Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 3 novembre 2021

 

Stocamine = poubellemine

 

Wittelshein est une charmante ville de 10 000 habitants dans la banlieue de Mulhouse. Le 21 mai 1904, des carottages y sont faits pour trouver de la houille. On recherchait une éventuelle continuité avec le bassin houiller de Ronchamp (Haute-Saône). On n'y trouva pas de houille, mais de la potasse. En 1908, le premier puits est en exploitation.  En 1911, le puits Joseph Else est creusé à 535m de profondeur. Son exploitation commencera en 1918. Dans les années 60, l'épuisement du bassin se fait sentir et les mineurs craignent pour leur emploi.  En 1950, les 9 mines du secteur emploient 14 000 personnes. En 1990, 3 500.

 

C'est alors qu'un nouveau projet voit le jour, dans le cadre de la reconversion du bassin d’emploi pour faire face à la fermeture programmée des mines de potasse. En 1991, il reçoit un avis favorable. En 1992, l’Assemblée nationale vote une nouvelle loi sur les déchets et impose un principe de réversibilité. Le projet est revu et l’enquête publique débouche sur un avis favorable. Ce projet de stockage de déchets dangereux dans le puits Joseph Else est porté par Stocamine, filiale de la SMPA - Société des Mines de Potasse d'Alsace - SA dans laquelle l’Etat est actionnaire unique. Il paraît plutôt sérieux. Il prévoit le creusement de 15km de nouvelles galeries avec, de part et d'autre, des alvéoles afin de stocker les déchets ultimes, d’arsenic, de chrome, de mercure…, de classe O, totalement inertes mais les plus dangereux. Ce stockage est PROVISOIRE et réversible, prévoyant de ressortir tous les déchets, après 30 ans. 320 000 tonnes doivent y être stockées à raison de 50 000 tonnes par an. Chaque fût de métal ou big bag sera vérifié, un échantillon prélevé et stocké dans une échantillonthèque. La construction d'un laboratoire est prévue pour préparer la remontée des déchets et leur traitement. Ce site de stockage est présenté comme la copie conforme du site de HERFA-NEURODE, en Allemagne, qui fonctionne depuis 1972 sans aucun problème. Il permet de conserver 100 emplois sur le site, et pendant les premières années, une partie de la mine serait une zone de stockage, et l'autre partie exploiterait toujours la potasse. Cette mine se trouve sous la nappe phréatique (la plus grande d'Europe) à environ 40m sous terre. Ce projet ne suscita quasiment pas d'opposition et le 3 février 1997, un arrêté préfectoral autorisa l'exploitation du site pour 30 années. En 1999, les premiers colis sont descendus. Dès l'an 2000, des déchets de classe 1 (un peu moins dangereux) sont également descendus afin d'assurer une meilleure rentabilité du site. Au cours de cette même année, les salariés signalent la présence de plusieurs colis douteux à leur direction. Mais celle-ci leur impose de les descendre. Un léger doute commence à s'installer parmi les employés car la vérification de chaque colis prévue au départ n'est toujours pas en place.

 

Le 10 septembre 2002 que le château de cartes commence à s'effondrer

 

Les mineurs exploitant la potasse sont incommodés par une fumée toxique. Ils remontent et donnent l'alerte. Les pompiers descendent, constatent qu'un incendie s'est déclaré dans la zone de stockage des déchets, mais ne peuvent que tenter de l'étouffer. Pendant plusieurs semaines, des fumées s'échapperont par les puits d'aération, l'incendie ne s'éteindra que le 21 novembre. Les mineurs ont pu descendre après cette date pour constater les dégâts. L'incendie s'est déclaré dans le bloc 15, qui contenait des déchets interdits dans ce type de stockage. En effet, mélangés aux déchets de classe 0 (inertes) se trouvaient des déchets organiques (déchets de pesticides, engrais) qui ont fermenté et provoqué l'incendie ; la température moyenne de la galerie est de 35 degrés, il était donc extrêmement dangereux d’y stocker ce type de déchets. Ils ont constaté que 470 bags contenaient également des matières interdites. Ils ont remarqué également que les plafonds des alvéoles étaient descendus beaucoup plus rapidement que prévu et que de nombreux colis y étaient déjà comprimés. Bonne nouvelle tout de même, le laboratoire chargé de préparer la remontée des déchets n'a pas brûlé, vu qu'il n'était pas construit. Pour les mineurs et les riverains, ce stockage commence à "sentir l'embrouille"...

 

Ils seront confortés par les résultats de l'enquête, mettant au jour des pratiques très éloignées de ce qui était prévu par le cahier des charges, et quelques mensonges par omission. Les alvéoles s'étaient très rapidement déformées alors que celles de la mine modèle en Allemagne, elles, ne se déformaient absolument pas. L'enquête a montré qu'on avait simplement « oublié » de préciser qu'en Allemagne elles étaient recouvertes par 400m de lave volcanique parfaitement étanche et stable, alors qu'à Wittelshein, elles étaient recouvertes de  400m de sable et de gravier, parfaitement instable. Les porteurs du projet ont également « oublié » de parler des mines d’Asse (Allemagne) où étaient entreposés des déchets radioactifs qui ont connu de graves problèmes d’entrée d’eau et ont dû être vidés de leurs déchets. Concernant les contrôles, quand un camion arrivait, chargé généralement de 20 bags, 1 seul bag pris au hasard était contrôlé, et on prélevait 200g de déchets à sa surface. De plus, tous les bags étiquetés "amiante" n'étaient pas contrôlés, officiellement, pour protéger le personnel. Le stockage de l'amiante était facturé 1 000€ la tonne alors que les déchets de classe 0, eux, étaient facturés 5 000€ la tonne. Pas étonnant que dans les sacs étiquetés "amiante", on ait retrouvé toutes sortes d'autres déchets. Le contrôle systématique prévu s'était transformé en fait en une confiance quasiment aveugle dans les industriels qui emmenaient les déchets. En fait, tout était mis en place par la direction de Stocamine pour que les industriels puissent se débarrasser à bon compte des déchets encombrants. Le procès du directeur a montré que : "A plusieurs reprises il a été informé de manière précise de l'existence d'anomalies concernant les produits descendus. Malgré cela, il a persisté à ordonner leur stockage. Il ne pouvait ignorer la réglementation en vigueur et des risques pouvant survenir en cas d'acceptation illicite de ces produits". "Il y a eu violation manifestement délibérée des mesures de sécurité. Il y a eu exposition directe à un risque de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou infirmité permanente". Il sera condamné à 4 mois de prison avec sursis et à 50 000€ d'amende. A titre de comparaison, la personne qui a giflé Emmanuel Macron a passé 3 mois en prison...

 

Stokamine (suite)

Suite à l'incendie, plus aucun déchet ne sera descendu

 

Il reste actuellement 42 000 tonnes. En 2012, le préfet décide de ressortir les déchets contenant du mercure. Beaucoup pensent que les autres déchets suivront, mais cela s'arrête là. Lors de ces opérations de destockage, il est apparu qu'après 2025, il serait impossible de ressortir quoi que ce soit, les produits seront totalement comprimés dans les alvéoles. Dès lors, les ministres ont commandé des expertises, puis d'autres expertises, puis des études, puis d'autres études... En 2019, Nicolas Hulot demande encore une étude ; le rapport parlementaire demande que « les déchets soient extraits si cela est possible techniquement, afin de ne pas faire peser un risque sur la population et l’environnement, sous réserve qu’un site de stockage présentant de meilleures conditions puisse les accueillir ». Autant dire, personne… Wittelsheim étant le seul site retenu… belle langue de bois !

 

Barbara Pompili se prononcera officiellement pour un enfouissement définitif des déchets.

 

Ceux-ci étant "sécurisés" par des tampons de béton, afin officiellement de ne pas mettre en danger la vie des destockeurs. Dans les associations anti-Stocamine, on pense que c'est surtout pour éviter que soit connu de tous ce qui a été descendu, ce qui ferait mauvaise presse à l'Etat, notamment par rapport au projet de Bure. L'enfouissement définitif est confirmé par un arrêté préfectoral en février 2021. A partir de là, tout va très vite : en quelques semaines, le sable, le ciment sont amenés sur le site : tout est prêt pour reboucher. Les associations attaquent cet arrêté, le tribunal de Nancy leur donne raison et annule l'arrêté pour les raisons suivantes : l’absence de garantie financière de MDPA et le bruit causé par les travaux (durée prévue : 3 ans et demi). L'Etat se pourvoit immédiatement en cassation. Alors que toute personne responsable sait que tôt ou tard, l'eau va s'infiltrer dans les alvéoles, les remplir, se mélanger aux déchets, qui par l'effet de l'écrasement se retrouveront tôt ou tard dans la nappe phréatique.

 

Yann Flory du collectif Destocamine résume bien la situation : " tout ce qu'on nous a dit était faux, s'il y a une leçon à retenir, c'est qu'il faut rester très critique vis à vis de tous les projets industriels, y compris quand ils sont portés par l'Etat. Comment leur faire confiance maintenant quand ils disent que la pollution de la nappe phréatique sera faible et maîtrisée, alors qu'on ne sait pas ce qu'il y a au fond. C'est absurde."

Jean-Pierre Hecht, mineur qui a descendu les déchets, répondant à un journaliste de France 24 : "On parlait bien de stockage, c'était Stocamine, et pas enfouimine ou poubellemine
- Avez-vous le sentiment d'avoir été trompés ?
- Trompé, le mot est un peu faible... Je parlerais de trahison. On s'est bien fait avoir, mais ma grande peur c'est que mes petits-enfants me disent un jour "Vieux c**, t'as foutu le bordel, et t'es pas capable de réparer"... Et c'est dur, très dur à vivre
".

 

Dans cette affaire, l'Etat n'a pas tenu sa parole. La clause de réversibilité n'a pas été respectée. Quand les premiers colis sont descendus, les responsables savaient pertinemment que les alvéoles allaient s'affaisser. Dans le meilleur des cas, seulement une partie des déchets pourra être retirée. Mais il semble qu'on s'achemine vers un enfouissement définitif.

Tirons-en les leçons, et allons tous soutenir les camarades de Bure, où se met en place une gigantesque poubelle nucléaire où tous les risques sont bien sûr parfaitement maîtrisés...

 

Jean-Louis Lamboley, le 25.10.2021

 

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Dans cette affaire, tout le monde n’est pas perdant.

Une entreprise s’en est particulièrement bien sortie, Séché Environnement, spécialiste du traitement des déchets dangereux. Séché était client de Stocamine et actionnaire à 30 %. Etonnamment, en 2005, MDPA rachète les parts et les futurs ennuis de Séché, ce qui fera dire à Yves Goefert, maire de Wittelsheim : « Séché est sorti propre, lavé, rasé, du merdier Stocamine, et comme d’habitude, le public va payer pour les conneries des groupes privés ».

A noter que Séché est un groupe en parfaite santé financière, avec un chiffre d’affaires de 673 millions en 2020, 5 000 employés en France, possédant des filiales au Chili et en Afrique du Sud, en pleine croissance puisqu’elle est maintenant spécialisée dans les déchets médicaux, (seringues, etc.), le Covid a été un jackpot pour elle. En fait, tout était organisé pour que les industriels puissent se débarrasser à bon compte des déchets divers et variés.

 

 

Magouilles d’Etats

 

Qu’il s’agisse de corrompre des parlementaires européens pour redorer son image ou de créer des fondations afin de privatiser les richesses publiques, quelques pays s’illustrent par leurs tromperies et autres magouilles géantes. Petit tour d’horizon.

 

La diplomatie du caviar

 

Depuis quelques années, une ancienne république soviétique corrompt le cœur des institutions démocratiques occidentales. Son but est de s’acheter des alliés pour blanchir sa réputation et continuer à s’enrichir. Cette stratégie porte un nom : la diplomatie du caviar.

L’Azerbaïdjan, ou république d’Azerbaïdjan, est un pays du Caucase situé sur la ligne de division entre l’Europe et l’Asie. Le pays a gagné son indépendance au moment de l’éclatement de l’URSS en 1991. C’est une république à régime présidentiel présidée par Ilham Aliyev et, selon le Monde, une « dictature impitoyable » qui s’apparente à une pétromonarchie puisque la famille régnante dirige le pays depuis 1993 et tire ses revenus des hydrocarbures. Le président Heydar Aliyev, ancien membre du Parti communiste de l’Union soviétique, a dirigé le pays de 1993 à 2003 d’une main de fer. Sérieusement malade, il a fait élire son fils en 2003 avec près de 77% des voix. Il est réélu en 2008 en augmentant son score de plus de dix points. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a jugé cette élection non démocratique. En 2013, les résultats ont été publiés accidentellement la veille du scrutin. En 2010, il n’y avait aucun parti d’opposition élu au Parlement. En février 2017, le président a nommé son épouse Mehriban Alieva au poste de vice-présidente. Depuis 1993, aucune élection n’a été qualifiée de libre et équitable par les  observateurs internationaux.

 

La situation des Droits de l’Homme fait l’objet de critiques de quelques organisations indépendantes. Formellement, l’Azerbaïdjan, membre du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies et du Conseil de l’Europe, est tenu de veiller au respect de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Les accusations portent notamment sur des arrestations arbitraires, des détentions indéfinies, des violences, de la torture et des cas de disparition forcée. En dépit de l’existence de médias indépendants, les journalistes qui critiquent le gouvernement sont souvent harcelés, emprisonnés voire agressés physiquement.

 

Selon Rasul Jafarov, avocat et ex-prisonnier politique, l’Azerbaïdjan compte encore aujourd’hui 148 prisonniers politiques. L’opposant déplore également le sort « des journalistes, des blogueurs, des défenseurs des droits de l’Homme, des politiciens, des militants religieux, des membres de la famille de certains militants qui on quitté l’Azerbaïdjan à cause des risques de détention et de répression ». Afgan Mukhtarli, un journaliste d’opposition réfugié en Géorgie, témoigne de la détermination des autorités de Bakou à traquer les critiques. Enlevé en pleine rue à Tbilissi, le 29 mai 2017, il est réapparu vingt-quatre heures plus tard dans une prison de Bakou, accusé de franchissement illégal de frontières.

 

Lobbying d’Etat

 

La diplomatie du caviar est la stratégie de lobbying de l’Azerbaïdjan, consistant en des invitations coûteuses de politiciens et d’employés d’organisations internationales. Elle comprend également des cadeaux coûteux présentés comme « un hommage à la tradition orientale ». Le terme a été utilisé pour la première fois en 2012, dans un rapport de l’Initiative européenne de stabilité (EIS), « Caviar Diplomacy. Comment l’Azerbaïdjan a fait taire le Conseil de l’Europe ». Ce terme est utilisé dans les conversations informelles de fonctionnaires azerbaïdjanais pour décrire des cadeaux généreux aux politiciens étrangers. Selon ce rapport, l’Azerbaïdjan compte un groupe d’une quinzaine de personnes dans l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) qui reçoivent au moins une demi-kilogramme de caviar noir (environ 1300€ /kg) en cadeau quatre fois par an. De nombreux parlementaires sont aussi invités et reçoivent, en plus du caviar, de nombreux autres cadeaux, tapis de soie, objets en or et argent, vacances, prostituées, etc. Le principal but est de « faire taire toutes les critiques sur sa politique en matière de droits humains ».

 

Selon l’ESI, plusieurs députés européens sont soupçonnés d’avoir touché de l’argent : des Anglais, un Polonais et le président de l’APCE en 2017, Pedro Agramunt. Luca Volonté, lui, a reconnu avoir reçu des fonds de Bakou. En l’occurrence, 2,4 millions d’euros que ce député italien, président du Parti Populaire Européen au sein de l’APCE, aurait reçus en échange de « conseils agricoles ». Les enquêteurs italiens le soupçonnent plutôt d’avoir été récompensé pour services rendus. Il serait parvenu à « torpiller » un rapport accablant d’un politicien allemand, Christoph Strässer, sur la situation des prisonniers politiques en Azerbaïdjan.

 

Ce rapport est confirmé par l’enquête menée conjointement par le Monde et dix autres publications européennes qui ont eu accès aux relevés de comptes en banque de quatre sociétés liées au régime azerbaïdjanais. L’étude dénombre plus de 16 000 transactions pour un montant total de 2,5 milliards d’euros. Ces transactions, qui couvrent uniquement la période 2012-2014, forment sans doute seulement la partie émergée de l’iceberg mais elles sont révélatrices des efforts de corruption déployés par ce régime et de la fragilité européenne face à cette influence souterraine.

 

Si aucun élu français n’apparaît dans les relevés de transactions, l’Azerbaïdjan pratique bien cette « diplomatie du caviar » auprès d’élus de l’hexagone. Le principal instrument de cette influence est l’association des amis de l’Azerbaïdjan (AAA) : André Villiers appartient à son conseil d’administration, tout comme Jean-Marie Bockel, Rachida Dati et Thierry Mariani, tous anciens ministres sous la présidence Sarkozy. L’AAA, ou le pays, invite des parlementaires à des voyages visant à établir des « relations culturelles ». Le pays, à majorité musulmane, s’est aussi fait une spécialité de participer à la rénovation d’édifices chrétiens, d’investir dans des sites historiques ou d’offrir du mécénat si « le bénéficiaire s’engage à citer de façon valorisante et systématique le mécène ». Le pays paie aussi régulièrement le voyage à des parlementaires français pour qu’ils attestent du bon déroulement de ses élections. Ce type d’invitation empêche-t-il les parlementaires de juger avec sincérité de la situation ? André Reichardt balaye les suspicions de conflit d’intérêt : « Lors de mes voyages, je n’ai pas manqué de faire part à l’ambassadeur et au président des réflexions qui m’étaient faites en France sur la question des droits de l’Homme ». Entre deux bouchées de caviar ?

 

Hongrie. Privatisations géantes

 

A l’initiative du gouvernement hongrois, des fondations privées ont pris le contrôle des universités et d’un patrimoine public de plusieurs milliards d’euros. Avec cette privatisation géante d’un genre nouveau, le premier ministre Viktor Orbàn dépouille l’Etat au profit de ses proches, tout en enracinant son influence dans les institutions culturelles et universitaires du pays. En mars 2019, le gouvernement a instauré un nouveau statut juridique, jusque là inexistant en Hongrie : celui de « fondation fiduciaire », décrétée « d’intérêt général chargée de service public ». En avril dernier, trente-deux de ces fondations ont vu le jour, avec une dotation publique initiale de 1,7 million d’euros chacune, pour gérer des actifs jusque là détenus par l’Etat. Elles se retrouvent propriétaires, sans la moindre contrepartie financière, de biens publics importants : un château baroque, un palais en plein cœur de Budapest, un théâtre, la moitié d’une île sur le Danube et quantité d’autres biens immobiliers dans le pays.

 

Ces fondations sont dirigées par un conseil de surveillance nommé par un ministre et leurs membres choisissent leurs successeurs. L’ensemble de ces fondations seront « régulées » par une agence nouvellement créée, dont le président sera nommé par le premier ministre pour un mandat de neuf ans.

 

Les six partis parlementaires, qui se sont rassemblés en bloc d’opposition pour tenter de faire des élections législatives du printemps 2022 un référendum anti-Orbàn, ont vivement réagi : « Le Fidesz (parti parlementaire majoritaire) et les soi-disant démocrates-chrétiens ont pris des mesures pour voler des fonds publics, cacher et consolider des entreprises et des fondations abreuvées de fonds publics », affirme leur communiqué commun. Après la création des fondations, ils ont appelé la Cour constitutionnelle à intervenir : « Par peur d’une défaite électorale en 2022, Orbàn pille les biens publics au profit de ses sbires ».

 

Le bouleversement le plus spectaculaire s’est produit dans l’enseignement supérieur. En moins de deux ans, vingt et un établissements d’enseignement supérieur ont ainsi été cédés par l’Etat à de nouvelles fondations. A Budapest, seules quatre universités ont conservé leur statut, tandis qu’en province toutes sont dorénavant sous le contrôle d’une fondation, à l’exception de l’université d’Eger, cédée à…l’Eglise catholique.

 

L’essentiel des manœuvres juridiques et des privatisations déguisées des grandes universités ont eu lieu en plein état d’urgence, alors que la Hongrie subissait une mortalité record causée par le Covid-19 et que toute manifestation était interdite. Confronté pour la première fois à une opposition unie, le Fidesz anticipe-t-il une défaite aux élections l’an prochain, après douze années de pouvoir sans partage ? Ses adversaires voient dans ces fondations autant de bouées de sauvetage pour les hauts fonctionnaires qui lui sont fidèles, un moyen de miner l’action d’une prochaine administration et de préparer une reconquête de pouvoir. En somme, le contrôle des fondations pourrait permettre à Orbàn de rester au pouvoir sans forcément demeurer au gouvernement.

 

Stéphanie Roussillon, le 26.10.2021

 

sources :

le Monde Diplomatique – septembre 2021 « La Hongrie en coupe réglée »

« Caviar connexion », 2 documentaires sur Arte (octobre 2021)

 

 

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Les 12 salopards

 

Parce qu’ils estiment que « la surveillance des frontières n’empêche pas les tentatives de passage illégales », douze Etats de l’Union européenne demandent, dans un courrier adressé au vice-président de la Commission, Margaritis Schinas, et à la commissaire aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, de financer sur le budget européen la construction de barrières à leurs frontières pour empêcher les arrivées de migrants.

Ces douze partisans d’une Europe cerclée de barbelés sont l’Autriche, la Bulgarie, Chypre, la République tchèque, le Danemark, l’Estonie, la Grèce, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne et la Slovaquie.

 

Politis 14.10.2021

 

Protection de l’enfance en danger ?

 

La pandémie Covid a révélé les carences du système de protection sociale, notamment ; il a accentué nombre de souffrances au travail, d’épuisements physiques et psychologiques déjà effectifs, plus particulièrement dans les secteurs professionnels de services aux personnes (jeunes ou vieilles), tenues à bout de bras par des femmes, essentiellement, qui donnent sans compter mais sans reconnaissance. L’aide sociale à l’enfance fait partie de ces métiers, oubliés, mais indispensables dans une société où la maltraitance augmente sans que les solutions de placements se multiplient car « ça coûte cher » disent les conseils départementaux qui n’en font pas tous (loin de là) une priorité. Après tout, la politique de l’ASE concerne moins de 1 % de la population juvénile : ça ne sert pas à se faire élire !

 

1 – L’Aide sociale à l’enfance à la dérive

 

Dans le grand mouvement du CNR créant la Sécurité Sociale en 1945, naissait la Protection Maternelle et Infantile (PMI), dans le souci de veiller à toute maltraitance ou difficultés au sein de la famille et de développer la prévention médicale, psychologique, sociale et éducative. Simultanément, la justice des mineurs était ordonnée, afin que les mineurs reconnus coupables d’infractions pénales fassent l’objet de mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation spécifiques ; cette loi « historique » vient d’être balayée par la loi du 26.02.2021, avec, entre autres objectifs, l’accélération des jugements et des sanctions à l’encontre des mineurs « délinquants ». L’Aide Sociale à l’enfance (ASE) (créée en 1904) fut inscrite en 1956 dans le Code de la Famille et de l’aide sociale ; elle s’adresse aux mineurs, mineurs émancipés, majeurs de moins de 21 ans.et relève, depuis 1983, de la responsabilité des Conseils Départementaux qui organisent des services dédiés à l’enfance et à l’adolescence. L’application de la loi ne sera donc pas la même pour tous, tributaire des choix politiques des départements.

 

Depuis les années 1990, les différents gouvernements ont souscrit à la théorie néolibérale du nouveau management public, pour introduire le pilotage par objectifs et ont créé les outils pour la performance : Chirac/Jospin et la LOLF, loi organique relative aux lois de finance, Sarkozy et la RGPP – Révision Générale des Politiques Publiques, Hollande et la MAP, Modernisation de l’Action Publique, qui ont consisté à introduire des notions de rentabilité, à ouvrir à la concurrence, autrement dit à saper, et pour finir, à détruire le service public. Macron est pleinement inscrit dans cette politique.

 

La situation de souffrance au travail des travailleurs sociaux du secteur de la protection de l’enfance est le résultat de ces politiques. Ils subissent surcharge administrative, turnover dans les structures et établissements,  suppression de places… Les professionnelles de l’ASE doivent trouver des solutions aux placements de mineurs décidés par les juges aux affaires familiales : en près d’une décennie, les décisions de placement ont augmenté de 30 % (170 845 en 2019 contre 131 615 en 2010). Face à la souffrance d’enfants qui ont subi de graves violences, elles ne savent plus comment faire et sont conscientes de pratiquer de la « maltraitance » contre leur gré. Les établissements ont « dû » faire dormir des enfants sur des lits de camp, en hébergement d’urgence, pour une ou deux nuits, bref, des conditions d’accueil d’enfants à protéger inacceptables pour les travailleurs sociaux. Les corps craquent. « Des gamins se retrouvent sans solution pour des problèmes de procédure », les réunions d’équipe, d’échanges entre jeunes et professionnels ne sont plus possibles. « Avant on avait une gestion autonome de notre agenda qui permettait de s’adapter aux familles mais désormais c’est rentabilité et flicage » dénonce une psychologue clinicienne. Pendant la crise sanitaire, les violences conjugales ont explosé, les écoles étaient fermées et plus aucun regard extérieur n’était possible pour détecter des maltraitances sur les enfants, qui quittent leur famille de plus en plus tard avec des traumatismes lourds. De mai 2020 à mai 2021, le directeur d’un établissement affirme que la charge de travail de ses équipes a augmenté de 35 %, sans moyens supplémentaires mais à coup de congés déplacés, d’horaires de travail extensifs… et des mesures de protection à domicile n’ont pu être exécutées. Des droits d’alerte ont été lancés à plusieurs reprises, comme dans les Vosges, où le syndicat SUD 88 a signalé aux élus du département et au Parquet, des situations graves, comme celle d’une agression sexuelle entre enfants pris en charge dans une famille d’accueil qui seraient restés ensemble plusieurs mois après les faits, faute de place.

 

Sur environ 360 000 enfants pris en charge, 110 000 sont placés dans les familles d’accueil, le reste étant en « foyers » ou dans leurs familles sous mesures de protection spécifiques.

 

Les 38 000 familles d’accueil, qui sont des assistantes familiales (AF) sont « la 5ème roue non pas du carrosse mais du chariot brinquebalant » (1). Elles sont considérées comme « devant » accueillir, et l’ASE n’hésite pas à leur demander d’être en sureffectif (au-delà de 3 enfants) pour un temps court, qui peut se poursuivre des mois. Le département peine à recruter dans un travail précaire qui n’est pas ordinaire et qui manque de reconnaissance. « Dans ce métier l’attachement permettant à l’enfant de se reconstruire est fondamental » et aujourd’hui on nous dit « il ne faut pas s’attacher à l’enfant ! ». Le manque de places a des conséquences lourdes pour l’enfant : des fratries sont séparées, les AF reçoivent des enfants de plus en plus cassés… tout cela pour des rémunérations de misère. Elles ont le sentiment de ne pas compter ; elles sont souvent seules face à la lourde tâche, se sentent exclues sans pouvoir évoquer la situation de l’enfant avec les référents de l’ASE, complètement débordés par multiples tâches ; il n’y a plus de réunion de partage sur l’enfant et son projet. « C’est nous qui connaissons le mieux l’enfant mais c’est comme si on n’existait pas » Elles ne sont même pas entendues par le juge pour évaluer la situation de l’enfant. Et l’enfant n’est jamais écouté. Quand l’ASE leur envoie un enfant, elles ne connaissent pas ses troubles et ont à gérer des comportements difficiles. De plus, elles sont tenues maintenant à faire des dossiers administratifs. C’est un métier sans repos, sans répit. 24 Heures sur 24, 7 jours sur 7 avec peu de week-ends et de congés… et pas payé.

 

Les élus, quant à eux, ferment les yeux sur les sureffectifs, sur les conditions d’accueil, en fait, juges et parties, ils s’autocontrôlent ! Côté chiffres : les budgets alloués à l’ASE varient d’un département à l’autre et peuvent passer du simple au triple de 5.3 à 18.8 % du budget total. Les moyens accordés à la formation des professionnels de l’ASE vont du simple au décuple. Le prix moyen d’une journée en famille d’accueil est de 100 euros, dans les Alpes Maritimes il est seulement de 48 €. Il n’y a pas de règles communes au niveau national, les départements font ce qu’ils veulent. Pour être assistante familiale, pas de formation spécifique exigée, il suffit d’être en couple et d’avoir un logement suffisamment grand pour être agréé… par le département. 

 

 

2 – Une nouvelle loi pour rien

 

Dès février 2011, des appels à rassemblement ont été lancés par les syndicats, les travailleurs sociaux et les assistantes familiales, mobilisés pour dénoncer les conditions faites aux enfants et aux professionnels de l’ASE. Vite, il fallait apaiser : un projet de loi a été adopté le 8 juillet à l’Assemblée nationale, il est, à ce jour, à l’examen du Sénat.

 

La crise profonde que traverse la protection de l’enfance en raison du défaut criant de moyens et d’une politique globale de prise en charge des enfants, erratique et morcelée dans de nombreux départements, n’est pas prise en compte. Des décisions judiciaires restent inappliquées ou retardées par manque de moyens humains et d’accueil ; des enfants sont laissés à domicile dans un contexte de danger avéré ou placés à l’hôtel faute de places en institution ! Ce projet de loi, en procédure accélérée, ne règle rien, ni les graves dysfonctionnements, ni les conditions de travail des professionnelles. Au contraire, il élargit les possibilités de délégation d’autorité parentale à l’ASE et amoindrit de fait le contrôle du juge. Il ne garantit pas l’absence d’éloignement des enfants, faute de structures de proximité et prévoit de trop nombreuses dérogations à l’interdiction d’héberger des enfants en hôtel ou en centres de vacances. Il refuse de permettre au jeune mineur d’avoir un avocat à tous les stades de la procédure et ne répond pas à la question de l’accompagnement des jeunes majeurs sortant du dispositif.

 

Il n’augmente pas les moyens pour l’ensemble des missions de prévention et de protection, hormis deux mesures « techniques » : la création d’un référentiel national d’évaluation de situation de danger, créé par la Haute Autorité de Santé, jusqu’ici chacun définit le danger différemment ! Quant à la création d’un fichier national des retraits et  suspensions d’agrément des familles d’accueil, il permettrait de savoir si la famille d’accueil n’a pas de contentieux dans un autre département.

 

En fait, le projet, construit à la va-vite, ne reconnaît pas l’enfant maltraité, un enfant de l’ASE n’est pas comme les autres, il a subi des violences graves et il n’est pas là parce que ses parents se sont disputé ! La société lui doit donc protection pendant son enfance et son adolescence, pour qu’il puisse se reconstruire pour parvenir à une sortie positive. S’il ne bénéficie pas de mesures d’accompagnement proche, cela lui sera impossible. Ce n’est pas pour rien si l’on constate que 40 % des SDF de moins de 25 ans ont été suivis par l’ASE.

 

Un projet de loi digne de ce nom, doit s’articuler autour de trois axes forts : prévention, protection et sortie. De la prévention pour détecter, au plus vite, les victimes par le biais de l’école, de la crèche, des assistantes sociales, etc… Puis, après un état des lieux sur le territoire national, doivent venir les mesures de protection adaptées, à savoir, des moyens suffisants pour prendre le temps avec l’enfant, la famille, mais aussi l’augmentation du nombre de places en établissements et un statut amélioré des assistantes familiales. Que penser d’un projet de loi qui interdit le placement en hôtel des mineurs et, en même temps, autorise des dérogations en grand nombre pour le faire ? Que penser de la volonté d’améliorer la situation alors qu’aucune prévision d’augmentation des places en foyers n’est prévue ? Que penser du déni de droit à l’encontre de ces enfants à qui l’on refuse d’être représentés par un avocat, permettant ainsi que les plus vulnérables soient les seuls justiciables à ne pouvoir bénéficier de ce droit ?

 

Enfin, une « vraie réforme » doit prévoir la sortie du jeune à sa majorité ou plus. A 18 ans le jeune de l’ASE a encore besoin d’être à l’abri. Veiller à sa sortie du dispositif consisterait à considérer que l’ASE est une politique de suppléance parentale jusqu’à l’autonomie totale du jeune, en lui garantissant un suivi proche mais également des ressources ; la garantie jeunes, dit le gouvernement, permettra d’éviter les sorties « sèches » sauf que les jeunes concernés ne remplissent pas toutes les capacités requises pour monter un projet professionnel : 30 % des enfants placés sont porteurs d’un handicap psychique. Par ailleurs, c’est le département qui reste libre de déterminer le périmètre et la durée de la prise en charge et aucune mesure de contrôle des départements et associations gestionnaires n’est envisagée, ce qui laisse toute liberté d’interprétation : ainsi, la séparation des fratries est interdite (depuis la loi de 2002) mais les départements ne se gênent pas pour la pratiquer !  

 

Rien sur la reconnaissance du métier spécifique d’assistante familiale, rien sur la qualification, la formation et sur une grille de rémunération convenable, sauf la « garantie » du Smic lorsqu’elles accueillent un seul enfant… A croire que la pénurie en personnels convient ? Alors, une loi pour rien ? Y a-t-il vraiment volonté de consacrer de l’argent et des moyens aux jeunes maltraités ?

 

Mériterait d’être discutée la question de la décentralisation de la gestion de l’ASE. Est-il acceptable de laisser les disparités s’installer d’un département à l’autre ? Faut-il laisser cette compétence aux départements sans qu’aucune contrainte ne garantisse un traitement égalitaire sur l’ensemble du territoire ?

 

Une politique de protection de l’enfance ne peut être celle de la relégation des plus fragiles avec des moyens minimaux et à « bas coût ». Cela vaut aussi pour les mineurs étrangers non accompagnés qui sont légalement à la charge de l’ASE. Ils doivent bénéficier des mêmes droits que les mineurs français, à savoir être accompagnés pour construire un parcours de vie scolaire ou professionnel. En fait, ils galèrent déjà pour faire valoir leur minorité, puisque, systématiquement ou presque, les départements la contestent. S’ils réussissent à passer cette éprouvante étape, ils sont protégés et peuvent faire des études ou préparer un diplôme professionnel. Lorsqu’ils ont 18 ans, et qu’ils n’ont pu prétendre à une régularisation car arrivés après leurs 16 ans, ils doivent déposer une demande de titre de séjour que la préfecture leur refuse toujours au même motif : une erreur dans leurs documents d’état civil, s’empressant, par contre, de délivrer une Obligation de Quitter le Territoire Français. Mépris ! Gâchis ! Ces jeunes sont formés pour devenir des sans-papiers condamnés à vivre en marge de la société ! Une mission parlementaire en mars 2021 a rendu sa copie, formulant 18 préconisations dont plusieurs relatives à l’âge des migrants, faisant dire à Catherine Daoud (avocate au bureau de Paris, antenne des Mineurs non accompagnés) : « ce rapport préconise de stigmatiser, ficher et sanctionner encore plus sévèrement les enfants en errance, alors qu’il faudrait les accueillir, les protéger, les soigner et poursuivre les adultes qui les exploitent… ». L’intérêt supérieur de l’enfant est passé à la trappe.

 

 

Alors, que voulons-nous ?

 

Une société qui se solidarise pour défendre les nouveaux « justes » ? Ceux qui, comme Mimmo Lucano, maire de Riace en Italie, accueillit plus de 200 exilés kurdes en 1998, offrant une vitrine du dynamisme que peuvent installer les migrants dans une petite ville de 1 800 habitants. Cette alternative à la haine l’a fait condamner « pour aide à l’immigration clandestine » à 13 ans et deux mois de prison et 500 000 euros d’amende (2),

 

ou une société qui regarde, indifférente, le jeu des puissants se faisant la guerre à coups de migrants, comme le dictateur biélorusse Loukachenko qui, pour déstabiliser l’UE (qui l’a sanctionné en 2020), organise la venue d’exilés irakiens, syriens, afghans… en Biélorussie pour les acheminer jusqu’à la frontière de l’Europe (Pologne, Lituanie, Allemagne…) ?  

 

Odile Mangeot, le 26.10.2021

 

sources : Politis, le Monde, Fakir

 

(1)   cf article de Fakir  n° 100 (sept. nove. 2021) « Chez les serpillières de l’Aide à l’Enfance »

(2)   La solidarité s’organise. Signer la pétition sur https://www.change.org/p/mario-draghi-liberte-pour-mimmo-lucano  

 

Appel pour Mimmo Lucano

 

L’ancien maire de Riace, en Italie, a été condamné à 13 ans et 2 mois de prison et à 500 000 euros d’amende le 30 septembre, pour avoir porté secours à des réfugiés et redonné vie à son village. Une pétition dénonce le caractère purement politique de cette décision de justice et fustige le délit de solidarité : https://www.change/org/p/mario-draghi-liberte-pourmimmo-lucano .Ci-dessous des extraits de la lettre de Mimmo Lucano lue en son nom dans son village, le 3 octobre

 

Il est inutile de vous dire que j’aurais voulu être présent avec vous (…) pour profiter de cette sensation de spontanéité, pour sentir l’émotion que les paroles créent dans l’âme (…). Le ciel est traversé par de sombres nuages, les mêmes couleurs, la même vague noire dans les cieux d’Europe qui bouchent les horizons indescriptibles de cimes, abysses, terres, douleurs et croix, cruauté de nouvelles barbaries fascistes (…). Aujourd’hui, dans ce lieu de frontières, dans ce petit pays du sud de l’Italie, terre de souffrance, d’espoir et de résistance, nous vivons un jour historique. L’histoire, c’est nous. Avec nos choix, nos convictions, nos erreurs, nos idéaux, nos espoirs de justice que personne ne pourra jamais effacer. Un jour viendra où les droits humains seront davantage respectés, il y aura plus de paix que de guerre, plus d’égalité, plus de liberté que de barbarie. Il n’y aura plus de gens qui voyagent en business class et d’autres entassés comme de la marchandise humaine arrivant des ports coloniaux avec les mains agrippées aux vagues de la mer de la haine. (…) Je referais les mêmes choses qui ont donné un sens à ma vie. Je n’oublierai jamais ce merveilleux fleuve de solidarité (…) Il ne faut pas renoncer : si nous restons unis et humains, nous pourrons caresser le rêve de l’utopie sociale.

Je vous souhaite d’avoir le courage de rester seuls et l’ardeur de rester ensemble, fidèles aux mêmes idéaux. D’être désobéissants à chaque fois que nous recevons des ordres qui humilient notre conscience. De mériter que l’on nous appelle « rebelles » comme ceux qui refusent d’oublier face à ce temps d’amnésies obligatoires. D’être obstinés au point de continuer à croire, contre toute évidence, que cela vaut la peine d’être des hommes et des femmes. De continuer à marcher malgré les chutes, les trahisons et les défaites, parce que l’histoire continue, même après nous, et quand elle dit « adieu » en réalité c’est un « au revoir ».

Il nous faut nous souhaiter de maintenir vivante la certitude qu’il est possible d’être contemporain de tous ceux qui vivent animés par la volonté de justice et de beauté, partout, parce que les cartes de l’âme et du temps n’ont pas de frontières.

 

Zemmour : le venin dans la plaie

éditorial de PES n° 77 octobre 2021

 

Commençons par la plaie ouverte dans le corps social malade. Son tissu est déchiré par en bas et par en haut. Par en bas, les organes syndicaux affaiblis, malgré leurs résistances défensives, les partis dits de « gauche gouvernementale » infectés de néolibéralisme, ne constituent plus des remèdes revitalisants. Des phénomènes de rejet provoquent droitisation et aquoibonisme dans les classes populaires. Par en haut, ce n’est guère mieux : dans le bloc bourgeois, une partie des cathos-réacs et certains membres des hauts fonctionnaires, tous CSP+ sont prêts à inoculer le pire pour conserver leurs privilèges. L'effet dévastateur des politiques en leur faveur, et surtout destinées au capital financiarisé, les inquiète et les questionne. Comment conserver leur hégémonie, obtenir le consentement des membres affaiblis ? Diviser les corporations, opposer les fonctionnaires aux salariés du privé, les chômeurs aux actifs, ne suffit plus. La caste dirigeante, à des degrés divers, a donc décidé de faire une saignée. Elle a ouvert les vannes de la surenchère en livrant ce corps malade au racisme, à la xénophobie et au nationalisme pour tenter de purger la révolte qui couve. Il s’agit d’éviter à tout prix l’antidote Gilets Jaunes et, par-dessus tout, l’émergence d’une alternative au règne des puissants. La comtesse Pécresse, les barons Bertrand et Barnier, dans une compétition grotesque, prétendent mieux que quiconque remettre en ordre ce corps malade en le perfusant d’anti-islamisme…

 

Quant à Macron, le président des ultra-riches et des milliardaires qui l’ont enfanté, il a buté sur la résistance populaire. Il n’est pas parvenu à ses fins, à part la casse du droit du travail et le rabougrissement des indemnités chômage : le projet de démantèlement des retraites et de la Sécurité sociale est en rade. Après le passage obligé du « quoi qu’il en coûte » du Covid, il brandit l’arme démago du plan de relance… 2030, prétend distribuer quelques primes par-ci, par-là, sans qu’on n’en trouve trace dans le projet de budget 2022 et encore moins dans sa missive envoyée à la Commission européenne ! Son souci, comme ses concurrents néolibéraux, c’est de gagner des parts de marché électorales : les jeunes, en faisant le guignol, les chasseurs anti-écolos, les craintifs, en agitant la peur des islamo-gauchistes. Ce représentant de la bancocratie et des CSP+ espère ainsi rester à 24 % ( !), le premier de la classe, pour le second tour des présidentielles. Rien à craindre des sociaux-libéraux du PS qui voudraient renaître de leurs cendres, ni des écolos-bobos verts européistes ! Marine Le Pen fera le reste en sa qualité d’épouvantail. Las, le RN, en se dédiabolisant, en se présentant comme la candidate du pouvoir d’achat, de la baisse de la TVA à 5.5% sur l’essence, l’électricité, le gaz, tout en étant « trop molle » contre l’islam, pourrait atteindre les 28 % !

 

Et Zemmour est apparu, porté par les médias de Bolloré et autres apprentis sorciers. Il aurait déjà rallié l’extrême droite orpheline du FN père, des électeurs de François Fillon et la bourgeoisie patriote. N’est-ce qu’une bulle sondagière ? Rien n’est moins sûr ! La plaie ouverte dans la formation sociale française est rance. Zemmour y ajoute son venin de la haine des musulmans. Nous serions victimes d’une guerre de civilisation, Orient contre Occident, d’une invasion migratoire de Moyen-orientaux et d’Africains adeptes du djihad, venus conquérir le territoire, « changer l’âme de notre peuple », procéder au « grand remplacement ». Face à ce « danger de mort » pour « conserver nos racines chrétiennes », une seule solution : expulser par voie de charter, y compris les petits délinquants qui possèdent la double nationalité (les idées de Hollande ont fait leur chemin, lui qui voulait prononcer la déchéance de nationalité). Et pour que les « barbares » ne rentrent pas « chez nous », il prône la création d’une « police militaire aux frontières » et pourquoi pas des murs, « le prix, je m’en fous ». Quant aux clandestins on les prive de toute aide, y compris l’aide médicale d’Etat, soit il « crèvent chez eux soit chez nous » mais il faut en finir avec « la contagion de la gangrène ».

 

C’est un discours de guerre civile préparant les meurtres racistes, dressant des fractions populaires égarées contre les cohortes de travailleurs antifascistes. Ce venin de la haine peut prospérer. Il divise aujourd’hui le RN et les zemmouriens, pour les porter tous deux à 30 % selon les sondages.

 

La course présidentialiste est transformée en cirque funeste où la caste régnante, macronienne, pourrait tirer son épingle du jeu, en faisant croire que tout pourrait changer sans que rien ne change. Reste le programme rationnel, antilibéral, néo social-démocrate et écologiste des Insoumis. Les mobilisations populaires, pour autant qu’elles ne s’en tiennent plus seulement à des revendications économiques afin d’éviter trop de casse sociale, pourraient être l’antidote du venin fascisant. La question à poser c’est : quel pouvoir populaire après avoir dégagé Macron ? Mais un corps social et électoral bien malade peut-il l’entendre ? Il lui faudrait des anticorps puissants pour qu’il relève la tête et qu’il soit bien décidé à se débarrasser de tous ses parasites !

 

GD le 26.10.2021

 

 

L’aigle de proie

 

Il y a des raisons que l’on ne contrôle pas

c’est ce qui me pousse à vous dire tout ça

ceci est plus fort que moi

je suis un bénévole comme il se doit

qui voudrait alléger le monde de son poids

ne vous imaginez pas que quand tout d’efface tout s’en va

il y a une chose que l’on ne vous dit pas

que leur bêtise suit nos pas

offre spéciale du gouvernement et du sénat

tous ces régisseurs qui font la justice et la loi

n’osent pas montrer du doigt

ces entreprises qui les emploient

ils multiplient les conflits d’intérêt et de droit

leur serment n’a rien d’un engagement de foi

ils sont les dignes représentants du cercle des malfrats

ils rongent notre société comme des rats

le bateau sombre mais personne ne le voit

ils nous ont distraits nous faisant prendre d’autre voie

celle de la peur sous tous les toits

pour que le peuple n’ait plus le choix

ne voyez-vous pas cet aigle de proie

à l’affût du moindre de vos pas ?

 

Hassen

 

ETE 2021 : COUP DE CHAUD À CUBA !


Nous publions, ci-après, la 2ème partie du reportage sur Cuba envoyé par un de nos abonnés.


Y-a-t-il un économiste dans la salle ?

Selon la légende, le Che avait répondu par l'affirmation à cette question de Fidel lors d'une réunion, et était devenu... Ministère de l'Economie.

Alors que la crise économique s'amplifiait lors du 2° semestre 2020, le mouvement de San Isidro et sa mouvance d'artistes et de pseudo-artistes provocateurs (l'un se faisant photographier sur des toilettes avec un drapeau cubain sur le dos), bloggeurs payés par la NED (New Endowment for Democracy) ou d'autres associations américaines, faisaient le siège du Ministère de la Culture pendant plusieurs semaines et occupaient la toile et une partie de l'espace médiatique officiel cubain. Soutenus de manière parfois maladroite par des personnalités connues comme Jorge Perrugoria, l'acteur du célèbrissime Fresa y Chocolate et Humberto Perez, célèbre réalisateur cubain mais aussi l'écrivain Padura, ils avaient manifesté plusieurs fois en petit comité dans les rues vides de la Vieille Havane sans que la Police n'intervienne. La police est-elle terrifiée par les téléphones portables ou est-ce un message envoyé à l'étranger ? Le mouvement San Isidro avait fini par se discréditer suite aux provocations évoquées ci-dessus, aux révélations des liens entre certains bloggeurs et la Floride et surtout après le soutien très appuyé et officiel de Mike Pompéo avant de quitter la Maison Blanche. Les réseaux sociaux (en particulier Facebook) avaient relayé un appel à un cacerolazo (un tintamarre de casseroles) la nuit du 31 décembre 2020 ; la Havane avait retenu son souffle et finalement rien ne s'était passé !


Bonne année 2021 !!!

C'est dans un contexte économique tendu par la pandémie que le gouvernement cubain a choisi d'effectuer, le 1° janvier, sa réforme monétaire consistant à faire disparaitre le CUC (le peso convertible), disparition annoncée par Raul Castro dès 2013. Les Cubains avaient 6 mois pour échanger leurs CUC en CUP (peso non convertible). Désormais, les dollars ou euros sont changés directement en CUP, respectivement et officiellement à 24 et 28 CUP.

Dans le même temps, il multiplie (restez assis!) les tarifs de l'électricité par... 4 pour la première tranche, et par 5 pour les tranches suivantes et relève le prix de l'eau dans les mêmes proportions (sans affecter les volumes cependant) et annonce dans la foulée la possibilité de payer sa facture d'électricité depuis les... USA ou l'étranger. Malgré le discours consistant à faire avaler la pilule en parlant d'économies, d'écologie (l'électricité est principalement produite en brûlant du diesel dans des centrales thermiques), la grogne aidant, le gouvernement annonçait à l'aide d'un spot publicitaire, dès janvier, une légère baisse du prix de l'électricité, les Cubains ayant gagné 5 millions de pesos ! Marketing politique d'Etat, à pleurer ! Pour amortir le choc, le gouvernement cubain a relevé de manière significative les salaires du secteur étatique et les pensions de retraite mais les a convertis en monnaie nationale (CUP). Disparue la partie du salaire versée en CUC.

Pas besoin d'être économiste pour imaginer la catastrophe annoncée car le gouvernement a provoqué de façon mécanique cette inflation ; les prix se sont envolés sur les marchés (peu approvisionnés à cause de la crise sanitaire) ; ainsi, la livre de riz est passée de 5 pesos à 60 pesos !!! Le gouvernement a eu beau annoncer que l'augmentation des prix coïncidait à une augmentation de la qualité des produits (par quel miracle?) et que des inspecteurs contrôleraient les prix sur les marchés d'approvisonnement, la flambée des prix n'a eu de cesse. Quelques ajustements à la marge ont été effectués notamment envers ceux qui louent des chambres aux étrangers via... RB&B et qui ont l'air conditionné, ceux qui pleurent tout le temps et qui gagnent en 3 nuits ce que gagne un professeur en un mois ! On ne prête qu'aux riches ! Cependant, ce secteur est globalement à l'arrêt depuis plusieurs mois à cause du Covid ; beaucoup de Cubains souhaitent vendre et quitter le pays. Les notariats sont fermés pour 6 mois à la Havane. En janvier la TV d'Etat parlait ouvertement du change au marché noir, 60 pesos cubains pour un dollar. L'euro se change actuellement en la calle (dans la rue) entre 70 et 80 pesos. Donc, pour les dépenses quotidiennes, les prix varient en fonction du taux auquel on change ses euros ou ses dollars - si vous avez la chance d'en avoir ou d'en recevoir. Sinon, avec le peso cubain, c'est la galère ! En fait, la hausse annoncée des salaires n'a été qu'un rattrapage par rapport à l'inflation des 5 dernières années et l'inflation fulgurante de l'année 2021 a définitivement lissé cette hausse des salaires et a plombé le pouvoir d'achat de la majorité de la population. La recherche effrénée de MLC (monnaie librement convertible) a accentué la chute du peso. Un pays incapable d'imposer des prix fixes sur les marchés vivriers peut-il toujours se prétendre socialiste ou la loi du marché ne s'est-elle pas déjà imposée à un Etat de plus en plus faible ? Mais cela n'est rien quand on sait que la libreta (carnet de rationnement) est vouée à disparaitre et que les entreprises d'Etat vont voir leurs aides diminuer drastiquement. Les entreprises étrangères pourront investir (+ de 500 projets selon Granma) dans des joint-ventures dont elles pourront être désormais majoritaires (biotechnologie, commerce de gros, tourisme...)


Le calice jusqu'à la lie !

Le gouvernement en profite pour ouvrir des magasins MLC où l'on peut acheter UNIQUEMENT avec une carte prépayée (USD ou €) ou une carte bancaire internationale... américaine VISA ou MASTERCARD. L'objectif annoncé est clair : drainer les devises fortes dans le système bancaire cubain et surtout les capter pour importer ce dont le pays a besoin sur les marchés étrangers. Le paradoxe veut que dans un pays exangue, des queues immenses se forment devant ces magasins (il y a donc de l'argent pour certains) où l'on trouve de tout alors que la majorité de la population peine à vivre avec ce que le carnet de rationnement fournit aux citoyens cubains. Les tensions sont monnaie courante dans ces foules de citoyens prêts à en découdre pour acheter. Des coleros (ceux qui font la queue) professionnels opèrent, revendant à 10 ou 12 dollars, le paquet de poulet aux hormones (américain!!!) acheté à 3 dollars après des heures de queue ou un passe-droit ou un bakchich ! La Police est présente !

Le gouvernement a annoncé mi-juin, que désormais, il n'accepterait plus que les euros, créant un nouvel effet de panique, 80 % des remesas proviennent des USA donc en dollars.


Le secteur de la santé et la production de vaccins...

Pendant ce temps, le virus progresse car les vaccins cubains tardent. Narcissisme nationaliste, besoin de montrer au monde entier que Cuba, selon le souhait de Fidel, ne dépend de personne ? Le gouvernement cubain déclare que ses vaccins mis au point avec l'Iran (Abadala) ou le Soberana (souveraineté) ont pris du retard à cause des difficultés à se procurer les ingrédients nécessaires à leur fabrication. Selon le MINSAP (Ministère de la Santé Publique), leur efficacité varie entre 98% et 100%. Avec le retard pris ces derniers mois, la situation est devenue intenable dans certains hôpitaux avec l'accumulation de patients et un système de santé fortement dégradé. En août, des ruptures d'approvisionnement en oxygène dues à des avaries techniques sur les lieux de production ont entraîné la mort de plusieurs malades du Covid. Certains médicaments ne sont plus accessibles à Cuba. D'ailleurs le gouvernement cubain a officiellement autorisé les voyageurs à importer pratiquement librement nourriture et médicaments jusqu'à la fin de l'année 2021, c'est dire la gravité de la situation. Idem pour... les panneaux solaires !


La carotte ou le baton ?

Comme les écoliers sont à la maison depuis plus d'un an et demi sans pouvoir sortir, pas étonnant que la déstabilisation des réseaux sociaux et les appels à la révolte orchestrés par les officines américaines et certains opposants cubains coïncident avec l'été (par chance très pluvieux et pas très chaud cette année) qui généralement surchauffe les habitats des quartiers pauvres et insalubres comme le Centro Habana, pour tenter de porter l'estocade. Les plages fermées , les enfants ne pouvant sortir, l'économie pratiquement à l'arrêt, la situation était explosive. D'autant plus que Biden n'a pas bougé d'un iota la politique de Trump. L'équipe de Blinken, le chef de la diplomatie américaine, s'est dite déçue du manque de retombées de la politique de la carotte sous Obama. De plus, les Démocrates qui pensaient naïvement gagner l'Etat de Floride lors des dernières présidentielles, se sont pris une dérouillée et sont maintenant prisonniers de l'élection des mid-terms, si importante pour la majorité au Congrès américain. Rappelons que, sans l'accord du Congrès, le blocus ne peut pas être levé ! Et comme l'anti-castrisme est un business politique et financier aux USA, les choses resteront figées malgré les appels de certaines associations comme Puentes de amor ou de rares élus démocrates, et ce jusqu'à la chute du régime castriste, désormais dans toutes les têtes.


Communication étatique : 15 jours de pédagogie !

Suite aux événements du 11 juillet 2021, la TV d'Etat Cubaine n'a cessé de faire passer en boucle les images de cette voiture de police retournée par des manifestants. Idem pour les images de pillages ! Pendant 2 semaines, matin et soir, des émissions spéciales suivant les actualités ont analysé les mécanismes qui ont conduit à ces événements, reprenant les propos de certains opposants de Miami ainsi que les fausses nouvelles des réseaux sociaux, les décortiquant et les analysant pour mieux les ridiculiser... et surtout montrer que la violence était dans le camp des opposants ! La TV a montré certaines publications Facebook comme celle où le soi-disant Malecon avait été envahi par des centaines de milliers de personnes, en fait des images du soulèvement du “printemps arabe” en... Egypte. Ou encore la vidéo virale de cette ménagère annonçant la prise de l'hôtel de Ville de Camagüey qui a été tournée en ridicule. Tout comme l'image montrant Raul Castro “fuyant” au Vénézuela... Le président de la République Diaz-Canel l'a explicitement déclaré : les Etats-Unis attendent un bain de sang qui sera le prétexte pour une intervention militaire, cela ne se produira pas !”  Il a aussi déclaré que “la rue appartenait aux Révolutionnaires”; les réseaux sociaux lui ont vite rappelé que la rue appartenait aux Cubains, à tous les Cubains!


Le gouvernement a lourdement insisté sur la violence des manifestants et ainsi montré que les agresseurs n'étaient pas du côté gouvernemental. Cependant, montrer en boucle des policiers ou des membres du Ministère de l'Intérieur, tuméfiés après avoir été tabassés, peut avoir un effet néfaste et encourager certains à passer à l'action en sachant que potentiellement tout acte dissident fait de vous un héros à Miami et à Washington. Bien sûr, cette communication victimaire a pour but de discréditer le mouvement, et certainement, les Cubains le savent, d’identifier les auteurs de ces faits de violence ou de pillage afin que la population les dénonce. Le pouvoir a communiqué en montrant les groupes d'intervention (Boinas Negras - “Avispas Negras” pour les Cubains) encadrant pacifiquement les manifestants et un mois plus tard, livrant des bouteilles d'oxygène aux hôpitaux. Ce qui n'a pas empêché que cette unité ainsi que le Ministre de la Défense soient ciblés par le Département d'Etat Américain.

Le message gouvernemental est adressé à l'Europe et notamment à la France avec laquelle Cuba cherche à négocier l'annulation de sa dette. Profil bas de rigueur, l'Administration U.S et certains opposants de Floride le savent... et en profitent  tout comme l'extrême-droite espagnole à la manoeuvre au Parlement Européen pour faire condamner la supposée violence de la police cubaine. Pas sûr que cette dernière, si crainte à une époque, continue à être respectée ! Elle est restée particulièrement passive ce 11 juillet car peu équipée pour du maintien de l'ordre. Il lui serait difficile de faire face à un mouvement de type Gilets Jaunes (régulièrement montré à la TV cubaine). Ces images de saccages et de pillages passées en boucle auront montré les failles dans le maintien de l'ordre cubain.. Disons-le franchement, le pouvoir s'est laissé surprendre le 11/7. Une semaine après, la police s'était discrètement positionnée, sur les axes stratégiques notamment ceux menant à la Place de la Révolution, prête à intervenir à la moindre alerte !


La Doctrine Monroe toujours d'actualité !

Les Etats-Unis sont en train de garroter économiquement Cuba pour des raisons purement politiques pour montrer que le seul modèle de société viable est la société capitaliste... (sauvée du désastre par... Obama en 2008). Cuba, sans ce blocus mortifère, serait un pays prospère. D'ailleurs, c'est cette prospérité potentielle qui attise les convoitises américaines sans oublier la Doctrine Monroe qui ferait de Cuba le 52° état américain après... Porto Rico (pour le moment toujours simple territoire américain). Les résolutions de l'ONU n'ont jamais rien changé au blocus et ne changeront rien à la situation ! Dans cette guerre opposant les deux pays depuis 1959, nous sommes passés de la guerre conventionnelle (tentative d'invasion le 17 avril 1961 de la Baie des Cochons par les contre-révolutionnaires cubains appuyés par Washington) aux conflits extra-territoriaux en Ethiopie, Angola opposant les deux pays, puis à une guerre de basse intensité mais il semble que la période TRUMP et l'avènement des réseaux sociaux utilisés aux niveaux individuel, institutionnel (NED...), associatif et médiatique ouvrent désormais la voie à une guerre de déstabilisation beaucoup plus puissante. L'accès à internet a permis aux ennemis de Cuba d'agir à l'intérieur même de l'île car les réseaux sociaux, Facebook en tête, ne censurent pas les personnes qui prêchent la haine et participent de fait, au mouvement hostile à Cuba notamment depuis Miami. Les opposants ont pu s'organiser et des "soft targets" ont été ciblées (UCI – Université des Sciences Informatiques accusées d'espionner la toile à Cuba). Le gouvernement cubain n'ignore pas les réseaux sociaux et combat pied à pied les mensonges véhiculés par la toile. Le très respecté Ministre des Affaires Etrangères, Bruno Rodriguez Parrilla est monté au créneau pour démentir les insanités véhiculées, avant, pendant et après les événements du 11/7. Cela n'a pas empêché, suite aux émeutes, l'apparition, sur la toile, de nouvelles rumeurs de disparition de personnes arrêtées pour violences ou dégradations ! Une photo de travaux effectués par des ouvriers au centre du pays a suffi à relancer des informations fallacieuses... de disparitions de masse et de... fosses communes. Nouveaux démentis du gouvernement cubain, donnant l'impression de sans cesse courir après les pyromanes de la toile afin d'éviter la propagation des incendies. D'ailleurs, l'accès à internet a été bloqué pendant trois jours du dimanche 11/7 au mardi 13/7, le temps que la tension retombe !


Epilogue

Les événements de juillet auront néanmoins eu un petit aspect positif, bien dérisoire mais hautement symbolique. Le gouvernement a décrété la distribution dans chaque foyer du pays de denrées alimentaires de première nécessité hors libreta. La politique d'ouverture des années Raul Castro a plutôt accentué les inégalités entre les personnes ayant de la famille aux Etats-Unis ou en Europe qui reçoivent des remesas, des devises fortes, ceux qui ont pu monter un commerce lié au tourisme ou à d'autres secteurs lucratifs (restauration) et le reste de la population. Cela génère des frustrations. D'ailleurs, le président a mis l'accent en août sur les quartiers “abandonnés” et est venu reconquérir le territoire du quartier de la Güinera, livré le temps d'une journée à la vindicte populaire, aidé par les travailleurs sociaux et une figure importante de la... Santeria, la religion afro-cubaine, si vivace dans l'île.

Les Cubains sont fatigués par des décennies de privation et une grande partie de la population reste attentiste. Le "cambio" (changement) est désormais dans toutes les têtes. Le gouvernement lui-même attend des gestes de Biden qui pourraient desserrer l'étau qui écrase le pays ! Mais Sleepy Joe (Biden) ne fera pas ce cadeau aux Républicains en volant au secours d'un pays communiste ! L'avenir de la Révolution semble désormais liée à l'attitude de son bourreau ! Terrible, même si Cuba en a vu d'autres. Les jeunes générations ne sont plus politisées et la société de consommation fait des envieux ! Pas sûr qu'elles aspirent au sacrifice ultime pour défendre la nation et les corrompus de haut-vol ! Patria o Muerte... Veremos !


MONCADA, 19/09/21