Protection
de l’enfance en danger ?
La
pandémie Covid a révélé les carences du système de protection sociale,
notamment ; il a accentué nombre de souffrances au travail, d’épuisements
physiques et psychologiques déjà effectifs, plus particulièrement dans les
secteurs professionnels de services aux personnes (jeunes ou vieilles), tenues
à bout de bras par des femmes, essentiellement, qui donnent sans compter mais
sans reconnaissance. L’aide sociale à l’enfance fait partie de ces métiers,
oubliés, mais indispensables dans une société où la maltraitance augmente sans
que les solutions de placements se multiplient car « ça coûte cher »
disent les conseils départementaux qui n’en font pas tous (loin de là) une
priorité. Après tout, la politique de l’ASE concerne moins de 1 % de la population
juvénile : ça ne sert pas à se faire élire !
1 – L’Aide
sociale à l’enfance à la dérive
Dans
le grand mouvement du CNR créant la Sécurité Sociale en 1945, naissait la
Protection Maternelle et Infantile (PMI), dans le souci de veiller à toute
maltraitance ou difficultés au sein de la famille et de développer la
prévention médicale, psychologique, sociale et éducative. Simultanément, la
justice des mineurs était ordonnée, afin que les mineurs reconnus coupables
d’infractions pénales fassent l’objet de mesures de protection, d’assistance,
de surveillance et d’éducation spécifiques ; cette loi
« historique » vient d’être balayée par la loi du 26.02.2021, avec,
entre autres objectifs, l’accélération des jugements et des sanctions à
l’encontre des mineurs « délinquants ». L’Aide Sociale à l’enfance
(ASE) (créée en 1904) fut inscrite en 1956 dans le Code de la Famille et de
l’aide sociale ; elle s’adresse aux mineurs, mineurs émancipés, majeurs de
moins de 21 ans.et relève, depuis 1983, de la responsabilité des Conseils
Départementaux qui organisent des services dédiés à l’enfance et à
l’adolescence. L’application de la loi ne sera donc pas la même pour tous,
tributaire des choix politiques des départements.
Depuis
les années 1990, les différents gouvernements ont souscrit à la théorie
néolibérale du nouveau management public, pour introduire le pilotage par
objectifs et ont créé les outils pour la performance : Chirac/Jospin et la
LOLF, loi organique relative aux lois de finance, Sarkozy et la RGPP – Révision
Générale des Politiques Publiques, Hollande et la MAP, Modernisation de
l’Action Publique, qui ont consisté à introduire des notions de rentabilité, à
ouvrir à la concurrence, autrement dit à saper, et pour finir, à détruire le
service public. Macron est pleinement inscrit dans cette politique.
La situation de souffrance au travail
des travailleurs sociaux du secteur
de la protection de l’enfance est le résultat de ces politiques. Ils subissent
surcharge administrative, turnover dans les structures et établissements, suppression de places… Les professionnelles
de l’ASE doivent trouver des solutions aux placements de mineurs décidés par
les juges aux affaires familiales : en près d’une décennie, les décisions de
placement ont augmenté de 30 % (170 845 en 2019 contre 131 615 en
2010). Face à la souffrance d’enfants qui ont subi de graves violences, elles
ne savent plus comment faire et sont conscientes de pratiquer de la
« maltraitance » contre leur gré. Les établissements ont
« dû » faire dormir des enfants sur des lits de camp, en hébergement
d’urgence, pour une ou deux nuits, bref, des conditions d’accueil d’enfants à
protéger inacceptables pour les travailleurs sociaux. Les corps craquent. « Des gamins se retrouvent sans
solution pour des problèmes de procédure », les réunions d’équipe,
d’échanges entre jeunes et professionnels ne sont plus possibles. « Avant on avait une gestion autonome de notre
agenda qui permettait de s’adapter aux familles mais désormais c’est rentabilité et flicage »
dénonce une psychologue clinicienne. Pendant la crise sanitaire, les violences
conjugales ont explosé, les écoles étaient fermées et plus aucun regard
extérieur n’était possible pour détecter des maltraitances sur les enfants, qui
quittent leur famille de plus en plus tard avec des traumatismes lourds. De mai
2020 à mai 2021, le directeur d’un établissement affirme que la charge de
travail de ses équipes a augmenté de 35 %, sans moyens supplémentaires mais à
coup de congés déplacés, d’horaires de travail extensifs… et des mesures de
protection à domicile n’ont pu être exécutées. Des droits d’alerte ont été
lancés à plusieurs reprises, comme dans les Vosges, où le syndicat SUD 88 a
signalé aux élus du département et au Parquet, des situations graves, comme
celle d’une agression sexuelle entre enfants pris en charge dans une famille
d’accueil qui seraient restés ensemble plusieurs mois après les faits, faute de
place.
Sur
environ 360 000 enfants pris en charge, 110 000 sont placés dans les
familles d’accueil, le reste étant en « foyers » ou dans leurs
familles sous mesures de protection spécifiques.
Les
38 000 familles d’accueil, qui sont des assistantes
familiales (AF) sont « la 5ème
roue non pas du carrosse mais du chariot brinquebalant » (1).
Elles sont considérées comme « devant » accueillir, et l’ASE n’hésite
pas à leur demander d’être en sureffectif (au-delà de 3 enfants) pour un temps
court, qui peut se poursuivre des mois. Le département peine à recruter dans un
travail précaire qui n’est pas ordinaire et qui manque de reconnaissance.
« Dans ce métier l’attachement
permettant à l’enfant de se reconstruire est fondamental » et
aujourd’hui on nous dit « il ne faut
pas s’attacher à l’enfant ! ». Le manque de places a des
conséquences lourdes pour l’enfant : des fratries sont séparées, les AF
reçoivent des enfants de plus en plus cassés… tout cela pour des rémunérations
de misère. Elles ont le sentiment de ne pas compter ; elles sont souvent
seules face à la lourde tâche, se sentent exclues sans pouvoir évoquer la
situation de l’enfant avec les référents de l’ASE, complètement débordés par
multiples tâches ; il n’y a plus de réunion de partage sur l’enfant et son
projet. « C’est nous qui connaissons
le mieux l’enfant mais c’est comme si on n’existait pas » Elles ne
sont même pas entendues par le juge pour évaluer la situation de l’enfant. Et
l’enfant n’est jamais écouté. Quand l’ASE leur envoie un enfant, elles ne
connaissent pas ses troubles et ont à gérer des comportements difficiles. De
plus, elles sont tenues maintenant à faire des dossiers administratifs. C’est
un métier sans repos, sans répit. 24 Heures sur 24, 7 jours sur 7 avec peu de
week-ends et de congés… et pas payé.
Les élus, quant à eux, ferment les yeux sur les sureffectifs,
sur les conditions d’accueil, en fait, juges et parties, ils s’autocontrôlent ! Côté chiffres : les budgets
alloués à l’ASE varient d’un département à l’autre et peuvent passer du simple
au triple de 5.3 à 18.8 % du budget total. Les moyens accordés à la formation
des professionnels de l’ASE vont du simple au décuple. Le prix moyen d’une
journée en famille d’accueil est de 100 euros, dans les Alpes Maritimes il est
seulement de 48 €. Il n’y a pas de règles communes au niveau national, les
départements font ce qu’ils veulent. Pour être assistante familiale, pas de
formation spécifique exigée, il suffit d’être en couple et d’avoir un logement
suffisamment grand pour être agréé… par le département.