Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 3 novembre 2021

 

Capitalisme chinois, première crise

 

Il convient de porter une attention toute particulière à la première crise du capitalisme chinois pour se défaire de la représentation occidentale dominante. Après la mort de Mao (1976), la voie capitaliste l’a emporté en Chine, surtout après la répression de Tienanmen (1986), conduite par Deng Xiaoping. Le tournant qui s’est opéré a consisté d’abord dans l’ouverture aux capitaux et multinationales étrangères. La main d’œuvre chinoise fut, dans un premier temps, exploitée dans les zones économiques spéciales, dispensées d’impôts pour, ensuite, gagner tout le continent. Les usines chinoises ont pu bénéficier de transferts de technologies étrangères. Sous l’impulsion du Parti Capitaliste Chinois (PCC), de telles clauses étaient imposées. La Chine n’était plus seulement « l’atelier du monde » mais devint une nation capitaliste en plein essor. La crise mondiale de 2008 a pu être surmontée, en Chine, par la surproduction industrielle suscitée par un afflux de crédits qui a entraîné également un essor démesuré du secteur immobilier. Il représente désormais 15 % du PIB chinois. La création d’entreprises privées, de conglomérats financiers, a fait surgir des inégalités abyssales, une classe moyenne et une corruption endémique. L’entrée de « l’Empire du milieu » à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) et son adoption du libre-échange, a ouvert la voie aux routes de la soie, c’est à-dire à la conquête des marchés mondiaux. Avec la crise de l’immobilier, le « rêve chinois », la « société de moyenne aisance » prônée par Xi Jin Ping, tournera-t-il au cauchemar ?

 

Evergrande en quasi-faillite

 

Cette entreprise privée qui compte 200 000 salariés, plombée de 200 à 300 milliards de dettes, ne parvient plus à les rembourser. Bâtie sur le schéma de Ponzi, où les dettes nouvelles servaient à rembourser les anciennes, elle est victime du tour de vis imposé par le PCC, visant à réduire la spéculation effrénée du secteur immobilier. Elle n’est pas la seule à subir ce tarissement du crédit, imposé par les banques et institutions d’Etat, mais la plus grande à côté de ses concurrents. D’autres promoteurs sont surendettés (Sinic, Fantasia, Modern Land). Ce modèle de développement, outre l’abondance de crédits, s’est construit par l’achat de terrains aux gouvernements locaux, à l’encontre de l’adage marxiste indiquant que le foncier nu n’a pas de prix, aucune force de travail ne s’y étant exercée, il n’existe qu’un droit d’usage. Si les gouvernements locaux se sont ainsi enrichis, les firmes comme Evergrande, vendant les appartements sur plan, avant toute construction et payables d’avance, trouvaient ainsi l’affaire lucrative, tout comme ceux, notamment les particuliers qui les revendaient empochant ainsi une prime spéculative. Résultat de cette frénésie de surproduction : en 2020, 100 millions d’appartements vides, 30 millions d’invendus, de quoi loger 140 millions de personnes…

 

L’exemple de la ville de Jurong

 

Cette cité, proche de Nankin, a vu grand avec Evergrande qui promettait de la transformer en ville culturelle et touristique. La municipalité de Jurong lui avait vendu 124 hectares de terrain et avait, à cette occasion, empoché 8 milliards de yuans sur un budget de 13 milliards. Jackpot ! Quant à Evergrande, elle devait réaliser 56 immeubles dans des tours dont la moitié devait atteindre 24 étages, le tout comportant restaurants, cinémas et un parc d’attraction. Résultat : malgré 200 000 appartements pré-vendus, les chantiers se sont arrêtés, laissant dans cette ville fantôme, des squelettes de béton armé et les propriétaires, dans l’impossibilité de revendre à des fins spéculatives leurs biens, bien dépourvus.

 

Eviter la spirale récessive et les révoltes sociales

 

La décision du gouvernement chinois de stopper cette folie spéculative s’est traduite par le tarissement du crédit, les banques chinoises étant des institutions d’Etat, la croissance immobilière exponentielle fut ainsi cassée brutalement. Le coût politique de ce revirement est néanmoins énorme malgré la propagande qui laisse entendre que la faillite d’Evergrande serait « ordonnée » et la « correction » économique maîtrisée ». En résultera-t-il une déstabilisation du système financier ? Evergrande brade déjà ses appartements, réalisés ou non, mais ne trouve guère preneurs. S’achemine-t-on vers la création d’un comité de créanciers chinois et étrangers, chargé de restructurer la dette, pour vendre ce qui peut l’être et rembourser ce qui ne peut pas l’être et à une reprise par l’Etat des 778 projets immobiliers en cours afin de livrer les appartements commandés ? Les autorités vont-elles favoriser les créanciers privés, au détriment des étrangers ? Va-t-on assister à des mesures de création d’emplois par une relance dans d’autres secteurs et à des transferts de création monétaire pour compenser les pertes des épargnants, ou faire la différence entre ceux qui comptaient spéculer par la revente et ceux qui souhaitaient trouver un meilleur logement ? Autant de questions que doit affronter le système du Parti-Etat.

 

Il semblerait que les banques d’Etat puissent absorber une partie des pertes de l’immobilier et racheter une partie des créances. Toutefois, le tarissement du crédit risque de toucher également des conglomérats financiers ; ainsi, la compagnie d’assurance Ping An accuse une perte de 3.2 milliards de yuans et se trouve au bord de la faillite. La politique de désincitation de l’endettement va provoquer un ralentissement de la croissance chinoise, affectant, du même coup, les marchés financiers mondiaux. L’économie globale est en effet tributaire de la Chine et ce, depuis 30 ans. Entre 2013 et 2018, elle a apporté directement 20 % de croissance mondiale.

 

Qu’en conclure ?

 

Le Parti du Capitalisme Chinois va devoir affronter de nouveaux troubles sociaux et économiques. Xi Jin Ping va devoir manier la lutte contre la corruption et la surveillance généralisée de la population pour maintenir la paix sociale. Cette reprise en main dirigiste a déjà commencé. Elle s’appuie, pour obtenir le consentement au « rêve chinois », sur une idéologie particulière : un mélange d’apologie de la civilisation chinoise millénaire, de patriotisme nationaliste résultant des invasions étrangères (guerres de l’opium, concessions à la France et à la Grande Bretagne…, occupation japonaise) et sur un maoïsme édulcoré. La fierté nationale retrouvée se conjugue avec l’apologie de la pensée de Confucius (combattue pendant la révolution culturelle). Les mandarins, ces lettrés conseillant les dignitaires, l’Empereur, sont les « maîtres du ciel et de la terre » et les seuls dépositaires du pouvoir éclairé contre lequel on n’a pas de raison de se révolter, contrairement à ce que préconisait le maoïsme. Avec la pensée de maître Xi, le passé fait retour sous de nouvelles formes pour imposer un capitalisme dirigiste d’Etat et un impérialisme commercial qui, avec les routes de la soie, ne connaît pas de frontières. Jusqu’à quand ?

 

Gérard Deneux, le 26.10.2021