, autocrates et autres despotes en herbe. Il suffit de citer Trump le fougueux, son successeur Biden s’accrochant à la barre qui lui échappe, les Bolsonaro, Orban, Poutine, Erdogan, l’arrogant Macron et la « rassurante » Mutter Merkel. On a même vu apparaître sur la scène ukrainienne un magnat du chocolat puis un clown.  

 

Le cap vers les eaux glacées de la mondialisation financière s’est accompagné, à bord, de la goinfrerie des potentats de toute nature, contraignant les galériens dans les soutes à plus maigre pitance. Et nombre d’entre eux se révoltèrent, les mutineries se multiplièrent dans toutes les cales. Mater, réprimer, corrompre, furent la ligne de conduite des gouvernants. Acheter la paix sociale rencontre désormais de plus en plus de difficultés : l’embarcation dérive et affronte l’océan démonté de l’écosystème dérégulé où l’on ne compte plus les incendies ravageurs, la fonte des glaces, les cyclones et les inondations destructrices… Sur la route de l’histoire, il y a, en outre, des icebergs : des virus inconnus et l’horizon d’une nouvelle crise financière. Les explosions sociales risquent de faire chavirer le navire, le sauvetage demeure périlleux.

 

La solution, pour les rapaces du capital, consiste-t-elle à aborder le rivage d’un capitalisme d’Etat à la chinoise ? Ne s’y résignant pas, ils agitent la trouille du péril jaune. Eux qui ont inauguré les méthodes de manipulation et de surveillance technologiques, utilisées désormais à grande échelle dans l’Empire du milieu, poussent des cris d’orfraie humanitaires, tentant de faire oublier que Snowden avait révélé l’espionnage mondial permettant à la NSA de se livrer à toute les manigances, y compris contre la « bienveillante » Merkel. Ils omettent également la marchandisation de l’espionnage par la société israélienne Pegasus aux Etats autoritaires ou dictatoriaux, comme le Maroc.

 

Pour l’heure, Maître Xi, plus confucéen que marxiste ou maoïste, évite d’agacer le vieux tigre blessé. Chez lui, patelin, le maître du ciel et de la terre, prône « l’harmonie », la « société de moyenne aisance », enserrant dans sa main de fer gantée de velours, les magnats capitalistes qui doivent s’intégrer dans le cercle dirigeant. Toute dissidence et lutte des classes sont étouffées par la surveillance généralisée et le conformisme imposé. A l’extérieur, il prône la non-ingérence, le respect des Etats, quels qu’ils soient, et le libre-échange mondialisé. Les nouvelles routes de la soie lui ouvrent le chemin d’une influence commerciale pour saisir, peut-être, le gouvernail du bateau ivre.

 

Gérard Deneux, le 24.08.2021 

 

 

Pour s’abonner à Pour l’Emancipation Sociale

 

envoyer ses coordonnées et un chèque à l’ordre de PES

à Gérard Deneux 76 avenue Carnot 70200 Lure

abonnement (10 numéros) postal = 25€

abonnement (10 numéros) courriel = 6€

 

L’être

 

Devenir poète

c’est porter le regard sur l’être

pour se soulager de son mal être

le poète

porte son regard sur l’avenir

il est maître de son univers

comme le génie dans sa lampe

car sans ce monde et sans notre air

et sans avis contraire

qui va au-delà des hémisphères

de se voir victime sans rien faire

d’attendre son tour à perdre sa chair

je veux faire monter les enchères

sur nos vies notre travail nos galères

sortir le monde de ces congères

de ces parasites ces tortionnaires

Le poète

c’est une voix contestataire

c’est un droit révolutionnaire

 

Hassen

 

Pour en savoir plus sur l’Afghanistan

La révolution afghane. Des communistes aux tâlebân

de Gilles Dorronsoro. Ed. Khartala, 2000


Afghanistan 2001-2010. Chronique d’une non-victoire annoncée

de Jean Charles Jauffret, ed. Autrement, 2010


L’ombre des talibans

de Ahmed Rashid, ed. Autrement, 2001

 

 

AFGHANISTAN

Le cimetière des empires

 

L’Afghanistan se trouve en Asie Centrale. Ce pays un peu plus grand que la France est peuplé d’environ 38 millions d’habitants. Il présente de nombreuses particularités intéressantes, surprenantes, étonnantes…

Il est extrêmement montagneux, une chaîne de montagne l’Hindu Kush le traverse d’Est en Ouest, le séparant en deux : la partie Nord, où l'on trouve quelques plaines cultivables et la partie Sud, plutôt désertique. L’Hindu Kush culmine à près de 8 000m, les cols permettant de relier les deux parties du pays se situent aux alentours de 4 000m. Depuis 1964, un tunnel construit par les Soviétiques facilite les échanges, ceux-ci restant tout de même extrêmement limités entre le Nord et le Sud. La vie des Afghans s’organise dans les vallées, le long des rivières, au bord desquelles quelques terres sont irriguées, entourées de montagnes désertiques. Les voisins de cet Etat ne laissent pas indifférent. Il a une frontière commune avec le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, et surtout avec le Pakistan (2 430km) situé au Sud, avec l’Iran à l’Ouest (936km), et à l’Est avec la Chine. La frontière avec celle-ci se trouve au fond du corridor de Wakhan, une langue de terre de 200km de long sur environ 40km de large à 4 800m d’altitude.

 

La population est composée de différentes ethnies qui, de par la géographie du pays, ont longtemps vécu séparées les unes des autres. L’ethnie principale, ce sont les Pachtounes, le long de la frontière pakistanaise. Ils représentent 40% de la population et ont quasiment toujours dirigé le pays. Ils parlent le pachtou (37 millions de Pachtounes vivent également au Pakistan). Les Tadjiks se situent le long de la frontière du Tadjikistan (25%). Les Ouzbeks (10%), les Hazaras (10%) vivent au centre de l’Afghanistan. Toutes les ethnies sont sunnites, hormis les Hazaras qui sont chiites et qui, pour leur grand malheur, n’ont aucune frontière commune avec leurs frères Iraniens.

 

C’est un pays pauvre : 90% de la population vivent avec moins de 2$/jour, au classement IDH (Indice de Développement Humain) ils étaient 137ème en 1990 et 169ème en 2020. Pourtant c’est le pays qui a le taux de fécondité le plus élevé d’Asie. En 1990 ils étaient 12 millions, en 2020 38 millions. Si la France avait suivi la même trajectoire depuis 1990, nous serions plus de 170 millions d’habitants. L’Afghanistan possède peu de matières premières connues mais il semble qu’il détienne des réserves non exploitées de terres rares et de minerais convoités (lithium…). Les Etatsuniens, suite à des recherches, laissent entrevoir la présence de nombreuses ressources naturelles.

 

Au cours de l’Histoire,

 beaucoup de monde est passé par ce pays plutôt inhospitalier

 

Il est un point de passage quasi obligé entre l’Orient et l’Occident : Cyrus, Alexandre Le Grand, Gengis Khan passeront dans cette région, en route vers l’Inde ou la Chine. A ces époques, diverses royautés règnent sur la région de Kaboul et dans les différentes vallées. Des pouvoirs relativement autonomes sont en place. Une certaine unité apparaît à travers la religion, d’abord le bouddhisme au 3ème siècle puis l’islam à partir du 7ème siècle. L’islam se répand lentement dans les zones reculées, et n’apparaît dans certaines, qu’au 18ème siècle. On considère que l’Afghanistan devient une entité souveraine en 1947 (chute de l’empire perse afcharide). A cette époque, l'Afghanistan reste une société multi ethnique, multi clanique. Les conditions de vie sont plutôt difficiles mais les populations s’y sont plutôt bien adaptées puisque le nombre d’habitants a crû régulièrement. Les groupes ethniques différents dont beaucoup ne se connaissent pas ont des caractéristiques communes : un farouche désir de liberté, un grand plaisir à « se chicailler » avec les voisins, une culture de l’indépendance, de la force, du combat. Le sport national n’est ni la pétanque ni le foot mais le bouzakhi. Il oppose deux équipes de cavaliers pour s’approprier le cadavre d’une chèvre et le ramener dans son camp ; tous les coups sont permis et les cavaliers sont armés de fouets. Les Afghans sont avant tout des guerriers, les femmes afghanes, elles, sont reléguées aux tâches domestiques et familiales. Autre point commun à ces différentes ethnies : faire l’union sacrée face à toute intrusion extérieure.

 

Les Anglais, présents en Inde, en feront l’expérience puisqu’en 1839, pour contrer l’influence russe qui s’étend dans la région du Kirghizistan et de l’Ouzbékistan actuels, ils décident d’occuper la région de Kaboul pour faire de l’Afghanistan, un Etat servant leurs intérêts. Ils envoient 4 000 soldats et 10 000 civils à Kaboul, avec l’intention, à plus longue échéance, de contrôler le pays. Parmi eux se trouve un journaliste, Alexandre Burne, qui fait un portrait assez surprenant de la région de Kaboul : « L’Afghanistan est particulièrement réputé pour ses fruits qui sont exportés en grand nombre vers l’Inde. Ses vignobles sont si abondants que les grains sont donnés pendant 3 mois de l’année au bétail. Le vin de Kaboul a un parfum proche du Madère. Ghazni est célèbre pour ses prunes, Kandahar pour ses figues et Kaboul pour ses mûres. Les pays voisins absorbent la quasi-totalité de la production ».  Face à cette agression extérieure, les différentes tribus afghanes s’organisent et en 1842 attaquent les Anglais. En quelques jours ils  massacrent tous les soldats de cette armée considérée comme la meilleure du monde, mais également tous les civils présents à Kaboul. Il n’y eut que quelques survivants.  Alexandre Burne n’aura pas profité longtemps du vin afghan puisqu’ il sera un des premiers civils lynchés à Kaboul.

En 1880, les Anglais qui contrôlent les frontières extérieures de l’Afghanistan, s’imposent  dans sa politique extérieure mais pas dans sa politique intérieure. En 1919, les Afghans fatigués de cette tutelle attaquent les postes frontières. L’Angleterre « jette l’éponge » et accorde l’indépendance au pays. D’après les diplomates anglais, l’armée coloniale redoutait le fort nationalisme et les actes de guérillas qui pouvaient durer des années, coûter très cher financièrement et humainement pour « pacifier » le pays. Pour eux, se maintenir en Afghanistan était la quasi-certitude d’entrer dans un bourbier. Georges Bush n’a sans doute jamais lu ce rapport.

 

Afghanistan indépendant

 

A partir de cette date, le pays entre dans une ère nouvelle, alternant des périodes d’avancées sociales importantes et des reculs très brutaux. Cela commence plutôt bien puisqu’Amanullah Khan, d’abord émir puis roi d’Afghanistan lance des reformes progressistes : effort en matière d’éducation (en particulier pour les filles), de laïcisation… Le droit de vote des femmes est accordé en 1919 (25 ans avant la France !). Mais ces reformes touchent la population de Kaboul et des grandes villes ; dans les zones montagneuses, la tradition, les lois ancestrales demeurent et ces réformes heurtent les chefs locaux qui se rebellent contre le pouvoir du roi. En 1929, face à des rebellions de plus en plus nombreuses dans le pays, Amanullah Khan abdique puis s’exile. Les rebelles prennent Kaboul et le nouveau chef du pays est un Tadjik, chef rebelle illettré Bacha E Saqao. Il met un terme immédiat aux avancées sociétales et instaure un état islamique. Le régime mis en place par cet homme du peuple, fils de porteur d’eau, est aujourd’hui encore une source d’inspiration pour les talibans. Mais il n’est pas Pachtoune et ceux-ci, majoritaires dans le pays le renversent la même année. Ils installent au pouvoir Mohammad Nadir Shah qui fera exécuter Bacha E Saqao après lui avoir promis la vie sauve. Il sera lui-même assassiné cette même année et son fils Mohammad Zaher Shah lui succèdera et règnera jusqu’en 1976. Sous son règne, l’Afghanistan devient une monarchie constitutionnelle en 1964. Il remet en place les lois progressistes : scolarisation des filles… Avec l’aide des Russes, il améliore les infrastructures : il fera creuser le tunnel de Salang reliant le Nord et le Sud du pays. Pendant un voyage à l’étranger en 1973, il sera déposé par son ex premier ministre Mohammad Daoud Khan qui proclame la république et s’éloigne de Moscou. Il restera 5 ans au pouvoir et en 1978, renversé par un coup d’Etat. Mohammad Taraki le remplace et met en place un régime d’inspiration communiste. A cette époque, les filles sont scolarisées, les femmes ne portent pas le voile. A l’université de Kaboul, 60% des enseignants sont des femmes, 40% des médecins afghans sont des femmes… Mais comme dans les années 20, ce progressisme, surtout en œuvre dans les grandes villes, heurte les traditions, les coutumes et rend le régime impopulaire aux yeux de la population rurale.

 

Invasion soviétique

 

En 1979, une partie de l’armée se révolte, Taraki est assassiné, remplacé par Hafizullah Amin qui prend ses distances avec Moscou. Sentant le pays sortir de sa sphère d’influence, l’URSS envoie des soldats sur le sol afghan le 24 décembre 1979 et met au pouvoir Babrak Karmal. Les soldats soviétiques contrôlent rapidement Kaboul, les grandes villes et les grands axes de circulation mais jamais les zones rurales. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les différentes ethnies entrent en résistance contre l’occupant extérieur. Sept groupes principaux de moudjahidines forment cette résistance. Parmi eux l’« Alliance du Nord » et les Tadjiks du commandant Massoud. L’Alliance du nord reçoit une aide internationale venant des USA pour contrecarrer l’action de l’URSS et également de pays musulmans, pour soutenir leurs frères face à une agression communiste. Aides financières, matérielles et aussi humaines. De nombreux mercenaires (algériens, égyptiens, bosniaques, …) vont venir les aider. De nombreux militaires de l’armée afghane déserteront et les rejoindront également. Un groupe de Pachtounes, étudiants en théologie, soutenu par le Pakistan et les Etats-Unis entre également en résistance. Il deviendra tristement célèbre puisqu’ il s’agit des Talibans.

Au début du conflit, le rapport de force est favorable aux Soviétiques car ils ont la maitrise des airs. Mais celui-ci va s’inverser progressivement, surtout quand les moudjahidines seront équipés par les USA de missiles Stinger, capables d’abattre depuis le sol des hélicoptères et  des avions de chasse. L’URSS perd alors son avantage militaire. De plus elle entre dans la période de Perestroïka et consacre moins de moyens en Afghanistan. Elle tentera de former une armée afghane pour remplacer progressivement ses soldats. Une fois formés, une grande partie des soldats désertent et rejoignent les Moudjahidines. Après 10 ans de présence, 50 000 morts, l’URSS retire ses troupes d’Afghanistan en 1989. Le régime de Mohammad Najibullah qui a remplacé Babrak Karmal se retrouve seul face aux rebelles, résiste quelque temps mais Kaboul tombe tout naturellement sous les assauts des Moudjahidines en avril 1992 (encart 1).

 

Guerre civile

 

Les Moudjahidines se répartissent le pouvoir, Massoud par exemple devient ministre de la défense. Mais dans la grande tradition afghane, dès que l’ennemi commun disparaît, les querelles entre Moudjahidines reprennent et les groupes rebelles, unis face aux soviétiques, se déchirent à nouveau et redeviennent en un temps record des ennemis. Chaque chef applique à nouveau ses propres lois sur la région qu’il contrôle et l’Afghanistan devient à nouveau un champ de bataille, cette fois, dans le cadre d’une guerre civile. Ces affrontements provoqueront la destruction d’une grande partie de Kaboul et plongeront à nouveau l’Afghanistan dans l’instabilité.

Durant cette période les Talibans, venus essentiellement du Pakistan commencent à contrôler certaines zones du pays. Ils y instaurent la charia, loi islamique très dure, en particulier pour les femmes. Mais cette loi permet de retrouver la stabilité dans ces zones. Les gens peuvent à nouveau échanger, travailler et ils les accueillent plutôt bien. La charia heurte moins les coutumes locales que les lois des gouvernements communistes. Plus les affrontements entre Moudjahidines se multiplient, plus la présence des talibans va être acceptée, voire réclamée par la population. Dès lors, ils s’implantent sur tout le territoire et Kaboul tombe entre leurs mains le 27 septembre 1996.

 

L’Afghanistan sous les talibans

 

Le mollah Omar devient chef du pays. Seule une région du Nord Est n’est pas sous la domination des Talibans : la vallée du Pandjchir, « vallée des 5 lions » contrôlée par les hommes du commandant Massoud. Dans le reste du pays, les Talibans instaurent la charia  plutôt acceptée dans les zones rurales, beaucoup moins dans les grandes villes, en particulier à Kaboul. Pour l’imposer, les talibans  n’hésitent pas à utiliser la violence, voire la terreur. C’est à cette époque que le stade de Kaboul sera le lieu de punition et d’exécutions publiques. L’adultère, par ex., est puni de mort, le chef taliban du quartier décidant s’il est avéré ou pas. Pas de tribunal, pas d’avocat. Un groupe ethnique va particulièrement souffrir dans cette période, ce sont les Hazaras. En 1998, 5 000 seront massacrés à Mazar I Sharif. Leur faute : être chiites et d’origine caucasienne.

 

En septembre 2001, deux évènements font basculer à nouveau le destin de l’Afghanistan. L’assassinat de Massoud mais surtout l’attentat contre les tours du Wall Street Center. Bush désigne un coupable : Ben Laden. Où se trouve Ben Laden à cette époque ? Certainement en Afghanistan…  Bush qui n’a pas lu le rapport des diplomates anglais de 1919 envoie alors des troupes américaines dans le pays. Objectifs : retrouver Ben Laden, détruire les bases d’al qu’Aïda et reconstruire le pays. En 2003, l’Otan prend le commandement de la FIAS (Force Internationale d’Assistance à la Sécurité) qui inclut 34 pays dont la France. Tout comme pour l’URSS en son temps, l’opération commence plutôt bien. Les forces de l’Otan contrôlent Kaboul, les grandes villes, les grands axes de circulations mais…. pas les zones rurales. Dans ces zones, les soldats de l’Otan se cloîtrent dans des campements hyper sécurisés, n’en sortent qu’en convois armés et n’ont que très peu de relation avec la population. Les enfants afghans sont sans doute plus terrorisés que rassurés quand ils voient apparaitre ces « extraterrestres ». Pour un peu plus d’efficacité, ils engagent des traducteurs - qui risquent de regretter leur aide dans quelques temps. Les Talibans reconquièrent progressivement le terrain perdu et la pression sur les forces de l’OTAN s’accentue, d’autant qu’elles ont des comportements quelque peu étranges. Par exemple, pour limiter la culture du pavot, elles bombardent les champs des agriculteurs. Gérard Chaliand, géo-stratège, affirmait que les forces de l’OTAN dans les campagnes passaient leur temps à faire de la gonflette, que les casques bleus italiens payaient les Talibans pour ne pas être attaqués. Les Etats-Unis, voyant que la situation n’évoluait pas et qu’ils étaient partis pour des dizaines d’années de présence dans le pays, tentèrent de former des militaires afghans pour qu’ils assurent eux-mêmes la défense de leur pays. Mais dans cette armée les supérieurs sont surtout intéressés par les soldes très conséquentes, payées par les étatsuniens et n’ont aucune envie de combattre réellement. Beaucoup d’observateurs rapportent que certains gradés revendaient les armes fournies par les occidentaux aux talibans. Les hommes de troupe, conscients de cet état de fait ne veulent pas risquer leurs vies pour des supérieurs et un gouvernement corrompus, d’autant qu’ils ont, face à eux, les talibans prêts à mourir pour leur cause. Constatant que les objectifs ne seront jamais atteints, les occidentaux quittent progressivement le pays, les Français, fin 2014, prétextant que l’armée afghane saura se défendre seule. Ce qui s’avère totalement faux. Les Etatsuniens restent jusqu’à ce que Trump annonce le retrait définitif de ses troupes. Les Talibans se préparent « tout naturellement » à reprendre le pays, d’autant plus facilement qu’ils sont mieux équipés, mieux encadrés, mieux organisés qu’en 1995, donc plus efficaces. Au fur et à mesure que les soldats étatsuniens quittent une base ou un aéroport, officiellement laissés aux mains de l’armée afghane, en quelques jours les talibans les occupent. Même chose pour les axes de circulation et les points de passage aux frontières extérieures. Dès qu’ils les contrôlent, ils instaurent des droits de passage, des péages pour les véhicules et pour les marchandises, s’assurant une manne financière conséquente. Quand, au début de l’été les américains ne contrôlent plus que Kaboul et ses aéroports, il est facile d’imaginer la suite, mais le reconnaître, c’est reconnaître l’échec de 20 ans de présence occidentale. C’est pourquoi il y a quelques semaines encore, le président afghan Ashraf Ghani affirmait que son armée était prête à combattre les Talibans. Il savait pertinemment que c’était faux et préparait sans doute déjà son départ. On pouvait espérer que Kaboul allait résister et ne pas tomber facilement dans le giron des Talibans. Mais la facilité avec laquelle les autres grandes villes ont été conquises ne laissait penser que le contraire. Kaboul est tombée, sans combattre, et beaucoup plus rapidement que prévu. Les services secrets américains avaient estimé à environ 12 mois le temps nécessaire aux talibans pour prendre la ville !

>>><<< 

Les 20 années de présence occidentale sont un gâchis phénoménal, un camouflet pour l’Occident et surtout les Etats-Unis. Ces derniers ont injecté 2 000 milliards de dollars, pour, finalement, revoir à la télévision les mêmes images de déroute qu’à Saigon en 1975. Personne n’oubliera les images de ces derniers jours d’hommes accrochés au train d’atterrissage d’avions militaires américains prêts à décoller, ou celles encore plus terribles de femmes afghanes tentant de donner leurs bébés aux soldats anglais en partance. Côté afghan, le bilan de ces années est terrible : 160 000 morts et un effondrement économique pour un pays qui était déjà très bas. Les habitants des campagnes ne sont pas sortis de la pauvreté ; seuls ceux des grandes villes ont pu vivre, libérés des archaïsmes religieux et de ses interdits et ont goûté à la « liberté ». Ce fiasco afghan, après celui de l’Irak et de la Libye… convaincra-t-il les Occidentaux, et plus particulièrement les Etats-Unis de ne plus intervenir militairement à l’étranger ? Si les malheurs du peuple afghan pouvaient servir à cela…

 

L’avenir de l’Afghanistan fait craindre le retour de la charia, même s’il semble que son application rigoriste soit plus difficile à mettre en oeuvre aujourd’hui. Economiquement, la nature ayant horreur du vide, la Chine et la Russie sont déjà sur les rangs pour fournir leurs services afin de valoriser les immenses ressources du pays. Le projet chinois est déjà ficelé : construire une route pour rejoindre l’Afghanistan, par le col de Wakhan (4 800 m d’altitude).

 

Le goût de la  « liberté » qu’ont connu les habitants des grandes villes pourra-t-il résister au régime taliban qui s’annonce ? Des manifestations ont lieu à Kaboul ; sont-elles le signe d’un nouvel Afghanistan dans lequel le peuple pourra décider de son avenir. Le chemin sera sans doute très long.  

 

Jean-Louis Lamboley, le 24 août 2021

 

Pour en savoir plus, voir « Nous avons lu » 

 

 

Des interrogations demeurent

Les guerres d’Afghanistan et la vision occidentale imposée par les médias dominants, tentent de minimiser la responsabilité de l’impérialisme US. De nombreuses zones d’ombre ou d’occultation demeurent. Ainsi, dès le « coup d’Etat » communiste en Afghanistan, les Etats-Unis, avec l’aide du Pakistan, n’auront de cesse d’armer, de soudoyer les chefs féodaux, ces seigneurs de guerre, présentés comme des « combattants de la liberté ». La fragilité et la division du parti communiste afghan entraîneront l’invasion « soviétique » et son enlisement dans ce bourbier. Après leur retrait, le pouvoir en place résistera pendant 3 ans, malgré l’aide massive fournie aux moudjahidines par les USA, l’Arabie saoudite et leurs mercenaires. Parmi eux, Ben Laden… Le régime communiste déchu se traduira par une guerre civile sanglante entre seigneurs de guerre, jusqu’à l’arrivée des talibans formés, aidés par les services secrets pakistanais et les dollars US. Dès leur prise de pouvoir, les Etats-Unis, bien avant les attentats du 11 septembre 2001, négocieront avec ce pouvoir archaïque, pour tenter d’imposer un pipeline drainant le pétrole de la mer Noire à travers l’Afghanistan et le Pakistan, vers la mer d’Oman. Les magnats du pétrole US (Unocal) étant trop gourmands aux yeux du gouvernement de Kaboul, les négociations échoueront malgré une subvention de 43 millions de dollars. La libération des femmes et les droits humanitaires sont le moindre souci de l’hyperpuissance US malgré leurs proclamations. Tout change après les attentats contre les tours jumelles. « Livrez-nous Ben Laden et l’on vous déroulera un pont d’or sinon ce sera le tapis de bombes ». On connaît la suite.

Des questions demeurent : Ben Laden, certainement l’inspirateur des attentats contre les Occidentaux mais le commanditaire et le maître d’œuvre ? Rien de certain. Sur les 19 membres du commando kamikaze, 15 étaient Saoudiens. Quel rapport avec les difficultés rencontrées par les Saoud, après avoir autorisé le stationnement des troupes US en terre d’islam, visant à attaquer, lors de la 1ère guerre du Golfe l’Irak de Saddam Hussein…

GD

 

Encart  (à la fin de l’article)

 

Daesh « s’invite » à Kaboul

Jeudi 26 Août, 2 kamikazes, revendiqués par Daech, se sont fait exploser au milieu de la foule à la porte de l’aéroport de Kaboul, zone tenue par les Talibans. Daech veut empêcher la “tentative de normalisation” des Talibans. Ces derniers sont, essentiellement, des nationalistes pachtounes ; ils ont été accueillis à Doha (Qatar) et veulent entretenir avec les Emirats Arabes Unis, voire l’Arabie Saoudite, de bonnes relations. Daech, issu principalement de la guerre d’Irak, a la volonté de construire un califat islamique mondial, opposé à tout nationalisme. Il prétend, en Afghanistan comme ailleurs, continuer la lutte contre les occidentaux,  y compris contre les talibans qui, d’après eux, ont trahi la cause en négociant. Les talibans, pour leur part, combattent depuis le début, avec leurs unités spéciales, l’état islamique en reconstitution chez eux.  Le cycle infernal des attentats va-t-il recommencer, en Afghanistan et ailleurs, d’autant qu’Al Qaïda est toujours protégé par les talibans ?  

      

 

 

Nous avons lu…

 

Le bateau ivre

Toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite. Il est nécessaire de le rappeler tant nous aurions la fâcheuse tendance à identifier tous les personnages surgis de « l’imagination  de l’auteur ». Il met en scène un président de la République, des ministres, des parlementaires, des leaders d’opinion (universitaires, journalistes, essayistes…) face à des attentats successifs revendiqués par des « islamistes ». Comment faire pour contenir ces actes de « barbarie » qui ne peuvent que nuire à la « carrière » d’un président qui pense déjà à sa réélection face à un futur candidat de l’extrême droite ? Désigner « l’ennemi », les islamistes, quitte à amalgamer islamisme et islam, et à stigmatiser les musulmans. C’est la spirale de la manipulation, à laquelle participent une grande partie de la « machine médiatique », mais aussi des associations comme SOS Laïcité… Comment réduire au silence les quelques journaux comme Politique Hebdo ou Medialibre ? En les interdisant par décret du ministre de l’Intérieur. Le président, n’écoutant personne, sauf celles et ceux qui le flattent, prend des décisions toujours plus anti-démocratiques, liberticides, allant jusqu’à engager un référendum pour supprimer le Conseil constitutionnel qui a annulé la loi sur le voile à l’université… Cette fiction nous parle de l’histoire immédiate… L’auteur fait vivre quelques personnages, deux députés et un universitaire notamment, résistant aux pressions qu’ils subissent pour « rentrer dans le rang ». Le bateau ivre vogue sur des flots nauséabonds… jusqu’aux présidentielles en 2022… jusqu’à la victoire de… Vous le saurez en lisant ce premier roman d’un auteur d’une soixantaine d’ouvrages sur les questions internationales et stratégiques. OM

Pascal Boniface, ed Armand Colin, juin 2021, 17.90€        

 

Manuel indocile des sciences sociales.

Pour des savoirs résistants

Ce livre déconstruit les fausses évidences comme celles qui célèbrent le marché libre, la méritocratie, le parlementarisme démocratique et de nombreux « mécanismes » qui produisent l’exploitation des travailleurs, la transmission des capitaux, les discriminations, la ruine des services publics. Face aux désordres internationaux, aux guerres imposées, comme au dérèglement climatique, les contributions de plus de 100 auteurs (sociologues bourdieusiens, économistes atterrés, nouveaux historiens et acteurs du mouvement social) aident à résister à l’infantilisation, à la distraction permanente qui invitent à la résignation et à l’indifférence. Et, pour citer l’intervention décalée de Bruno Gaccio, il faut se défaire de « l’idée que les crétins sont aux commandes pour longtemps à cause d’autres crétins qui, en spectateurs résignés, laissent faire ». « L’idiocratie n’a besoin que de moutons votants pour choisir qui leur racontera des histoires à dormir debout ». Comme avec Macron, les con-sacrés par la grâce électorale, forment, pour la plupart, une cour béate, rassasiée par quelques faveurs et un simulacre de Parlement qui vote comme une machine. Ce manuel à absorber à petites doses, selon les thèmes proposés, devrait constituer la livre de chevet des partisans de la transformation sociale. GD.

Plus de 100 auteurs, sous la direction de la Fondation Copernic, ed. La Découverte, 2019, 25€

 

 

Le déclin manifeste des USA ?

 

Après la débâcle des Etats-Unis en Afghanistan, il y a lieu de s’interroger sur le devenir de cette nation fédérale. Nous sommes certainement à la fin d’un cycle, celui de la superpuissance autoproclamée, suite à l’effondrement de l’URSS. La « stratégie du choc » n’a pas, comme escompté, fait sombrer la Russie dans l’escarcelle du « gendarme du monde » et ce, malgré les moyens employés, golden boys ultralibéraux et l’appui d’Eltsine. Même dans les pays de l’Est intégrant le monde libre de l’Europe occidentale, la résurgence des nationalismes fracture cet espace territorial. Du reste, c’est surtout la quête de suprématie totale au Moyen-Orient, suite aux attentats du 11 septembre 2001, et la proclamation de la « guerre contre le terrorisme » par Bush et les néoconservateurs US, qui ont durablement infléchi le cours de l’histoire. Les apôtres de l’importation militaire de la démocratie néolibérale à coups de changements de régime ont signé la fin d’une période. Malgré le déversement d’une pluie de milliards de dollars, d’occupations militaires (Irak, Afghanistan), les échecs se sont succédé : les sanctions et intimidations n’y ont rien changé ; le chaos et la corruption ont gangrené les gouvernements fantoches installés, faisant surgir des sociétés encore archaïques, des nationalismes engoncés dans des représentations religieuses d’un autre âge, et ce, avec la complicité de prétendus alliés des USA : Pakistan, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis…(1) Avec le déclin de l’impérialisme américain, l’on assiste de fait à une balkanisation du monde et à l’émergence de puissances régionales contestant la domination états-unienne : Russie, Turquie, Iran, nombre de pays d’Amérique latine et surtout, la Chine. Les Etats-Unis, en effet, pourraient bien être les perdants de la mondialisation capitalo-financière qu’ils ont promue. Bien qu’ils possèdent l’armée du monde la plus puissante, de très nombreuses bases militaires réparties sur l’ensemble de la planète, ils apparaissent comme un géant aux pieds d’argile. Le soft power d’Obama ou sa volonté de « diriger de l’arrière » les interventions militaires (Libye, Syrie) tout comme les coups de menton de Trump, n’y ont rien changé.

 

Dans le cadre de cet article, l’accent sera toutefois mis sur les faiblesses de la société nord-américaine qui rendent compte du repli de la puissance impériale, entamé déjà par Obama, poursuivi par le tonitruant Trump, géré désormais par Jo Biden. Que reste-t-il de la vision idyllique du « rêve américain » et de sa « destinée manifeste » ? Un cauchemar pour les classes populaires ? Rien n’est plus éclairant, pour y répondre, que de s’interroger sur les raisons de la mise en œuvre du projet de loi « en faveur des travailleurs, du changement climatique, du statut de millions de migrants », promis par Joe Biden, à coups de milliards. Les Etats-Unis, a-t-il déclaré, se situent au « 23ème rang mondial en matière d’infrastructures ». Il faut y remédier. Mais les promesses émises lors de la campagne électorale se sont rétrécies. De 3 500 milliards, les « démocrates » US n’en ont retenu que 1 000 pour franchir l’opposition républicaine au Sénat. Et encore ! Ils y ont inclus les 550 milliards injectés par Trump qui n’ont pas été dépensés. Il n’empêche, ces milliards signalent que les besoins de « réfection des routes, des ponts, des chemins de fer, des transports en commun, des réseaux électriques » sont énormes. Quant à « l’aide au logement des personnes les plus pauvres », comme l’augmentation du salaire minimum, il n’en n’est plus question, ni par conséquent de la hausse des impôts en défaveur des multinationales et des milliardaires.   

 

L’effritement du rêve américain

 

On n’est plus dans les années 1948-1973, période où les salaires ont doublé. L’ascension sociale se traduisait par le développement de la classe moyenne, les ouvriers devenant des  « propriétaires avec voiture », avaient un train de vie « moderne ». La croissance entre 6 et 8 % tombe à 4 % en 1973. La crise va entraîner un tournant, celui du  néolibéralisme des années Reagan et, plus encore, avec Clinton. La restauration du taux de profit sera recherchée dans les pays à bas salaires avec son cortège de délocalisations et de fermetures d’entreprises.

 

En 2008, le taux de croissance aux USA est de 1 % mais les milliardaires n’ont jamais été aussi riches alors que nombre de travailleurs ont besoin de deux emplois pour maintenir leur niveau de vie (70 à 80 heures de travail par semaine) et ce, en recourant aux crédits. La classe ouvrière se rétrécit au profit des emplois de services mal rémunérés : 10 millions de personnes échappent aux radars : ni ouvriers, ni chômeurs, ils n’existent plus. 30 % des moins de 30 ans vivent encore chez leurs parents. Le tissu social se délite. L’usage des drogues augmente, tout comme les problèmes de santé et d’obésité. L’armée, porte de sortie, se ferme en refusant 50 % des volontaires. Malgré la réforme de la santé initiée par Obama, l’espérance de vie se met à baisser. Dans certaines régions ou villes industrielles, la situation est catastrophique. Ainsi dans le Michigan, des quartiers entiers sont vides, les maisons abandonnées, les usines fermées sont des bâtiments délabrés (encart 1) .

Le véritable tournant s’est en fait opéré sous Clinton en 1996, avec ses lois de criminalisation des pauvres, accentué par la lutte contre le terrorisme. Le nombre des prisonniers a été multiplié par 10 : 2.3 millions sont incarcérés, 5 millions libérés sous caution sont des sous-citoyens, privés du droit de vote. 97 % des prisonniers n’ont jamais eu un procès avec jury, le plaidoyer-coupable leur permet d’éviter de longues années de prison et de « bénéficier » de peines plus courtes. Dans ce pays qui prône les droits de l’Homme, les prisons comptent 25 % de tous les prisonniers dans le monde. Et, comme l’ont signalé les mouvements sociaux, la répression ne faiblit pas : plus de 1 000 personnes sont tuées chaque année par les « forces de l’ordre », en tout premier lieu, des noirs et des hispaniques. Les longues guerres perpétrées au Moyen-Orient n’ont pas épargné les soldats : des millions se retrouvent sans emploi, sans formation, deviennent toxicos. Le taux de suicide des anciens combattants est énorme (20 par jour, 6 500 en 2012). Bref, il y a plus de décès dans l’armée par suicide que dans les combats.

La crise des subprimes et du système financier a encore aggravé la situation. En 2009, 3.5 millions de logements de travailleurs ont été saisis, leurs occupants jetés à la rue. Quant à la crise sanitaire (covid 19), elle enfonce encore un peu plus les plus vulnérables, ceux en particulier qui n’ont pas d’assurance maladie…

 

La classe ouvrière blanche est-elle raciste ?

 

Il s’agit là d’une vision largement diffusée par les démocrates à la Clinton, flattant les minorités noires et hispaniques, prônant des réformes sociétales pour s’opposer aux républicains conservateurs. En fait, les travailleurs, surtout les blancs au col bleu,  s’abstiennent en masse depuis les années 60. Les Clinton sont détestés et haïs, considérés comme des traitres, responsables de l’effondrement du rêve américain (2). Pendant la dernière primaire présidentielle, le slogan « Enfermez-la » visant Hillary Clinton, était très populaire ; nombreux sont ceux qui désormais ne sont plus hostiles au « socialisme » à la Bernie Sanders. En fait, il existe un profond rejet du gouvernement, de l’administration fédérale, notamment depuis le scandale du Watergate. Quant aux suprémacistes blancs, mis en avant par les médias, ils n’ont jamais été aussi faibles. Rien de comparable avec les années 1930 où le Ku Klux Klan comptait 5 à 6 millions de membres. Certes, les racistes existent mais il  n’y a jamais eu aussi peu de racisme aujourd’hui, par rapport à l’histoire des USA. En fait, les études l’ont montré, nombre de ceux qui ont voté Trump étaient ceux qui, auparavant, avaient voté Obama. Trump, le milliardaire, raciste, a pu les rallier avec ses promesses de « l’Amérique d’abord », de mettre fin aux expéditions militaires dispendieuses et « d’assécher le marais » de la bureaucratie.

 

Vers un renouveau des luttes sociales ?

 

Déjà en 2018, en Virginie occidentale, dans les Appalaches, 45 000 enseignants, chauffeurs de bus scolaires, ont pendant 12 jours, fait une grève totale. Le mouvement s’est étendu dans les Etats ayant voté Trump. Les raisons : des salaires trop bas, l’absence de fournitures scolaires dans les écoles publiques, le nombre démesuré d’élèves par classe. Bien que les enseignants n’aient pas le droit de grève, qu’ils risquent d’être condamnés à des peines de prison, les grévistes n’ont pas cédé : les syndicats ont été débordés, la solidarité s’est organisée avec les parents d’élèves (cantines, garderies) ;  et malgré les tentatives de diviser le mouvement, en proposant de n’augmenter que les seuls salaires des enseignants, l’unité populaire n’a pas été brisée. La grève a continué et puis tous les salaires furent augmentés.

Depuis un an, les mouvements sociaux se multiplient : dans l’éducation (300 à 400 000 travailleurs), la mobilisation ne s’éteint pas. Surtout, on assiste à des actions de solidarité étonnantes : les syndicats de routiers défendent les sans-papier, réclamant leur régularisation, leur droit d’obtenir le permis de conduire, le statut de salariés et non d’indépendants. A Los Angeles, 10 millions de travailleurs ont été reclassés comme salariés contractuels. En Floride notamment, des manifestations exigent le droit de vote des prisonniers et ex-incarcérés. Dans l’Ohio, des milliers de mineurs de charbon se sont mobilisés contre la diminution de leurs pensions de retraite. D’autres, en particulier dans les services de restauration rapide, exigent un salaire minimum de 15 dollars de l’heure (il est fixé à 7.5 actuellement). Dans les hôtels de San Francisco, plus de 1 000 salariés font grève, leur mot d’ordre « un seul emploi doit être suffisant pour vivre ». En Pennsylvanie, 8 000 ouvriers de l’usine de freins à air comprimé ont, pour les mêmes raisons, fait grève pendant 9 jours. Et l’on pourrait multiplier les exemples de ce renouveau de combativité (encart 2).

 

Que peut Joe Biden ?

 

Il est le représentant d’une classe dominante divisée sur les solutions à apporter au déclin de l’impérialisme états-unien. Certes, il y a un apparent consensus visant à maintenir l’influence économique et politique sur le monde. La débandade en Afghanistan a toutefois fait perdre à l’armée US, et à l’OTAN, toute crédibilité. Il semble impossible de contraindre les peuples par l’occupation militaire à l’aide de gouvernements fantoches. La pluie de dollars s’avère être un facteur de corruption contreproductif.

 

L’Europe, ce nain politique, semble être encore à portée du soft power états-unien. Jusqu’à quand ? Dans la dernière période, des blocs de puissance mondiale (Chine, Russie) et régionale (Turquie, Iran…) ainsi que l’expérience accumulée des peuples (Amérique latine), restreignent la capacité de ce qui demeure la plus grande puissance mondiale.

 

En outre, le poids des milliardaires, des transnationales, leur capacité (illimitée ?) de financement et de manipulation des partis politiques, démocrates comme républicains, semblent interdire l’émergence d’une véritable alternative. Les velléités de dirigisme d’Etat semblent, pour l’heure, vouées à l’échec. L’injection d’argent public pourrait bien profiter aux magnats de la finance et du béton… Quant à taxer les plus riches et les sociétés capitalistes, ce n’est de fait qu’un affichage revendiqué uniquement par l’aile gauche du parti démocrate. La tendance générale (d’ailleurs partout présente dans le monde) est à la manipulation des esprits, à la surveillance généralisée et, au bout du compte, à la répression.

 

Reste qu’entre un nouveau maccartisme et une politique keynésienne, les classes populaires pourraient tenter de sortir de ce dilemme. En effet, les problèmes sociaux et environnementaux se sont tellement accentués que des brèches béantes sont ouvertes : l’intensification des luttes sociales peut obtenir des avancées en matière de santé publique, d’éducation, de hausse des salaires… Elles se heurteront à l’endettement public, maintenu grâce à la suprématie du dollar. Jusqu’à quand ?

 

Enfin, l’accumulation des problèmes semble, dans la conjoncture présente, insurmontable :

-        le poids grandissant de l’impérialisme commercial de la Chine peut-il être contenu par le soft power des droits de l’Homme, des sanctions, de l’influence du dollar, de l’armée US ?

-        la dégradation accélérée de l’écosystème (incendies ravageurs, montée des eaux des océans, cyclones...) ne peut être résolue par des mesures cosmétiques et encore moins par l’utilisation de nouvelles technologies

-        la survenue d’une nouvelle crise économique et financière ne pourrait qu’aggraver les tensions sociales d’une société au bord de la crise de nerf.

 

Pour les classes dominantes US, l’avenir est incertain.

 

Gérard Deneux le 22.08.2021

 

(1)   Il faudrait pouvoir rappeler le jeu cynique des Etats-Unis, plus particulièrement a) contre l’intervention de l’URSS en Afghanistan : soutien aux soi-disant « combattants de la liberté » avec l’aide de supplétifs venus d’Arabie Saoudite notamment Ben Laden… b) leur impassibilité ensuite vis-à-vis de la prise de pouvoir par les talibans puis leur retournement après les attentats à New York en 2001… c) de même, le feu vert donné à Saddam Hussein pour entrer en guerre contre l’Iran khomeyniste et leur retournement lors de la guerre du Golfe (Koweït)…

(2)   Pour en savoir plus :

-        Le bilan anti-ouvrier des Clinton. Pourquoi Washington craint les travailleurs  de Jack Barnes

-        l’interview de Nat London, présentant le livre de Mary-Alice Waters La situation des classes laborieuses aux Etats-Unis d’Amérique,  sur le site Lib-Tropiques – le 19.05.2019

 

 

Encart 1

2021. Le nombre de sans-abris (SDF), recensés par la Fondation Endhomelessnoss, atteint le chiffre de plus de 580 000 dont 400 000 personnes seules et 171 000 familles. 6 sur 10 sont des hommes : 48 % blancs, 39 % noirs, 22 % hispaniques. Si le moratoire fédéral sur les expulsions locatives a été prolongé… les aides arrivent difficilement : seuls 3 milliards sur les 47 milliards prévus pour loyers impayés ont été distribués. Et les loyers sont en hausse ! (le Monde du 24.08.2021). A en croire Nat London « une explosion sociale est inévitable mais personne ne peut dire quand ».

 

 

Encart 2

Faut pas désespérer des Etats-uniens !

Nat London, ouvrier nord-américain, militant au Parti Socialiste des Travailleurs (SWP) raconte : « En 1965, faisant suite au mouvement des droits civiques, des groupes d’autodéfense se sont armés. Les soulèvements des quartiers noirs se sont traduits par plus de 1 000 morts mais le système de ségrégation était détruit. En 1966, la majorité des travailleurs s’oppose à la guerre du Vietnam. En 1967, lors du soulèvement des ghettos noirs, des milliers ont été arrêtés et, pour échapper à la prison, un certain nombre se sont engagés dans l’armée puis se sont retournés contre la guerre. En 1970, l’opposition à la guerre concernait 10 millions d’étudiants et lycées. Les forces de police ont tiré à balles réelles… En 1971, deux ans avant l’offensive du Têt et avant les accords de Paris, le mouvement antiguerre dans l’armée était fort, à tel point que le FLN a donné l’ordre de ne plus attaquer les soldats US dans les campagnes ».

 

Brèves… pour s’énerver

 De traité en traité… payez citoyens !

 Obscur traité sur l’énergie

 Le Traité international sur la Charte de l’énergie a été ratifié par une cinquantaine de pays dans les années 1990. Il autorise les entreprises, s’estimant lésées, à attaquer les Etats qui prennent des décisions en faveur du climat. Ainsi, l’entreprise énergétique allemande RWE attaque les Pays-Bas ayant décidé de sortir du charbon d’ici à 2030. De même la firme pétrolière britannique Rokhopper a attaqué l’Italie en 2017, celle-ci lui ayant refusé un nouveau permis d’exploration pétrolière en mer. Les entreprises exigent des centaines de millions, voire des milliards de dédommagement aux pays concernés. Faut l’faire ! à l’heure des COP à répétition et autres conférences sur le climat… de ne pas avoir, encore, annulé ce traité ! Pire, une clause permet à une entreprise d’attaquer un Etat 20 ans après qu’elle se soit retirée du traité (comme l’Italie qui en est sortie en 2016) ! La ministre Pompili estime que ce traité est « obsolète » et qu’il faut le réformer ! Pas question de le réformer pour les associations qui luttent contre, mais de l’annuler. Des négociations sont en cours mais il semble qu’elles ne progressent guère, et l’unanimité est requise. Comment en sortir ? S’il fallait encore une preuve sur l’incapacité des gouvernants à gouverner en faveur des gouvernés !

400 organisations de la société civile, dont plus de 30 basées en France, dont le collectif Stop Tafta ont lancé un ultimatum à la commission européenne et aux Etats-membres, les appelant à sortir de ce traité d’ici la COP 26 ». Va falloir faire fissa, car c’est à Glasgow en novembre.

sur bastamag.net    


 Traité international pour l’interdiction des armes nucléaires


4.7 milliards d’euros. C’est ce qu’a dépensé l’Etat français en 2020 pour son arsenal nucléaire militaire. Pour l’ensemble des neufs Etats possédant des armes nucléaires (Etats-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France, Inde, Israël, Pakistan, Corée du nord), les dépenses pour l’entretien de ces armes se chiffrent à plus de 60 milliards €.  En France, chaque minute, 8 969 € d’argent public sont dépensés alors que l’on n’a pas d’argent pour la santé, l’éducation, le climat…. Cet argent va aux grandes entreprises d’armement : Airbus, BAE systèmes, Safran, Thales…

 La somme de 4.7 milliards comprend les coûts annuels des têtes nucléaires, de la modernisation et du renouvellement des missiles de croisière et de la flotte de sous-marins nucléaires d’attaque (5 navires et bientôt 6 en service, et 5 plus modernes en projet). En 2020, la France a consacré 11 % de son budget militaire total aux armes nucléaires  et, selon la programmation militaire, loi votée en 2018,  27.85 milliards  sont prévus pour la dissuasion nucléaire entre 2021 et 2025. Qui a décidé sans nous ?

 

Le 22 janvier 2021, le traité international sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté par 122 Etats, est entré en vigueur. Il a atteint le quota de ratification par 50 Etats, pour pourvoir être mis en oeuvre. La France ne l’a ni signé ni ratifié. Nous a-t-on demandé notre avis ? En Europe ont signé : Autriche, Liechtenstein, Irlande, Malte, le Saint-Siège, Saint-Marin.

 

Sur ces choix décisifs et coûteux, le gouvernement nous demande-t-il notre avis ? Macron ne nous a même pas sorti ses « amuse-gueule » préférés, conférences citoyennes et autres hochets. Non, il estime que le TIAN est « inadapté » au contexte sécuritaire international actuel et fragiliserait une « approche réaliste d’un désarmement s’effectuant étape par étape. Ben voyons !

sur bastamag.net/    

 

La crise, un paradis pour les actionnaires !

 

Les entreprises du CAC 40 ont réalisé 60 milliards € de profits au premier semestre 2021, soit 41 % de plus qu’au premier semestre 2019. La hausse est même de 56 % pour LVMH. L’indice boursier du CAC 40 a progressé de 20 % depuis le début de l’année, ce qui est un record… (ATTAC France).

 

L’on nous dit qu’il n’y a pas assez d’argent pour le climat, la biodiversité, la santé, les retraites, les réfugiés…  alors que la fortune des milliardaires français a augmenté de 439 %, passant de 82 milliards de dollars en 2009 à 442 milliards en 2020.

Dans le monde, le nombre de milliardaires a plus que doublé : de 969 en 2009 à 2058 en 2020. Leur richesse a triplé passant de 2.8 trillions à 8 trillions de dollars en 2020. (un trillion c’est 1 + 18 zéro, soit 1 000 000 000 000 000 000).

Sources : Marianne

 

Moderna engrange

 

Le fabricant de vaccins joue des structures d’évasion fiscale pour transférer, selon une enquête d’un centre de recherche néerlandais sur les multinationales, ses bénéfices du côté de la Suisse et de l’Etat américain du Delaware. L’étude estime que la société générera près de 18.4 milliards de dollars de revenus grâce aux ventes de vaccins contre le coronavirus dans la seule année 2021.

Politis du 22.07.2021

 

 

 

 

Justice fiscale. Velléités de Biden

 Au terme de 2 jours de tractations à Venise, ces 9 et 10 juillet, les ministres des finances du G20 (les 19 pays les plus riches et l’Union européenne) sont parvenus à un accord sur la grande réforme fiscale mondiale, qui serait mise en œuvre en 2023, saluée par le ministre de l’économie Le Maire comme « la fin de trente ans de dumping fiscal… », affirmant « qu’il n’y a plus de retour en arrière possible ». Les ministres du G20 y voient un « accord historique sur une architecture fiscale internationale plus juste et stable ». Cet enthousiasme doit être mesuré à l’aune des réformes qui seront proposées à l’approbation des chefs d’Etats du G20 en octobre prochain. Allons-nous assister à la création d’une taxe mondiale sur les transactions financières, d’un impôt mondial sur les profits des sociétés ? Nous sommes pris de doute au regard de la bataille non aboutie, menée par ATTAC, et d’autres, depuis 1998, pour la création d’une taxe sur les transactions financières, et au regard des politiques de Macron le président des riches, de celle de Trump aux Etats-Unis, et aujourd’hui de Biden (?). Néanmoins, la crise économique contraint les gouvernements à trouver des recettes nouvelles pour leurs budgets s’ils veulent répondre a minima aux besoins sociaux des populations et faire face au dérèglement climatique, pour maintenir « la paix sociale et écologique ».    

 1 – Une Taxe sur les Transactions financières (TTF) ?

La TTF est la mesure fondatrice d’ATTAC en 1998. Voilà qu’en 2012, elle sembla être reprise, au niveau européen, par ses détracteurs d’hier. Pour l’heure, la directive européenne y relative est toujours bloquée. C’est que s’attaquer au marché financier et réduire son pouvoir n’est pas une politique européenne partagée et quand elle est suggérée, c’est de manière très timide, indolore pour « la finance ».

 Et pourtant, l’Europe doit trouver des ressources pour financer les aides et plans de relance accordés à ses membres suite à la crise sanitaire. Taxer chaque transaction financière permettrait de renflouer les recettes du budget européen, tout en réduisant la spéculation sur les produits dérivés (encart 1) et sur les transactions de très court terme. Cela limiterait, par là-même, la taille et l’instabilité des marchés financiers, et, par conséquent, le pouvoir de la finance. Le marché des changes est le plus gros marché de la planète, où se sont échangés 6 600 milliards de dollars par jour en 2019.

 Dans le contexte d’aggravation des déficits publics et des effets dévastateurs de la finance spéculative, l’idée de taxer la finance semble être dans l’air du temps. Cela a débouché sur plusieurs initiatives non appliquées.

 La TTF française Sarko-Hollande.

Hollande affirmait pendant sa campagne électorale : « Mon ennemi c’est la finance »… mais pas trop. Il fit adopter par le gouvernement « socialiste », le 1er août 2012, la TTF française (que Sarkozy s’était empressé de créer juste avant les élections), en fait, une simple taxe sur les achats d’actions (encart 2) des grandes entreprises françaises dont la capitalisation boursière est supérieure à un milliard € (remplaçant « l’impôt de bourse » supprimé par Sarkozy en 2007). Cette mesurette, purement cosmétique, se limite aux actions des 105 plus grandes sociétés, sans taxer les produits dérivés et le trading à haute fréquence hautement spéculatif (encart 3). Avec un taux à 0.2 % en août 2012 puis 0.3 % au 1er janvier 2017, les recettes sont de l’ordre de 1.6 milliard € en 2018.

 La TTF européenne de 2013

En 2013, la Commission européenne semble plus ambitieuse ; elle propose, dans le cadre d’une coopération renforcée entre 10 pays de l’UE, une taxe qui s’appliquerait à toutes (ou presque) les transactions financières, sauf celles sur le marché des changes, à tous les instruments financiers, dont les transactions sur les produits dérivés permettant la spéculation sur les matières premières y compris alimentaires) et à tous les acteurs de la finance.

Avec un taux de 0.1 % sur les actions et les produits structurés et de 0.01 % sur les produits dérivés, les recettes sont estimées à 36 milliards € par an (pour les 10 pays concernés), dont 10.8 milliards pour la France (chiffres 2020), Ce dispositif, étendu à toute l’Europe, permettrait d’engranger des recettes globales à 57 milliards € (36 milliards pour la France). Et si la taxe était appliquée à tous les produits dérivés (au taux de 0.05 %), les recettes fiscales seraient de 200 milliards au niveau européen.

Pas besoin de l’unanimité européenne pour la créer, chaque Etat volontaire peut la mettre en œuvre.  Elle pourrait ainsi s’imposer sur les marchés boursiers. Mais, elle se heurte à l’opposition acharnée des grandes banques, relayée par le gouvernement Macron. Ce dernier, à peine élu, enterre le projet et appelle à la discussion sur un simple impôt de bourse européen, qui sera adopté le 10 novembre 2020 par les Etats membres pour une recette estimée à 3.5 milliards € par an à l’échelle européenne.

Des réticences fortes font valoir qu’il est risqué de taxer les produits dérivés dans un seul pays car les grands acteurs financiers peuvent délocaliser leurs activités, de « bonnes » raisons pour que ce  dispositif ne soit pas mis en œuvre.  En décembre 2020, Pierre Larrouturou (député européen Nouvelle donne) se met en grève de la faim pour le dénoncer et influer sur la décision française, au moment de l’élaboration du budget pluriannuel de l’UE 2021-2027. Sans succès. La TTF européenne est toujours au point mort.

  Elle n’a rien à voir avec la TTF d’ATTAC

 La TTF d’ATTAC s’appuie sur l’idée de la taxe Tobin (de l’économiste du même nom), apparue en  1972, dans l’idée de pénaliser toute la spéculation sur le marché des changes. Nixon venait de décréter (1971) la fin de la convertibilité en or du dollar et celle du système monétaire international fondé sur les accords de Bretton Woods (1944). La spéculation massive sur le marché des changes se développait de manière outrancière, déstabilisant les monnaies et conduisant aux crises monétaires successives. L’application d’une taxe à chaque transaction, en  augmentant le coût des allers-retours permanents des flux spéculatifs de court terme, aurait permis d’une part de les ralentir, d’autre part d’apporter des recettes fiscales non négligeables aux Etats. Le recours à des systèmes de trading toujours plus rapides et l’explosion de leurs volumes accroissent l’instabilité et les mouvements brusques des prix sur tous les marchés financiers, justifiant une taxe sur l’ensemble des transactions financières. La TTF d’ATTAC concerne toutes les transactions y compris celles de change, au taux de 0.1 % sur les actions, les produits structurés et les produits dérivés. Selon l’économiste Schulmeister, une telle taxe  aurait généré, en 2010, 15.8 milliards € en France, 270 milliards en UE et 617 milliards au niveau mondial. Cette ambition à la hauteur d’une politique antilibérale, caricature la maigre taxe Sarkozy/Hollande, citée ci-dessus. La TTF d’ATTAC n’est toujours pas d’actualité.

 Et pourtant, la violence de la crise, son caractère systémique, démontrent l’urgence à mettre  en place une taxe sur les transactions financières, à l’échelle mondiale, à condition de décider d’une rupture complète avec le néolibéralisme (encart 4), du choix de la coopération internationale au lieu d’une concurrence fiscale dévastatrice.

.  2 – Que penser de l’impôt mondial sur les multinationales ?

L’impôt sur les profits des entreprises n’a cessé de baisser au cours des trois dernières décennies.  De 38 % à 22 % dans les pays à revenu élevé, de 39 % à 24 % dans les pays à revenu intermédiaire et de 46 % à 29 % dans les pays à faible revenu. Au sein de l’UE, il est passé de 40 % à moins de 21 %. Aux Etats-Unis, la réforme fiscale de Trump en 2017, l’a fait passer de 35 % à 21 %. En fait, les taux appliqués sont plus bas car les Etats octroient des régimes préférentiels et les transnationales peuvent se délocaliser dans les paradis fiscaux à fiscalité avantageuse. Cette course au moins-disant fiscal est un outil du néolibéralisme. Pour certaines firmes transnationales l’impôt effectivement payé est réduit à néant, par contre les PME ne disposant pas de filiales à l’étranger doivent s’acquitter de l’intégralité de l’impôt des sociétés.  En 2017, 38 % des investissements directs étrangers dans le monde étaient des « investissements fantômes » destinés à transférer des profits dans des paradis fiscaux, entraînant des pertes fiscales pour les Etats estimés entre 245 milliards de dollars (2012) et plus de 600 milliards (2015) à l’échelle mondiale.

 Mandaté par le G20, l’OCDE a mené des négociations en 2018, réunissant près de 140 pays afin de discuter d’une imposition minimale et du renforcement des règles liées à la taxation des entreprises numériques, ce dernier secteur étant source de tension entre l’UE et les Etats-Unis qui les abritent.

 La réforme validée à Venise s’appuie sur deux piliers.

Premier pilier : la création d’un impôt minimum mondial à 15 %. La taxation unitaire d’une partie des profits de certaines firmes transnationales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions de dollars et le taux de rentabilité supérieur à 10 %. 2 300 firmes numériques et « de grande consommation » seraient concernées, une minorité sur la centaine de milliers de firmes transnationales dans le monde ! Ne seraient taxés que les « bénéfices résiduels » situés au-delà d’un seuil de rentabilité considéré comme normal. Il ne s’appliquerait que sur les ventes des produits et services dans les pays où ils sont fabriqués, ce qui privilégie les marchés de consommation au détriment des pays de production (pays en développement). Afin de financer son plan de relance de 2 000 milliards de dollars sur 8 ans, Biden, dans un premier temps, avait proposé de relever l’impôt réel des sociétés à 21 % minimum, l’UE et les pays de l’OCDE devant adopter le même taux, pour éviter le dumping fiscal. Ainsi, une firme américaine qui se délocaliserait en Irlande (où l’impôt est à 12.5 %), serait imposée aux Etats-Unis à 8.5 % afin d’atteindre les 21 %, rendant inutile la délocalisation en Irlande. Six semaines plus tard,  mesurant à la fois la difficulté de faire adopter ce taux au Congrès et d’obtenir l’aval des autres pays (comme l’Irlande ou les Pays-Bas) il recule et fixe le taux plancher de taxation des multinationales à 15 %. Le bouleversement annoncé du système n’est pas pour demain : cela satisfait ceux qui ne voulaient pas durcir le jeu fiscal international comme la France et permet à celle-ci par exemple d’annoncer qu’elle a durci sa politique fiscale (taux à 25 % en 2022, qu’elle pourra baisser jusqu’à 10 points) au nom de la compétitivité. Quant à l’Irlande, elle devra passer son taux de 12.5 à 15% mais globalement préservera son avantage fiscal. Rappelons que l’application de cette taxation unitaire serait limitée à une centaine de firmes et à leurs seuls profits « résiduels ».

Deuxième pilier : la redistribution de 20 à 30 % du surplus de profits des 100 multinationales les plus grandes et les plus rentables, aux Etats dans lesquels elles font des affaires, sans y être implantées, parmi lesquels de nombreux pays en voie de développement.

Les recettes globales de ces deux mesures sont estimées à 150 milliards de dollars au niveau mondial.

 L’UE, quant à elle, pour financer l’emprunt commun de 750 milliards d’euros a besoin de mobiliser des ressources propres. Mais elle a déjà dû renoncer aux nouvelles sources de financement envisagées  et notamment une taxe sur les géants du numérique, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, un système d’échange de quotas d’émission de CO2, une taxe sur les transactions financières, une assiette commune pour l‘impôt sur les sociétés… Tout est « mis en pause » dans le souci de ne pas fâcher Biden qui veille sur la Silicon Valley et sa taxation. Dans ce marchandage, Merkel a obtenu la fin de l’opposition des Etats-Unis au projet de gazoduc russe Nordstream…

 Restent quelques obstacles pour l’entrée en vigueur en 2023 des deux mesures approuvées à Venise début juillet. Sur les 139 pays présents dans ce « cadre inclusif », 9 ont été réfractaires à cet accord et notamment l’Irlande, la Hongrie, l’Estonie, pour ne citer que ceux-là. Les poids lourds du G20 ont tous signé y compris la Chine et l’Inde. L’Union européenne devra voter à l’unanimité les deux mesures et la « partie » n’est pas gagnée, notamment du fait des pays dits « frugaux » (Danemark, Suède, Pays Bas, Autriche) tout comme l’Allemagne, qui refusaient le principe d’augmentation du budget européen et de nouvelles ressources propres afin de ne pas donner plus d’autonomie financière à l’UE. Enfin, Biden devra obtenir l’accord du Congrès alors qu’il ne dispose que d’une très faible majorité.  

 <<<>>> 

On n’assistera donc pas à une « révolution » du système. Il s’agit, en fait, d’un nouvel aménagement du néolibéralisme confronté à ses propres limites. Le « jeu » de Biden consiste d’une part à ne pas se mettre à dos les multinationales et à éviter un conflit avec les gouverneurs républicains. Il fait donc le choix du capital par rapport au travail en n’augmentant pas, par ex. le salaire minimum du salaire à 15 dollars/h et en prenant des mesures disciplinaires contre les chômeurs (idem à l’est et à l’ouest de l’Atlantique). Par ailleurs, il ne veut pas fâcher l’UE pour s’assurer d’un front uni contre la Chine.

 Les annonces « d’impôt mondial », « d’accord historique des pays du G20 », n’ont pour objectif que faire illusion. Les populations états-uniennes et européennes vont le comprendre vite. Promesses non tenues, mensonges, ne peuvent tromper longtemps. Face à la situation de précarisation et de paupérisation qui va s’accentuer, les rustines et les discours ne feront pas long feu. Reste que la mobilisation actuelle en France (contre le passe sanitaire, en fait « contre Macron ») est largement insuffisante pour peser dans la balance des choix des néolibéraux et autres oligarques déguisés en sociaux-démocrates.

 Odile Mangeot, le 16.08.2021

 sources : cadtm et Attac    

 Encart 1

 Les produits dérivés sont des instruments censés couvrir les « risques » pris par les détenteurs d’actions, ou plus généralement, « d’actifs ». Le terme désigne aussi des matières premières, des taux d’intérêts, des taux de change, de multiples contrats (d’échange, de produits de vente). Les gammes de la spéculation ne connaissent plus de limites… Les contrats d’achats ou de vente à terme sont des produits dérivés. Il y a lieu de distinguer les titres représentatifs de capitaux (actions), des titres d’endettement (obligations) et des produits dérivés.

 

Encart 2

Actions : fraction du capital d’une société. Son détenteur, l’actionnaire a droit à un revenu variable, versé sous forme de dividendes auxquels il convient d’ajouter la valorisation de l’action dite « plus-value » boursière. Cette rente financière est une ponction sur une partie de la plus-value issue des forces de travail. Le reste de la plus-value est « réparti » entre profit industriel censé permettre le renouvellement des instruments de travail (machines, bâtiments...) et le capital marchand (vente des produits), encore appelé par Marx lieu de « réalisation » de la plus-value. Le cycle de production nécessite, en effet, pour sa réalisation, la vente des produits sinon il aboutirait à une crise de surproduction et donc à l’effondrement des prix.

 

Encart 3

Trading haute fréquence. Spéculation sans recours aux traders (boursicoteurs professionnels). Il se pratique à l’aide d’algorithmes qui traquent, en temps réel (à la vitesse de la lumière !), les variations même les plus infimes sur les prix des biens et des services et sur les produits financiers. Cette spéculation technologique, comme toute spéculation, ne crée aucune richesse réelle. Elle est, de fait, comme tous les produits financiers, une ponction sur la création de richesse… à venir.

 

Encart 4

Le néolibéralisme désigne le mode de production et d’échanges marqué par l’abandon du keynésianisme à la fin des années 1970 et la domination du capital financier sur le capital industriel et marchand. C’est aussi un mode de domination du capital sur le travail mondialisé (chômage et précarité au « nord », néocolonialisme au « sud). On parle également, pour le caractériser, d’hégémonie financière du capitalisme actionnarial, du capitalisme financiarisé ou du capitalisme pur, délivré de toutes entraves réglementaires.