Justice
fiscale. Velléités de Biden
La TTF est la mesure fondatrice d’ATTAC en 1998. Voilà qu’en 2012, elle sembla être reprise, au niveau européen, par ses détracteurs d’hier. Pour l’heure, la directive européenne y relative est toujours bloquée. C’est que s’attaquer au marché financier et réduire son pouvoir n’est pas une politique européenne partagée et quand elle est suggérée, c’est de manière très timide, indolore pour « la finance ».
Hollande
affirmait pendant sa campagne électorale : « Mon ennemi c’est la finance »… mais pas trop. Il fit adopter
par le gouvernement « socialiste », le 1er août 2012, la
TTF française (que Sarkozy s’était empressé de créer juste avant les élections),
en fait, une simple taxe sur les achats
d’actions (encart 2) des grandes entreprises françaises dont la
capitalisation boursière est supérieure
à un milliard € (remplaçant « l’impôt de bourse » supprimé par
Sarkozy en 2007). Cette mesurette, purement cosmétique, se limite aux actions
des 105 plus grandes sociétés, sans
taxer les produits dérivés et le trading à haute fréquence hautement
spéculatif (encart 3). Avec un taux à 0.2 % en août 2012 puis 0.3 % au 1er
janvier 2017, les recettes sont de l’ordre de 1.6 milliard € en 2018.
En
2013, la Commission européenne semble plus ambitieuse ; elle propose, dans
le cadre d’une coopération renforcée entre
10 pays de l’UE, une taxe qui s’appliquerait à toutes (ou presque) les
transactions financières, sauf celles sur le marché des changes, à tous les
instruments financiers, dont les transactions sur les produits dérivés
permettant la spéculation sur les matières premières y compris alimentaires) et
à tous les acteurs de la finance.
Avec
un taux de 0.1 % sur les actions et
les produits structurés et de 0.01 % sur les produits dérivés, les
recettes sont estimées à 36 milliards € par an (pour les 10 pays concernés),
dont 10.8 milliards pour la France
(chiffres 2020), Ce dispositif, étendu à toute l’Europe, permettrait d’engranger
des recettes globales à 57 milliards € (36
milliards pour la France). Et si la taxe était appliquée à tous les
produits dérivés (au taux de 0.05 %), les recettes fiscales seraient de 200 milliards au niveau européen.
Pas
besoin de l’unanimité européenne pour la créer, chaque Etat volontaire peut la
mettre en œuvre. Elle pourrait ainsi
s’imposer sur les marchés boursiers. Mais, elle
se heurte à l’opposition acharnée des grandes banques, relayée par le
gouvernement Macron. Ce dernier, à peine élu, enterre le projet et appelle
à la discussion sur un simple impôt de bourse européen, qui sera adopté le 10
novembre 2020 par les Etats membres pour une recette estimée à 3.5 milliards € par an à l’échelle
européenne.
Des
réticences fortes font valoir qu’il est risqué de taxer les produits dérivés
dans un seul pays car les grands acteurs financiers peuvent délocaliser leurs
activités, de « bonnes » raisons pour que ce dispositif ne soit pas mis en œuvre. En décembre 2020, Pierre Larrouturou (député
européen Nouvelle donne) se met en
grève de la faim pour le dénoncer et influer sur la décision française, au
moment de l’élaboration du budget pluriannuel de l’UE 2021-2027. Sans succès. La
TTF européenne est toujours au point mort.
. 2 – Que penser de l’impôt mondial sur les multinationales ?
L’impôt sur les profits des entreprises n’a cessé de baisser au cours des trois dernières décennies. De 38 % à 22 % dans les pays à revenu élevé, de 39 % à 24 % dans les pays à revenu intermédiaire et de 46 % à 29 % dans les pays à faible revenu. Au sein de l’UE, il est passé de 40 % à moins de 21 %. Aux Etats-Unis, la réforme fiscale de Trump en 2017, l’a fait passer de 35 % à 21 %. En fait, les taux appliqués sont plus bas car les Etats octroient des régimes préférentiels et les transnationales peuvent se délocaliser dans les paradis fiscaux à fiscalité avantageuse. Cette course au moins-disant fiscal est un outil du néolibéralisme. Pour certaines firmes transnationales l’impôt effectivement payé est réduit à néant, par contre les PME ne disposant pas de filiales à l’étranger doivent s’acquitter de l’intégralité de l’impôt des sociétés. En 2017, 38 % des investissements directs étrangers dans le monde étaient des « investissements fantômes » destinés à transférer des profits dans des paradis fiscaux, entraînant des pertes fiscales pour les Etats estimés entre 245 milliards de dollars (2012) et plus de 600 milliards (2015) à l’échelle mondiale.
Premier
pilier : la création d’un impôt
minimum mondial à 15 %. La taxation unitaire d’une partie des profits de
certaines firmes transnationales dont le chiffre
d’affaires est supérieur à 750 millions de dollars et le taux de
rentabilité supérieur à 10 %. 2 300 firmes numériques et « de grande
consommation » seraient concernées, une minorité sur la centaine de
milliers de firmes transnationales dans le monde ! Ne seraient taxés que les
« bénéfices résiduels »
situés au-delà d’un seuil de rentabilité considéré comme normal. Il ne s’appliquerait
que sur les ventes des produits et services dans les pays où ils sont fabriqués,
ce qui privilégie les marchés de consommation au détriment des pays de
production (pays en développement). Afin de financer son plan de relance de
2 000 milliards de dollars sur 8 ans, Biden, dans un premier temps, avait
proposé de relever l’impôt réel des sociétés à 21 % minimum, l’UE et les pays de l’OCDE devant adopter le même
taux, pour éviter le dumping fiscal. Ainsi, une firme américaine qui se
délocaliserait en Irlande (où l’impôt est à 12.5 %), serait imposée aux
Etats-Unis à 8.5 % afin d’atteindre les 21 %, rendant inutile la délocalisation
en Irlande. Six semaines plus tard,
mesurant à la fois la difficulté de faire adopter ce taux au Congrès et
d’obtenir l’aval des autres pays (comme l’Irlande ou les Pays-Bas) il recule et
fixe le taux plancher de taxation des multinationales à 15 %. Le bouleversement annoncé du système n’est pas pour
demain : cela satisfait ceux qui ne voulaient pas durcir le jeu fiscal
international comme la France et permet à celle-ci par exemple d’annoncer
qu’elle a durci sa politique fiscale (taux à 25 % en 2022, qu’elle pourra
baisser jusqu’à 10 points) au nom de la compétitivité. Quant à l’Irlande, elle
devra passer son taux de 12.5 à 15% mais globalement préservera son avantage
fiscal. Rappelons que l’application de cette taxation unitaire serait limitée à
une centaine de firmes et à leurs seuls profits « résiduels ».
Deuxième
pilier : la redistribution de
20 à 30 % du surplus de profits des 100 multinationales les plus grandes et
les plus rentables, aux Etats dans lesquels elles font des affaires, sans y
être implantées, parmi lesquels de nombreux pays en voie de développement.
Les
recettes globales de ces deux mesures sont estimées à 150 milliards de dollars
au niveau mondial.
On n’assistera donc pas à une « révolution » du système. Il s’agit, en fait, d’un nouvel aménagement du néolibéralisme confronté à ses propres limites. Le « jeu » de Biden consiste d’une part à ne pas se mettre à dos les multinationales et à éviter un conflit avec les gouverneurs républicains. Il fait donc le choix du capital par rapport au travail en n’augmentant pas, par ex. le salaire minimum du salaire à 15 dollars/h et en prenant des mesures disciplinaires contre les chômeurs (idem à l’est et à l’ouest de l’Atlantique). Par ailleurs, il ne veut pas fâcher l’UE pour s’assurer d’un front uni contre la Chine.
Les
produits dérivés sont des instruments
censés couvrir les « risques » pris par les détenteurs d’actions, ou
plus généralement, « d’actifs ». Le terme désigne aussi des matières
premières, des taux d’intérêts, des taux de change, de multiples contrats (d’échange,
de produits de vente). Les gammes de la spéculation ne connaissent plus de
limites… Les contrats d’achats ou de vente à terme sont des produits dérivés.
Il y a lieu de distinguer les titres représentatifs de capitaux (actions), des
titres d’endettement (obligations) et des produits dérivés.
Encart 2
Actions : fraction du capital d’une société. Son
détenteur, l’actionnaire a droit à un revenu variable, versé sous forme de
dividendes auxquels il convient d’ajouter la valorisation de l’action dite
« plus-value » boursière. Cette rente financière est une ponction sur
une partie de la plus-value issue des forces de travail. Le reste de la
plus-value est « réparti » entre profit industriel censé permettre le
renouvellement des instruments de travail (machines, bâtiments...) et le
capital marchand (vente des produits), encore appelé par Marx lieu de
« réalisation » de la plus-value. Le cycle de production nécessite,
en effet, pour sa réalisation, la vente des produits sinon il aboutirait à une
crise de surproduction et donc à l’effondrement des prix.
Encart 3
Trading haute fréquence. Spéculation sans recours aux traders
(boursicoteurs professionnels). Il se pratique à l’aide d’algorithmes qui
traquent, en temps réel (à la vitesse de la lumière !), les variations
même les plus infimes sur les prix des biens et des services et sur les
produits financiers. Cette spéculation technologique, comme toute spéculation,
ne crée aucune richesse réelle. Elle est, de fait, comme tous les produits
financiers, une ponction sur la création de richesse… à venir.
Encart 4
Le néolibéralisme désigne le mode de production et d’échanges
marqué par l’abandon du keynésianisme à la fin des années 1970 et la domination
du capital financier sur le capital industriel et marchand. C’est aussi un mode
de domination du capital sur le travail mondialisé (chômage et précarité au
« nord », néocolonialisme au « sud). On parle également, pour le
caractériser, d’hégémonie financière du capitalisme actionnarial, du
capitalisme financiarisé ou du capitalisme pur, délivré de toutes entraves
réglementaires.