Le FN. Parti d’extrême droite
ou parti fasciste ?
La frayeur apparente des partis dominants face à la
montée probable du FN, lors des prochaines échéances électorales, a fait
resurgir le débat sur la nature de cette formation politique. La fille Le Pen
dans son entreprise de dédiabolisation de son organisation a même brandi la
menace de diffamation vis-à-vis de ceux qui oseraient prétendre que le FN est
d’extrême droite. Ce que de nombreux commentateurs ont noté, sans l’expliciter,
c’est la distanciation qui s’est opérée entre le père et la fille. Derrière ce
qui est parfois pressenti comme un conflit de génération, ou mieux, une
adaptation du FN à la conjoncture présente, se profile une mutation bien plus
dangereuse que les vociférations du père Le Pen.
A première lecture, rien de comparable entre l’Aube Dorée grecque se réclamant
ouvertement du nazisme et la formation d’extrême droite française. Encore
faut-il s’entendre sur ce que signifie le fascisme. L’article qui suit, partant
des caractéristiques du fascisme, a pour vocation de lancer le débat sur l’origine
et la mutation de cette formation et sa dangerosité actuelle.
Les caractéristiques d’un parti fasciste.
C’est d’abord une formation politique qui ne peut se
développer que sur la base d’une profonde crise du système capitaliste pour
tenter de la surmonter. Il doit posséder, lors de son ascension, l’appui
notamment financier d’une fraction de la classe dominante voulant éviter les
affres d’une révolution sociale qui se profile. Il ne prospère que dans une
conjoncture de polarisation sociale, d’un climat anxiogène qu’il entretient.
Pour parvenir à cultiver à son profit les angoisses des déclassés, il faut
qu’il dispose d’un programme adapté afin de conquérir une base sociale (et
électorale) justifiant son arrivée aux affaires. Il semble qu’au moins cinq
caractéristiques principales définissent une telle formation.
1 – Un programme
social et national attirant les déclassés qui ne supportent plus les effets
concrets de la crise économique dans ses différents aspects :
paupérisation, insécurité sociale, peur des autres et du lendemain, besoin
d’ordre vis-à-vis d’une lutte des classes qui s’exacerbe et du développement
d’une délinquance qui fructifie sur ce terreau de délitement généralisé.
2 – Ce programme social et national désigne un ennemi, l’étranger hors et au sein
des frontières. La supériorité des nationaux est proclamée à la fois contre le
capitalisme cosmopolite (la banque juive hier, les pétromonarchies musulmanes
aujourd’hui ?) et contre l’ennemi intérieur (judéo-bolchéviks hier,
musulmans aujourd’hui). Le fascisme est toujours impérialiste : surmonter
la crise économique qui affecte le système capitaliste induit toujours la
conquête de nouveaux marchés et donc une guerre de conquête (l’Ethiopie pour
l’Italie, conserver les conquêtes coloniales pour le régime franquiste et ce,
sans parler du nazisme).
3 – Le programme «national» inclut la négation des
oppositions de classes. Il s’agit de rassembler dans des corporations le travail et le capital. Cette collaboration de
classes institutionnalisée passe par la destruction des organisations
syndicales et des partis prônant la lutte des classes ou, pour le moins,
défendant les intérêts des classes ouvrières et populaires contre la rapacité
du capital. Les formations politiques du parlementarisme doivent être
absorbées, marginalisées, voire liquidées.
4 – Ce programme ne peut que provoquer une vive hostilité
sur fond de lutte de classes exacerbée par la crise, d’autant que le parti
fasciste entend s’imposer par le combat plus que par le débat. Les arguties
qu’il profère, irrationnelles, démagogiques et mensongères en sont la
préfiguration. Il doit donc disposer, au moment opportun de milices pour imposer l’ordre national,
la fin des controverses en dominant les autres partis et organisations. La
terreur, d’abord dirigée contre les étrangers, doit s’exercer ensuite contre
tous ceux qui s’opposent à la loi d’airain du parti fasciste.
5 – L’ordre, la discipline, le ralliement des déclassés
et autres lumpen-prolétaires doivent
s’incarner dans un leader charismatique,
symbole d’une autorité et d’une hiérarchie prétendument naturelles.
Le FN du père Le Pen
Le FN, sous la houlette du père Le Pen, a réussi la
gageure de rassembler les débris pétainistes, fascistes et collabos. Mais, il a
su s’adapter à la période des Trente Glorieuses afin de capitaliser sur les
déclassés de la fin de la période coloniale et du capitalisme fordiste suscitant
le développement des grandes surfaces. C’est en effet Poujade qui a propulsé Le
Pen sur la scène électorale, c’est Nicoud de la défense du petit commerce qui
flirte avec lui et ce sont les petits colons chassés d’Algérie qui constituent
sa première base électorale.
Ainsi, la fin de la période coloniale lui permet de rassembler
les débris de l’OAS, des pieds noirs ainsi que les petits commerçants et petits
patrons sur fond de nostalgie d’un monde perdu. Le programme du FN, première
mouture, est donc libéral et national tout en défendant la petite boutique. Il
est à la fois antisémite et anti arabe. Le vieux fond pétainiste se conjugue
avec le racisme colonialiste pour encenser un passé imaginaire : la France
éternelle et glorieuse, de Jeanne d’Arc aux Poilus de 14-18, tous ces «Français
d’abord» qui se sentent rejetés.
Ce parti de petits déclassés prône la liberté de choix de
l’école(1), flatte les nostalgiques de l’Eglise d’antan, tout comme les païens.
«Culturellement », ce sont les valeurs de droite-extrême qui
prévalent : autorité, famille, souveraineté nationale, hiérarchie
naturelle, culte des morts pour la France éternelle, croyance dans un peuple
sain qui ne doit pas être perverti par l’étranger et les doctrines de luttes de
classes. L’anticommunisme demeure une valeur transversale, du moins jusqu’à
l’effondrement de l’URSS et l’affaiblissement du PC qui s’en est suivi.
Cette formation d’extrême droite marginale a joué un rôle
protestataire. Instrumentalisée par les Mitterrandiens, sa fonction
tribunicienne des déclassés des Trente Glorieuses s’est transformée en organisation
gênant la droite acquise au libéralisme économique. Sous la pression
« d’intellectuels » regroupés au sein du GRECE (2), le FN va évoluer.
La mondialisation financière, le rôle joué par l’Europe de Bruxelles, la
nécessité de conquérir les esprits sur une base mieux adaptée à l’évolution du
monde, provoquent d’abord des
soubresauts au sein de cette organisation pyramidale où le chef ne saurait être
contesté. C’est l’épisode de la bande à Mégret qui tente de faire prévaloir une
autre stratégie que reprend désormais la fille Le Pen.
La Marine ou la mutation du FN
Pour la fille Le Pen, il s’agit avant tout de se
débarrasser superficiellement des oripeaux pétainistes et des saillies
antisémites d’un autre âge. Cette dédiabolisation renvoie à la négation de ce
que fut le FN des 30 Glorieuses. De marginal, protestataire, le Rassemblement
bleu marine veut désormais conquérir des positions de pouvoir afin de se
présenter comme la seule alternative à la mondialisation néolibérale.
D’où l’adaptation d’un programme social-national s’adressant aux victimes de la domination
de l’oligarchie transnationale, ces riches cosmopolites que le FN identifie à
la fois aux sionistes juifs et aux pétromonarchies. Il avance à pas comptés sur
ce terrain d’un prétendu complot mondial contre la Franche blanche qu’il
faudrait sauver. L’abandon de l’euro, la sortie de l’Union Européenne n’ont pas
d’autre sens. En surfant sur les régressions sociales, sur le sentiment
d’apparente impuissance des partis de gouvernement (l’UMPS) face aux lois européennes
qu’ils promeuvent, le FN entend élargir sa base sociale. Ce n’est plus seulement
la petite bourgeoisie déclassée qu’il prétend rallier mais également les
prolétaires français abandonnés, et ce, en «instrumentalisant
les tensions ethno-confessionnelles». Le projet lepéniste vise à rassembler
petite bourgeoisie déclassée, prolétariat en déshérence et petits patrons pris
à la gorge. Cette unité, à l’opposé de l’anticapitalisme, ne revendique
nullement la socialisation des moyens de production et d’échange et appuie
encore moins les mouvements sociaux. L’unité nationale du capital et du travail
doit se construire contre l’étranger, voilà l’ennemi (3).
La xénophobie du
FN, fonds de commerce des partis d’extrême droite, revêt désormais de nouveaux
habits mieux adaptés à la période. La laïcité est, à cet égard, manipulée
contre l’islam, ces «arabes», ces «délinquants» qui nous «envahiraient tout en
pervertissant la France blanche, judéo-chrétienne». Le Rassemblement bleu
marine se veut le seul parti national et républicain capable d’assurer l’ordre
et la sécurité. Est-il pour autant fasciste ou fascisant ? Pas
encore ! Il lui manque les instruments institutionnels, un front du
travail de collaboration de classes, et des milices.
S’agissant du corporatisme à mettre en œuvre à l’instar
de ce qu’avait tenté Mégret en direction des syndicats, la fille Le Pen, en
catimini, compte bien remettre à l’ordre du jour ce projet. Ainsi, a-t-on vu
apparaître le «Collectif Racine», ce «groupe
d’enseignants amoureux de l’école et déplorant son déclin» et les
dirigeants de l’UNSA de déplorer l’entrisme du FN dans les rangs de ce
syndicat. Ces tentatives restent marginales mais…
De même, il serait incongru de parler des milices du FN
alors même que la fille Le Pen entend se démarquer des identitaires et autres
groupes violents. Mais, la réserve est là, dans les marges et les liens
continuent à être entretenus tout en évitant les dérapages qui pourraient nuire
à la stratégie de conquête électorale et de respectabilité qu’entend conduire
pour l’heure l’état-major du FN.
La stratégie de conquête du FN
Désormais, le FN entend traduire ses scores électoraux en
positions de pouvoir au sein des collectivités territoriales d’abord, pour
ensuite apparaître comme le premier parti de France. Son handicap, qu’il compte
résorber, c’est, outre sa faible implantation militante, son manque de cadres
qu’il a perdus suite à l’expulsion des mégrétistes.
La conjoncture lui est favorable du fait même de
l’absence d’un véritable front de transformation sociale ayant fait
définitivement son deuil du parti solférinien. Toute compromission avec lui est
immédiatement ressentie comme une trahison par ceux-là mêmes qui sont les
victimes des politiques austéritaires mises en œuvre par le gouvernement.
Autrement dit, il suffit au FN de surfer
sur la colère sourde faite d’impuissance et de rejet des partis dominants
pour engranger de notables scores électoraux. Chômage, sentiment d’abandon,
désespérance sociale conduisent à l’abstention, c’est cet électorat populaire
déclassé que vise la fille Le Pen tout en instillant la haine de l’étranger. La
récente diatribe de Valls vis-à-vis des Roms (européens !) en affirmant «qu’ils sont inassimilables par essence et
qu’ils n’ont donc pas vocation à rester sur le territoire français» est à
cent lieues de l’impact haineux de la vocifération de la Le Pen, de «ces maffias ambulantes», «ces poubelles roulantes qui font vivre aux
Français un véritable enfer». Valls est une pâle copie qui ne peut
convaincre les racistes tout en se situant sur leur terrain. Qui plus est, en
conjuguant cette posture identitaire (qu’adopte également l’UMP) à une
générosité bonhomme, le parti solférinien brouille son image de parti bobo et
s’attire de véhémentes critiques moralisatrices de ses cohortes favorables au
multiculturalisme et à l’intégration dite républicaine tel le Réseau Education
Sans Frontières (RESF), pour ne prendre que cet exemple.
Reste à franchir l’obstacle
institutionnel, ce scrutin uninominal à deux tours, instrument obligeant
les partis minoritaires à faire alliance à « droite » comme à
«gauche» avec les formations dominantes. S’il parvient à imposer des
triangulaires dans les villes ou à s’infiltrer dans des listes «apolitiques»
dans les petites communes, tout en comptant sur une abstention importante, le
FN peut effectivement conquérir des fiefs électoraux. De même, il pourrait bien
réussir lors des européennes à apparaître comme le premier parti de France.
En l’absence de luttes de classes anticapitalistes
unissant les ouvriers, les précaires, les sans emploi, et ce, quelle que soit
leur nationalité d’origine, la stigmatisation
des abstentionnistes ne peut qu’être improductive. Pis, elle envoie un
message de mépris vis-à-vis de ceux qui, tout en rejetant les partis dominants
ou n’étant nullement convaincus par le Front de Gauche, ont bien compris qu’ils
n’ont rien à attendre de ceux qui ont enterré le NON au référendum sur le
Traité Constitutionnel Européen. Cette stigmatisation suppose que les classes
ouvrières et populaires ainsi que les classes moyennes qui se paupérisent ne
comprennent nullement les raisons qui conduisent à la casse des services
publics, à la désindustrialisation et aux politiques d’austérité mises en
œuvre. De même supposer que le «peuple» qui rejette l’augmentation des impôts
et taxes n’aurait rien compris à la nécessaire redistribution des richesses
qu’elle implique, c’est oublier que les «riches» en sont pratiquement exemptés
et que sa finalité présente ne sert qu’à réduire la dette de l’Etat et, par conséquent,
à payer rubis sur l’ongle les créanciers.
Le développement du FN, son activisme électoral et
médiatique sont à la mesure de l’impuissance de la gauche de transformation
sociale, de son manque de radicalité et d’unité. Son réveil est bloqué, pour
l’heure, par ses divisions et l’opportunisme du PC, englué qu’il est dans ses
«rêves» de gauche plus rien pour la
conservation de quelques strapontins et ce qui reste de son appareil. Il n’en
demeure pas moins, qu’affectés dans leur corps par les licenciements, la perte
de pouvoir d’achat, la désespérance, des pans entiers des couches populaires en
viendront à réinvestir la rue et les usines pour que change la donne. C’est ce
que l’on peut souhaiter de mieux pour éclairer le sombre horizon.
Gérard Deneux, le 25 octobre 2013
(1)
Il revendique, pour les nationaux, un chèque éducation
afin qu’ils exercent leur liberté de choix, en particulier vis-à-vis des écoles
libres et chrétiennes
(2)
Sous l’impulsion d’Alain Benoist est créé le Groupe de Recherche
et d’Etudes de la Civilisation Européenne, cette nouvelle droite se déclare
favorable à la nationalisation des banques, notamment
(3)
Le dénommé Alain Soral est peut-être un précurseur du
brouillage idéologique dont le FN peut s’emparer (comme il le fait avec la
laïcité) : conjuguant Proudhon et Poujade, il vante les vertus supposées
d’une «société mutualiste de petits
producteurs». Cette utopie réactionnaire peut effectivement séduire ceux
qui rejettent le capitalisme financiarisé et les dégâts qu’il provoque.
Pour en savoir plus
-
«La dérive
fasciste. Doriot, Déat, Bergery». Philippe Burrin – éditions Seuil
-
«Le fascisme en
action» Robert O Paxton, éditions Seuil/Points
Lire également «Les
embrouilles idéologiques de l’extrême droite» d’Evelyne Pieiller - le Monde Diplomatique octobre 2013