Capitalisme
chinois, première crise
Il
convient de porter une attention toute particulière à la première crise du
capitalisme chinois pour se défaire de la représentation occidentale dominante.
Après la mort de Mao (1976), la voie capitaliste l’a emporté en Chine, surtout
après la répression de Tienanmen (1986), conduite par Deng Xiaoping. Le
tournant qui s’est opéré a consisté d’abord dans l’ouverture aux capitaux et
multinationales étrangères. La main d’œuvre chinoise fut, dans un premier temps,
exploitée dans les zones économiques spéciales, dispensées d’impôts pour,
ensuite, gagner tout le continent. Les usines chinoises ont pu bénéficier de
transferts de technologies étrangères. Sous l’impulsion du Parti Capitaliste
Chinois (PCC), de telles clauses étaient imposées. La Chine n’était plus
seulement « l’atelier du monde » mais devint une nation capitaliste
en plein essor. La crise mondiale de 2008 a pu être surmontée, en Chine, par la
surproduction industrielle suscitée par un afflux de crédits qui a entraîné
également un essor démesuré du secteur immobilier. Il représente désormais 15 %
du PIB chinois. La création d’entreprises privées, de conglomérats financiers, a
fait surgir des inégalités abyssales, une classe moyenne et une corruption
endémique. L’entrée de « l’Empire du milieu » à l’OMC (Organisation
Mondiale du Commerce) et son adoption du libre-échange, a ouvert la voie aux
routes de la soie, c’est à-dire à la conquête des marchés mondiaux. Avec la
crise de l’immobilier, le « rêve
chinois », la « société de
moyenne aisance » prônée par Xi Jin Ping, tournera-t-il au
cauchemar ?
Evergrande en quasi-faillite
Cette
entreprise privée qui compte 200 000 salariés, plombée de 200 à 300
milliards de dettes, ne parvient plus à les rembourser. Bâtie sur le schéma de
Ponzi, où les dettes nouvelles servaient à rembourser les anciennes, elle est
victime du tour de vis imposé par le PCC, visant à réduire la spéculation
effrénée du secteur immobilier. Elle n’est pas la seule à subir ce tarissement
du crédit, imposé par les banques et institutions d’Etat, mais la plus grande à
côté de ses concurrents. D’autres promoteurs sont surendettés (Sinic, Fantasia,
Modern Land). Ce modèle de développement, outre l’abondance de crédits, s’est
construit par l’achat de terrains aux gouvernements locaux, à l’encontre de
l’adage marxiste indiquant que le foncier nu n’a pas de prix, aucune force de travail
ne s’y étant exercée, il n’existe qu’un droit d’usage. Si les gouvernements
locaux se sont ainsi enrichis, les firmes comme Evergrande, vendant les
appartements sur plan, avant toute construction et payables d’avance, trouvaient
ainsi l’affaire lucrative, tout comme ceux, notamment les particuliers qui les
revendaient empochant ainsi une prime spéculative. Résultat de cette frénésie
de surproduction : en 2020, 100 millions d’appartements vides, 30 millions
d’invendus, de quoi loger 140 millions de personnes…
L’exemple de
la ville de Jurong
Cette
cité, proche de Nankin, a vu grand avec Evergrande qui promettait de la
transformer en ville culturelle et touristique. La municipalité de Jurong lui
avait vendu 124 hectares de terrain et avait, à cette occasion, empoché 8
milliards de yuans sur un budget de 13 milliards. Jackpot ! Quant à
Evergrande, elle devait réaliser 56 immeubles dans des tours dont la moitié
devait atteindre 24 étages, le tout comportant restaurants, cinémas et un parc
d’attraction. Résultat : malgré 200 000 appartements pré-vendus, les
chantiers se sont arrêtés, laissant dans cette ville fantôme, des squelettes de
béton armé et les propriétaires, dans l’impossibilité de revendre à des fins
spéculatives leurs biens, bien dépourvus.
Eviter la
spirale récessive et les révoltes sociales
La
décision du gouvernement chinois de stopper cette folie spéculative s’est
traduite par le tarissement du crédit, les banques chinoises étant des
institutions d’Etat, la croissance immobilière exponentielle fut ainsi cassée
brutalement. Le coût politique de ce revirement est néanmoins énorme malgré la
propagande qui laisse entendre que la faillite d’Evergrande serait
« ordonnée » et la « correction » économique
maîtrisée ». En résultera-t-il une déstabilisation du système
financier ? Evergrande brade déjà ses appartements, réalisés ou non, mais
ne trouve guère preneurs. S’achemine-t-on vers la création d’un comité de
créanciers chinois et étrangers, chargé de restructurer la dette, pour vendre
ce qui peut l’être et rembourser ce qui ne peut pas l’être et à une reprise par
l’Etat des 778 projets immobiliers en cours afin de livrer les appartements commandés ?
Les autorités vont-elles favoriser les créanciers privés, au détriment des
étrangers ? Va-t-on assister à des mesures de création d’emplois par une
relance dans d’autres secteurs et à des transferts de création monétaire pour
compenser les pertes des épargnants, ou faire la différence entre ceux qui comptaient
spéculer par la revente et ceux qui souhaitaient trouver un meilleur
logement ? Autant de questions que doit affronter le système du
Parti-Etat.
Il
semblerait que les banques d’Etat puissent absorber une partie des pertes de
l’immobilier et racheter une partie des créances. Toutefois, le tarissement du
crédit risque de toucher également des conglomérats financiers ; ainsi, la
compagnie d’assurance Ping An accuse une perte de 3.2 milliards de yuans et se
trouve au bord de la faillite. La politique de désincitation de l’endettement
va provoquer un ralentissement de la croissance chinoise, affectant, du même
coup, les marchés financiers mondiaux. L’économie globale est en effet tributaire
de la Chine et ce, depuis 30 ans. Entre 2013 et 2018, elle a apporté
directement 20 % de croissance mondiale.
Qu’en
conclure ?
Le
Parti du Capitalisme Chinois va devoir affronter de nouveaux troubles sociaux
et économiques. Xi Jin Ping va devoir manier la lutte contre la corruption et
la surveillance généralisée de la population pour maintenir la paix sociale.
Cette reprise en main dirigiste a déjà commencé. Elle s’appuie, pour obtenir le
consentement au « rêve chinois », sur une idéologie particulière :
un mélange d’apologie de la civilisation chinoise millénaire, de patriotisme
nationaliste résultant des invasions étrangères (guerres de l’opium,
concessions à la France et à la Grande Bretagne…, occupation japonaise) et sur un
maoïsme édulcoré. La fierté nationale retrouvée se conjugue avec l’apologie de
la pensée de Confucius (combattue pendant la révolution culturelle). Les
mandarins, ces lettrés conseillant les dignitaires, l’Empereur, sont les « maîtres
du ciel et de la terre » et les seuls dépositaires du pouvoir éclairé
contre lequel on n’a pas de raison de se révolter, contrairement à ce que
préconisait le maoïsme. Avec la pensée de maître Xi, le passé fait retour sous
de nouvelles formes pour imposer un capitalisme dirigiste d’Etat et un impérialisme
commercial qui, avec les routes de la soie, ne connaît pas de frontières. Jusqu’à
quand ?
Gérard
Deneux, le 26.10.2021