Magouilles
d’Etats
Qu’il
s’agisse de corrompre des parlementaires européens pour redorer son image ou de
créer des fondations afin de privatiser les richesses publiques, quelques pays
s’illustrent par leurs tromperies et autres magouilles géantes. Petit tour
d’horizon.
La diplomatie
du caviar
Depuis
quelques années, une ancienne république soviétique corrompt le cœur des
institutions démocratiques occidentales. Son but est de s’acheter des alliés
pour blanchir sa réputation et continuer à s’enrichir. Cette stratégie porte un
nom : la diplomatie du caviar.
L’Azerbaïdjan, ou république d’Azerbaïdjan, est un pays du Caucase
situé sur la ligne de division entre l’Europe et l’Asie. Le pays a gagné son
indépendance au moment de l’éclatement de l’URSS en 1991. C’est une république à
régime présidentiel présidée par Ilham Aliyev et, selon le Monde, une « dictature impitoyable » qui
s’apparente à une pétromonarchie puisque la famille régnante dirige le pays
depuis 1993 et tire ses revenus des hydrocarbures. Le président Heydar Aliyev,
ancien membre du Parti communiste de l’Union soviétique, a dirigé le pays de
1993 à 2003 d’une main de fer. Sérieusement malade, il a fait élire son fils en
2003 avec près de 77% des voix. Il est réélu en 2008 en augmentant son score de
plus de dix points. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE) a jugé cette élection non démocratique. En 2013, les résultats ont été
publiés accidentellement la veille du scrutin. En 2010, il n’y avait aucun
parti d’opposition élu au Parlement. En février 2017, le président a nommé son
épouse Mehriban Alieva au poste de vice-présidente. Depuis 1993, aucune
élection n’a été qualifiée de libre et équitable par les observateurs internationaux.
La
situation des Droits de l’Homme fait l’objet de critiques de quelques
organisations indépendantes. Formellement, l’Azerbaïdjan, membre du Conseil des
Droits de l’Homme des Nations Unies et du Conseil de l’Europe, est tenu de
veiller au respect de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et de la
Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Les accusations portent
notamment sur des arrestations arbitraires, des détentions indéfinies, des
violences, de la torture et des cas de disparition forcée. En dépit de
l’existence de médias indépendants, les journalistes qui critiquent le
gouvernement sont souvent harcelés, emprisonnés voire agressés physiquement.
Selon
Rasul Jafarov, avocat et ex-prisonnier politique, l’Azerbaïdjan compte encore
aujourd’hui 148 prisonniers politiques. L’opposant déplore également le sort
« des journalistes, des blogueurs,
des défenseurs des droits de l’Homme, des politiciens, des militants religieux,
des membres de la famille de certains militants qui on quitté l’Azerbaïdjan à
cause des risques de détention et de répression ». Afgan Mukhtarli, un
journaliste d’opposition réfugié en Géorgie, témoigne de la détermination des
autorités de Bakou à traquer les critiques. Enlevé en pleine rue à Tbilissi, le
29 mai 2017, il est réapparu vingt-quatre heures plus tard dans une prison de
Bakou, accusé de franchissement illégal de frontières.
Lobbying
d’Etat
La diplomatie du caviar est la stratégie de lobbying de l’Azerbaïdjan,
consistant en des invitations coûteuses de politiciens et d’employés
d’organisations internationales. Elle comprend également des cadeaux coûteux
présentés comme « un hommage à la
tradition orientale ». Le terme a été utilisé pour la première fois en
2012, dans un rapport de l’Initiative européenne de stabilité (EIS), « Caviar Diplomacy. Comment l’Azerbaïdjan a
fait taire le Conseil de l’Europe ». Ce terme est utilisé dans les
conversations informelles de fonctionnaires azerbaïdjanais pour décrire des cadeaux généreux aux politiciens
étrangers. Selon ce rapport, l’Azerbaïdjan compte un groupe d’une quinzaine de
personnes dans l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) qui
reçoivent au moins une demi-kilogramme de caviar noir (environ 1300€ /kg)
en cadeau quatre fois par an. De nombreux parlementaires sont aussi invités et
reçoivent, en plus du caviar, de nombreux autres cadeaux, tapis de soie, objets
en or et argent, vacances, prostituées, etc. Le principal but est de « faire taire toutes les critiques sur sa
politique en matière de droits humains ».
Selon
l’ESI, plusieurs députés européens sont soupçonnés d’avoir touché de
l’argent : des Anglais, un Polonais et le président de l’APCE en 2017,
Pedro Agramunt. Luca Volonté, lui, a reconnu avoir reçu des fonds de Bakou. En
l’occurrence, 2,4 millions d’euros que ce député italien, président du Parti
Populaire Européen au sein de l’APCE, aurait reçus en échange de
« conseils agricoles ». Les enquêteurs italiens le soupçonnent plutôt
d’avoir été récompensé pour services rendus. Il serait parvenu à
« torpiller » un rapport accablant d’un politicien allemand, Christoph
Strässer, sur la situation des prisonniers politiques en Azerbaïdjan.
Ce
rapport est confirmé par l’enquête menée conjointement par le Monde et dix autres publications européennes qui ont eu accès
aux relevés de comptes en banque de quatre sociétés liées au régime
azerbaïdjanais. L’étude dénombre plus de 16
000 transactions pour un montant total de 2,5 milliards d’euros. Ces transactions, qui couvrent uniquement la
période 2012-2014, forment sans doute seulement la partie émergée de l’iceberg
mais elles sont révélatrices des efforts de corruption déployés par ce régime
et de la fragilité européenne face à cette influence souterraine.
Si
aucun élu français n’apparaît dans les relevés de transactions, l’Azerbaïdjan
pratique bien cette « diplomatie du
caviar » auprès d’élus de l’hexagone. Le principal instrument de cette
influence est l’association des amis de l’Azerbaïdjan (AAA) : André
Villiers appartient à son conseil d’administration, tout comme Jean-Marie
Bockel, Rachida Dati et Thierry Mariani, tous anciens ministres sous la
présidence Sarkozy. L’AAA, ou le pays, invite des parlementaires à des voyages
visant à établir des « relations culturelles ». Le pays, à majorité
musulmane, s’est aussi fait une spécialité de participer à la rénovation
d’édifices chrétiens, d’investir dans des sites historiques ou d’offrir du
mécénat si « le bénéficiaire
s’engage à citer de façon valorisante et systématique le mécène ». Le
pays paie aussi régulièrement le voyage à des parlementaires français pour
qu’ils attestent du bon déroulement de ses élections. Ce type d’invitation
empêche-t-il les parlementaires de juger avec sincérité de la situation ?
André Reichardt balaye les suspicions de conflit d’intérêt : « Lors de mes voyages, je n’ai pas manqué de
faire part à l’ambassadeur et au président des réflexions qui m’étaient faites
en France sur la question des droits de l’Homme ». Entre deux bouchées
de caviar ?