Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 27 octobre 2013

Le Collectif « Syrie » du Territoire de Belfort (Amis de l’émancipation Sociale, AFPS, CGT, FASE, PG, PC) et les Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté
 vous invitent à une soirée de solidarité avec les Syriens, autour d’un débat sur le thème


Syrie.
Du soulèvement populaire pour la démocratie à la guerre civile.
en présence de
Samir Aïta
 Membre du Forum Démocratique syrien et de l’association Démocratie et Entraide en Syrie




  Jeudi 7 novembre 2013

20h30 à BELFORT Maison du peuple (salle 327) - entrée libre et gratuite





Le 6 mars 2011, une vingtaine d’adolescents sont raflés puis torturés pour avoir écrit sur les murs de Deraa le slogan de la révolution arabe « Le peuple veut renverser le régime ». Ainsi commençait, il y a 32 mois, la révolution du peuple syrien contre le régime Assad, par des manifestations pacifiques  pour la démocratie. Face à ce soulèvement populaire, le régime Assad tue, torture, réprime atrocement et pousse le peuple à se défendre par les armes. Il s’appuie sur ses tanks, son aviation, ses milices et ses armes chimiques mais aussi sur l’aide notamment de la Russie, de l’Iran.  La Syrie devient la proie de multiples appétits régionaux et internationaux, d’un côté, les monarchies du golfe et la Turquie soutiennent des milices djihadistes, de l’autre les puissances occidentales veulent préserver leurs intérêts stratégiques. Où en sont les forces rebelles ? Qui sont les djihadistes mercenaires ? Comment le peuple syrien peut-il sortir de cette tourmente ? Plus que jamais il a besoin de notre solidarité, de notre soutien à son droit inaliénable à l’autodéfense contre la dictature par les moyens qu’il juge nécessaire. Venez en débattre.      


Débat organisé avec le soutien de FSU, LDH 90, NPA, SUD Solidaires
Le FN. Parti d’extrême droite ou parti fasciste ?

La frayeur apparente des partis dominants face à la montée probable du FN, lors des prochaines échéances électorales, a fait resurgir le débat sur la nature de cette formation politique. La fille Le Pen dans son entreprise de dédiabolisation de son organisation a même brandi la menace de diffamation vis-à-vis de ceux qui oseraient prétendre que le FN est d’extrême droite. Ce que de nombreux commentateurs ont noté, sans l’expliciter, c’est la distanciation qui s’est opérée entre le père et la fille. Derrière ce qui est parfois pressenti comme un conflit de génération, ou mieux, une adaptation du FN à la conjoncture présente, se profile une mutation bien plus dangereuse que les vociférations du père Le Pen.
A première lecture, rien de comparable entre l’Aube Dorée grecque se réclamant ouvertement du nazisme et la formation d’extrême droite française. Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie le fascisme. L’article qui suit, partant des caractéristiques du fascisme, a pour vocation de lancer le débat sur l’origine et la mutation de cette formation et sa dangerosité actuelle.

Les caractéristiques d’un parti fasciste.

C’est d’abord une formation politique qui ne peut se développer que sur la base d’une profonde crise du système capitaliste pour tenter de la surmonter. Il doit posséder, lors de son ascension, l’appui notamment financier d’une fraction de la classe dominante voulant éviter les affres d’une révolution sociale qui se profile. Il ne prospère que dans une conjoncture de polarisation sociale, d’un climat anxiogène qu’il entretient. Pour parvenir à cultiver à son profit les angoisses des déclassés, il faut qu’il dispose d’un programme adapté afin de conquérir une base sociale (et électorale) justifiant son arrivée aux affaires. Il semble qu’au moins cinq caractéristiques principales définissent une telle formation.

1 – Un programme social et national attirant les déclassés qui ne supportent plus les effets concrets de la crise économique dans ses différents aspects : paupérisation, insécurité sociale, peur des autres et du lendemain, besoin d’ordre vis-à-vis d’une lutte des classes qui s’exacerbe et du développement d’une délinquance qui fructifie sur ce terreau de délitement généralisé.

2 – Ce programme social et national désigne un ennemi, l’étranger hors et au sein des frontières. La supériorité des nationaux est proclamée à la fois contre le capitalisme cosmopolite (la banque juive hier, les pétromonarchies musulmanes aujourd’hui ?) et contre l’ennemi intérieur (judéo-bolchéviks hier, musulmans aujourd’hui). Le fascisme est toujours impérialiste : surmonter la crise économique qui affecte le système capitaliste induit toujours la conquête de nouveaux marchés et donc une guerre de conquête (l’Ethiopie pour l’Italie, conserver les conquêtes coloniales pour le régime franquiste et ce, sans parler du nazisme).

3 – Le programme «national» inclut la négation des oppositions de classes. Il s’agit de rassembler dans des corporations le travail et le capital. Cette collaboration de classes institutionnalisée passe par la destruction des organisations syndicales et des partis prônant la lutte des classes ou, pour le moins, défendant les intérêts des classes ouvrières et populaires contre la rapacité du capital. Les formations politiques du parlementarisme doivent être absorbées, marginalisées, voire liquidées.

4 – Ce programme ne peut que provoquer une vive hostilité sur fond de lutte de classes exacerbée par la crise, d’autant que le parti fasciste entend s’imposer par le combat plus que par le débat. Les arguties qu’il profère, irrationnelles, démagogiques et mensongères en sont la préfiguration. Il doit donc disposer, au moment opportun de milices pour imposer l’ordre national, la fin des controverses en dominant les autres partis et organisations. La terreur, d’abord dirigée contre les étrangers, doit s’exercer ensuite contre tous ceux qui s’opposent à la loi d’airain du parti fasciste.

5 – L’ordre, la discipline, le ralliement des déclassés et autres lumpen-prolétaires  doivent s’incarner dans un leader charismatique, symbole d’une autorité et d’une hiérarchie prétendument naturelles.


Le FN du père Le Pen

Le FN, sous la houlette du père Le Pen, a réussi la gageure de rassembler les débris pétainistes, fascistes et collabos. Mais, il a su s’adapter à la période des Trente Glorieuses afin de capitaliser sur les déclassés de la fin de la période coloniale et du capitalisme fordiste suscitant le développement des grandes surfaces. C’est en effet Poujade qui a propulsé Le Pen sur la scène électorale, c’est Nicoud de la défense du petit commerce qui flirte avec lui et ce sont les petits colons chassés d’Algérie qui constituent sa première base électorale.

Ainsi, la fin de la période coloniale lui permet de rassembler les débris de l’OAS, des pieds noirs ainsi que les petits commerçants et petits patrons sur fond de nostalgie d’un monde perdu. Le programme du FN, première mouture, est donc libéral et national tout en défendant la petite boutique. Il est à la fois antisémite et anti arabe. Le vieux fond pétainiste se conjugue avec le racisme colonialiste pour encenser un passé imaginaire : la France éternelle et glorieuse, de Jeanne d’Arc aux Poilus de 14-18, tous ces «Français d’abord» qui se sentent rejetés.

Ce parti de petits déclassés prône la liberté de choix de l’école(1), flatte les nostalgiques de l’Eglise d’antan, tout comme les païens. «Culturellement », ce sont les valeurs de droite-extrême qui prévalent : autorité, famille, souveraineté nationale, hiérarchie naturelle, culte des morts pour la France éternelle, croyance dans un peuple sain qui ne doit pas être perverti par l’étranger et les doctrines de luttes de classes. L’anticommunisme demeure une valeur transversale, du moins jusqu’à l’effondrement de l’URSS et l’affaiblissement du PC qui s’en est suivi.

Cette formation d’extrême droite marginale a joué un rôle protestataire. Instrumentalisée par les Mitterrandiens, sa fonction tribunicienne des déclassés des Trente Glorieuses s’est transformée en organisation gênant la droite acquise au libéralisme économique. Sous la pression « d’intellectuels » regroupés au sein du GRECE (2), le FN va évoluer. La mondialisation financière, le rôle joué par l’Europe de Bruxelles, la nécessité de conquérir les esprits sur une base mieux adaptée à l’évolution du monde,  provoquent d’abord des soubresauts au sein de cette organisation pyramidale où le chef ne saurait être contesté. C’est l’épisode de la bande à Mégret qui tente de faire prévaloir une autre stratégie que reprend désormais la fille Le Pen.

La Marine ou la mutation du FN

Pour la fille Le Pen, il s’agit avant tout de se débarrasser superficiellement des oripeaux pétainistes et des saillies antisémites d’un autre âge. Cette dédiabolisation renvoie à la négation de ce que fut le FN des 30 Glorieuses. De marginal, protestataire, le Rassemblement bleu marine veut désormais conquérir des positions de pouvoir afin de se présenter comme la seule alternative à la mondialisation néolibérale.

D’où l’adaptation d’un programme social-national s’adressant aux victimes de la domination de l’oligarchie transnationale, ces riches cosmopolites que le FN identifie à la fois aux sionistes juifs et aux pétromonarchies. Il avance à pas comptés sur ce terrain d’un prétendu complot mondial contre la Franche blanche qu’il faudrait sauver. L’abandon de l’euro, la sortie de l’Union Européenne n’ont pas d’autre sens. En surfant sur les régressions sociales, sur le sentiment d’apparente impuissance des partis de gouvernement (l’UMPS) face aux lois européennes qu’ils promeuvent, le FN entend élargir sa base sociale. Ce n’est plus seulement la petite bourgeoisie déclassée qu’il prétend rallier mais également les prolétaires français abandonnés, et ce, en «instrumentalisant les tensions ethno-confessionnelles». Le projet lepéniste vise à rassembler petite bourgeoisie déclassée, prolétariat en déshérence et petits patrons pris à la gorge. Cette unité, à l’opposé de l’anticapitalisme, ne revendique nullement la socialisation des moyens de production et d’échange et appuie encore moins les mouvements sociaux. L’unité nationale du capital et du travail doit se construire contre l’étranger, voilà l’ennemi (3).

La xénophobie du FN, fonds de commerce des partis d’extrême droite, revêt désormais de nouveaux habits mieux adaptés à la période. La laïcité est, à cet égard, manipulée contre l’islam, ces «arabes», ces «délinquants» qui nous «envahiraient tout en pervertissant la France blanche, judéo-chrétienne». Le Rassemblement bleu marine se veut le seul parti national et républicain capable d’assurer l’ordre et la sécurité. Est-il pour autant fasciste ou fascisant ? Pas encore ! Il lui manque les instruments institutionnels, un front du travail de collaboration de classes, et des milices.

S’agissant du corporatisme à mettre en œuvre à l’instar de ce qu’avait tenté Mégret en direction des syndicats, la fille Le Pen, en catimini, compte bien remettre à l’ordre du jour ce projet. Ainsi, a-t-on vu apparaître le «Collectif Racine», ce «groupe d’enseignants amoureux de l’école et déplorant son déclin» et les dirigeants de l’UNSA de déplorer l’entrisme du FN dans les rangs de ce syndicat. Ces tentatives restent marginales mais…

De même, il serait incongru de parler des milices du FN alors même que la fille Le Pen entend se démarquer des identitaires et autres groupes violents. Mais, la réserve est là, dans les marges et les liens continuent à être entretenus tout en évitant les dérapages qui pourraient nuire à la stratégie de conquête électorale et de respectabilité qu’entend conduire pour l’heure l’état-major du FN. 

La stratégie de conquête du FN

Désormais, le FN entend traduire ses scores électoraux en positions de pouvoir au sein des collectivités territoriales d’abord, pour ensuite apparaître comme le premier parti de France. Son handicap, qu’il compte résorber, c’est, outre sa faible implantation militante, son manque de cadres qu’il a perdus suite à l’expulsion des mégrétistes.

La conjoncture lui est favorable du fait même de l’absence d’un véritable front de transformation sociale ayant fait définitivement son deuil du parti solférinien. Toute compromission avec lui est immédiatement ressentie comme une trahison par ceux-là mêmes qui sont les victimes des politiques austéritaires mises en œuvre par le gouvernement. Autrement dit, il suffit au FN de surfer sur la colère sourde faite d’impuissance et de rejet des partis dominants pour engranger de notables scores électoraux. Chômage, sentiment d’abandon, désespérance sociale conduisent à l’abstention, c’est cet électorat populaire déclassé que vise la fille Le Pen tout en instillant la haine de l’étranger. La récente diatribe de Valls vis-à-vis des Roms (européens !) en affirmant «qu’ils sont inassimilables par essence et qu’ils n’ont donc pas vocation à rester sur le territoire français» est à cent lieues de l’impact haineux de la vocifération de la Le Pen, de «ces maffias ambulantes», «ces poubelles roulantes qui font vivre aux Français un véritable enfer». Valls est une pâle copie qui ne peut convaincre les racistes tout en se situant sur leur terrain. Qui plus est, en conjuguant cette posture identitaire (qu’adopte également l’UMP) à une générosité bonhomme, le parti solférinien brouille son image de parti bobo et s’attire de véhémentes critiques moralisatrices de ses cohortes favorables au multiculturalisme et à l’intégration dite républicaine tel le Réseau Education Sans Frontières (RESF), pour ne prendre que cet exemple.

Reste à franchir l’obstacle institutionnel, ce scrutin uninominal à deux tours, instrument obligeant les partis minoritaires à faire alliance à « droite » comme à «gauche» avec les formations dominantes. S’il parvient à imposer des triangulaires dans les villes ou à s’infiltrer dans des listes «apolitiques» dans les petites communes, tout en comptant sur une abstention importante, le FN peut effectivement conquérir des fiefs électoraux. De même, il pourrait bien réussir lors des européennes à apparaître comme le premier parti de France.

En l’absence de luttes de classes anticapitalistes unissant les ouvriers, les précaires, les sans emploi, et ce, quelle que soit leur nationalité d’origine, la stigmatisation des abstentionnistes ne peut qu’être improductive. Pis, elle envoie un message de mépris vis-à-vis de ceux qui, tout en rejetant les partis dominants ou n’étant nullement convaincus par le Front de Gauche, ont bien compris qu’ils n’ont rien à attendre de ceux qui ont enterré le NON au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen. Cette stigmatisation suppose que les classes ouvrières et populaires ainsi que les classes moyennes qui se paupérisent ne comprennent nullement les raisons qui conduisent à la casse des services publics, à la désindustrialisation et aux politiques d’austérité mises en œuvre. De même supposer que le «peuple» qui rejette l’augmentation des impôts et taxes n’aurait rien compris à la nécessaire redistribution des richesses qu’elle implique, c’est oublier que les «riches» en sont pratiquement exemptés et que sa finalité présente ne sert qu’à  réduire la dette de l’Etat et, par conséquent, à payer rubis sur l’ongle les créanciers.

Le développement du FN, son activisme électoral et médiatique sont à la mesure de l’impuissance de la gauche de transformation sociale, de son manque de radicalité et d’unité. Son réveil est bloqué, pour l’heure, par ses divisions et l’opportunisme du PC, englué qu’il est dans ses «rêves» de gauche plus rien pour la conservation de quelques strapontins et ce qui reste de son appareil. Il n’en demeure pas moins, qu’affectés dans leur corps par les licenciements, la perte de pouvoir d’achat, la désespérance, des pans entiers des couches populaires en viendront à réinvestir la rue et les usines pour que change la donne. C’est ce que l’on peut souhaiter de mieux pour éclairer le sombre horizon.

Gérard Deneux, le 25 octobre 2013

(1)    Il revendique, pour les nationaux, un chèque éducation afin qu’ils exercent leur liberté de choix, en particulier vis-à-vis des écoles libres et chrétiennes
(2)    Sous l’impulsion d’Alain Benoist est créé le Groupe de Recherche et d’Etudes de la Civilisation Européenne, cette nouvelle droite se déclare favorable à la nationalisation des banques, notamment
(3)    Le dénommé Alain Soral est peut-être un précurseur du brouillage idéologique dont le FN peut s’emparer (comme il le fait avec la laïcité) : conjuguant Proudhon et Poujade, il vante les vertus supposées d’une «société mutualiste de petits producteurs». Cette utopie réactionnaire peut effectivement séduire ceux qui rejettent le capitalisme financiarisé et les dégâts qu’il provoque.


Pour en savoir plus
-          «La dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery». Philippe Burrin – éditions Seuil
-          «Le fascisme en action» Robert O Paxton, éditions Seuil/Points

Lire également «Les embrouilles idéologiques de l’extrême droite» d’Evelyne Pieiller - le Monde Diplomatique octobre 2013 

mardi 22 octobre 2013

Qatar. Le mondial et le tombeau des prolétaires du désert

Publié par Alencontre1 le 21 - octobre - 2013
Les parents d'un travailleur décédé d'une crise cardiaque sur un   chantier du Qatar montre sa photo: il venait de Malaisie et il avait 20 ans.
Les parents d’un travailleur décédé d’une crise cardiaque sur un chantier du Qatar montre sa photo: il venait de Malaisie et il avait 20 ans.
Par Benjamin Barthe
Ses anciens compagnons de chambrée ne se souviennent plus de son nom de famille. Tout juste se rappellent-ils qu’il se prénommait Perumal, qu’il avait la quarantaine et qu’il venait du sud de l’Inde. L’homme avait débarqué au mois de juin dans la pièce insalubre qui leur sert de dortoir, à Al-Khor, une localité du Qatar, balayée par le vent du désert. Tout l’été, il avait trimé à leurs côtés, onze heures par jour et six jours par semaine, sur l’un des chantiers qui prolifèrent dans cet émirat depuis qu’il s’est vu confier l’organisation de la Coupe du monde 2022. «Notre employeur avait refusé de nous accorder la pause qui est prévue par la loi entre 11 h 30 et 15 heures, durant les deux mois les plus chauds de l’année», où la température peut monter jusqu’à 50 °C, témoigne un ex-collègue.
L’aurait-il voulu, le charpentier du Kerala [Etat très peuplé de l’Inde, au sud-ouest] n’aurait pas pu changer d’emploi ou rentrer chez lui. Pilier de la vie économique du Qatar, le pays doté du PIB par habitant le plus élevé au monde (110’000 dollars par an), la règle du sponsor (kafala en arabe) interdit à tous les employés étrangers, y compris les Occidentaux, de rompre leur contrat sans l’aval d’un tuteur qui est souvent leur patron. En dépit de ces contraintes, qui confinent au travail forcé, Perumal se cramponnait aux rêves ordinaires des petites mains de la péninsule Arabique: faire vivre la famille restée au pays, revenir dans trois ou quatre ans avec un pécule suffisant pour marier une fille ou construire une maison.
Mais un jour de la mi-septembre 2013, de retour du travail, ses camarades l’ont découvert prostré sur son lit, le corps roide. «Il s’était plaint de fièvre le matin et il avait renoncé à prendre le bus, raconte le chauffeur, responsable du transport des ouvriers jusqu’au site de construction. Je l’ai emmené à l’hôpital où on lui a administré un cachet, puis je l’ai ramené au camp et je suis reparti. Quand nous sommes revenus le soiril était mort, foudroyé par une crise cardiaque. Une ambulance est venue le chercher et nous n’avons plus entendu parler de lui.»
Une mort presque anonyme, presque anodine. Chaque année, les travailleurs originaires d’Asie du Sud-Est, qui constituent 80% des 2 millions d’habitants du Qatar, sont plusieurs centaines à le quitter dans un cercueil. Ils finissent leur vie dans le pays où ils croyaient en commencer une nouvelle, fauchés dans la force de l’âge par des conditions de travail harassantes. Les experts de la Confédération syndicale internationale (CSI), venus au début du mois à Doha, dans la foulée d’une enquête du quotidien britannique The Guardian présentant le Qatar comme un Etat esclavagiste, ont fait leurs calculs. (Voir à ce propos, sur ce site, les articles publiés en date du 29 septembre 2013 et du 11 octobre 2013)
En supposant que le taux de mortalité ne faiblira pas d’ici à 2022 et en tenant compte des 1,5 million de travailleurs attendus en renfort dans le pays, ils ont conclu qu’au moins 4000 immigrés paieront de leur vie le Mondial de foot qatari. «Davantage d’ouvriers périront durant la construction des infrastructures que de joueurs ne fouleront les terrains» a prédit Sharan Burrow, la secrétaire générale de la CSI.
La construction des neuf mégastades de la Coupe du monde n’a pas encore commencé. Mais la forêt de grues plantées dans les rues de Doha prépare déjà ce rendez-vous planétaire. Une ligne de métro est en travaux, ainsi que trois gigantesques quartiers d’habitations : Msheireb, qui pousse sur les ruines du vieux centre; Lusail, prévu en périphérie de la capitale, et The Pearl, une marina cinq étoiles où se presse le gratin de la presqu’île. Un nouvel aéroport devrait aussi entrer en service dans les prochains mois, qui promet de rivaliser avec celui de Dubaï, l’un des hubs les plus fréquentés au monde.
Réputation oblige, les géants du BTP (Bâtiment et Travaux Publics) chargés de ces mégaprojets exhibent leur souci du bien-être au travail. Impossible de pénétrer sans un casque, un gilet fluorescent et des chaussures de chantier sur le site de Msheireb, une ville dans la ville, où près de 13’000 ouvriers s’activent. La délégation de la CSI qui l’a inspecté n’y a d’ailleurs relevé aucune violation flagrante des règles de sécurité. A leurs visiteurs étrangers, les managers de ces multinationales, telle la française Vinci construction, l’australienne Brookfield ou l’américaine CH2M Hill, vantent leurs «millions d’heures travaillées sans le moindre accident». Ils ouvrent les portes de campements modèles, où tout est fait pour divertir le col bleu de retour du turbin: matchs de foot, parties de billard, concours de body-building, soirées karaoké… «Un employé heureux est un employé productif», clame le slogan de l’un de ces camps, qui dispose même d’un psy, pour soigner le manœuvre ou le contremaître «qui a le mal du pays».
Mais dès que l’on descend la chaîne de sous-traitance qui forme le tissu économique qatari, les abus apparaissent. Salaheddin, un quinquagénaire indien qui travaille comme carreleur sur le chantier de The Pearl, le sait mieux que quiconque. Après cinq mois dans le pays, la PME indienne avec laquelle il est sous contrat ne lui a toujours pas délivré de permis de résidence. «Sans ce document, il est impossible d’expédier de l’argent à l’étranger et de se faire soigner dans un hôpital public, explique-t-il, dans la turne de 15 m2 qu’il occupe avec sept autres compatriotes. Tous les mois, la compagnie nous envoie à Dubaï pour renouveler notre visa. C’est illégal. On risque de se faire arrêter à tout moment par la police.» Comme l’immense majorité des employeurs au Qatar, son entreprise viole la loi, qui impose un maximum de quatre ouvriers par chambre et interdit les lits superposés. «Elle nous a forcés à acheter nos matelas et ne nous fournit même pas l’eau courante, soupire Salaheddin. Un jour que l’on se plaignait, notre patron nous a suggéré de boire l’eau des toilettes.»
Une cascade d’humiliations pour une paie misérable en fin de mois : 900 riyals (180 euros) de base et au maximum 1200 riyals (243 euros) avec les heures supplémentaires. …Ce sont des pratiques malheureusement classiques, dit Rajiv Sharma, un syndicaliste indien, membre de l’équipe de la CSI. J’ai rencontré des ouvriers qui s’entassaient à dix dans une même chambre, d’autres qui avaient signé un contrat avec un salaire de 200 riyals et qui ne touchaient même pas cette somme. Mis à part le système de la kafala, le code du travail est correct. Le problème vient de sa mise en application. Le nombre insuffisant d’inspecteurs et la lenteur de la justice encouragent toutes les violations.»
Même inertie vis-à-vis des morts au travail. Le gouvernement, qui ne tient aucune comptabilité officielle, tend à minimiser le problème. Mais les chiffres fournis par les ambassades font frémir. Celle de l’Inde, qui représente la communauté immigrée la plus importante du Qatar, a dénombré 237 morts en 2012. Pour les neuf premiers mois de 2013, le compteur des décès marquait 159, avec un pic à 27 pour le mois d’août. Chez les Népalais, le deuxième plus gros contingent immigré (400’000 ressortissants) et le plus représenté dans le secteur de la construction, le bilan n’est pas moins macabre : 200 morts chaque année, selon une source très bien informée, qui a requis l’anonymat. «Les accidents cardio-vasculaires constituent 50 % à 60 % des cas, suivis par les accidents de la route et les accidents du travail qui représentent environ 15 % des cas», détaille cet informateur.
En l’absence d’autopsie, il est impossible d’affirmer que tous les cas de défaillance cardiaque – ou du moins les morts classés comme tels – sont le produit de la vie de forçat que mènent les ouvriers du BTP. La consommation d’alcool, endémique dans ce milieu, peut jouer aussi un rôle. Mais les bons connaisseurs du sujet s’accordent à penser qu’une grande partie de ces ouvriers succombent à un mélange d’épuisement, d’hyperthermie et de déshydratation, le principal fléau des chantiers. «Comment expliquer que tous les trois jours un Népalais meure d’une crise cardiaque alors que la plupart d’entre eux sont âgés d’une vingtaine d’années?», s’interroge Sagar Nepal, l’un des chefs de cette communauté, sur un ton faussement candide.
Voilà les autorités qataries prises à leur propre jeu. Sur le fond, les conditions de vie et de travail qu’elles réservent à leur main-d’œuvre ne diffèrent guère de celles en vigueur chez leurs voisins. Les cadences infernales, les logements sordides et le garrot de la kafala sont le lot commun des galériens du golfe Arabo-Persique, aussi bien à Doha qu’à Riyad ou à Abou Dhabi. Le cynisme des agences qui les recrutent dans les villages reculés du Népal, de l’Inde, du Bangladesh ou du Sri Lanka, ces négriers modernes qui leur font miroiter un salaire souvent raboté de 30 % à leur atterrissage et qui les obligent à s’endetter pour payer leurs visas et leurs billets, mériterait aussi d’être épinglé. Mais en décrochant la timbale du Mondial, la dynastie Al-Thani s’est placée toute seule sous les projecteurs des médias et des organisations de défense des droits de l’homme.
L’ancien émir, le cheikh Hamad, entendait faire de la grand-messe du ballon rond le point d’orgue de la stratégie d’influence qu’il avait développée ces dix dernières années. Le couronnement d’une politique de rayonnement tous azimuts qui avait fait de cette gazo-monarchie méconnue l’un des acteurs les plus en vue de la scène économique et diplomatique internationale. Mais pour son fils Tamim, parvenu au pouvoir en juin 2013, l’événement est une source permanente de migraines. Comme si le charme qatari avait soudainement cessé d’opérer. L’auteur de ces lignes a d’ailleurs pu mesurer combien cette affaire met les autorités à cran: avec deux autres journalistes, il a payé sa curiosité de quelques heures de prison et d’interrogatoire au parquet de Doha.
Déjà soupçonné d’avoir acheté le vote de la Fédération internationale de football (FIFA), et malmené par les grands argentiers du sport parce que son Mondial, canicule estivale oblige, risque de se jouer pendant l’hiver et de bousculer le calendrier des compétitions internationales, l’émirat est aujourd’hui confronté au scandale le plus retentissant de sa courte histoire. Au nom du dieu Football, le pays le plus riche de la planète risque de devenir le tombeau des prolétaires du désert.

dimanche 20 octobre 2013

Gilbert Achcar
Gilbert Achcar
Entretien avec Gilbert Achcar
Pouvez-vous nous faire part de votre appréciation de l’état actuel du «soulèvement arabe» en général, avant que nous nous attachions plus spécifiquement à la Syrie?
Ce qui se déroule en ce moment est une confirmation de ce que l’on pouvait dire dès le début. C’est-à-dire que ce qui a commencé en Tunisie en décembre 2010 n’était pas un «printemps», comme les médias l’ont appelé, soit une brève période de changement politique au cours duquel un despote ou un autre est renversé, ouvrant la voie à une bonne démocratie parlementaire, et puis c’est tout. Les soulèvements ont été décrits comme une «révolution facebook», soit appartenant à la catégorie des «révolutions colorées» [allusion, entre autres, à la «révolution orange» en Ukraine].
J’ai insisté, pour ma part, dès le début, qu’il s’agissait là d’une représentation erronée de la réalité. Ce qui a commencé à se déployer en 2011 est un long processus révolutionnaire, qui se développera au cours de nombreuses années, si ce n’est des décennies, en particulier si nous prenons en considération l’étendue géographique [des soulèvements].
Ce que s’est déroulé jusqu’ici, de ce point de vue, n’est que le début du processus. Dans certains pays, les «acteurs» du soulèvement sont parvenus à aller au-delà de la phase initiale du renversement des gouvernements existants. C’est le cas en Egypte, en Tunisie et en Libye ; soit les trois pays où les régimes ont été renversés par le soulèvement. Nous pouvons voir que ces pays sont toujours dans une situation de troubles, d’instabilités, ce qui est quelque chose d’habituel au cours de périodes révolutionnaires.
Ceux qui désirent, par impatience, croire que les soulèvements arabes se sont achevés ou sont mort-nés se concentrent sur les victoires initiales des forces islamiques lors des élections en Tunisie et en Egypte. Contre de tels prêcheurs de malheur, j’ai souligné le fait que c’était en fait inévitable dans la mesure où des élections qui se tiennent peu après le renversement de régimes despotiques ne peuvent que refléter l’équilibre des forces organisées qui existaient dans ces pays. J’ai affirmé que, si nous nous penchons sur les racines véritables du processus révolutionnaire, la période au pouvoir des fondamentalistes islamiques ne durerait pas longtemps.
Ce processus révolutionnaire de longue durée est enraciné dans la réalité sociale de la région, laquelle est caractérisée par de nombreuses décennies de développement bloqué: un taux de chômage plus élevé, en particulier un chômage des jeunes, que dans toute autre région dans le monde. Ce sont les véritables causes fondamentales de l’explosion et tant que ces causes ne sont pas traitées, le processus continuera. Tout gouvernement qui n’apporte pas de solutions à ces problèmes de fond échouera.
Il était prévisible que les Frères musulmans échoueraient. Dans mon ouvrage Le peuple veut (Sindbad, Acte Sud) qui a été, bien entendu, écrit avant le renversement de Morsi en Egypte, j’ai affirmé que la Confrérie échouerait inévitablement. J’ai écrit la même chose au sujet d’Ennahda en Tunisie, qui est aujourd’hui confronté à un très important mouvement de protestation qui met l’avenir du gouvernement en question.
Il y a donc un processus en cours dans toute la région, lequel, à l’instar de tout processus révolutionnaire qui s’est déroulé dans l’histoire, connaît ses hauts et ses bas, ses périodes d’avancées et ses périodes de reculs – et, parfois, des moments ambigus.
Manifestation du 30 juin 2013 au Caire
Manifestation du 30 juin 2013 au Caire
L’épisode le plus ambigu dans l’ensemble de ce processus jusqu’ici est l’expérience récente en Egypte, où nous avons vu une immense mobilisation de masse contre Morsi le 30 juin. Cette dernière était une expérience très avancée en termes de démocratie d’un mouvement de masse qui réclamait la révocation d’un président élu qui avait trahi les promesses qu’il avait faites au peuple. Mais, dans le même temps – et c’est là que gît, évidemment, l’ambiguïté –, il y a eu ce coup militaire et les illusions largement répandues, y compris parmi les segments dominants de la gauche dans son sens large et parmi les libéraux, que l’armée pourrait jouer un rôle progressiste.
Comment votre analyse de la Syrie aujourd’hui s’insère-t-elle dans le cadre d’ensemble de ce qui se déroule dans la région?
Il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que ce qui a débuté en Syrie en 2011 fait partie du même processus révolutionnaire qui s’est déroulé dans les autres pays. Cela fait partie du même phénomène et il a été provoqué par les mêmes causes fondamentales: celles d’un développement bloqué, du chômage et en particulier du chômage des jeunes.
La Syrie ne fait définitivement pas exception. En réalité, c’est l’un des cas où la crise sociale et économique dans la région est la plus profonde. Cela est le résultat de politiques néolibérales mis en œuvre par les Assad, père et fils, mais en particulier le fils (Bachar) dans la mesure où il a accédé au pouvoir il y a 13 ans, après le décès de son père (Hafez).
La Syrie est un pays qui a connu une paupérisation massive au cours de la dernière décennie, en particulier dans les zones rurales; le niveau de pauvreté a augmenté et atteint un tel niveau que près d’un tiers de la population se trouvait en dessous de la ligne officielle de pauvreté, avec un chômage en croissance. A la veille du soulèvement, les chiffres officiels (sous-estimant le taux effectif) du chômage s’élevaient à 15% pour l’ensemble de la population et de plus d’un tiers pour les jeunes âgés de 15 à 24 ans.
Tout cela se déroulait sur un arrière-plan d’inégalités sociales gigantesques, d’un régime très corrompu où le cousin (Rami Makhlouf) de Bachar el-Assad,  est devenu l’homme le plus riche du pays, contrôlant, ainsi qu’il est largement admis, plus de la moitié de l’économie. Et ce n’est qu’un membre du clan dominant dont tous les autres encaissaient d’immenses bénéfices matériels. Le clan fonctionne comme une véritable mafia et dirige le pays depuis plusieurs décennies.
Tout cela fait partie des racines profondes de l’explosion, ce qui se conjugue avec le fait que le régime syrien est l’un des plus despotiques de la région. En comparaison avec la Syrie d’Assad, l’Egypte de Moubarak était un phare de démocratie et de liberté politique!
Ce n’était donc pas une surprise qu’après la Tunisie et l’Egypte, la Libye, le Yémen, etc., la Syrie a aussi rejoint le mouvement. Ce n’était également pas une surprise, pour ceux qui, comme moi, étaient familiers avec la nature du régime syrien, que le mouvement ne pouvait réaliser ce qu’il avait atteint en Tunisie et en Egypte au moyen de manifestations de masse.
Ce qui est particulier à ce régime réside dans le fait que le père d’Assad [Hafez] a remodelé et reconstruit l’appareil d’Etat, en particulier son noyau dur – les forces armées – afin de créer une garde prétorienne à son service. L’armée, en particulier les forces d’élite, est liée au régime lui-même de différentes façons, spécialement au travers de l’utilisation du confessionnalisme. Même les personnes qui n’avaient jamais entendu parler de la Syrie jusqu’ici savent que le régime est basé sur une minorité du pays: les Alaouites, qui représentent environ 10% de la population.
Avec une armée qui est complètement loyale au régime, toute illusion (et il y a eu beaucoup d’illusions dans le mouvement au début) que le régime pourrait être renversé simplement au moyen de manifestations de masse était erronée. Il était, d’une certaine manière, inévitable que l’insurrection se transformerait en une guerre civile; parce qu’il n’est pas possible de renverser un régime de cette espèce sans une guerre civile.
Dans l’histoire des révolutions, les révolutions pacifiques sont en fait l’exception et non la règle. La plupart des révolutions, si elles n’ont pas commencé par une guerre civile, comme c’était le cas de la révolution chinoise, aboutissent très rapidement à des guerres civiles, comme la révolution française, la russe, etc.
Cela dit, le régime syrien n’est qu’une des contre-révolutions auquel est confronté le soulèvement syrien, bien que cela soit de loin la plus mortelle. Une deuxième contre-révolution est celle des monarchies du Golfe, le principal bastion de la réaction dans toute la région. Ces monarchies ont réagi aux soulèvements arabes de la seule manière qu’il pouvait, eu égard en particulier au fait que leur parrain, l’impérialisme états-unien, n’était pas en position d’intervenir comme une force contre-révolutionnaire contre les soulèvements. Ils ont par conséquent tenté de les coopter, de récupérer le mouvement.
Pour les monarchies du Golfe, cela signifie lutter pour transformer des révolutions sociales et démocratiques en mouvements menés par des forces qui ne représentent pas pour eux pas une menace idéologique. Il en était ainsi des Frères musulmans, qui étaient massivement soutenus par l’Emirat du Qatar, ainsi que de toutes les sortes de salafistes – des «modérés» aux djihadistes – soutenus par le royaume saoudien ou par les divers réseaux wahhabites-salafistes dans les pays du Golfe.
Ces monarchies ont agi de leur mieux pour aider et promouvoir au sein du soulèvement syrien l’objectif qui est dans leurs intérêts. C’est-à-dire, transformer la révolution démocratique, qui serait une menace pour elles, en une guerre confessionnelle. Il y a ici une convergence réelle entre celles-ci et la première contre-révolution, soit celle du régime.
Au début, il y avait en Syrie des manifestations, comme partout dans la région. Elles étaient organisées et dirigées par de jeunes gens, se mettant en réseau par le biais des médias sociaux. C’étaient des mobilisations très courageuses avec des revendications sociales, démocratiques et contre le confessionnalisme très claires. Mais dès le premier jour, le régime affirmait qu’elles étaient conduites par Al-Qaida, exactement de la même façon que le faisait Kadhafi en Libye.
Dans les deux cas, il s’agissait d’un message envoyé à l’Occident. Ils disaient à Washington: «Ne faites pas d’erreurs, nous sommes vos amis, nous combattons le même ennemi. Nous nous battons contre Al-Qaida, vous ne devriez donc pas vous dresser contre nous mais au contraire vous devriez nous soutenir.» 
Le régime a fait plus que mener une guerre de propagande: il a sorti les jihadistes de ses prisons afin de stimuler le développement de ce courant au sein du soulèvement. La conviction selon laquelle les groupes d’Al-Qaida sont infiltrés et manipulés par le régime est très répandue au sein de l’opposition syrienne. Il ne s’agit pas, en réalité, d’une appréciation tirée par les cheveux car il est incontestable qu’il y a une certaine implication, même si personne ne peut en connaître l’étendue.
Enfin, il y a encore une troisième force contre-révolutionnaire agissant contre le soulèvement syrien: il s’agit, bien entendu, des Etats-Unis, auxquels j’ajouterai Israël. Les Etats-Unis sont contre-révolutionnaires dans le sens plein du terme en ce qui concerne la Syrie comme c’est le cas par rapport aux autres pays de la région. Washington veut qu’aucun Etat ne soit démantelé. Ils souhaitent ce qu’ils nomment une «transition dans l’ordre»: le pouvoir change de mains, mais dans le cadre d’une continuité fondamentale de la structure étatique.  
A Washington et à Londres, ils continuent de discuter au sujet des «leçons de l’Irak» et expliquent qu’ils ont commis l’erreur de démanteler l’Etat baasiste. En effet: «Nous aurions dû maintenir cet Etat et uniquement destitué Saddam Hussein; si nous avions fait cela, nous n’aurions pas été confrontés à autant de désordre.»    
Vous pourriez demander: qu’en est-il de la Libye? Très bien. Avant la chute de Kadhafi, j’ai écrit un long texte expliquant que l’intervention de l’OTAN en Libye était une tentative de coopter le soulèvement; autrement dit de l’orienter et de le gérer alors qu’ils étaient impliqués dans des négociations avec Saïf al-Islam, le fils de Kadhafi, qui était vu par l’Occident comme le «bon» au sein de la famille régnante. Ils souhaitaient qu’il obtienne que son père cède le pas en sa faveur, ce qui aurait très bien convenu à Washington, Londres, Paris et aux autres. Mais, bien entendu, l’insurrection libyenne est allée au-delà de cela lorsque le soulèvement de Tripoli a conduit à l’effondrement de l’ensemble du régime.
Pour ce qui est de la Syrie, Washington a très clairement affirmé – même au cours de la récente crise au sujet des armes chimiques – «nous ne voulons pas que le régime soit renversé, nous souhaitons une solution politique». Ce qui correspond à ce qu’Obama a aussi appelé il y a un an une «solution yéménite».   
Que s’est-il passé au Yémen? Après un an de soulèvement, Ali Abdoullah Saleh, le président, a remis le pouvoir avec un grand sourire au vice-président et il est resté depuis lors dans le pays, où il continue à tirer beaucoup de ficelles. C’est une farce. C’est une véritable frustration pour les forces radicales dans ce pays. C’est aussi pourquoi au Yémen c’est loin d’être terminé, même si vous n’en entendez pas parler aux nouvelles, ici en occident. Le mouvement continue au Yémen, tout comme au Bahreïn et dans le reste de la région.
C’est ce type de solution que les Etats-Unis désirent pour la Syrie. Ils ne souhaitent pas intervenir militairement comme ils l’ont fait en Libye. La récente crise a eu lieu parce que Washington se sentait sous pression, avec sa «crédibilité» en jeu après qu’Obama ait fixé sa «ligne rouge» concernant l’utilisation d’armes chimiques. Mais même lorsqu’ils considéraient l’option des frappes aériennes, ils expliquèrent que ce ne serait que des frappes très limitées, qui ne modifieraient pas l’équilibre des forces.The New York Times a publié un long article faisant état du fait qu’Israël souhaitait exactement la même chose: des frappes limitées qui ne modifieraient pas l’équilibre des forces au sein de la Syrie.
Les puissances occidentales ne prêteront aucun soutien substantiel – en particulier un soutien militaire – à qui que ce soit, parce qu’ils n’ont confiance en aucune fore au sein de l’opposition. Ainsi que le chef d’état-major des armées des Etats-Unis, le général Martin Dempsey, l’a écrit: «aujourd’hui en Syrie, la question n’est pas de choisir entre deux côtés, mais plutôt de choisir parmi de nombreuses parties. Ma conviction est que le côté que nous choisissons doit être prêt à promouvoir leurs intérêts ainsi que les nôtres lorsque l’équilibre penche en sa faveur. Ce n’est pas le cas actuellement.» 
Vous n’avez pas mentionné la Russie lorsque vous avez parlé des forces contre-révolutionnaires. Est-il correct de la décrire comme une quatrième colonne?
Je ne l’ai pas mentionné car elle est manifestement une force essentielle dans le soutien du régime Assad. De ce fait, la Russie de Poutine fait partie de la première colonne, il ne s’agit pas d’une quatrième.
N’est-il pas vrai que la participation de la Russie a non seulement un impact matériel important par le biais de fournitures d’armes à Assad, mais a aussi un impact idéologique important en ce sens qu’elle désoriente certains que l’on verrait plutôt soutenir le soulèvement?
En dernière analyse, le soulèvement syrien a très peu d’amis. Même parmi des gens dont on s’attendrait à ce qu’ils sympathisent avec des révolutions, vous pouvez observer certaines attitudes hostiles: des personnes trompées par la propagande du régime syrien, qui peint l’ensemble du soulèvement comme étant l’œuvre de djihadistes, ainsi que par celle de Moscou.
Certaines personnes regardent la Russie comme si elle était encore l’Union soviétique, bien qu’en termes de caractéristiques sociales et politiques, les Etats-Unis apparaissent plutôt progressistes en comparaison avec la Russie de Poutine: un gouvernement autoritaire, un capitalisme sauvage, un impôt sur le revenu de 13%, des oligarches voleurs, etc. Il y a bien plus d’éléments permettant de considérer la Russie comme un pays impérialiste que comme anti-impérialiste.
Pour ce qui est de ceux qui croient que le régime syrien est «anti-impérialiste», ils ignorent simplement l’histoire de ce régime et l’opportunisme sur lequel il  a fondé  sa politique étrangère.
La Syrie d’Hafez el-Assad est intervenue au Liban en 1976 pour écraser la résistance palestinienne et de la gauche libanaise afin d’empêcher leur victoire sur l’extrême droite libanaise. Au cours des années 1983-85, elle a mené ou soutenu des guerres contre les camps palestiniens au Liban. En 1991, le régime syrien a mené une guerre contre l’Irak sous la direction des Etats-Unis; elle faisait partie de la coalition menée par les Etats-Unis. Durant la décennie 1990 et jusqu’en 2004, le régime syrien était le protecteur du gouvernement néolibéral, en faveur des Etats-Unis, de Rafic Hariri au Liban. Durant toutes ces années, la frontière syrienne avec Israël a été la plus tranquille et la plus sûre de toutes les frontières israéliennes.
Il n’y a donc aucune base qui permet de décrire le régime syrien comme étant «anti-impérialiste». C’est un régime très opportuniste, qui n’hésite pas à changer de côté et d’alliances afin de faire valoir ses propres intérêts.
Pouvez-vous dire quelque chose au sujet de l’équilibre des forces au sein de l’opposition syrienne?
Sur la base de rapports réalisés par des amis en qui j’ai confiance et qui ont visité toutes les zones contrôlées par l’opposition, les deux groupes d’Al-Qaida ne représentent pas plus de 10% des combattants alors que les salafistes en représentent environ 30%.
Combattants de l'Armée syrienne libre
Combattants de l’Armée syrienne libre
Cela laisse une majorité de forces agissant sous le drapeau de l’Armée syrienne libre (ASL), bien qu’une partie de celle-ci soit de tendance islamique. C’est la conséquence du fait que les principales de financement des forces opposées au régime sont islamiques et proviennent du Golfe, allant des monarchies à divers réseaux religieux.
Nous parlons là des groupes armés. Pour ce qui est de la résistance populaire, les gens ne sont pas, dans leur grande majorité, intéressés en quelque type d’Etat islamique que ce soit, mais sont en faveur des aspirations sociales et démocratiques qui sont les objectifs du soulèvement depuis qu’il a débuté.
Pouvez-vous nous dire quelque chose au sujet de la manière dont la résistance s’organise et quelles sont leurs principales revendications?
La résistance est très hétérogène. Au cours des premiers mois du soulèvement, les dirigeants initiaux étaient – ainsi que c’était effectivement le cas partout ailleurs dans la région – principalement des jeunes gens s’organisant en réseau à l’aide d’internet. Ils se sont organisés eux-mêmes au moyen des comités de coordination locaux (CCL) et ont élaboré un programme progressiste: d’orientation démocratique, contre le confessionnalisme et laïc. Globalement, un ensemble de revendications clairement progressistes, que vous ne pouvez manquer de soutenir si vous appartenez à la gauche.
La deuxième étape a été la constitution à l’étranger du Conseil national syrien (CNS). C’est une différence majeure avec la Libye, où le Conseil national de transition a été créé à l’intérieur du pays et dont la légitimité a été reconnue par la plupart du soulèvement libyen bien que, même là, il y ait eu certains problèmes. Le CNS a été fondé à l’étranger par des personnes qui n’avaient pas de rôle de direction réel dans le soulèvement lui-même, mais disposaient de connexions. La Turquie et le Qatar ont interféré dans sa création. Les Emirats finançaient le CNS, en particulier les Frères musulmans, qui constituait et constitue encore une partie importante de cette opposition officielle en exil.
Dans ce même CNS, vous pouvez trouver des personnes qui appartiennent à la gauche syrienne, comme le Parti démocratique du peuple, qui est issu d’une scission du Parti communiste syrien. Les CCL eux-mêmes ont obtenu une représentation au CNS et reconnaissaient son leadership. Ici aussi, on peut être d’accord avec le noyau du programme du CNS dans une perspective de gauche: il est largement d’orientation démocratique, contre le confessionnalisme et laïc. Nous pouvons dire, bien sûr, qu’il n’est pas suffisamment social, mais ce n’est certes pas une direction de gauche radicale.
Le CNS a désormais été remplacé par la Coalition nationale syrienne. Elle demeure fondamentalement une coalition de forces dont l’étendue est similaire à celle qui était impliquée dans les soulèvements égyptien et tunisien. On ne devrait pas oublier que les Frères musulmans et les salafistes étaient aussi présents dans le soulèvement, aux côtés des libéraux et de la gauche.
Puis, avec la militarisation de la lutte, la mutation du soulèvement en une guerre civile, ce qui s’est produit graduellement à partir de l’automne 2011, nous avons assisté à l’émergence de groupes islamiques djihadistes durs, y compris deux groupes œuvrant sous la bannière d’Al-Qaida, avec des différences entre eux, et des groupes salafistes. Des deux groupes affiliés à Al-Qaida, l’un est composé principalement de combattants venant de l’extérieur de la Syrie alors que l’autre est composé en grande partie de Syriens; il y a des tensions entre eux. Il y a des clashs croissants entre l’ASL, le bras armé de l’opposition officielle, et les groupes d’Al-Qaida.
Il est rassurant de voir que les djihadistes durs sont de plus en plus rejetés par l’opposition dominante, mais on doit aussi comprendre que celle-ci ne peut mener une guerre sur deux fronts: elle a déjà suffisamment de problèmes avec l’équilibre des forces très inégal entre elle et le régime.
Il n’y a, malheureusement, pas de présence de gauche au sein de la lutte armée. La gauche radicale en Syrie est quoi qu’il en soit très marginale et la gauche au sens large n’a pas tenté de s’organiser séparément de l’ASL.
Comment l’opposition a-t-elle réagi à la tentative du régime de la dépeindre comme étant confessionnelle?
Elle a réagi de différentes façons: par des déclarations et des proclamations, des banderoles dans les manifestations, en utilisant les noms de personnages historiques chrétiens, druzes ou alaouites lors des manifestations du vendredi, etc.
Le fait est qu’il n’y a pas de comparaison possible entre les tueries confessionnelles mises en œuvre par le régime et ses chabiha (ses milices) qui ont perpétré la plupart des meurtres de masse confessionnels et les tueries confessionnelles de forces opposées au régime. Ces dernières sont principalement l’œuvre de djihadistes, que je considère comme étant une autre force contre-révolutionnaire.
Il y a, bien sûr, des réactions sauvages de personnes qui ont peu de conscience politique, réagissant d’une manière sectaire à la brutalité du régime. A quoi d’autre faut-il s’attendre? Ce n’est pas une armée d’intellectuels marxistes s’opposant au régime. Il s’agit d’un soulèvement populaire, sans direction politique capable «d’éduquer le peuple».
Il y a donc des actions sectaires de la part de l’opposition en réaction à l’utilisation massive de la carte sectaire de la part du régime. Nous avons connu la même chose au cours de la guerre civile libanaise, avec une «symétrie» bien plus élevée dans les meurtres confessionnels des deux côtés ; si cela était un critère, tout le monde aurait dû rejeter avec la même intensité les deux parties de la guerre civile libanaise.
Quelle est la relation avec la lutte du peuple kurde?
Autant le régime que l’opposition, au commencement, a fait la cour aux Kurdes. Le régime a fait cela parce qu’il ne souhaitait pas que les Kurdes rejoignent le soulèvement et le soulèvement l’a fait parce qu’il souhaitait qu’ils montent dans le train. Le CNS a inclus dans son programme la reconnaissance des droits des minorités – mais pas jusqu’à reconnaître le droit à l’autodétermination. Mais ce n’est pas une revendication unanime des Kurdes en Syrie bien que, bien entendu, je sois fortement en faveur de la défense de ce droit.
Le mouvement kurde syrien a saisi l’opportunité et pris le contrôle des régions kurdes. La force dominante parmi les Kurdes syriens est liée au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, formé en 1978), qui est dominant dans les parties du Kurdistan contrôlées par la Turquie et elle a cultivé ses liens avec le régime syrien tout au long des années.
Mais les Kurdes n’interviennent pas directement dans la guerre civile, ils sont occupés à contrôler leur propre zone, établissant une autonomie de fait comme cela s’est produit en Irak. Je peux difficilement imaginer qu’ils perdront cela à l’avenir, il s’agit donc d’une réalisation pour eux. Ils maintiennent une certaine distance face à la guerre civile, à part des clashes avec des djihadistes de temps à autre.
Comment décriveriez-vous la situation dans les zones contrôlées par l’ASL? La situation humanitaire est clairement un désastre, mais qu’en est-il politiquement?
Oui, la situation humanitaire est définitivement effroyable. Dans beaucoup de zones où l’opposition a pris le dessus et s’est débarrassée de l’Etat baasiste, nous avons assisté à la création de comités locaux démocratiques, avec certaines formes d’élections.
C’est absolument positif, mais il est en quelque sorte normal que lorsque les autorités disparaissent dans une localité de tenter d’organiser quelque chose pour les remplacer. On ne devrait pas dépeindre de tels comités comme des «soviets» ou quoique ce soit de ce genre: cela serait complètement à côté de la plaque. Ces structures peuvent représenter un potentiel intéressant pour l’avenir, mais pour l’heure, il ne s’agit de rien d’autre que de mesures d’auto-organisation afin de remplacer le vide de pouvoir créé par l’effondrement des agences locales de l’Etat.
Comment résumeriez-vous ce que la gauche devrait faire en ce qui concerne la Syrie?
C’est très important d’exprimer sa solidarité avec le soulèvement syrien. Il ne faut pas être timoré à ce sujet. Si nous sommes partisans du droit des peuples à l’autodétermination, si nous croyons au droit des personnes à élire librement ceux qu’ils désirent, par conséquent, même si nous sommes en présence d’un soulèvement dans lesquels des forces islamiques dirigent, cela ne doit pas modifier notre position; comme cela n’a pas été le cas, par exemple, en ce qui concerne Gaza et le Hamas ou la résistance irakienne, qui, je voudrai le rappeler, était bien plus sous contrôle islamique que tout ce que vous pouvez trouver en Syrie.
Pour toutes ces raisons, je pense qu’il est très important d’exprimer sa solidarité avec la révolution syrienne, de bâtir des liens avec les progressistes au sein de l’opposition syrienne, de s’opposer à la propagande du régime autant qu’à celle de Moscou ainsi que de dénoncer la complicité de Washington et de l’occident dans le crime contre l’humanité qui est perpétré en Syrie. (Entretien réalisé par le site internet britannique Socialist Resistance le 7 octobre 2013. Traduction A l’Encontre)

dimanche 13 octobre 2013


Nous publions le texte ci-dessous, témoignage d’un militant proche qui s’est rendu, il y a quelques mois, à Gaza. Il nous livre son analyse de la situation là-bas
 (certains mots ou passages sont soulignés par nous).

GAZA,  ON N’OUBLIE PAS !

Ces mots nous les avons criés à pleins poumons chaque fois que la barbarie israélienne s'est acharnée sur la population palestinienne de Gaza, notamment en décembre 2008-janvier 2009 et en novembre 2012. Mais l'actualité dramatique en Egypte et en Syrie pourrait nous faire oublier la situation en Palestine.
Ayant eu la chance de pouvoir aller à Gaza début mai 2013, je souhaite témoigner de ce que j'y ai vu et entendu et des enseignements que j'en tire.

Un territoire sous blocus depuis 2007

La bande de Gaza est un territoire situé au sud-ouest de la Palestine longeant la Méditerranée et la frontière égyptienne. Sur 360 km² (40 km de long sur moins de 10 km de large) survivent et résistent plus de 1,6 million d'habitants enfermés depuis juin 2007. Le blocus imposé par Israël avec la complicité active des grandes puissances qui dominent le monde, est perceptible avant même d'arriver à Gaza. Alors qu'on est à 5H d'avion de la France, il faut deux jours pour aller à Gaza et autant pour rentrer. On entend parfois que Gaza est une prison à ciel ouvert. Cette formule n'est pas exacte, il s'agit bien d'une prison mais dans le ciel on peut y voir certains jours les chasseurs bombardiers, les hélicoptères de combat, les drones israéliens ou quelquefois même la lune et les étoiles mais pas d'avions civils qui relieraient les Gazaouis au vaste monde. L'aéroport réalisé sur financement européen a été détruit par l'armée israélienne en 2005. Il ne reste que l'avion de Yasser Arafat exposé pour le souvenir.

L'accès par la mer est impossible aussi, comme on l'a vu en mai 2010 où les commandos de Tsahal ont attaqué sauvagement, dans les eaux internationales, le Marwi Marmara, bateau civil turc transportant une mission internationale humanitaire qui se dirigeait vers Gaza. Neuf militants ont été tués et beaucoup d'autres blessés. En 2011 la deuxième tentative avec la flotille pour Gaza s'est terminée de manière moins dramatique mais plusieurs bateaux ont été bloqués et sabotés dans les ports de départ, en Grèce, à Malte et à Chypre, et celui qui a pu approcher des côtes de Gaza a été intercepté, le matériel et le bateau confisqués et les occupants incarcérés une semaine en Israël.

Ceux qui souffrent le plus du blocus maritime sont les pêcheurs Gazaouis. Ils ne peuvent aller au-delà de 3 miles nautiques, alors que les accords d'Oslo leur permettaient théoriquement d'aller jusqu'à 20 miles nautiques. Des bateaux de l'armée israélienne leur tirent dessus s'ils s'approchent de la limite des 3 miles. Et s'ils s'en sortent vivants, ils sont emprisonnés durablement en Israël et leur bateau saisi. Le nombre de pêcheurs a en conséquence fortement diminué et de nombreuses familles sont condamnées à la grande pauvreté.

Quant à l'accès terrestre, il n'est guerre plus facile. Déjà parce qu'il faut passer par Israël et aller en Palestine, surtout à Gaza, y est interdit à cause du blocus. Et si on est sur la liste noire du Mossad comme militant du mouvement de solidarité avec les Palestiniens, on peut même être interdit de monter dans l'avion pour Tel Aviv dans n'importe quel aéroport européen, comme on l'a vu au printemps 2012.

Gaza est ceinturée depuis 2007 par une ligne de démarcation infranchissable comprenant miradors, chemin de ronde avec patrouille de blindés, tranchée, surveillance par caméras vidéo et infrarouge, tours munies de mitrailleuses télécommandées. Ce dispositif est complété par un mur, semblable à celui de Cisjordanie, dans les zones urbanisées à Rafah au sud et à Eretz au nord, où on voit aussi un ballon d'observation. Dans les zones rurales le dispositif est le même mais un grillage renforcé remplace le mur. A l'intérieur de cette ligne de démarcation une zone tampon de 300 m est strictement interdite d'accès et la zone de tir, donc de danger de mort réel, va jusqu'à 1500 m. Ainsi 35% des terres agricoles de Gaza sont totalement inaccessibles alors qu'il y en a déjà bien peu.

Nous avons vu une famille de petits paysans, dont la ferme a été réduite à un tas de pierres lors des bombardements de l'hiver 2008-2009, être obligée de faire la moisson à la main à proximité de la zone des 1500 m. En effet le matériel agricole est très coûteux et donc inabordable pour ces familles pauvres mais, de plus, quand des paysans ont du matériel agricole, les soldats israéliens, par pur sadisme, le détruisent en le mitraillant. Nous avons fait partie des militants internationaux qui «protègent» ces familles palestiniennes en jouant le rôle de boucliers humains portant des gilets jaunes fluorescents, pendant leurs travaux dans les champs. L'idée que les soldats israéliens pourraient hésiter davantage à tuer ou blesser des pacifistes occidentaux alors qu'ils le font  quasiment tous les jours à l'encontre des Palestiniens, doit cependant être relativisée, on se rappelle de la jeune américaine Rachel Corrie, écrasée délibérément par un bulldozer israélien détruisant des maisons palestiniennes. Nous garderons longtemps en mémoire cette famille coupant le blé à main nue en avançant à genoux sous la menace des mitrailleuses et de la ronde des blindés ennemis. Le travail a lieu de 5H à 9H du matin. Par temps de brouillard il faut attendre la levée de celui-ci pour raison de sécurité. Un peu avant 9H des tirs sporadiques d'avertissement retentissent et quand les rafales sont de plus en plus fréquentes, il convient de quitter les lieux sans délai.  
Le 17 novembre 2012, alors que la bande de Gaza subissait huit jours de bombardements meurtriers,  le ministre de l’intérieur israélien Eli Yishai déclarait : «Le but de cette opération est de renvoyer Gaza au Moyen Age. Alors seulement, nous serons tranquilles pour quarante ans». Ce n'était pas une parole en l'air, ils ont montré qu'ils en sont capables!

Le passage d'Eretz au nord est fermé sauf à quelques personnes autorisées. Celui de Kerem Shalom au sud est ouvert uniquement pour quelques importations de produits venant d'Israël, à grands frais et au compte gouttes, pour éviter une crise humanitaire de grande ampleur qui ternirait l'image d'Israël aux yeux des bien pensants. En revanche les exportations sont interdites ce qui nuit évidemment à l'économie gazaouie, notamment pour les productions agricoles.

Le passage de Rafah côté égyptien était lui aussi totalement fermé sous le régime Moubarak, allié aux USA et à Israël. Seuls les tunnels creusés par les Palestiniens sous la frontière permettaient quelques approvisionnements permettant la survie de la population gazaouie. Mais les accidents y sont nombreux sans compter les bombardements périodiques par les Israéliens avec des bombes perforantes. Et les Egyptiens y avaient même ajouté avec l'aide d'Israël et des Européens des parois de palplanches en acier pour couper les tunnels. L'arrivée du régime Morsi avait permis une ouverture partielle mais réellement bienvenue du passage de Rafah en surface.
C'est par cette seule porte d'entrée à Gaza que nous avons pu passer début mai en venant du Caire et après une traversée périlleuse du nord Sinaï par Al Arish entre Ismailia et Rafah (1).

Réfugiés dans leur pays

La bande de Gaza comprend 1.630.000 habitants dont 1.260.000 sont des réfugiés et leurs descendants. En 1948 , lors de la Naqka (catastrophe) que l'historien israélien Ilan Pappe a qualifié de nettoyage ethnique de la Palestine, plus de 700.000 habitants  de la Palestine mandataire (2) chassés de leurs villes et villages ont été regroupés dans des camps de réfugiés par l'ONU, au Liban, en Jordanie, en Syrie et en Palestine même, aussi bien en Cisjordanie qu'à Gaza, où sont situés huit camps dont celui de Jabalya, au nord de Gaza et celui d'Al Chateh dans la ville de Gaza, que nous avons visités.

Villages de tentes à l'origine, ces camps sont devenus des quartiers de ville hyper-denses. En général la superficie de chaque camp est d'environ 1 km², celui d'Al Chateh, le plus petit, accueille une population de 87000 habitants sur 0,5 km² et celui de Jabalya, le plus grand, 110.000 habitants sur 1,4 km²! Au fil des années, le retour se faisant toujours attendre en dépit du droit international, les familles de réfugiés ont eu des enfants et des petits enfants et le béton a remplacé les tentes. D'abord des plaques de béton sans fenêtres sur une ossature de tubes métalliques comme il en existe encore un certain nombre puis au fur et à mesure des possibilités des familles des constructions plus solides et plus hautes ont été réalisées. Ainsi dans le camp d'Al Chateh, dont il est originaire, le Premier ministre Ismail Hanieh a construit une imposante propriété où il a sa résidence familiale. Comme les camps ont une superficie limitée, les extensions se sont faites non seulement en hauteur mais aussi sur les rues qui sont en conséquence devenues des ruelles de moins de 1,5 m, à l'exception de quelques rues principales.
On imagine avec effroi les résultats sur ces quartiers des bombardements massifs comme en 2009 et 2012 ou même des attentats ciblés par drone ou hélicoptère, assez fréquents! On peut d'ailleurs encore voir de nombreux immeubles détruits par les bombardements qui n'ont pu être déblayés ou d'autres secteurs, aujourd'hui terrains libres, où avant 2009 s'élevaient une école, un hôpital, un stade, et même la prison de Gaza,... La barbarie israélienne a montré qu'elle n'avait pas de limites.
En revanche nous avons constaté, avec une certaine surprise, un boom de la construction immobilière en plusieurs endroits de la ville de Gaza, notamment sur une partie du front de mer. Hôtels de luxe, immeubles de standing et de nouvelles mosquées magnifiques. Le régime Morsi a permis à la fois l'ouverture du passage de Rafah aux camions de ciment et de matériaux venant d'Egypte mais aussi aux capitaux qataris, investis chez leurs amis dirigeants du Hamas, qui rêvent peut-être d'une Gaza centre d'affaires du Proche-Orient le jour où le sionisme aura été vaincu.
On sait maintenant que Rafah est à nouveau fermé depuis juillet et tous les chantiers arrêtés. Cette nouvelle fermeture aggrave les difficultés de la population.
Il faut noter toutefois que le blocus est profitable pour les dignitaires du Hamas et quelques familles proches qui contrôlent les tunnels et qui perçoivent une taxe sur tout ce qui y passe.

Une population dans la précarité

Depuis le début du blocus en juin 2007, 60% des entreprises et commerces ont fermé. 80% de la population est au chômage et dépend entièrement de l'assistance humanitaire et 44% des familles vivent dans l'insécurité alimentaire.
Le taux de natalité est très élevé, les femmes mettant au monde souvent plus de 8 enfants. La population est très jeune, 48% de la population a moins de 15 ans !
L' UNWRA ( programme des nations unies pour les réfugiés palestiniens ) distribue des aides alimentaires en nature, organise une partie du système scolaire et des services sociaux. Cette organisation, créée par l'ONU en 1948, gère, dans la bande de Gaza, près de 250 écoles comprenant environ 1000 élèves chacune, une vingtaine de centres de santé et 12 centres de distribution de nourriture.

Les équipements publics, notamment en matière d'eau potable, d'assainissement et d'énergie, essentiels pour la population, ont subi les bombardements massifs, comme la voirie et les constructions. Le manque de financement dans ces domaines est manifeste. Les capitaux qataris vont aux investissements privés et aux mosquées alors que ce sont les financements, insuffisants face aux besoins et en réduction, de l'ONU et de l'Europe, qui vont aux équipements publics.
Les problèmes d'assainissement sont inquiétants. Une partie des égouts de Gaza se rejette directement à la mer, polluant encore la zone de pêche déjà très réduite. Les Israéliens  avant d'évacuer leurs colonies de la bande de Gaza ont créé un énorme bassin de rétention d'eaux usées à l'air libre en ville qui a fini par déborder et inonder les habitations environnantes sur plusieurs mètres de hauteur! Ils ont réalisé en outre d'immenses bassins sur des terrains libres au nord de la ville de Gaza, qui, quand ils débordent, inondent les villages bédouins situés à proximité (plusieurs habitants ont été noyés récemment), polluent la nappe phréatique et attirent des nuées de moustiques. De plus ils ont transformé en égout à ciel ouvert le Wadi, une rivière qui prend sa source en Cisjordanie  et qui traverse la bande de Gaza avant de se jeter à la mer. A Tel Aviv les systèmes d'assainissement qu'ils réalisent, sont différents, évidemment!
La nappe phréatique est aussi polluée par l'eau salée de la mer qui rentre dans l'eau douce de la nappe, dans le sous-sol de la bande de Gaza, parce que les Israéliens pompent avec des puits à grand débit, dans la nappe de l'autre côté de la ligne de démarcation. La population doit donc boire de l'eau en bouteille importée et coûteuse.
Mais comme tous n'en ont pas les moyens, les maladies infectieuses sont fréquentes. Pour l'alimentation en eau non potable, chaque immeuble possède en toiture des tonneaux en plastique dans lesquels l'eau est montée par des pompes électriques quand il y a de l'électricité et qui alimente la robinetterie par gravité. Ce système simple est toutefois fragile en cas de bombardement mais simple à réparer.
La production d'électricité est assurée par une seule centrale thermique au fuel. Elle subit périodiquement les bombardements ennemis et les restrictions de carburant. De plus sa puissance est insuffisante pour alimenter 24H/24 toute la population de la bande de Gaza. Il y a donc une alimentation à mi-temps par quartier à tour de rôle. Dans un même quartier vous pouvez avoir de l'électricité tel jour dans la journée, le lendemain la nuit...Les plus fortunés ont un groupe électrogène à moteur thermique qui tourne dans la rue ou dans les entrées de jour comme de nuit, selon les besoins pendant des heures, avec le bruit et les fumées qui vont avec! Les plus modestes ont un système moins bruyant et moins polluant, de lampe au néon avec chargeur et accumulateur intégrés qui charge quand il y a de l'électricité en journée et peut alors être utilisé la nuit quand il n'y a pas d'alimentation électrique.
S'agissant des bouteilles de gaz, il y a des problèmes de coût, de qualité et de pénurie pour la majorité de la population mais auxquels échappent les mieux placés.

Toutes ces décennies de lutte, de résistance depuis 1948, en passant par1956, 1967, les deux intifada et les derniers massacres de 2008-2009 et 2012, ont laissé des traces durables dans les corps et les coeurs. Toutes les familles sont touchées par des morts, des blessés gravement handicapés à vie, des prisonniers.
Beaucoup de rencontres resteront pour moi inoubliables. Comme ce couple de vieux réfugiés dans le camp de Jabalya qui a vécu la Naqba dans sa jeunesse qui nous a raconté divers souvenirs. Par exemple quand des soldats israéliens se sont déguisés en soldats arabes demandant aux jeunes Palestiniens de venir chercher des armes pour se défendre et que tous ceux qui y sont allés ont tous été sauvagement massacrés.
Parmi les nombreux moments émouvants de ce voyage, je peux citer le rassemblement hebdomadaire des familles des prisonniers. Il y a en effet encore 5000 prisonniers politiques palestiniens dans les geôles israéliennes dont plusieurs centaines d'enfants. Cette manifestation est unitaire avec la participation entre autres, de militants du Fatah, du FPLP, du FDLP, du Hamas et même du Djihad islamique. Les témoignages des anciens prisonniers, dont certains ont subi 25 et 28 ans d'incarcération, ne peuvent laisser indifférent. Des hommes, des femmes, des jeunes qui ont subi la torture... Nous avons eu ce jour là le plaisir de parler avec Mahmoud Sarsak, jeune footballeur gazaoui kidnappé et incarcéré sans jugement (ils appellent ça la détention administrative) et qui a dû faire 93 jours de grève de la faim pour être libéré après une campagne internationale de solidarité ! Il était venu à Paris à l'invitation d' Europalestine après sa libération.
Malgré les énormes difficultés, notamment le manque de moyens, des médecins, des kinésithérapeutes, des éducateurs font un travail remarquable pour soigner et réinsérer dans la société les nombreux handicapés.
Une initiative qui nous a émerveillés, c'est la création d'une radio d'enfants gravement traumatisés par la guerre et les massacres subis par leurs parents ou frères et soeurs et dont ils ont eux-mêmes réchappé. Avec l'aide de jeunes journalistes, ils ont créé une radio au service des enfants et participent ainsi à leur propre thérapie avec de meilleurs résultats qu'une psychothérapie classique. Leur joie de vivre était réellement réconfortante face à tant de souffrances.
Le peuple palestinien à Gaza, comme en Cisjordanie, fait preuve d'énormes  capacités de résilience et de résistance depuis 65 ans. Ben Gourion, le premier dirigeant de l'Etat d'Israël, ce criminel de guerre, comme tous ceux qui lui ont succédé jusqu'à ce jour, d'ailleurs, disait des Palestiniens: «les vieux mourront et les jeunes oublieront» mais les Palestiniens sont toujours là qui résistent à la barbarie sioniste et nous sommes toujours et plus que jamais à leurs côtés.

La situation politique interne

Elle reste marquée par la division entre le Hamas et le Fatah. Tout le monde en parle, tout le monde la déplore, mais elle perdure au détriment du peuple palestinien et pour le plus grand profit de l'ennemi israélien. Une grande fresque murale sur une des places de Gaza, regroupant les visages de Yasser Arafat et de Cheik Yassine, exprime l'aspiration populaire à l'unité.
En janvier 2006 le Hamas a gagné les élections législatives en bénéficiant à la fois de sa popularité dans le domaine social, de sa relative nouveauté sur le terrain politique  comme dans la résistance armée et dans le même temps de l'impopularité des principaux dirigeants du Fatah sanctionnés pour leur échec à défendre efficacement les intérêts du peuple palestinien depuis 1993 (accords d'Oslo) et leur corruption croissante. Entre janvier 2006 et juin 2007 Gaza a vécu avec une dualité de pouvoir, une administration dirigée par l'Autorité palestinienne donc de fait par le Fatah et une majorité politique donc un gouvernement et un premier ministre Hamas. Cette période est marquée par une situation de plus en plus dramatique où les services de sécurité du Hamas et du Fatah s'entretuent pendant que des bandes mafieuses armées font leur loi ici ou là. Pendant ce temps la situation se dégrade pour la population, le début du blocus entraîne une crise humanitaire et l'armée israélienne en profite pour mener son offensive « Pluie d'été» (où le soldat Shalit est capturé  avant d'attaquer le Liban à l'été 2006. En juin 2007, alors que le Fatah, avec la complicité de la CIA et d'Israël, se prépare à écarter militairement le Hamas du pouvoir, c'est celui-ci qui prend les devant et l'emporte. Les forces de sécurité du Hamas éradiquent les milices mafieuses et répriment sauvagement les forces armées du Fatah. Porter le keffieh, symbole de la résistance palestinienne depuis les années 1930 et surtout depuis la création de l'OLP en 1964, ou brandir un drapeau du Fatah, du FPLP ou du FDLP, pouvait conduire à se faire assassiner ou au moins blesser et incarcérer. A partir de cette date Israël soutenu par les grandes puissances et une partie des pays arabes (Egypte, Arabie saoudite, Jordanie) ont renforcé le blocus de la bande de Gaza.
Il est utile de rappeler ces faits pour comprendre l'état de division qui perdure entre les militants et responsables de l'OLP et du Hamas. Il faut en tout cas se garder de l'idée que le Hamas serait aujourd'hui le seul mouvement authentique de résistance et le Fatah réduit à un groupe de notables corrompus qui collaborent avec Israël. Il y a encore des forces à l'intérieur du Fatah qui combattent réellement l'Etat sioniste, c'est le cas, par exemple, des brigades des martyrs d'Al Aqsa. Marwan Barghouti est le plus célèbre et ce n'est pas un hasard s'il est incarcéré en quartier de haute sécurité en Israël depuis 2002 et condamné à perpétuité (5 fois !). Nous avons rencontré des militants de l'OLP, du comité des réfugiés, qui oeuvrent quotidiennement au service de la population. Quant aux dirigeants du Hamas, y compris des ministres, que nous avons rencontrés, ingénieurs, médecins, architectes, qui ont fait leurs études et le début de leur carrière dans les pays du Golfe et en Arabie saoudite, ils gèrent les affaires, mais aussi leurs affaires, en  écoutant les directives du Qatar, et en montrant peu d'impatience à une évolution de la situation, notamment à la levée du blocus.

Mais les enjeux sont considérables, à la fois internes à la Palestine, au niveau du Proche et Moyen-Orient et au delà, au niveau mondial. La coupure territoriale et la division politique entre Gaza et la Cisjordanie, sans oublier les millions de réfugiés palestiniens en Jordanie, au Liban et en Syrie, le rôle du Qatar, du Hezbollah, de l'Iran, la situation en Egypte et en Syrie, et bien sûr le rôle des USA et des pays européens qui maintiennent leur appui politique, économique et militaire à cet Etat colonial et criminel d'Israël, donnent un aperçu de la complexité de la situation. Le risque est grand d'un éclatement et même d’une disparition irrémédiable de la Palestine. La bande de Gaza reléguée à une dépendance égyptienne et la Cisjordanie définitivement gangrenée par l'Etat sioniste jusqu'au Jourdain. Les forces politiques qui poussent dans ce sens sont multiples. Les pays arabes n'ont jamais vraiment admis l'idée d'une Palestine libre.
Heureusement quelques petits signes de changement apparaissent dans la société palestinienne, à Gaza notamment. Le régime Hamas reste un régime autoritaire, mais est-il possible d'avoir une démocratie quand on subit la guerre menée sans relâche par un Etat aussi redoutable qu'Israël? On a vu dans certains quartiers des drapeaux du Fatah aux fenêtres, ailleurs ceux du FPLP ou ceux du FDLP. Les manifestations pour fêter l'anniversaire du début de la résistance armée (1er janvier 1965 par le Fatah) étaient interdites dans la bande de Gaza ces dernières années. En janvier 2013, les militants de l'OLP ont osé appeler au rassemblement et celui-ci a été si massivement suivi par des milliers de personnes que le Hamas n'a pas pu intervenir pour l'empêcher. Les soulèvements en Egypte et dans les autres pays arabes ont sans doute joué dans la décision du Hamas. Plus récemment, le 21 juin 2013, un jeune chanteur originaire de Gaza, Mohammad Assaf, a gagné à Beyrouth un prix de la chanson arabe pour son interprétation du chant patriotique palestinien «Brandis le keffieh». Des manifestations de joie ont eu lieu dans toute la Palestine. Son retour à Gaza a reçu un accueil populaire triomphal.  Le Hamas ne l'a pas mis en taule et n'a pas réprimé les rassemblements.  Un manifeste avait déjà été lancé avec un large succès en décembre 2010 sur Internet par un collectif de jeunes artistes et militants associatifs de Gaza qui déclaraient d'entrée « Merde au Hamas. Merde à Israël. Merde au Fatah. Merde à l’ONU et à l’UNWRA. Merde à l’Amérique ! Nous, les jeunes de Gaza, on en a marre d’Israël, du Hamas, de l’occupation, des violations permanentes des droits de l’Homme et de l’indifférence de la communauté internationale» ; ils expliquaient toutes leurs souffrances et exprimaient leurs «trois exigences : nous voulons être libres, nous voulons être en mesure de vivre normalement et nous voulons la paix ».
Si une hirondelle ne fait pas le printemps, ces indices sont porteurs d'espoir. On peut penser que l'unité populaire indispensable se reconstruira par la base et sur de nouvelles bases. La société palestinienne a une grande culture politique et une longue expérience de la résistance, notamment à Gaza, où a démarré la première intifada en 1987. La jeunesse, très nombreuse, est pleine d'énergie et d'imagination.

Boycott d'Israël-Libération de la Palestine

De retour en France, après avoir vu ce que vivent ces hommes, ces femmes, ces jeunes, on est encore plus motivé pour poursuivre le combat en solidarité avec eux jusqu'à la libération de la Palestine. Mais on revient aussi plus conscient de notre devoir. Parmi nos rencontres, beaucoup connaissent la France, certains y sont venus, à Paris, et quelquefois même à Strasbourg, d'autres y ont une fille, un frère qui y ont fait des études, beaucoup connaissent les valeurs de la République, certains n'ont pas perdu espoir que notre pays joue un rôle positif pour la Palestine, tous apprécient les actions militantes que nous menons chez nous pour élargir et renforcer le mouvement de solidarité et infléchir la politique de nos dirigeants.
Une des principales avenues de la ville de Gaza porte le nom de Charles de Gaulle. Et elle n'a pas été débaptisée depuis, même par le Hamas. On comprend pourquoi quand on prend le plaisir de réécouter sur internet l'intégralité de sa conférence de presse de  novembre 1967!
On mesure l'énorme régression dans ce domaine en France depuis au moins dix ans avec des gouvernements infestés par le lobby sioniste et des présidents qui prennent des ordres à Tel-Aviv.

On est bien loin de l'Etat démocratique de Palestine sur l'ensemble du territoire de la Palestine mandataire, revendiqué légitimement par l'OLP, avant qu'elle y renonce en 1996. Et du temps (1975) où l'assemblée générale de l'ONU, elle-même, assimilait, à juste titre, le sionisme au racisme, avant de rectifier sous la pression du lobby en 1991. Mais nous devons, sans état d'âme, démasquer cet Etat d'Israël, colonial et criminel dès sa création, d'ailleurs illégitime et en contradiction avec le droit. En effet, l'ONU n'avait pas la compétence pour créer un Etat et, en novembre 1947, les USA ont fait revoter l'assemblée générale des Nations Unies ( 3 ) pour obtenir la majorité requise après avoir exercé des pressions très fortes sur certains Etats qui n'avaient pas voté, la première fois, pour le plan de partage de la Palestine. Quant aux Palestiniens eux-mêmes, personne ne leur a demandé leur avis. Et de plus, il a fallu la livraison d'armes lourdes américaines et de chars tchèques fournis par Staline aux milices terroristes sionistes face à des armées arabes mal organisées, mal équipées et subissant l'embargo sur les armes. Israël, dont les méthodes s'apparentent à celles des nazis ( 4 ) et qui ronge la Palestine comme un cancer ( 5 ) depuis plus de 65 ans,  joue incontestablement le rôle de pitbull de l'impérialisme américain au Proche-Orient.

Notre devoir est aussi de défendre sans relâche tous les droits fondamentaux, inaliénables et imprescriptibles, de l'ensemble du peuple palestinien, à Gaza, en Cisjordanie, contre l'apartheid en Israël et dans les camps de réfugiés. Et le droit au retour en fait partie assurément. Ben Gourion, encore lui, disait aussi en 1948 : « nous devons tout faire pour nous assurer qu'ils ne reviendront jamais ». Ces gens là parlaient clairement, n'est-ce pas ? A la différence de nos politiciens actuels. Il convient de rappeler le droit international. En ce qui concerne le droit au retour, la résolution 194 de l'ONU en 1948, confirmée en 1974 et chaque année depuis, précise que l'assemblée générale des Nations Unies: "réaffirme également le droit inaliénable des Palestiniens de retourner dans leurs foyers et vers leurs biens, d'où ils ont été déplacés et déracinés, et demande leur retour ".
Le droit international n'est déjà pas si souvent favorable aux Palestiniens mais quand c'est le cas, il n'est jamais respecté. Ce droit au retour gêne certains, y compris parmi les organisations favorables à la cause palestinienne qui veulent ménager les Israéliens. Et on a vu récemment Mahmoud Abbas, qui n'en est plus à une honte près, y renoncer, pour lui-même, a-t-il ajouté, pour atténuer le scandale provoqué par sa déclaration. Pourtant ce droit au retour est véritablement essentiel pour les 5,3 millions de réfugiés palestiniens. A Gaza, tout le monde nous en a parlé spontanément qu'ils soient Fatah, Hamas, ou autre. Le respect de ce droit serait déterminant pour la construction d'une autre Palestine.

Aller en Palestine et dans les camps de réfugiés dans les pays voisins, témoigner le plus largement en rentrant, c'est bien évidemment utile, quand c'est possible. Mais pour mobiliser le plus grand nombre de personnes et faire pression sur Israël, c'est la campagne de boycott qui doit être amplifiée et développée partout.
Il s'agit d'une campagne internationale lancée par la société civile palestinienne depuis 2005. Saisie par l'assemblée générale des Nations Unies, la Cour internationale de justice avait rendu en 2004 un avis déclarant illégal le mur de séparation construit par Israël en Cisjordanie et demandé sa démolition. Constatant que rien n'était fait un an après, en juillet 2005, plus de 170 organisations représentant toutes les composantes du peuple palestinien (de Cisjordanie, de Gaza, d'Israël et des camps de réfugiés) ont lancé un appel au boycott d'Israël, au désinvestissement et aux sanctions (BDS). Cette campagne s'est surtout développée en Europe depuis 2009, après les trois semaines de massacres israéliens sur Gaza, qui ont fait près de 1500 morts, dont le tiers d'enfants.

Les sanctions sont celles que devraient subir notamment les dirigeants d'Israël pour crimes contre l'humanité, si la justice internationale était appliquée. L'initiative de  tribunal Russell pour la Palestine a été un élément de popularisation de cette campagne pour faire pression sur les Etats et l'ONU.

Le désinvestissement consiste à faire pression sur les entreprises occidentales et les banques qui investissent en Israël et dans les colonies pour qu'ils se retirent. Cette campagne commence à porter.

Le boycott c'est celui de tous les produits exportés par Israël, mais aussi le boycott culturel et universitaire. De plus en plus de personnalités y compris des cinéastes, des  scientifiques, des musiciens et des chanteurs prennent position en faveur de ce boycott. Des personnalités israéliennes elles-mêmes ont le courage de lancer aussi cet appel.

Cette campagne de boycott, inspirée de ce que nous avons fait pendant plus de vingt ans pour faire cesser l'apartheid en Afrique du sud, est une action citoyenne et non violente qui permet à tout le monde d'agir, puisque l'ONU et les grandes puissances n'interviennent pas efficacement pour mettre les israéliens hors d'état de nuire.

Cette mobilisation doit être maintenue jusqu'à ce que tous les droits fondamentaux des Palestiniens soient respectés et que le vœu des altermondialistes soit réalisé:

From the river to the sea
Palestine will be free*

*« De la rivière (le Jourdain) à la mer (Méditerranée), la Palestine sera libre »                                                            

                                                                                                      Elsa Richting

1) Le trajet du Caire à Rafah passe par le nord du Sinaï qui est une zone de plus en plus dangereuse. La route est surveillée par des postes de garde de l'armée. Mais les attaques de djihadistes et de bandes mafieuses ont déjà fait des dizaines de morts parmi les militaires depuis plusieurs mois. A l'aller nous avons du être escortés par un blindé à l'avant et un autre à l'arrière de notre minibus égyptien. Au retour, menacés, nous avons du nous réfugier dans une caserne avant d'être escortés à nouveau jusqu'à Ismaïlia !

2) La Palestine était un Etat reconnu comme tel de 1922 à 1947 même s'il était sous mandat britannique. Il ne s'agissait pas « d'une terre sans peuple pour un peuple sans terre » comme voulaient le faire croire les sionistes et leurs supporters. Les villes de Palestine existent depuis plusieurs millénaires, c'est notamment le cas de Gaza. Lire, à ce sujet « Histoire de Gaza » de Jean-Pierre Filiu – éditions Fayard

3) Voir le livre « Israël-Palestine Les enjeux d'un conflit » Sous la direction d'Esther Benbassa CNRS Editions et « La question de Palestine » tome II, Henri Laurens, Fayard

4) Voir la tribune de Michel Warschawski « Non,non et non ! Pas en leur nom, pas en notre nom ! » publiée le 18 janvier 2009 par AIC et reprise par l'UJFP http://www.ujfp.org/ et l'interview de Hajo Meyer, survivant d'Auschwitz, le 8 juin 2009 à http://electronicintifada.net/, reprise par Europalestine http://europalestine.com/

5) Voir sur le site du Monde Diplomatique les cartes de la Palestine en 1947, en 1949, en 1967 et aujourd'hui


NB : cet article ne tient pas compte des évènements récents liés à la nouvelle situation égyptienne depuis début juillet 2013.