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mercredi 3 novembre 2021

 

2 – Une nouvelle loi pour rien

 

Dès février 2011, des appels à rassemblement ont été lancés par les syndicats, les travailleurs sociaux et les assistantes familiales, mobilisés pour dénoncer les conditions faites aux enfants et aux professionnels de l’ASE. Vite, il fallait apaiser : un projet de loi a été adopté le 8 juillet à l’Assemblée nationale, il est, à ce jour, à l’examen du Sénat.

 

La crise profonde que traverse la protection de l’enfance en raison du défaut criant de moyens et d’une politique globale de prise en charge des enfants, erratique et morcelée dans de nombreux départements, n’est pas prise en compte. Des décisions judiciaires restent inappliquées ou retardées par manque de moyens humains et d’accueil ; des enfants sont laissés à domicile dans un contexte de danger avéré ou placés à l’hôtel faute de places en institution ! Ce projet de loi, en procédure accélérée, ne règle rien, ni les graves dysfonctionnements, ni les conditions de travail des professionnelles. Au contraire, il élargit les possibilités de délégation d’autorité parentale à l’ASE et amoindrit de fait le contrôle du juge. Il ne garantit pas l’absence d’éloignement des enfants, faute de structures de proximité et prévoit de trop nombreuses dérogations à l’interdiction d’héberger des enfants en hôtel ou en centres de vacances. Il refuse de permettre au jeune mineur d’avoir un avocat à tous les stades de la procédure et ne répond pas à la question de l’accompagnement des jeunes majeurs sortant du dispositif.

 

Il n’augmente pas les moyens pour l’ensemble des missions de prévention et de protection, hormis deux mesures « techniques » : la création d’un référentiel national d’évaluation de situation de danger, créé par la Haute Autorité de Santé, jusqu’ici chacun définit le danger différemment ! Quant à la création d’un fichier national des retraits et  suspensions d’agrément des familles d’accueil, il permettrait de savoir si la famille d’accueil n’a pas de contentieux dans un autre département.

 

En fait, le projet, construit à la va-vite, ne reconnaît pas l’enfant maltraité, un enfant de l’ASE n’est pas comme les autres, il a subi des violences graves et il n’est pas là parce que ses parents se sont disputé ! La société lui doit donc protection pendant son enfance et son adolescence, pour qu’il puisse se reconstruire pour parvenir à une sortie positive. S’il ne bénéficie pas de mesures d’accompagnement proche, cela lui sera impossible. Ce n’est pas pour rien si l’on constate que 40 % des SDF de moins de 25 ans ont été suivis par l’ASE.

 

Un projet de loi digne de ce nom, doit s’articuler autour de trois axes forts : prévention, protection et sortie. De la prévention pour détecter, au plus vite, les victimes par le biais de l’école, de la crèche, des assistantes sociales, etc… Puis, après un état des lieux sur le territoire national, doivent venir les mesures de protection adaptées, à savoir, des moyens suffisants pour prendre le temps avec l’enfant, la famille, mais aussi l’augmentation du nombre de places en établissements et un statut amélioré des assistantes familiales. Que penser d’un projet de loi qui interdit le placement en hôtel des mineurs et, en même temps, autorise des dérogations en grand nombre pour le faire ? Que penser de la volonté d’améliorer la situation alors qu’aucune prévision d’augmentation des places en foyers n’est prévue ? Que penser du déni de droit à l’encontre de ces enfants à qui l’on refuse d’être représentés par un avocat, permettant ainsi que les plus vulnérables soient les seuls justiciables à ne pouvoir bénéficier de ce droit ?

 

Enfin, une « vraie réforme » doit prévoir la sortie du jeune à sa majorité ou plus. A 18 ans le jeune de l’ASE a encore besoin d’être à l’abri. Veiller à sa sortie du dispositif consisterait à considérer que l’ASE est une politique de suppléance parentale jusqu’à l’autonomie totale du jeune, en lui garantissant un suivi proche mais également des ressources ; la garantie jeunes, dit le gouvernement, permettra d’éviter les sorties « sèches » sauf que les jeunes concernés ne remplissent pas toutes les capacités requises pour monter un projet professionnel : 30 % des enfants placés sont porteurs d’un handicap psychique. Par ailleurs, c’est le département qui reste libre de déterminer le périmètre et la durée de la prise en charge et aucune mesure de contrôle des départements et associations gestionnaires n’est envisagée, ce qui laisse toute liberté d’interprétation : ainsi, la séparation des fratries est interdite (depuis la loi de 2002) mais les départements ne se gênent pas pour la pratiquer !  

 

Rien sur la reconnaissance du métier spécifique d’assistante familiale, rien sur la qualification, la formation et sur une grille de rémunération convenable, sauf la « garantie » du Smic lorsqu’elles accueillent un seul enfant… A croire que la pénurie en personnels convient ? Alors, une loi pour rien ? Y a-t-il vraiment volonté de consacrer de l’argent et des moyens aux jeunes maltraités ?

 

Mériterait d’être discutée la question de la décentralisation de la gestion de l’ASE. Est-il acceptable de laisser les disparités s’installer d’un département à l’autre ? Faut-il laisser cette compétence aux départements sans qu’aucune contrainte ne garantisse un traitement égalitaire sur l’ensemble du territoire ?

 

Une politique de protection de l’enfance ne peut être celle de la relégation des plus fragiles avec des moyens minimaux et à « bas coût ». Cela vaut aussi pour les mineurs étrangers non accompagnés qui sont légalement à la charge de l’ASE. Ils doivent bénéficier des mêmes droits que les mineurs français, à savoir être accompagnés pour construire un parcours de vie scolaire ou professionnel. En fait, ils galèrent déjà pour faire valoir leur minorité, puisque, systématiquement ou presque, les départements la contestent. S’ils réussissent à passer cette éprouvante étape, ils sont protégés et peuvent faire des études ou préparer un diplôme professionnel. Lorsqu’ils ont 18 ans, et qu’ils n’ont pu prétendre à une régularisation car arrivés après leurs 16 ans, ils doivent déposer une demande de titre de séjour que la préfecture leur refuse toujours au même motif : une erreur dans leurs documents d’état civil, s’empressant, par contre, de délivrer une Obligation de Quitter le Territoire Français. Mépris ! Gâchis ! Ces jeunes sont formés pour devenir des sans-papiers condamnés à vivre en marge de la société ! Une mission parlementaire en mars 2021 a rendu sa copie, formulant 18 préconisations dont plusieurs relatives à l’âge des migrants, faisant dire à Catherine Daoud (avocate au bureau de Paris, antenne des Mineurs non accompagnés) : « ce rapport préconise de stigmatiser, ficher et sanctionner encore plus sévèrement les enfants en errance, alors qu’il faudrait les accueillir, les protéger, les soigner et poursuivre les adultes qui les exploitent… ». L’intérêt supérieur de l’enfant est passé à la trappe.

 

 

Alors, que voulons-nous ?

 

Une société qui se solidarise pour défendre les nouveaux « justes » ? Ceux qui, comme Mimmo Lucano, maire de Riace en Italie, accueillit plus de 200 exilés kurdes en 1998, offrant une vitrine du dynamisme que peuvent installer les migrants dans une petite ville de 1 800 habitants. Cette alternative à la haine l’a fait condamner « pour aide à l’immigration clandestine » à 13 ans et deux mois de prison et 500 000 euros d’amende (2),

 

ou une société qui regarde, indifférente, le jeu des puissants se faisant la guerre à coups de migrants, comme le dictateur biélorusse Loukachenko qui, pour déstabiliser l’UE (qui l’a sanctionné en 2020), organise la venue d’exilés irakiens, syriens, afghans… en Biélorussie pour les acheminer jusqu’à la frontière de l’Europe (Pologne, Lituanie, Allemagne…) ?  

 

Odile Mangeot, le 26.10.2021

 

sources : Politis, le Monde, Fakir

 

(1)   cf article de Fakir  n° 100 (sept. nove. 2021) « Chez les serpillières de l’Aide à l’Enfance »

(2)   La solidarité s’organise. Signer la pétition sur https://www.change.org/p/mario-draghi-liberte-pour-mimmo-lucano