Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 27 octobre 2013

Le FN. Parti d’extrême droite ou parti fasciste ?

La frayeur apparente des partis dominants face à la montée probable du FN, lors des prochaines échéances électorales, a fait resurgir le débat sur la nature de cette formation politique. La fille Le Pen dans son entreprise de dédiabolisation de son organisation a même brandi la menace de diffamation vis-à-vis de ceux qui oseraient prétendre que le FN est d’extrême droite. Ce que de nombreux commentateurs ont noté, sans l’expliciter, c’est la distanciation qui s’est opérée entre le père et la fille. Derrière ce qui est parfois pressenti comme un conflit de génération, ou mieux, une adaptation du FN à la conjoncture présente, se profile une mutation bien plus dangereuse que les vociférations du père Le Pen.
A première lecture, rien de comparable entre l’Aube Dorée grecque se réclamant ouvertement du nazisme et la formation d’extrême droite française. Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie le fascisme. L’article qui suit, partant des caractéristiques du fascisme, a pour vocation de lancer le débat sur l’origine et la mutation de cette formation et sa dangerosité actuelle.

Les caractéristiques d’un parti fasciste.

C’est d’abord une formation politique qui ne peut se développer que sur la base d’une profonde crise du système capitaliste pour tenter de la surmonter. Il doit posséder, lors de son ascension, l’appui notamment financier d’une fraction de la classe dominante voulant éviter les affres d’une révolution sociale qui se profile. Il ne prospère que dans une conjoncture de polarisation sociale, d’un climat anxiogène qu’il entretient. Pour parvenir à cultiver à son profit les angoisses des déclassés, il faut qu’il dispose d’un programme adapté afin de conquérir une base sociale (et électorale) justifiant son arrivée aux affaires. Il semble qu’au moins cinq caractéristiques principales définissent une telle formation.

1 – Un programme social et national attirant les déclassés qui ne supportent plus les effets concrets de la crise économique dans ses différents aspects : paupérisation, insécurité sociale, peur des autres et du lendemain, besoin d’ordre vis-à-vis d’une lutte des classes qui s’exacerbe et du développement d’une délinquance qui fructifie sur ce terreau de délitement généralisé.

2 – Ce programme social et national désigne un ennemi, l’étranger hors et au sein des frontières. La supériorité des nationaux est proclamée à la fois contre le capitalisme cosmopolite (la banque juive hier, les pétromonarchies musulmanes aujourd’hui ?) et contre l’ennemi intérieur (judéo-bolchéviks hier, musulmans aujourd’hui). Le fascisme est toujours impérialiste : surmonter la crise économique qui affecte le système capitaliste induit toujours la conquête de nouveaux marchés et donc une guerre de conquête (l’Ethiopie pour l’Italie, conserver les conquêtes coloniales pour le régime franquiste et ce, sans parler du nazisme).

3 – Le programme «national» inclut la négation des oppositions de classes. Il s’agit de rassembler dans des corporations le travail et le capital. Cette collaboration de classes institutionnalisée passe par la destruction des organisations syndicales et des partis prônant la lutte des classes ou, pour le moins, défendant les intérêts des classes ouvrières et populaires contre la rapacité du capital. Les formations politiques du parlementarisme doivent être absorbées, marginalisées, voire liquidées.

4 – Ce programme ne peut que provoquer une vive hostilité sur fond de lutte de classes exacerbée par la crise, d’autant que le parti fasciste entend s’imposer par le combat plus que par le débat. Les arguties qu’il profère, irrationnelles, démagogiques et mensongères en sont la préfiguration. Il doit donc disposer, au moment opportun de milices pour imposer l’ordre national, la fin des controverses en dominant les autres partis et organisations. La terreur, d’abord dirigée contre les étrangers, doit s’exercer ensuite contre tous ceux qui s’opposent à la loi d’airain du parti fasciste.

5 – L’ordre, la discipline, le ralliement des déclassés et autres lumpen-prolétaires  doivent s’incarner dans un leader charismatique, symbole d’une autorité et d’une hiérarchie prétendument naturelles.


Le FN du père Le Pen

Le FN, sous la houlette du père Le Pen, a réussi la gageure de rassembler les débris pétainistes, fascistes et collabos. Mais, il a su s’adapter à la période des Trente Glorieuses afin de capitaliser sur les déclassés de la fin de la période coloniale et du capitalisme fordiste suscitant le développement des grandes surfaces. C’est en effet Poujade qui a propulsé Le Pen sur la scène électorale, c’est Nicoud de la défense du petit commerce qui flirte avec lui et ce sont les petits colons chassés d’Algérie qui constituent sa première base électorale.

Ainsi, la fin de la période coloniale lui permet de rassembler les débris de l’OAS, des pieds noirs ainsi que les petits commerçants et petits patrons sur fond de nostalgie d’un monde perdu. Le programme du FN, première mouture, est donc libéral et national tout en défendant la petite boutique. Il est à la fois antisémite et anti arabe. Le vieux fond pétainiste se conjugue avec le racisme colonialiste pour encenser un passé imaginaire : la France éternelle et glorieuse, de Jeanne d’Arc aux Poilus de 14-18, tous ces «Français d’abord» qui se sentent rejetés.

Ce parti de petits déclassés prône la liberté de choix de l’école(1), flatte les nostalgiques de l’Eglise d’antan, tout comme les païens. «Culturellement », ce sont les valeurs de droite-extrême qui prévalent : autorité, famille, souveraineté nationale, hiérarchie naturelle, culte des morts pour la France éternelle, croyance dans un peuple sain qui ne doit pas être perverti par l’étranger et les doctrines de luttes de classes. L’anticommunisme demeure une valeur transversale, du moins jusqu’à l’effondrement de l’URSS et l’affaiblissement du PC qui s’en est suivi.

Cette formation d’extrême droite marginale a joué un rôle protestataire. Instrumentalisée par les Mitterrandiens, sa fonction tribunicienne des déclassés des Trente Glorieuses s’est transformée en organisation gênant la droite acquise au libéralisme économique. Sous la pression « d’intellectuels » regroupés au sein du GRECE (2), le FN va évoluer. La mondialisation financière, le rôle joué par l’Europe de Bruxelles, la nécessité de conquérir les esprits sur une base mieux adaptée à l’évolution du monde,  provoquent d’abord des soubresauts au sein de cette organisation pyramidale où le chef ne saurait être contesté. C’est l’épisode de la bande à Mégret qui tente de faire prévaloir une autre stratégie que reprend désormais la fille Le Pen.

La Marine ou la mutation du FN

Pour la fille Le Pen, il s’agit avant tout de se débarrasser superficiellement des oripeaux pétainistes et des saillies antisémites d’un autre âge. Cette dédiabolisation renvoie à la négation de ce que fut le FN des 30 Glorieuses. De marginal, protestataire, le Rassemblement bleu marine veut désormais conquérir des positions de pouvoir afin de se présenter comme la seule alternative à la mondialisation néolibérale.

D’où l’adaptation d’un programme social-national s’adressant aux victimes de la domination de l’oligarchie transnationale, ces riches cosmopolites que le FN identifie à la fois aux sionistes juifs et aux pétromonarchies. Il avance à pas comptés sur ce terrain d’un prétendu complot mondial contre la Franche blanche qu’il faudrait sauver. L’abandon de l’euro, la sortie de l’Union Européenne n’ont pas d’autre sens. En surfant sur les régressions sociales, sur le sentiment d’apparente impuissance des partis de gouvernement (l’UMPS) face aux lois européennes qu’ils promeuvent, le FN entend élargir sa base sociale. Ce n’est plus seulement la petite bourgeoisie déclassée qu’il prétend rallier mais également les prolétaires français abandonnés, et ce, en «instrumentalisant les tensions ethno-confessionnelles». Le projet lepéniste vise à rassembler petite bourgeoisie déclassée, prolétariat en déshérence et petits patrons pris à la gorge. Cette unité, à l’opposé de l’anticapitalisme, ne revendique nullement la socialisation des moyens de production et d’échange et appuie encore moins les mouvements sociaux. L’unité nationale du capital et du travail doit se construire contre l’étranger, voilà l’ennemi (3).

La xénophobie du FN, fonds de commerce des partis d’extrême droite, revêt désormais de nouveaux habits mieux adaptés à la période. La laïcité est, à cet égard, manipulée contre l’islam, ces «arabes», ces «délinquants» qui nous «envahiraient tout en pervertissant la France blanche, judéo-chrétienne». Le Rassemblement bleu marine se veut le seul parti national et républicain capable d’assurer l’ordre et la sécurité. Est-il pour autant fasciste ou fascisant ? Pas encore ! Il lui manque les instruments institutionnels, un front du travail de collaboration de classes, et des milices.

S’agissant du corporatisme à mettre en œuvre à l’instar de ce qu’avait tenté Mégret en direction des syndicats, la fille Le Pen, en catimini, compte bien remettre à l’ordre du jour ce projet. Ainsi, a-t-on vu apparaître le «Collectif Racine», ce «groupe d’enseignants amoureux de l’école et déplorant son déclin» et les dirigeants de l’UNSA de déplorer l’entrisme du FN dans les rangs de ce syndicat. Ces tentatives restent marginales mais…

De même, il serait incongru de parler des milices du FN alors même que la fille Le Pen entend se démarquer des identitaires et autres groupes violents. Mais, la réserve est là, dans les marges et les liens continuent à être entretenus tout en évitant les dérapages qui pourraient nuire à la stratégie de conquête électorale et de respectabilité qu’entend conduire pour l’heure l’état-major du FN. 

La stratégie de conquête du FN

Désormais, le FN entend traduire ses scores électoraux en positions de pouvoir au sein des collectivités territoriales d’abord, pour ensuite apparaître comme le premier parti de France. Son handicap, qu’il compte résorber, c’est, outre sa faible implantation militante, son manque de cadres qu’il a perdus suite à l’expulsion des mégrétistes.

La conjoncture lui est favorable du fait même de l’absence d’un véritable front de transformation sociale ayant fait définitivement son deuil du parti solférinien. Toute compromission avec lui est immédiatement ressentie comme une trahison par ceux-là mêmes qui sont les victimes des politiques austéritaires mises en œuvre par le gouvernement. Autrement dit, il suffit au FN de surfer sur la colère sourde faite d’impuissance et de rejet des partis dominants pour engranger de notables scores électoraux. Chômage, sentiment d’abandon, désespérance sociale conduisent à l’abstention, c’est cet électorat populaire déclassé que vise la fille Le Pen tout en instillant la haine de l’étranger. La récente diatribe de Valls vis-à-vis des Roms (européens !) en affirmant «qu’ils sont inassimilables par essence et qu’ils n’ont donc pas vocation à rester sur le territoire français» est à cent lieues de l’impact haineux de la vocifération de la Le Pen, de «ces maffias ambulantes», «ces poubelles roulantes qui font vivre aux Français un véritable enfer». Valls est une pâle copie qui ne peut convaincre les racistes tout en se situant sur leur terrain. Qui plus est, en conjuguant cette posture identitaire (qu’adopte également l’UMP) à une générosité bonhomme, le parti solférinien brouille son image de parti bobo et s’attire de véhémentes critiques moralisatrices de ses cohortes favorables au multiculturalisme et à l’intégration dite républicaine tel le Réseau Education Sans Frontières (RESF), pour ne prendre que cet exemple.

Reste à franchir l’obstacle institutionnel, ce scrutin uninominal à deux tours, instrument obligeant les partis minoritaires à faire alliance à « droite » comme à «gauche» avec les formations dominantes. S’il parvient à imposer des triangulaires dans les villes ou à s’infiltrer dans des listes «apolitiques» dans les petites communes, tout en comptant sur une abstention importante, le FN peut effectivement conquérir des fiefs électoraux. De même, il pourrait bien réussir lors des européennes à apparaître comme le premier parti de France.

En l’absence de luttes de classes anticapitalistes unissant les ouvriers, les précaires, les sans emploi, et ce, quelle que soit leur nationalité d’origine, la stigmatisation des abstentionnistes ne peut qu’être improductive. Pis, elle envoie un message de mépris vis-à-vis de ceux qui, tout en rejetant les partis dominants ou n’étant nullement convaincus par le Front de Gauche, ont bien compris qu’ils n’ont rien à attendre de ceux qui ont enterré le NON au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen. Cette stigmatisation suppose que les classes ouvrières et populaires ainsi que les classes moyennes qui se paupérisent ne comprennent nullement les raisons qui conduisent à la casse des services publics, à la désindustrialisation et aux politiques d’austérité mises en œuvre. De même supposer que le «peuple» qui rejette l’augmentation des impôts et taxes n’aurait rien compris à la nécessaire redistribution des richesses qu’elle implique, c’est oublier que les «riches» en sont pratiquement exemptés et que sa finalité présente ne sert qu’à  réduire la dette de l’Etat et, par conséquent, à payer rubis sur l’ongle les créanciers.

Le développement du FN, son activisme électoral et médiatique sont à la mesure de l’impuissance de la gauche de transformation sociale, de son manque de radicalité et d’unité. Son réveil est bloqué, pour l’heure, par ses divisions et l’opportunisme du PC, englué qu’il est dans ses «rêves» de gauche plus rien pour la conservation de quelques strapontins et ce qui reste de son appareil. Il n’en demeure pas moins, qu’affectés dans leur corps par les licenciements, la perte de pouvoir d’achat, la désespérance, des pans entiers des couches populaires en viendront à réinvestir la rue et les usines pour que change la donne. C’est ce que l’on peut souhaiter de mieux pour éclairer le sombre horizon.

Gérard Deneux, le 25 octobre 2013

(1)    Il revendique, pour les nationaux, un chèque éducation afin qu’ils exercent leur liberté de choix, en particulier vis-à-vis des écoles libres et chrétiennes
(2)    Sous l’impulsion d’Alain Benoist est créé le Groupe de Recherche et d’Etudes de la Civilisation Européenne, cette nouvelle droite se déclare favorable à la nationalisation des banques, notamment
(3)    Le dénommé Alain Soral est peut-être un précurseur du brouillage idéologique dont le FN peut s’emparer (comme il le fait avec la laïcité) : conjuguant Proudhon et Poujade, il vante les vertus supposées d’une «société mutualiste de petits producteurs». Cette utopie réactionnaire peut effectivement séduire ceux qui rejettent le capitalisme financiarisé et les dégâts qu’il provoque.


Pour en savoir plus
-          «La dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery». Philippe Burrin – éditions Seuil
-          «Le fascisme en action» Robert O Paxton, éditions Seuil/Points

Lire également «Les embrouilles idéologiques de l’extrême droite» d’Evelyne Pieiller - le Monde Diplomatique octobre 2013