Hongrie. Privatisations
géantes
A
l’initiative du gouvernement hongrois, des fondations privées ont pris le
contrôle des universités et d’un patrimoine public de plusieurs milliards
d’euros. Avec cette privatisation géante d’un genre nouveau, le premier
ministre Viktor Orbàn dépouille
l’Etat au profit de ses proches, tout en enracinant son influence dans les
institutions culturelles et universitaires du pays. En mars 2019, le
gouvernement a instauré un nouveau statut juridique, jusque là inexistant en
Hongrie : celui de « fondation
fiduciaire », décrétée « d’intérêt
général chargée de service public ». En avril dernier, trente-deux de
ces fondations ont vu le jour, avec une dotation publique initiale de 1,7
million d’euros chacune, pour gérer des actifs jusque là détenus par l’Etat.
Elles se retrouvent propriétaires, sans la moindre contrepartie financière, de
biens publics importants : un château baroque, un palais en plein cœur de
Budapest, un théâtre, la moitié d’une île sur le Danube et quantité d’autres
biens immobiliers dans le pays.
Ces
fondations sont dirigées par un conseil de surveillance nommé par un ministre
et leurs membres choisissent leurs successeurs. L’ensemble de ces fondations
seront « régulées » par une agence nouvellement créée, dont le
président sera nommé par le premier ministre pour un mandat de neuf ans.
Les
six partis parlementaires, qui se sont rassemblés en bloc d’opposition pour tenter
de faire des élections législatives du printemps 2022 un référendum anti-Orbàn,
ont vivement réagi : « Le
Fidesz (parti parlementaire majoritaire)
et les soi-disant démocrates-chrétiens ont pris des mesures pour voler des
fonds publics, cacher et consolider des entreprises et des fondations abreuvées
de fonds publics », affirme leur communiqué commun. Après la création
des fondations, ils ont appelé la Cour constitutionnelle à intervenir : « Par peur d’une défaite électorale en 2022,
Orbàn pille les biens publics au profit de ses sbires ».
Le
bouleversement le plus spectaculaire s’est produit dans l’enseignement
supérieur. En moins de deux ans, vingt et un établissements d’enseignement
supérieur ont ainsi été cédés par l’Etat à de nouvelles fondations. A Budapest,
seules quatre universités ont conservé leur statut, tandis qu’en province
toutes sont dorénavant sous le contrôle d’une fondation, à l’exception de
l’université d’Eger, cédée à…l’Eglise catholique.
L’essentiel
des manœuvres juridiques et des privatisations déguisées des grandes
universités ont eu lieu en plein état d’urgence, alors que la Hongrie subissait
une mortalité record causée par le Covid-19 et que toute manifestation était
interdite. Confronté pour la première fois à une opposition unie, le Fidesz
anticipe-t-il une défaite aux élections l’an prochain, après douze années de
pouvoir sans partage ? Ses adversaires voient dans ces fondations autant
de bouées de sauvetage pour les hauts fonctionnaires qui lui sont fidèles, un
moyen de miner l’action d’une prochaine administration et de préparer une
reconquête de pouvoir. En somme, le contrôle des fondations pourrait permettre
à Orbàn de rester au pouvoir sans forcément demeurer au gouvernement.
Stéphanie
Roussillon, le 26.10.2021
sources :
le Monde Diplomatique – septembre 2021 « La Hongrie en coupe réglée »
« Caviar connexion », 2 documentaires
sur Arte (octobre 2021)
encart
Les 12 salopards
Parce
qu’ils estiment que « la
surveillance des frontières n’empêche pas les tentatives de passage
illégales », douze Etats de l’Union européenne demandent, dans un
courrier adressé au vice-président de la Commission, Margaritis Schinas, et à
la commissaire aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, de financer sur le
budget européen la construction de barrières à leurs frontières pour empêcher
les arrivées de migrants.
Ces douze partisans d’une Europe cerclée
de barbelés sont l’Autriche, la Bulgarie, Chypre, la République tchèque, le
Danemark, l’Estonie, la Grèce, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne
et la Slovaquie.
Politis
14.10.2021