Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


jeudi 12 décembre 2013

Le fond de l’air est gris (1)
Sur la signification de la mobilisation bretonne

Morosité, colère, résignation… et, de nouveau, explosion de colère. Les sondages le disent, les préfets s’alarment. Selon l’étude menée par l’institut CSA, 58% des Français perçoivent la mondialisation libérale comme un danger pour eux-mêmes, 77% constatent que les inégalités se sont aggravées, 88% pensent que les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne se préoccupent pas des gens comme eux, 30% se disent devenir pauvres dont 55% parmi les classes populaires. Quant à l’institut BVA, chargé de définir les aspirations des Français dans 10 ans, il note que 55% souhaitent que l’Union Européenne ait moins de pouvoir, voire la fin de l’UE (23%). Pour 75%, la prise en charge de la protection sociale et pour 70%  l’emploi sont prioritaires. Les partis seraient-ils «discrédités» et les syndicats «dépassés» ? Assiste-t-on comme le disent les médias à une poussée poujadiste ? Voire ! L’historien Garrigues renvoie ce phénomène politique aux mécontents et victimes des Trente Glorieuses et affirme que nous vivons «une crise économique et sociale sans précédent» qui «frappe toutes les régions et catégories populaires et moyennes», l’on assisterait à une coupure entre ceux d’en haut et ceux d’en bas.
La chronique des évènements de Bretagne et leur enchaînement sont à cet égard significatifs pour autant que l’on ne se laisse pas enfumer par les manœuvres et récupérations qui les ont marqués.

Ambiguïtés, mobilisations, divisions

Appel de Pontivy, le 16 juin, dans le Morbihan. Il est pratiquement passé inaperçu. Trente patrons locaux se sont réunis pour fonder un comité de convergence des intérêts bretons. Face à la crise du système agro-industriel breton (voir plus loin), ils réclament un «droit à l’expérimentation régionale». Partisans de l’Europe des régions, ils entendent transformer la Bretagne en zone franche, leur permettant d’utiliser dumping social et fiscal pour faire face à leurs concurrents brésiliens, allemands, polonais… Dans ce cadre, ils s’insurgent contre l’écotaxe… FO Finistère réagit : «nous ne voulons pas d’une régionalisation du droit social et des conventions collectives».  

Début octobre est connu le rapport confidentiel demandé aux préfets : il note la montée de l’exaspération des Français, leur sentiment d’abandon et le «choc psychologique dû au matraquage fiscal des foyers jusque là non imposables». En Bretagne, les licenciements se succèdent. Chez Gad (poulets), c’est près de 900 emplois supprimés. Le 25 octobre, après 3 semaines de mobilisation contre la fermeture d’un abattoir, l’occupation de l’aéroport de Brest, le blocage du pont de Rennes, le blocage d’autres abattoirs où la surcharge de travail a nécessité l’embauche en catimini de Roumains sous-payés, ils obtiennent 400€ de prime de licenciement par année d’ancienneté et le paiement des jours de grève. Mais rien sur la possibilité de la reprise du site de Lampaul, encore moins sur sa dépollution. Le 14 octobre, les licenciés s’unissent, ceux de Gad, ceux de Tilly-Sabco (poulets) de Marine-Harvest (saumon)…. car toute la filière agro-alimentaire est touchée. Ils manifestent à Brest, à Morlaix…. Les confédérations syndicales semblent ( ?) aux abonnés absents. 700 salariés de Marine-Harvest appellent à la coordination des luttes. Ils s’adressent au Maire de Carhaix (8000 habitants), «l’homme» qui a empêché la fermeture de la maternité et de la chirurgie de l’hôpital de cette ville. Le 18 octobre, ce sont 600 travailleurs de Doux, Gad, Tilly-Sabco qui lancent un appel à la «levée en masse» pour «vivre, décider et travailler au pays». Cet appel est relayé par le NPA, les Alternatifs, l’UDB (Union Démocratique Bretonne), ATTAC, les Zadistes de l’aéroport Ayrault et même par le Front de Gauche. L’initiative échappe aux états-majors des partis et des syndicats, pire, elle prend un caractère antigouvernemental qui les effraie. Un appel est lancé pour une grande manifestation à Quimper contre les licenciements.

Le 26 octobre, la FDSEA lance ses opérations contre les portiques de l’écotaxe. Plus de 1 000 personnes y participent avec plusieurs centaines de camions, de tracteurs remplis de pneus, de choux-fleurs, d’œufs, de bottes de paille. L’UMP soutient. Des heurts violents se produisent avec les CRS. La FDSEA, forte de ces relatifs succès, appelle à manifester à Quimper avec les licenciés. La direction de la CGT s’en saisit pour s’y opposer et appelle à manifester à Carhaix. La division va-t-elle s’installer, faut-il manifester avec les agriculteurs et les patrons ?

Le 28 octobre, la Fédération du PS «souhaite l’annulation (interdiction ?) de la manifestation à Quimper et « l’ajournement de l’écotaxe ».

Le 30 octobre, réunion des états-majors syndicaux CGT, FSU, Solidaires pour l’organisation de la manif à Carhaix. PC et PG favorables. SUD propose de participer aux deux manifs, à 10h à Carhaix et à 15h à Quimper. Refus catégorique.   

Les deux manifs du 2 novembre. Quimper. Carhaix.

A Quimper, 30 000 salariés, précaires, chômeurs, jeunes, retraités, artisans, paysans, ceux de Marine-Harvest, Gad, Doux, Tilly-Sabco, la CGT Marine-Harvest, des syndicalistes. Toute la gauche bretonne et toute la gauche radicale sont là (NPA, Alternatifs, Breizh Résistance, UDB) et même des antilibéraux, des Zadistes, des Front de Gauche et aussi,  des Verts. C’est la plus grande manif, qui plus est dynamique, qu’ait connue Quimper avec pour thématiques : «Pour l’emploi, vivre et travailler en Bretagne», «contre le productivisme et contre le gouvernement Hollande-Ayrault». Les patrons sont discrets, les Identitaires esseulés. Les chants entonnés comme les prises de paroles sont significatifs : Bella Ciao, la blanche hermine, la rage du peuple de Keny Arkana, puis, après quelques échauffourées avec les CRS, les propos tenus par les délégués FO de Doux, de Marine-Harvest, de la CGT des pêcheurs, de SBFM (Société bretonne de Fonderie et Mécanique), ne laissent pas place au doute. C’est une manifestation d’unité populaire, même si l’on peut noter quelques ambiguïtés.

A Carhaix, à 75 kms de là, toute la bureaucratie syndicale et politique mobilise 10 000 personnes dont ceux d’Ile et Vilaine, de Loire Atlantique, des Côtes d’Armor. Le défilé un peu tristounet affirme qu’il faut faire pression sur les députés (PS ?) car se battre contre le gouvernement c’est renforcer la droite (air connu !), d’ailleurs, à Quimper, c’est une manif patronale…

Tentative de reprise en mains, divisions et récupération électoraliste.

Les évènements qui suivent, largement relayés par les médias, font état des mobilisations contre les portiques, initiées par la FNSEA et les patrons routiers bretons. L’occupation de la sous-préfecture de Quimper pendant 12 heures et le blocus de l’aéroport de Brest sont pratiquement ignorés. Les directions confédérales, toutes unies - CGT, CFDT ( !), CFTC, CGC, FSU, Solidaires - veulent rattraper la colère pour mieux l’étouffer. Objectif : 30 000 manifestants dans toute la Bretagne et dans 4 endroits différents, le 23 novembre. FO se désolidarise et appelle à un grand meeting… parisien ( !) le 29 janvier 2014 ( !). Pour les autres, il s’agit «d’appuyer le pacte d’avenir pour la Bretagne» proclamé par le gouvernement, même s’il est «jugé insuffisant». De fait, l’opération consiste surtout à casser la mobilisation prévue, cette fois à Carhaix, le 30 novembre. La division est en marche. Mais le 23 novembre, le succès n’est guère au rendez-vous : les 4 manifs départementales ne mobilisent, au mieux, que 10 000 personnes, essentiellement des militants des confédérations : 3 à 4 000 à Rennes, 3 000 à Morlaix, 1 500 à Lorient, 600 à Saint Brieuc. Ce sont des déambulations sans envergure malgré le main dans la main de Le Berger (CFDT) et Le Paon (CGT)…

Mais, à Carhaix, le 30 novembre, ils sont encore 30 000, dans une ambiance festive, à  réclamer la fin du dumping social, l’arrêt des licenciements et la suppression de l’écotaxe. Mais le mal est fait. 

Le Medef Finistère s’est retiré, «satisfait de la suspension de l’écotaxe», préoccupé de discuter du pacte d’avenir et des subventions publiques attendues. Même si la CGT des marins du grand-ouest bien esseulée après le retrait de FO-Doux témoigne que les salariés licenciés ne sont pas absents de cette manifestation festive, dans ces conditions l’on comprend que les députés PS du Finistère se réjouissent : «la mobilisation commence à faiblir», nous allons «retrouver une dynamique plus vertueuse». Quant au NPA, il s’obstine, malgré les difficultés, à constituer un «pôle ouvrier pour l’emploi».

Et l’épisode va se clore le 1er décembre, momentanément ( ?), par la manifestation antifiscale parisienne, initiée par Mélenchon contre la hausse de la TVA et pour la suppression du crédit d’impôt aux entreprises. 20 000 à 30 000 ( ?), mais certainement ni 7 000, ni 100 000 personnes défileront pour des raisons de promotion électoraliste. La «révolution citoyenne» semble bien appelée à se noyer dans les urnes.

Malgré toutes ces manœuvres, les racines de la mobilisation bretonne ne sont pas prêtes de pourrir. L’accalmie pourrait bien être de courte durée.  

En Bretagne, un système agro-industriel en fin de course. Une région en crise.

C’est en fait la fin des subventions européennes à l’exportation, et surtout la concurrence des pays à bas salaires, comme le Brésil ou la Pologne, ou de ceux qui recourent, comme l’Allemagne ou le Danemark, aux travailleurs détachés des pays de l’Europe centrale qui viennent percuter un modèle productiviste tourné vers l’exportation. Même la pratique du lobby porcin qui, en 2012, a exporté 750 000 bêtes vivantes pour les faire abattre et découper dans les pays à bas salaires, quitte à assurer leur conditionnement en Bretagne, ne peut plus guère faire face à la concurrence. Cette croissance de la production bas de gamme qui recoure à l’élevage intensif et au transport routier des porcs et des volailles congelés (ces dernières sont surtout exportées au Moyen Orient) est obsolète. Non seulement, il est source d’une pollution prolifique (taux de nitrates dans l’eau, algues vertes sur les plages) mais,  même les «dégraissages compétitifs» ne suffiront plus à  lui redonner vie. Certes, la famille Doux reste la 144ème fortune de France après avoir bénéficié d’un milliard de subventions en 15 ans. Certes, Tilly-Sabco a encore engrangé 2 millions d’euros et Marine-Harvest 113 millions  rien qu’au 1er trimestre 2013, mais tout porte à croire que leurs capitaux vont s’investir dans des climats plus cléments…

Dans cette région, jusqu’ici moins touchée par la crise (9% de chômage), l’on a dénombré 6 000 suppressions d’emplois en 2012 dont la perte d’un tiers des effectifs de PSA Rennes et déjà plus de 800 plans de licenciements sur l’année 2013. Toutes les classes sociales sont touchées, brutalement, salariés licenciés, agriculteurs endettés dont les revenus s’effondrent, petits commerçants, artisans y compris les transporteurs régionaux. On assiste à un délitement du tissu social dans une région bastion du PS où l’immigration est pratiquement absente et où le FN était (jusque là) inexistant. C’est dire que l’interprétation de ces manifestations d’ampleur en termes d’autonomisme breton est absurde (cf encart A Carhaix le 30 novembre, l’ambiguïté populaire), tout comme les  invectives mélenchonistes contre «les esclaves qui (à Quimper) manifestent pour les droits de leurs maîtres». Quant aux propos de la CFDT qui s’en prennent aux patrons, ils sont «hallucinants » alors même que cette direction confédérale vient de signer l’ANI (Accord National Interprofessionnel)(2) consistant à rendre le «travail plus flexible» en facilitant les licenciements, les pertes de salaires et d’avantages sociaux. Ces organisations, dites de gauche, pourraient bien payer leurs insultes au prix fort… même si elles consentent à dire qu’elles comprennent cette colère «poujadiste» ( ?). Certes, l’ère des tables rondes, consultations et discussions autour d’un pacte d’avenir peau de chagrin risque de calmer la colère mais jusqu’à quand ? Car les pilules amères à ingurgiter sont légion et ne concernent pas que la Bretagne.

Contre-révolution fiscale. Endettement. Compétitivité et ponctions fiscales.

Le Hollandisme : un régime qui dispose d’une base électorale populaire pour tenter de satisfaire à la fois les grandes entreprises françaises en difficultés face à la concurrence mondiale, tout en rassurant les créanciers de l’Etat sur ses capacités à rembourser les dettes de l’Etat. Pour ce faire, il doit abuser de la croyance populaire sur ses bonnes dispositions de gauche, tout en rognant a minima sur les privilèges des nantis.

Tout d’abord, en mettant le moins possible en cause la diminution des impôts consentis aux classes privilégiées. La tranche des plus hauts revenus taxés à 65% en  1986, baissés à 40% sont augmentés à 45%. Le taux de l’impôt sur les sociétés fixés théoriquement à 33% après avoir connu multiples baisses, pas question d’y toucher, ni même aux multiples dérogations qui permettent en moyenne aux entreprises du CAC 40 d’être taxées à 8% voire pas du tout, alors que les PME versent 28%. Toute cette contre-révolution fiscale a été chiffrée par le Conseil des prélèvements obligatoires : perte de recettes de 150 milliards d’euros. Quant aux niches fiscales, elles représentaient 150 milliards pour l’année 2010. Pas question non plus de revenir, et encore moins d’abroger le gel du barème de l’impôt sur le revenu (par rapport à l’inflation), instauré par Sarko-Fillon. Le changement dans la continuité doit prévaloir. Ainsi, nombre de ménages sont devenus imposables et d’autres (des couches moyennes salariées) ont payé plus. Au total, pour 2013, c’est une ponction de 3,4 milliards pour 16 millions de foyers fiscaux sur 36.4 millions.

Faut-il évoquer les fraudes aux cotisations patronales pour travail dissimulé (16 milliards), les 80 milliards qui auraient pu être perçus mais se dissimulent dans les paradis fiscaux… car il n’est aucunement question de taxer les 140 filiales, pour ne prendre que cet exemple, de LVMH de Bernard Arnault, ce PdG français qui voulait être belge et dont la fortune personnelle se monte à 24.3 milliards d’euros. Non ! «Compétitivité» oblige, on ne touche pas à ce grisbi, on en rajoute en ponctionnant le populo, en comptant sur son image de gauche moderne pour qu’il ne crie pas : Assez !

La mission confiée par la classe dominante française et bruxelloise à Hollande et ses pairs consiste à parvenir à résorber les quelques 1 800 milliards de dettes de l’Etat, accumulés suite à la contre-révolution fiscale, à la crise et au renflouement des banquiers qui, désormais, se portent on ne peut mieux, même s’ils restent frileux pour prêter. Cette deuxième droite se doit, dans le même mouvement, de prendre des dispositions pour assurer la flexibilité et la compétitivité suffisantes aux entreprises françaises. Et ce sera l’accord sur l’ANI et les crédits d’impôt de 20 milliards consentis aux entreprises afin qu’elles soient plus vigoureuses face à la concurrence mondiale.  Les caisses sont vides, qu’à cela ne tienne, les consommateurs paieront et l’augmentation de la TVA au 1er janvier 2014  n’a pas d’autre objet (les taux passent de 19.6% à 20% et de 7 à 10%). Bien qu’il y ait eu le passage d’ici 2020 à 41 ans et 3 trimestres travaillés pour bénéficier d’une retraite à taux plein dont peu bénéficieront, cela ne suffit pas à résorber la dette sociale. Déjà la Commission Européenne relève que «l’effort» n’est pas suffisant, qu’il faut passer à 42, voire 43 années de cotisation, augmenter la CSG. Attentifs à ces remarques sourcilleuses, Ayrault et sa «bande de godillots », bien que réticents, ont voté les prélèvements sociaux sur les plans d’épargne logement et l’épargne salariale  et ont porté leur taux à 15.5%. Rien n’est laissé au hasard, ainsi la baisse du quotient familial qui va toucher 883 000 foyers fiscaux. Ils verront leurs impôts augmenter de 555 euros … en moyenne. Et pépère Hollande que l’on dit «mollasson» et «sans conviction» (3) s’est engagé à réduire les dépenses publiques de 60 milliards sur 4 ans, soit 15 milliards par an jusqu’à la fin du quinquennat. Le mollasson n’y va pas avec le dos de la petite cuillère ! Les services publics vont trinquer, tout comme les collectivités territoriales. La nouvelle appellation de la RGPP sarkozyste, rebaptisée MAP (Modernisation de l’action publique) s’est érodée à gratter jusqu’à l’os, paraît-il. Paraît que l’on peut encore rogner  en réduisant les dotations aux collectivités locales et en instaurant un malus pour celles qui seraient en sureffectifs…

Face à l’endettement massif de l’Etat, à la nécessité de conquérir de nouveaux marchés sur les concurrents en période de surproduction (dans la novlangue parlez de surcapacité), il n’est pas d’autre logique à l’ère néolibérale que de servir au mieux les créanciers, actionnaires et autres rentiers du capital en attendant le retour hypothétique de la croissance… à la japonaise, soit la stagnation voire la récession. Dans ce cycle qui se poursuit, les requins sont appelés à grossir et le peuple à subir. 

La révolte bretonne, un prélude ?

L’hécatombe a commencé sur l’ensemble du territoire. Sur les 12 derniers mois, 44 000 entreprises, essentiellement des PME, sont, après dépôt de bilan, en liquidation, 62 431 en procédure de sauvegarde. Il paraît que c’est un record historique ! Quant à la précarité des salariés, elle a des allures d’emballement : en 2003, il y avait 1.8 million de salariés en CDD, ils sont désormais 3.7 millions, dont 1 million possède ( !) un CDD de moins d’un mois. Au 1er trimestre 2013, selon les comptes de l’URSSAF, 86% des recrutements en entreprises sont des CDD.

Faut-il encore s’étonner de la révolte bretonne et du «ras-le-bol fiscal» ? Ce gouvernement et son Président qui joue les matamores guerriers, savent qu’ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Leur politique ne s’attaque plus seulement aux salariés, chômeurs, précaires, mais également à la petite bourgeoisie et aux classes moyennes, dont DKS disait que c’était le fonds de commerce du PS. Ils comptent sur leurs relais pour agiter, selon les saisons, les spectres des étrangers, de la droite qui serait pire (on nous a déjà fait le coup !), voire plus sûrement de l’extrême droite fascisante. Divisions, diversions : n’y aurait-il pas encore un nouveau mariage pour tous pour ressouder le peuple de gauche ? Il y a mieux désormais, les boucs émissaires populistes, tous confondus dans la même réprobation, même si, au bout du compte, cette deuxième droite, pour faire mieux que l’ancienne, compte sur une désaffection par voie d’abstention massive. Ne peut-on pas gouverner avec 50%, voire moins, de votants ?

Au fur et à mesure que la crise économique se transforme en crise sociale, la lente décomposition-recomposition difficile du paysage politique va se poursuivre, le défi réside dans la capacité des classes ouvrières et populaires à conquérir leur autonomie pour faire surgir une unité populaire dont on a peut-être entrevu les prémisses en Bretagne.

Gérard Deneux, le 9.12.2013

(1)  En référence au film de Chris Marker «Le fond de l’air est rouge» sur les années 1968-1974
(2)  Cf article «L’ANI au goût amer» paru dans ACC n° 242 – mars 2013
(3)  Chantal Delson, philosophe, dans une tribune du Monde du 23 novembre 2013

Encart

A Carhaix, le 30 novembre, l’ambiguïté populaire

C’était la fête populaire, les artistes se sont succédé devant plus de 30 000 personnes, il y avait des «marins, des ouvriers, des paysans», des précaires, jeunes pour la plupart, mais aussi des patrons et des représentants de la FDSEA. Tous étaient plus ou moins venus en famille. Tous bonnets rouges… pour la solidarité… bretonne. Troadec, le Maire de Carhaix, maintenait l’ambiguïté, lui,  le leader du mouvement Bretagne et Progrès. Il s’agit pour les patrons bretonnants, au-delà des chants chaleureux, de refroidir la colère populaire tout en quémandant de nouvelles subventions et subsides.

Face à cette hégémonie sur le mouvement social breton qui tend à s’instaurer, des collectifs pour l’emploi contre les patrons licencieurs tentent de faire entendre leurs voix. Gageons qu’ils ne seront pas présents aux tables rondes discutant du pacte d’avenir de la Bretagne. A moins que dans la rue…


Encart


L’écotaxe. Une arnaque néolibérale

Présentée comme une taxe écologique censée assurer la transition énergétique, cette taxe Borloo, votée à l’unanimité par la droite, le PS et les Verts, est en fait un cadeau supplémentaire au capital financier. Elle n’entend pas favoriser le ferroutage, mais la réfection des routes départementales, ce qui explique que nombre de conseils généraux s’en sont dits preneurs.
Elle concerne 600 000 véhicules français et 200 000 étrangers de plus de 3.5 tonnes qui circulent sur des routes non payantes. En sont en effet exclues les autoroutes et les routes nationales entre la France et l’Italie, ainsi que la Corse (abattement de 50% pour la Bretagne). Elle favorise ainsi le transport à grande distance sur autoroutes, donc l’agrobusiness, les géants de la logistique et de la grande distribution. En revanche, elle pénalise le transport de proximité et les petites exploitations agricoles.

Ce sont de nouveaux fermiers généraux qui, grassement payés, la recouvrent et installent des portiques (les nouveaux octrois !). La perception de la taxe est privatisée sous forme d’une convention dite de «partenariat public privé). L’Etat a en effet confié à un groupe financier privé italien, Autostrade, cette mission, lequel a engagé 30 millions pour un projet évalué à 800 millions. L’emprunt de 770 millions consenti par des banques à 7% (excusez du peu) assure ainsi une rente confortable aux banquiers. L’Etat s’est par ailleurs engagé à reverser 20% de la recette à Autostrade, soit sur 1.2 milliard, 280 millions, soit, nous dit-on, 20 millions par mois et ce, pendant 13 ans…. et, en cas de non mise en œuvre de l’écotaxe, la bagatelle de 800 millions d’indemnités. Quant aux portiques détruits… le coût reste à ajuster comme celui de sa suspension… provisoire. N’en rajoutez pas !!!

Et les âmes bien intentionnées nous disent qu’il ne faudrait pas remettre en cause cette arnaque… ou  pour faire bonne figure, s’en tenir à une renégociation... difficile !    


  

mercredi 11 décembre 2013

vendredi 13 décembre 2013 - 20h15
au cinéma Méliès à LURE
(entrée 5.50€)

Les Amis de l’Émancipation Sociale,
& Les Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté
vous invitent à découvrir le documentaire

Pierre RABHI, au nom de la terre
Suivi d’un débat en présence de Madeline Carlin (Terre &
Humanisme) et Marion Cremona (Mouvement Colibri)

Pierre Rabhi est paysan, écrivain, l'un des
pionniers de l'agro-écologie en France. Engagé
depuis 40 ans au service de l'Homme et de la
Nature, il appelle aujourd'hui à l'éveil des
consciences pour construire une société où la
sobriété heureuse se substituerait à la
surconsommation et au mal être des civilisations
contemporaines. Pierre Rabhi prône le retour à
la terre nourricière pour produire des aliments
sains, sans poisons, sans détruire la biodiversité,
tout en affirmant "qu'il ne suffit pas de manger
bio pour changer le monde". Alors que faire ?
Est-ce suffisant de renouer avec la terre, la force
de la vie, pour vivre mieux à l'heure de
l'agrobusiness triomphant, de l'accaparement des
terres, de l'usage des pesticides qui détruisent la
Nature et l'Homme ? "La terre à ceux qui la
travaillent" revendiquait Emiliano Zapata,
paysan symbole de la révolution mexicaine, ce
mot d'ordre d' il y a plus de 100 ans conserve
toute son actualité...

La démocratie par tirage au sort

Il y a deux vidéos que j'aimerais vous inviter à regarder.



David Van Reybrouck: «La démocratie... par Le_Soir

Comme vous le voyez, ça phosphore un peu partout sur cette question de la démocratie réelle, et tout le monde reprend les mêmes arguments, cite les mêmes personnages historiques, arrive au même constat et propose les mêmes solutions.
En général, quand vous avez des types que rien ne relient, qui butent sur un même problème, et qui arrivent à la même solution, vous avez une bonne raison de penser qu'ils ne disent pas que des bêtises.
Quand vous constatez ensuite que tous ceux qui dénigrent leurs travaux ont un intérêt direct à ne pas diffuser ce genre d'idées (les politiciens, les journalistes, les oligarques...), c'est une preuve supplémentaire du fait qu'ils sont dans le vrai.

Une chose m'étonne, toutefois : on a attendu ces dernières années pour découvrir que le gouvernement représentatif avait été mis en place en opposition à la démocratie. Pourtant, les textes sont connus depuis longtemps, rien ne nous empêchait formellement de comprendre tout ça bien avant.
Pourquoi aucun penseur du 19ème, aucun soixante-huitard, aucun philosophe du début du 20ème siècle n'a, à ma connaissance au moins, été foutu de mettre le doigt sur cette incongruité qu'est le gouvernement représentatif et son nommage abusif en "démocratie représentative" ?
Qu'ont de plus les Bernard Manin, Etienne Chouard, Francis Dupuis-Déri, David Van Reybrouck qui essaient de diffuser enfin cette idée ? Les problèmes soulevés par la représentativité ne datent pas d'hier, pourtant ?

mercredi 27 novembre 2013

vendredi 13 décembre 2013 - 20h15
au cinéma Méliès à LURE

Les Amis de l’Émancipation Sociale,
& Les Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté
vous invitent à découvrir le documentaire

PIERRE RABHI, au nom de la Terre

Suivi d’un débat en présence de Madeline Carlin (Terre &
Humanisme) et Marion Cremona (Mouvement Colibris)

Pierre Rabhi est paysan, écrivain, l'un des
pionniers de l'agro-écologie en France. Engagé
depuis 40 ans au service de l'Homme et de la
Nature, il appelle aujourd'hui à l'éveil des
consciences pour construire une société où la
sobriété heureuse se substituerait à la
surconsommation et au mal être des civilisations
contemporaines. Pierre Rabhi prône le retour à
la terre nourricière pour produire des aliments
sains, sans poisons, sans détruire la biodiversité,
tout en affirmant "qu'il ne suffit pas de manger
bio pour changer le monde". Alors que faire ?
Est-ce suffisant de renouer avec la terre, la force
de la vie, pour vivre mieux à l'heure de
l'agrobusiness triomphant, de l'accaparement des
terres, de l'usage des pesticides qui détruisent la
Nature et l'Homme ? "La terre à ceux qui la
travaillent" revendiquait Emiliano Zapata,
paysan symbole de la révolution mexicaine, ce
mot d'ordre d' il y a plus de 100 ans conserve
toute son actualité...

Contact AES :
odile-mangeot@wanadoo.fr
03.84.30.35.73
Espl. Ch. de Gaulle - 70200 LURE
Le Cinéma et Rien d’Autre, Les Amis du Monde Diplomatique Nord-Franche-Comté, les Amis de l’Emancipation Sociale et L’Atelier proposent

Jeudi 5 décembre à 20h15

      
 Au cinéma Colisée à Montbéliard

Tarifs: 5,50 € ou 3,80 € avec la Carte Art et Essai

  
Les jours heureux
De Gilles Perret
France 2013 1h37
Documentaire

 

Entre mai 1943 et mars 1944, sur le territoire français encore occupé, seize hommes appartenant à tous les partis politiques, tous les syndicats et tous les mouvements de résistance, vont changer durablement le visage de la France. Ils vont rédiger le programme du Conseil National de la Résistance intitulé magnifiquement : « Les jours heureux ».

 

Ce programme est encore au cœur du système social français puisqu’il a donné naissance à la sécurité sociale, aux retraites par répartition, aux comités d’entreprises. C’est cette histoire que nous raconte ce documentaire passionnant de  Gilles Perret (Mémoires d’ouvriers).

Débat avec Stéphane Perriot, monteur du film

 


           


Manifestation de soutien à Morsi, le 3 novembre au Caire
Manifestation de soutien à Morsi, le 3 novembre au Caire
Entretien avec Gilbert Achcar conduit par la revue Akhbar El Adab au Caire
Question: En Egypte, il y a en ce moment un débat autour de ce qui s’est passé le 30 juin 2013. S’agit-il d’une révolution ou d’un coup d’Etat? Quelle est votre analyse?
Gilbert Achcar: Je pense que le débat révolution ou coup d’Etat est un faux débat parce que cela impliquerait une contradiction radicale entre les deux termes. Or, ce n’était pas le cas à l’époque. Il y a eu une conjonction circonstancielle d’éléments.
Selon moi, le 30 juin a vu l’explosion d’une colère radicale des masses contre les agissements des Frères pendant la présidence Morsi qui traduisait un mouvement démocratique radical dans la foulée des grands soulèvements régionaux initiés début 2011. Les signatures rassemblées par les jeunes de Tamarrod, l’appel à manifester le 30 juin pour exiger de nouvelles élections présidentielles, tout cela relève d’une démocratie qui n’a rien à voir avec la démocratie formelle existant partout selon laquelle la volonté populaire ne s’exerce que par un vote, un seul jour tous les quatre ou cinq ans, suivant les pays. La démocratie réelle doit obligatoirement prévoir la révocation des élu·e·s et leur remplacement. Sinon, l’élu – et c’est ce qui se passe actuellement dans tous les pays du monde – est libre d’agir comme il l’entend et cela même s’il trahit toutes les promesses faites lors de son élection. De ce point de vue, le 30 juin marque une nouvelle étape de la révolution égyptienne ainsi que son approfondissement.
Le problème ne se limite pourtant pas à cela dans la mesure où se sont mêlés des éléments divers qui sont descendus dans la rue. Il y avait ceux qui ont manifesté pour crier leur colère contre leurs conditions de vie, contre la situation économique et sociale, mais aussi ceux qui ont manifesté pour un retour à l’ordre ancien et qu’on a appelés les foulouls [les partisans de l’ancien pouvoir] tout en sachant que cette expression n’est pas précise car «l’Etat profond» n’a jamais été écarté du pouvoir.
Ceux qui ont cru que la mise à l’écart de Tantaoui [président du Conseil suprême des Forces armées, CSFA, février 2011 à août 2012] et de Sami Hafez Annan [vice-président du CSFA] avec la nomination de Sissi [actuel ministre de la Défense et «patron» du gouvernement] relève de la révolution pré-Morsi réalisant la domination d’un pouvoir civil sur l’institution militaire se bercent d’illusions, comme j’ai pu le démontrer dans mon livre [Le Peuple veut, Acte Sud]
Ceci dit, nous avons vu en janvier-février 2011 les illusions populaires à propos de l’armée, d’où la désignation de ce qui s’est passé comme un coup d’Etat d’un point de vue pratique. De la même façon que le 11 février 2011 était un coup d’Etat militaire qui a conduit le CSFA à confisquer le pouvoir. Cette fois-ci l’armée a procédé à un coup d’Etat mais, ayant tiré profit de l’expérience précédente, elle a préféré mettre en avant des civils tout en sachant que l’homme fort du régime égyptien actuel n’est ni Hazem El Beblawi [premier ministre depuis le 9 juillet 2013], ni Adly Mansour [président par intérim], mais Abdel Fattah Al-Sissi.
Comment voyez-vous la situation actuelle quatre mois après le 30 juin?
La situation actuelle est celle d’une transition qui se caractérise par une très grande instabilité grosse de contradictions. Apparemment, nous sommes en présence de deux camps: le camp du 30 juin et celui des Frères. En réalité, le camp du 30 juin est hétéroclite, exactement de la même façon que le mouvement de janvier-février 2011 qui a rassemblé des Frères, des nassériens, des libéraux, la gauche ainsi que de nombreux non encartés. L’opposition à Moubarak et la volonté de s’en défaire étaient le seul point d’accord. En dehors de cela, rien ne les rassemblait et c’est ce qu’on a pu voir par la suite lorsque les Frères et les salafistes se sont alliés à l’armée pour le référendum de mars 2011 [amendements à la Constitution] contre l’opposition de gauche et l’opposition libérale.
Cependant les modes d’action des Frères, leur volonté d’exercer seuls le pouvoir ainsi que de «frériser» le pays ont conduit à un changement dans la configuration des alliances. Après février 2011 nous avions trois forces principales qui étaient l’armée, les Frères ainsi que l’opposition de gauche et libérale dans toutes ses variantes. La troisième force a intensifié son combat contre les Frères, mais n’ayant pas la force organisationnelle autonome lui permettant de se débarrasser de Morsi elle a dû compter sur l’armée pour le faire.
Aujourd’hui, nous assistons à l’exacerbation des contradictions à l’intérieur de ce camp. Nous voyons par exemple les contradictions s’approfondir entre les jeunes du courant populaire avec le projet politique de voir Hamdeen Sabbahi comme candidat aux présidentielles et ceux qui soutiennent la direction des Forces armées et leur propagande effrénée en faveur d’une candidature Sissi.
Le problème est qu’une large fraction des libéraux, des nassériens, des gens de gauche croit naïvement que l’armée n’a agi que pour accomplir la volonté du peuple et que les militaires n’ont aucune envie d’exercer le pouvoir. Ceux-là voient l’armée comme ils veulent qu’elle soit et pas comme elle est réellement.
Nous assistons à une propagande énorme autour du rôle du général Sissi, on le compare à Nasser, on l’engage à se présenter comme candidat aux présidentielles. Est-ce que vous y voyez une issue à la situation actuelle?
Le général Sissi se présentera-t-il à la présidentielle?
Le général Sissi se présentera-t-il à la présidentielle?
Nous ne savons toujours pas si le ministre de la Défense se présentera aux élections présidentielles ou s’il préférera garder un poste moins exposé en restant à la tête de l’institution militaire, ce qui en ferait l’homme le plus puissant du pouvoir sans avoir à se mêler des affaires économiques et sociales. Le culte de la personnalité autour du général Sissi disparaîtrait s’il s’emparait de la présidence de la République, car nous ne sommes ni en 1952 ni en 1954. Nasser avait su gagner une popularité énorme en raison de grandes avancées en matière économique, sociale et nationale obtenues par les nationalisations, les grands projets, l’éducation, la santé, etc. Il est vrai que cela s’est fait dans le cadre d’une dictature militaire, mais il ne fait aucun doute que cette dictature avait des traits progressistes par beaucoup d’aspects et c’est ce qui explique la popularité de Nasser.
De nos jours cela ne peut en aucun cas se renouveler car l’institution militaire aujourd’hui est la garante des politiques économiques néolibérales depuis des dizaines d’années avec l’appui de l’Arabie saoudite et des Emirats pour financer le pays. En conséquence, elle conduit des politiques qui ne peuvent régler la crise sociale et économique que traverse l’Egypte. Cette position ne peut lui valoir une popularité à long terme, ce que nous voyons aujourd’hui est un sentiment très superficiel et artificiel qui disparaîtra rapidement à l’épreuve du pouvoir.
Comment voyez-vous le projet des militaires? En d’autres termes ne peuvent-ils pas faire advenir un régime différent de celui de Moubarak?
Impossible et cela pour une raison simple, c’est la grande différence entre la révolution de 1952 et la situation actuelle, toute comparaison entre les deux est débile. Ceux qui ont mené la révolution de 1952 étaient de jeunes officiers subalternes qui se sont adjoint le général Naguib comme représentant des officiers de premier rang. Malgré leurs orientations politiques diverses – puisqu’on retrouvait chez les Officiers libres toute la palette des opposants à la royauté, depuis les islamistes jusqu’aux communistes – leurs objectifs exprimés par Nasser s’appuyaient sur un projet de changement radical, un projet nationaliste en premier lieu, ce qui a conduit à contrecarrer les intérêts des grandes puissances comme la Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis et bien entendu Israël. Cela dans un monde bipolaire avec la présence de l’Union soviétique à laquelle Nasser a pu s’adosser et a même imité dans plusieurs domaines. Nous étions donc devant des officiers de second rang qui voulaient servir leur patrie et leur peuple sans qu’on puisse douter de leur sincérité. Cette expérience s’est enracinée dans les années 50 jusqu’à la Charte du début des années 60 dans laquelle s’est concrétisé le projet nassérien.
Aujourd’hui où en sommes-nous? Nous ne sommes pas devant un mouvement d’officiers subalternes prenant la direction de l’institution, mais du général Sissi et de la direction actuelle de l’armée qui était l’un des piliers essentiels du régime Moubarak. Sissi n’est pas un officier de second rang de l’ère Moubarak, mais bien le chef des Services des renseignements militaires. Il s’agit d’un Etat dans l’Etat avec des activités économiques dans des secteurs n’ayant rien à voir avec les affaires militaires. En conséquence la comparaison Nasser-Sissi n’a aucun sens, ils n’ont rien de commun sinon leur appartenance à l’armée. Ceux qui ont des illusions à ce sujet risquent de les perdre aussi vite que ceux qui ont cru en Morsi. En effet, de larges fractions du peuple avaient des illusions concernant Morsi. Elles se sont envolées à une allure stupéfiante, car il a été incapable de répondre aux besoins des masses: besoins économiques et sociaux puis besoins nationaux et politiques.
Nous assistons à un affaiblissement du mouvement des masses à l’exception des manifestations des Frères et il apparaît que la répression étatique revient en force. Voyez-vous cela de la même façon?
J’affirme que la situation ne se stabilisera pas parce que la crise économique et sociale en Egypte est importante et profonde, ce qui nous renvoie à la question essentielle: pourquoi a-t-on assisté à des explosions sociales dans la région? C’est que l’ampleur de la misère est indescriptible et que le déclencheur de la révolte arabe, ou plutôt ce que j’appelle la vague révolutionnaire de longue portée, s’enracine dans ces causes économiques et sociales. Il n’y a aucune possibilité de développement économique, d’où l’extension du chômage à une large échelle et plus particulièrement celui des jeunes. Cette situation n’a pas trouvé de solution mais au contraire, s’aggrave de jour en jour. La raison principale de cet arrêt de la croissance est l’abandon des gouvernements – en raison de leur orientation néolibérale – au secteur privé qui n’est absolument pas prêt à soutenir le développement économique. Dans les années 50, constatant que le secteur privé ne voulait pas accomplir cette tâche, Nasser a fait en sorte que ce soit l’Etat qui l’accomplisse. Peut-on imaginer que les autorités militaires actuelles aient un tel programme? Celui qui l’envisage se berce d’illusions.
Si nous revenons à l’autre camp, celui des Frères, nous avons cru dans les premiers temps que nous assistions au début de la fin de l’islam politique, mais il semble qu’ils soient revenus encore une fois à leur posture de victimes. Qu’en pensez-vous?
Les agissements des militaires contre la révolution populaire ont permis aux Frères d’apparaître comme les représentants de la révolution de janvier. Ils se sont emparés du drapeau de la démocratie, le problème étant que la violence qu’ils ont subie leur a permis de jouer sur ce tableau. Dans les faits, il est cependant apparu que les Frères étaient d’un aveuglement politique surprenant. Ils n’ont pas essayé durant l’ère Morsi de construire une large coalition nationale, sachant que Morsi n’a été élu qu’au deuxième tour par des électeurs qui n’ont voté pour lui que parce qu’ils ne voulaient pas d’un retour à l’ancien régime.
Les Frères ont agi d’une façon complètement isolée, sans tenir compte de quiconque, croyant que leur heure était venue et que Dieu y veillerait; ce qui les a éloignés de tous, y compris des salafistes. La direction actuelle des Frères représentant le courant intégriste de la Confrérie a fait la preuve exemplaire de sa bêtise politique. Celle-ci n’avait pas un degré suffisant de lucidité politique pour apprécier l’ampleur des manifestations du 30 juin. Lorsqu’en France les manifestations de mai 68 se sont déclenchées contre de Gaulle – personnage historique sans commune mesure avec Morsi –, ce dernier a appelé à des élections législatives anticipées, puis à un référendum sur son projet politique. Il a perdu, d’où sa démission du poste de président.
Ce type de propositions aurait permis à la confrérie de sortir de l’impasse, mais Morsi s’est accroché à la présidence en arguant de sa légitimité. Une fois destitué, il est apparu clairement que la conjonction des forces armées avec un mouvement populaire puissant était bien plus forte que les Frères. Malgré cela ils se sont obstinés dans leur bêtise et leur aveuglement politique en appelant à la poursuite de manifestations ridicules – dont le seul résultat a été d’augmenter le nombre de victimes – réclamant le retour de Morsi au lieu de s’emparer des propositions de médiation américaines et européennes.
Quel est l’avenir des Frères à court terme?
Tout pouvoir en Egypte, qui n’aurait pas un programme de changement social et économique, qui reproduirait la politique suivie au temps de Moubarak et poursuivie par Morsi et qui s’appuierait sur le royaume saoudien et les Etats-Unis échouera tôt ou tard et aura à affronter la colère des masses. A ce moment-là les Frères essaieront d’en tirer profit et je pense que c’est ce qu’ils envisagent.
La rue les croira-t-elle à nouveau?
C’est possible naturellement dans la mesure où le discours des Frères s’appuiera sur l’argument qu’on ne leur a pas laissé le temps d’appliquer leur projet de refondation, qu’on leur a semé des embûches et démis leur président après seulement un an, etc. C’est un discours qui peut paraître convaincant dans une situation de colère populaire contre le pouvoir actuel et si aucune force d’opposition différente représentant les aspirations progressistes des masses n’émerge sur la scène politique. C’est la seule explication logique que je vois à leur attitude présente sinon elle n’a aucun sens.
Croyez-vous à la possibilité du recours par les Frères à la lutte armée et que le scénario syrien se reproduise en Egypte?
Je ne crois pas. Ce scénario est très éloigné de l’Egypte parce que la formation de l’Etat syrien est complètement différente. Pour s’approcher de cette formation imaginez que le président de la République égyptienne soit chrétien ainsi que les profiteurs et les grands capitalistes, que les trois quarts des officiers soient chrétiens, que les forces spéciales militaires, les plus importantes de l’armée, soient entièrement chrétiennes, hommes du rang et officiers, voici ce qu’est la situation en Syrie à la différence que ceux qui occupent ces postes sont alaouites et non chrétiens, sachant que la proportion d’alaouites en Syrie est à peu près la même que celle des chrétiens en Egypte.
D’un autre côté, je ne crois pas que les Frères glisseront sur la pente d’un tel projet qui serait suicidaire à tout point de vue. Il se peut que certains milieux takfiristes [qui considèrent tout musulman ne partageant pas leur point de vue comme un apostat] s’y rallieront comme on peut le voir par exemple dans le Sinaï, mais pas les Frères en tant qu’organisation. Jusqu’à présent, aussi bien l’armée que les Frères agissent dans des limites convenues.
Les Frères ne prendront pas les armes et l’armée ne liquidera pas la Confrérie. Les Frères resteront dans l’attente de la prochaine explosion populaire suscitée par la crise économique et sociale non réglée, conscients que ceux qui représenteront l’opposition à ce moment-là gagneront une grande popularité. C’est là qu’on peut voir un danger immédiat avec le balancement constant des progressistes entre les deux camps: celui de l’ordre ancien et celui des Frères.
Pour sortir de cette situation, il faudrait l’émergence d’un troisième camp qui reprendrait le mot d’ordre apparu à la fin du règne du CSFA: «Ni foulouls, ni Frères… la révolution est toujours sur la place». (Traduction de l’arabe par Hoda Ahmed; publié le 10 novembre dans la revue Akhbar El Adab, au Caire)

jeudi 14 novembre 2013

La réforme impossible

Les français grognent tout le temps ? Ou seulement quand le gouvernement fait n'importe quoi ?
On a coutume de dire que la France est inréformable, tellement chaque citoyen est attaché à ce que rien ne change et jettera des pavés à la gueule du premier gouvernement qui essaie de faire des économies sur quoi que ce soit.

J'ai pour ma part un tout autre ressenti des choses : on ne gueule que parce que les réformes sont faites n'importe comment, en dépit du bon sens.
Il y a des réformes consensuelles qui pourraient grandement améliorer les finances de l’État, tout en orientant le pays vers un modèle économique plus durable. Simplement, ces réformes ne sont pas possibles tant que c'est une oligarchie qui détient le pouvoir.

Quelques exemples :

On connaît l'influence néfaste de la publicité sur la consommation irraisonnée (qui cause le surendettement tout en détruisant la planète), et je ne pense pas qu'un seul français gueulera si on réduit, voire supprime la publicité de son champ visuel. Au cinéma, à la télé, à la radio, dans les journaux, sur la voie publique, la publicité agresse et emmerde tout le monde, je suis certain qu'on a une majorité de citoyens qui serait pour une réforme sur ce thème. Bien évidemment, je n'oublie pas que la publicité fait vivre tout un tas d'abrutis qui se prennent pour des créatifs, l'idée de les mettre à la rue ne me dérangerait pas plus que ça, mais je suis sympa et je n'en fais même pas un objectif.
Je suppose qu'une taxe progressivement appliquée sur la publicité, annoncée à l'avance, sans limite haute, nous permettrait de venir à bout de ce fléau en une dizaine d'années. Une taxe dont les revenus seraient partagés entre l'État et ceux qui se financent par la publicité (télé, radio, journaux...) pour que ceux-ci continuent de tourner.
Cela pourrait s'accompagner d'une détaxe pour la publicité "institutionnelle", qui permettrait aux collectivités, aux ONG et autres agences gouvernementales (genre ADEME) d'utiliser les espaces ainsi libérés pour orienter les consommateurs vers d'autres habitudes.

Je n'ai vu personne dans la rue pour dénoncer le projet de réforme bancaire et pourtant, il a été tué dans l’œuf. Demandez aux gens s'ils sont favorables à la taxation ou l'interdiction du trading haute-fréquence, je doute que vous ayez une vague de protestation. Pourtant, cette réforme a été abandonnée parce qu'une poignée de gens qui ont l'oreille (et la queue ?) du ministre ont dû chouiner comme il faut.
Dans une démocratie, ce genre de renoncement serait impossible.

Les systèmes de bonus malus sur les voitures ont fait leur preuve, même si cela reste relativement faiblard pour ne pas froisser les constructeurs qui font semblant de faire tout ce qu'ils peuvent. Ce système peut s'étendre à des tas de domaine qui orienteraient la consommation dans le bon sens, pour réduire notre empreinte écologique et relocaliser nos emplois. On taxe le pétrole et on détaxe le bois, le solaire, l'éolien... On taxe l'agneau et le veau (très énergivores en plus d'être mauvais pour la santé, donc coûteux à terme pour la société) et on détaxe les légumes bio et locaux (meilleur pour l'environnement, la santé et les emplois !). On taxe l'eau en bouteille pour financer le meilleur traitement de l'eau du robinet...

Toutes ces mesurettes, appliquées progressivement, avec une visibilité à moyen terme pour que chacun, particulier et pro, puissent se projeter raisonnablement dans l'avenir, seraient, je crois, bien acceptées (par les citoyens, pour les industriels, c'est une autre histoire, mais depuis quand ce sont les industriels qui dirigent ? Ah ben oui : depuis qu'on a fait passé l'élection pour un système démocratique, suis-je bête).

Au lieu de ça, on use de la méthode Coué pour nous assurer que tout ira mieux demain, que l'emploi repart, mais qu'il faut quand même faire des sacrifices sur l'essentiel, réduire le nombre de fonctionnaires pour éduquer nos gosses et mettre les méchants en prison, continuer de faire des dettes pour ne pas froisser Liliane, Bernard et Arnaud... Tu m'étonnes que les français sont ingouvernables. Ils sont juste lucides : la bande de bras cassés qui se relève au gouvernement depuis 30 ans est bonne pour la casse.
Tiens, en voilà une réforme qui serait bien consensuelle et qui ne verra jamais le jour : dégager tous les politiciens qui usent leurs pantalons sur les plateaux télés depuis trois voire quatre décennies. À la trappe, les incapables.

À la fin, c'est nous qu'on va gagner

Je titre avec le slogan du journal Fakir, pour vous entretenir de la similarité de l'époque avec une autre que l'humanité a déjà vécue.
Peu de temps avant que Hitler accède au pouvoir et mette en place sa politique, les industriels et patrons de l'époque avaient déjà choisi leur camp. En effet, la recherche de profit qui est le seul leitmotiv d'un entrepreneur (ce qu'on ne peut d'ailleurs lui reprocher : c'est en quelque sorte son rôle dans la société) aboutit fatalement à une forme d'esclavagisme des salariés, plus ou moins prononcée et admise selon le climat social du moment, et une mise en coupe réglée de la démocratie. Démocratie et salariés sont les deux obstacles majeurs à plus de profit. En temps de crise, quand plus rien ne va, il est donc bien naturel que les dirigeants scandent "Plutôt Hitler que le front populaire". C'est de la froide logique mathématique. Comme dit Franck Lepage : "la démocratie c'est chiant, c'est le fascisme qui est naturel".

Le glissement à l'extrême-droite de la droite parlementaire, voire de l'ensemble de l'échiquier politique, qu'on observe aujourd'hui, est juste la pente naturelle d'un système pseudo-démocratique (en fait oligarchique).

On sait tout ça, et on sait aussi qu'à la fin, c'est le bon sens qui l'emporte parce que c'est ce qui convient au plus grand nombre. On l'emporte, oui, mais après malheureusement une parenthèse de folie furieuse et destructrice qu'on aimerait tous éviter. La majorité des gens est bien entendu du bon côté, nous ne sommes pas tous des fascistes qui nous ignorons, nous souffrons juste de plusieurs défauts : l'inconscience, l'égoisme, l'ignorance, l'apathie.

L'inconscience qui ne nous fait même pas voir le problème tant qu'on n'a pas le nez dedans. Celle qui nous fait considérer le FN comme une solution (enfin, quand je dis "nous"...), celle qui nous empêche de voir que chercher le prix le plus bas à tout prix, par exemple, est la meilleure façon de se tirer une balle dans le pied.

L'égoïsme qui nous fait croire que c'est la faute de l'autre. De l'allemand, de l'arabe, du chinois, du voisin, du riche, du pauvre, ... Et nous évite de balayer devant notre porte.

L'ignorance des faits historiques, de ce qui s'est déjà produit avant nous, des mêmes causes qui produisent les mêmes effets.

L'apathie qui nous rend indolents. La flemme de prendre conscience, de surmonter l'égoïsme facile et d'apprendre ce qu'on ignore.

À la fin, c'est nous qu'on gagne, parce qu'après la catastrophe, la guerre, les camps de concentration, la dictature, tous ces défauts disparaissent d'un coup et on remet les choses en place. Suffit d'être patient... et d'accepter la catastrophe en espérant qu'elle tombe pas sur nos pompes. Ou alors, on se prend en main pour prendre conscience collectivement et corriger le tir avant. Et on explique ça aux autres qui ont pas encore compris, ce que j'essaie de faire ici.

On a déjà vécu ça. c'est le jour de la marmotte qui recommence chaque fois. Va-t-on sacrifier une fois de plus des millions de vies innocentes ? À toi de voir.

dimanche 27 octobre 2013

Le Collectif « Syrie » du Territoire de Belfort (Amis de l’émancipation Sociale, AFPS, CGT, FASE, PG, PC) et les Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté
 vous invitent à une soirée de solidarité avec les Syriens, autour d’un débat sur le thème


Syrie.
Du soulèvement populaire pour la démocratie à la guerre civile.
en présence de
Samir Aïta
 Membre du Forum Démocratique syrien et de l’association Démocratie et Entraide en Syrie




  Jeudi 7 novembre 2013

20h30 à BELFORT Maison du peuple (salle 327) - entrée libre et gratuite





Le 6 mars 2011, une vingtaine d’adolescents sont raflés puis torturés pour avoir écrit sur les murs de Deraa le slogan de la révolution arabe « Le peuple veut renverser le régime ». Ainsi commençait, il y a 32 mois, la révolution du peuple syrien contre le régime Assad, par des manifestations pacifiques  pour la démocratie. Face à ce soulèvement populaire, le régime Assad tue, torture, réprime atrocement et pousse le peuple à se défendre par les armes. Il s’appuie sur ses tanks, son aviation, ses milices et ses armes chimiques mais aussi sur l’aide notamment de la Russie, de l’Iran.  La Syrie devient la proie de multiples appétits régionaux et internationaux, d’un côté, les monarchies du golfe et la Turquie soutiennent des milices djihadistes, de l’autre les puissances occidentales veulent préserver leurs intérêts stratégiques. Où en sont les forces rebelles ? Qui sont les djihadistes mercenaires ? Comment le peuple syrien peut-il sortir de cette tourmente ? Plus que jamais il a besoin de notre solidarité, de notre soutien à son droit inaliénable à l’autodéfense contre la dictature par les moyens qu’il juge nécessaire. Venez en débattre.      


Débat organisé avec le soutien de FSU, LDH 90, NPA, SUD Solidaires
Le FN. Parti d’extrême droite ou parti fasciste ?

La frayeur apparente des partis dominants face à la montée probable du FN, lors des prochaines échéances électorales, a fait resurgir le débat sur la nature de cette formation politique. La fille Le Pen dans son entreprise de dédiabolisation de son organisation a même brandi la menace de diffamation vis-à-vis de ceux qui oseraient prétendre que le FN est d’extrême droite. Ce que de nombreux commentateurs ont noté, sans l’expliciter, c’est la distanciation qui s’est opérée entre le père et la fille. Derrière ce qui est parfois pressenti comme un conflit de génération, ou mieux, une adaptation du FN à la conjoncture présente, se profile une mutation bien plus dangereuse que les vociférations du père Le Pen.
A première lecture, rien de comparable entre l’Aube Dorée grecque se réclamant ouvertement du nazisme et la formation d’extrême droite française. Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie le fascisme. L’article qui suit, partant des caractéristiques du fascisme, a pour vocation de lancer le débat sur l’origine et la mutation de cette formation et sa dangerosité actuelle.

Les caractéristiques d’un parti fasciste.

C’est d’abord une formation politique qui ne peut se développer que sur la base d’une profonde crise du système capitaliste pour tenter de la surmonter. Il doit posséder, lors de son ascension, l’appui notamment financier d’une fraction de la classe dominante voulant éviter les affres d’une révolution sociale qui se profile. Il ne prospère que dans une conjoncture de polarisation sociale, d’un climat anxiogène qu’il entretient. Pour parvenir à cultiver à son profit les angoisses des déclassés, il faut qu’il dispose d’un programme adapté afin de conquérir une base sociale (et électorale) justifiant son arrivée aux affaires. Il semble qu’au moins cinq caractéristiques principales définissent une telle formation.

1 – Un programme social et national attirant les déclassés qui ne supportent plus les effets concrets de la crise économique dans ses différents aspects : paupérisation, insécurité sociale, peur des autres et du lendemain, besoin d’ordre vis-à-vis d’une lutte des classes qui s’exacerbe et du développement d’une délinquance qui fructifie sur ce terreau de délitement généralisé.

2 – Ce programme social et national désigne un ennemi, l’étranger hors et au sein des frontières. La supériorité des nationaux est proclamée à la fois contre le capitalisme cosmopolite (la banque juive hier, les pétromonarchies musulmanes aujourd’hui ?) et contre l’ennemi intérieur (judéo-bolchéviks hier, musulmans aujourd’hui). Le fascisme est toujours impérialiste : surmonter la crise économique qui affecte le système capitaliste induit toujours la conquête de nouveaux marchés et donc une guerre de conquête (l’Ethiopie pour l’Italie, conserver les conquêtes coloniales pour le régime franquiste et ce, sans parler du nazisme).

3 – Le programme «national» inclut la négation des oppositions de classes. Il s’agit de rassembler dans des corporations le travail et le capital. Cette collaboration de classes institutionnalisée passe par la destruction des organisations syndicales et des partis prônant la lutte des classes ou, pour le moins, défendant les intérêts des classes ouvrières et populaires contre la rapacité du capital. Les formations politiques du parlementarisme doivent être absorbées, marginalisées, voire liquidées.

4 – Ce programme ne peut que provoquer une vive hostilité sur fond de lutte de classes exacerbée par la crise, d’autant que le parti fasciste entend s’imposer par le combat plus que par le débat. Les arguties qu’il profère, irrationnelles, démagogiques et mensongères en sont la préfiguration. Il doit donc disposer, au moment opportun de milices pour imposer l’ordre national, la fin des controverses en dominant les autres partis et organisations. La terreur, d’abord dirigée contre les étrangers, doit s’exercer ensuite contre tous ceux qui s’opposent à la loi d’airain du parti fasciste.

5 – L’ordre, la discipline, le ralliement des déclassés et autres lumpen-prolétaires  doivent s’incarner dans un leader charismatique, symbole d’une autorité et d’une hiérarchie prétendument naturelles.


Le FN du père Le Pen

Le FN, sous la houlette du père Le Pen, a réussi la gageure de rassembler les débris pétainistes, fascistes et collabos. Mais, il a su s’adapter à la période des Trente Glorieuses afin de capitaliser sur les déclassés de la fin de la période coloniale et du capitalisme fordiste suscitant le développement des grandes surfaces. C’est en effet Poujade qui a propulsé Le Pen sur la scène électorale, c’est Nicoud de la défense du petit commerce qui flirte avec lui et ce sont les petits colons chassés d’Algérie qui constituent sa première base électorale.

Ainsi, la fin de la période coloniale lui permet de rassembler les débris de l’OAS, des pieds noirs ainsi que les petits commerçants et petits patrons sur fond de nostalgie d’un monde perdu. Le programme du FN, première mouture, est donc libéral et national tout en défendant la petite boutique. Il est à la fois antisémite et anti arabe. Le vieux fond pétainiste se conjugue avec le racisme colonialiste pour encenser un passé imaginaire : la France éternelle et glorieuse, de Jeanne d’Arc aux Poilus de 14-18, tous ces «Français d’abord» qui se sentent rejetés.

Ce parti de petits déclassés prône la liberté de choix de l’école(1), flatte les nostalgiques de l’Eglise d’antan, tout comme les païens. «Culturellement », ce sont les valeurs de droite-extrême qui prévalent : autorité, famille, souveraineté nationale, hiérarchie naturelle, culte des morts pour la France éternelle, croyance dans un peuple sain qui ne doit pas être perverti par l’étranger et les doctrines de luttes de classes. L’anticommunisme demeure une valeur transversale, du moins jusqu’à l’effondrement de l’URSS et l’affaiblissement du PC qui s’en est suivi.

Cette formation d’extrême droite marginale a joué un rôle protestataire. Instrumentalisée par les Mitterrandiens, sa fonction tribunicienne des déclassés des Trente Glorieuses s’est transformée en organisation gênant la droite acquise au libéralisme économique. Sous la pression « d’intellectuels » regroupés au sein du GRECE (2), le FN va évoluer. La mondialisation financière, le rôle joué par l’Europe de Bruxelles, la nécessité de conquérir les esprits sur une base mieux adaptée à l’évolution du monde,  provoquent d’abord des soubresauts au sein de cette organisation pyramidale où le chef ne saurait être contesté. C’est l’épisode de la bande à Mégret qui tente de faire prévaloir une autre stratégie que reprend désormais la fille Le Pen.

La Marine ou la mutation du FN

Pour la fille Le Pen, il s’agit avant tout de se débarrasser superficiellement des oripeaux pétainistes et des saillies antisémites d’un autre âge. Cette dédiabolisation renvoie à la négation de ce que fut le FN des 30 Glorieuses. De marginal, protestataire, le Rassemblement bleu marine veut désormais conquérir des positions de pouvoir afin de se présenter comme la seule alternative à la mondialisation néolibérale.

D’où l’adaptation d’un programme social-national s’adressant aux victimes de la domination de l’oligarchie transnationale, ces riches cosmopolites que le FN identifie à la fois aux sionistes juifs et aux pétromonarchies. Il avance à pas comptés sur ce terrain d’un prétendu complot mondial contre la Franche blanche qu’il faudrait sauver. L’abandon de l’euro, la sortie de l’Union Européenne n’ont pas d’autre sens. En surfant sur les régressions sociales, sur le sentiment d’apparente impuissance des partis de gouvernement (l’UMPS) face aux lois européennes qu’ils promeuvent, le FN entend élargir sa base sociale. Ce n’est plus seulement la petite bourgeoisie déclassée qu’il prétend rallier mais également les prolétaires français abandonnés, et ce, en «instrumentalisant les tensions ethno-confessionnelles». Le projet lepéniste vise à rassembler petite bourgeoisie déclassée, prolétariat en déshérence et petits patrons pris à la gorge. Cette unité, à l’opposé de l’anticapitalisme, ne revendique nullement la socialisation des moyens de production et d’échange et appuie encore moins les mouvements sociaux. L’unité nationale du capital et du travail doit se construire contre l’étranger, voilà l’ennemi (3).

La xénophobie du FN, fonds de commerce des partis d’extrême droite, revêt désormais de nouveaux habits mieux adaptés à la période. La laïcité est, à cet égard, manipulée contre l’islam, ces «arabes», ces «délinquants» qui nous «envahiraient tout en pervertissant la France blanche, judéo-chrétienne». Le Rassemblement bleu marine se veut le seul parti national et républicain capable d’assurer l’ordre et la sécurité. Est-il pour autant fasciste ou fascisant ? Pas encore ! Il lui manque les instruments institutionnels, un front du travail de collaboration de classes, et des milices.

S’agissant du corporatisme à mettre en œuvre à l’instar de ce qu’avait tenté Mégret en direction des syndicats, la fille Le Pen, en catimini, compte bien remettre à l’ordre du jour ce projet. Ainsi, a-t-on vu apparaître le «Collectif Racine», ce «groupe d’enseignants amoureux de l’école et déplorant son déclin» et les dirigeants de l’UNSA de déplorer l’entrisme du FN dans les rangs de ce syndicat. Ces tentatives restent marginales mais…

De même, il serait incongru de parler des milices du FN alors même que la fille Le Pen entend se démarquer des identitaires et autres groupes violents. Mais, la réserve est là, dans les marges et les liens continuent à être entretenus tout en évitant les dérapages qui pourraient nuire à la stratégie de conquête électorale et de respectabilité qu’entend conduire pour l’heure l’état-major du FN. 

La stratégie de conquête du FN

Désormais, le FN entend traduire ses scores électoraux en positions de pouvoir au sein des collectivités territoriales d’abord, pour ensuite apparaître comme le premier parti de France. Son handicap, qu’il compte résorber, c’est, outre sa faible implantation militante, son manque de cadres qu’il a perdus suite à l’expulsion des mégrétistes.

La conjoncture lui est favorable du fait même de l’absence d’un véritable front de transformation sociale ayant fait définitivement son deuil du parti solférinien. Toute compromission avec lui est immédiatement ressentie comme une trahison par ceux-là mêmes qui sont les victimes des politiques austéritaires mises en œuvre par le gouvernement. Autrement dit, il suffit au FN de surfer sur la colère sourde faite d’impuissance et de rejet des partis dominants pour engranger de notables scores électoraux. Chômage, sentiment d’abandon, désespérance sociale conduisent à l’abstention, c’est cet électorat populaire déclassé que vise la fille Le Pen tout en instillant la haine de l’étranger. La récente diatribe de Valls vis-à-vis des Roms (européens !) en affirmant «qu’ils sont inassimilables par essence et qu’ils n’ont donc pas vocation à rester sur le territoire français» est à cent lieues de l’impact haineux de la vocifération de la Le Pen, de «ces maffias ambulantes», «ces poubelles roulantes qui font vivre aux Français un véritable enfer». Valls est une pâle copie qui ne peut convaincre les racistes tout en se situant sur leur terrain. Qui plus est, en conjuguant cette posture identitaire (qu’adopte également l’UMP) à une générosité bonhomme, le parti solférinien brouille son image de parti bobo et s’attire de véhémentes critiques moralisatrices de ses cohortes favorables au multiculturalisme et à l’intégration dite républicaine tel le Réseau Education Sans Frontières (RESF), pour ne prendre que cet exemple.

Reste à franchir l’obstacle institutionnel, ce scrutin uninominal à deux tours, instrument obligeant les partis minoritaires à faire alliance à « droite » comme à «gauche» avec les formations dominantes. S’il parvient à imposer des triangulaires dans les villes ou à s’infiltrer dans des listes «apolitiques» dans les petites communes, tout en comptant sur une abstention importante, le FN peut effectivement conquérir des fiefs électoraux. De même, il pourrait bien réussir lors des européennes à apparaître comme le premier parti de France.

En l’absence de luttes de classes anticapitalistes unissant les ouvriers, les précaires, les sans emploi, et ce, quelle que soit leur nationalité d’origine, la stigmatisation des abstentionnistes ne peut qu’être improductive. Pis, elle envoie un message de mépris vis-à-vis de ceux qui, tout en rejetant les partis dominants ou n’étant nullement convaincus par le Front de Gauche, ont bien compris qu’ils n’ont rien à attendre de ceux qui ont enterré le NON au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen. Cette stigmatisation suppose que les classes ouvrières et populaires ainsi que les classes moyennes qui se paupérisent ne comprennent nullement les raisons qui conduisent à la casse des services publics, à la désindustrialisation et aux politiques d’austérité mises en œuvre. De même supposer que le «peuple» qui rejette l’augmentation des impôts et taxes n’aurait rien compris à la nécessaire redistribution des richesses qu’elle implique, c’est oublier que les «riches» en sont pratiquement exemptés et que sa finalité présente ne sert qu’à  réduire la dette de l’Etat et, par conséquent, à payer rubis sur l’ongle les créanciers.

Le développement du FN, son activisme électoral et médiatique sont à la mesure de l’impuissance de la gauche de transformation sociale, de son manque de radicalité et d’unité. Son réveil est bloqué, pour l’heure, par ses divisions et l’opportunisme du PC, englué qu’il est dans ses «rêves» de gauche plus rien pour la conservation de quelques strapontins et ce qui reste de son appareil. Il n’en demeure pas moins, qu’affectés dans leur corps par les licenciements, la perte de pouvoir d’achat, la désespérance, des pans entiers des couches populaires en viendront à réinvestir la rue et les usines pour que change la donne. C’est ce que l’on peut souhaiter de mieux pour éclairer le sombre horizon.

Gérard Deneux, le 25 octobre 2013

(1)    Il revendique, pour les nationaux, un chèque éducation afin qu’ils exercent leur liberté de choix, en particulier vis-à-vis des écoles libres et chrétiennes
(2)    Sous l’impulsion d’Alain Benoist est créé le Groupe de Recherche et d’Etudes de la Civilisation Européenne, cette nouvelle droite se déclare favorable à la nationalisation des banques, notamment
(3)    Le dénommé Alain Soral est peut-être un précurseur du brouillage idéologique dont le FN peut s’emparer (comme il le fait avec la laïcité) : conjuguant Proudhon et Poujade, il vante les vertus supposées d’une «société mutualiste de petits producteurs». Cette utopie réactionnaire peut effectivement séduire ceux qui rejettent le capitalisme financiarisé et les dégâts qu’il provoque.


Pour en savoir plus
-          «La dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery». Philippe Burrin – éditions Seuil
-          «Le fascisme en action» Robert O Paxton, éditions Seuil/Points

Lire également «Les embrouilles idéologiques de l’extrême droite» d’Evelyne Pieiller - le Monde Diplomatique octobre 2013