Le déclin
manifeste des USA ?
Après
la débâcle des Etats-Unis en Afghanistan, il y a lieu de s’interroger sur le
devenir de cette nation fédérale. Nous sommes certainement à la fin d’un cycle,
celui de la superpuissance autoproclamée, suite à l’effondrement de l’URSS. La
« stratégie du choc » n’a pas, comme escompté, fait sombrer la Russie
dans l’escarcelle du « gendarme du monde » et ce, malgré les moyens
employés, golden boys ultralibéraux et l’appui d’Eltsine. Même dans les pays de
l’Est intégrant le monde libre de l’Europe occidentale, la résurgence des
nationalismes fracture cet espace territorial. Du reste, c’est surtout la quête
de suprématie totale au Moyen-Orient, suite aux attentats du 11 septembre 2001,
et la proclamation de la « guerre contre le terrorisme » par Bush et
les néoconservateurs US, qui ont durablement infléchi le cours de l’histoire.
Les apôtres de l’importation militaire de la démocratie néolibérale à coups de
changements de régime ont signé la fin d’une période. Malgré le déversement
d’une pluie de milliards de dollars, d’occupations militaires (Irak,
Afghanistan), les échecs se sont succédé : les sanctions et intimidations
n’y ont rien changé ; le chaos et la corruption ont gangrené les
gouvernements fantoches installés, faisant surgir des sociétés encore
archaïques, des nationalismes engoncés dans des représentations religieuses
d’un autre âge, et ce, avec la complicité de prétendus alliés des USA :
Pakistan, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis…(1) Avec le déclin de
l’impérialisme américain, l’on assiste de fait à une balkanisation du monde et à l’émergence de puissances régionales
contestant la domination états-unienne : Russie, Turquie, Iran, nombre de pays
d’Amérique latine et surtout, la Chine. Les Etats-Unis, en effet, pourraient
bien être les perdants de la mondialisation capitalo-financière qu’ils ont
promue. Bien qu’ils possèdent l’armée du monde la plus puissante, de très nombreuses
bases militaires réparties sur l’ensemble de la planète, ils apparaissent comme
un géant aux pieds d’argile. Le soft power d’Obama ou sa volonté de
« diriger de l’arrière » les interventions militaires (Libye, Syrie)
tout comme les coups de menton de Trump, n’y ont rien changé.
Dans
le cadre de cet article, l’accent sera toutefois mis sur les faiblesses de la société nord-américaine qui rendent compte du
repli de la puissance impériale, entamé déjà par Obama, poursuivi par le
tonitruant Trump, géré désormais par Jo Biden. Que reste-t-il de la vision
idyllique du « rêve américain » et de sa « destinée manifeste » ? Un cauchemar pour les classes
populaires ? Rien n’est plus éclairant, pour y répondre, que de s’interroger
sur les raisons de la mise en œuvre du projet de loi « en faveur des travailleurs, du changement climatique,
du statut de millions de migrants », promis par Joe Biden, à coups de
milliards. Les Etats-Unis, a-t-il déclaré, se situent au « 23ème rang mondial en matière d’infrastructures ».
Il faut y remédier. Mais les promesses émises lors de la campagne électorale se
sont rétrécies. De 3 500 milliards, les « démocrates » US n’en
ont retenu que 1 000 pour franchir l’opposition républicaine au Sénat. Et
encore ! Ils y ont inclus les 550 milliards injectés par Trump qui n’ont
pas été dépensés. Il n’empêche, ces milliards signalent que les besoins de
« réfection des routes, des ponts, des chemins de fer, des transports en
commun, des réseaux électriques » sont énormes. Quant à « l’aide au
logement des personnes les plus pauvres », comme l’augmentation du salaire
minimum, il n’en n’est plus question, ni par conséquent de la hausse des impôts
en défaveur des multinationales et des milliardaires.
L’effritement
du rêve américain
On
n’est plus dans les années 1948-1973, période où les salaires ont doublé. L’ascension
sociale se traduisait par le développement de la classe moyenne, les ouvriers devenant
des « propriétaires avec voiture »,
avaient un train de vie « moderne ». La croissance entre 6 et 8 % tombe
à 4 % en 1973. La crise va entraîner un
tournant, celui du néolibéralisme
des années Reagan et, plus encore, avec Clinton. La restauration du taux de
profit sera recherchée dans les pays à bas salaires avec son cortège de
délocalisations et de fermetures d’entreprises.
En
2008, le taux de croissance aux USA est de 1 % mais les milliardaires n’ont jamais été aussi riches alors que nombre de
travailleurs ont besoin de deux emplois pour maintenir leur niveau de vie (70 à
80 heures de travail par semaine) et ce, en recourant aux crédits. La classe
ouvrière se rétrécit au profit des emplois de services mal rémunérés : 10
millions de personnes échappent aux radars : ni ouvriers, ni chômeurs, ils
n’existent plus. 30 % des moins de 30 ans vivent encore chez leurs parents. Le tissu social se délite. L’usage des
drogues augmente, tout comme les problèmes de santé et d’obésité. L’armée,
porte de sortie, se ferme en refusant 50 % des volontaires. Malgré la réforme
de la santé initiée par Obama, l’espérance de vie se met à baisser. Dans
certaines régions ou villes industrielles, la situation est catastrophique. Ainsi
dans le Michigan, des quartiers entiers sont vides, les maisons abandonnées,
les usines fermées sont des bâtiments délabrés (encart 1) .
Le
véritable tournant s’est en fait opéré sous Clinton en 1996, avec ses lois de criminalisation des pauvres,
accentué par la lutte contre le terrorisme. Le nombre des prisonniers a été
multiplié par 10 : 2.3 millions sont incarcérés, 5 millions libérés sous
caution sont des sous-citoyens, privés du droit de vote. 97 % des prisonniers
n’ont jamais eu un procès avec jury, le plaidoyer-coupable leur permet d’éviter
de longues années de prison et de « bénéficier » de peines plus
courtes. Dans ce pays qui prône les droits de l’Homme, les prisons comptent 25
% de tous les prisonniers dans le monde. Et, comme l’ont signalé les mouvements
sociaux, la répression ne faiblit pas : plus de 1 000 personnes sont
tuées chaque année par les « forces de l’ordre », en tout premier
lieu, des noirs et des hispaniques. Les longues guerres perpétrées au
Moyen-Orient n’ont pas épargné les soldats : des millions se retrouvent
sans emploi, sans formation, deviennent toxicos. Le taux de suicide des anciens
combattants est énorme (20 par jour, 6 500 en 2012). Bref, il y a plus de
décès dans l’armée par suicide que dans les combats.
La
crise des subprimes et du système financier a encore aggravé la situation. En
2009, 3.5 millions de logements de travailleurs ont été saisis, leurs occupants
jetés à la rue. Quant à la crise sanitaire (covid 19), elle enfonce encore un
peu plus les plus vulnérables, ceux en particulier qui n’ont pas d’assurance
maladie…
La classe
ouvrière blanche est-elle raciste ?
Il
s’agit là d’une vision largement diffusée par les démocrates à la Clinton,
flattant les minorités noires et hispaniques, prônant des réformes sociétales
pour s’opposer aux républicains conservateurs. En fait, les travailleurs,
surtout les blancs au col bleu, s’abstiennent en masse depuis les
années 60. Les Clinton sont détestés et haïs, considérés comme des traitres,
responsables de l’effondrement du rêve américain (2). Pendant la dernière
primaire présidentielle, le slogan « Enfermez-la »
visant Hillary Clinton, était très populaire ; nombreux sont ceux qui
désormais ne sont plus hostiles au « socialisme » à la Bernie Sanders.
En fait, il existe un profond rejet du gouvernement, de l’administration
fédérale, notamment depuis le scandale du Watergate. Quant aux suprémacistes
blancs, mis en avant par les médias, ils n’ont jamais été aussi faibles. Rien
de comparable avec les années 1930 où le Ku Klux Klan comptait 5 à 6 millions
de membres. Certes, les racistes existent mais il n’y a jamais eu aussi peu de racisme aujourd’hui,
par rapport à l’histoire des USA. En fait, les études l’ont montré, nombre de
ceux qui ont voté Trump étaient ceux qui, auparavant, avaient voté Obama. Trump,
le milliardaire, raciste, a pu les rallier avec ses promesses de « l’Amérique
d’abord », de mettre fin aux expéditions militaires dispendieuses et
« d’assécher le marais » de la bureaucratie.
Vers un
renouveau des luttes sociales ?
Déjà en 2018, en Virginie occidentale, dans les Appalaches, 45 000 enseignants,
chauffeurs de bus scolaires, ont pendant 12 jours, fait une grève totale. Le
mouvement s’est étendu dans les Etats ayant voté Trump. Les raisons : des
salaires trop bas, l’absence de fournitures scolaires dans les écoles
publiques, le nombre démesuré d’élèves par classe. Bien que les enseignants
n’aient pas le droit de grève, qu’ils risquent d’être condamnés à des peines de
prison, les grévistes n’ont pas cédé : les syndicats ont été débordés, la
solidarité s’est organisée avec les parents d’élèves (cantines, garderies) ;
et malgré les tentatives de diviser le
mouvement, en proposant de n’augmenter que les seuls salaires des enseignants,
l’unité populaire n’a pas été brisée. La grève a continué et puis tous les salaires
furent augmentés.
Depuis un an, les mouvements sociaux se multiplient : dans
l’éducation (300 à 400 000 travailleurs), la mobilisation ne s’éteint pas.
Surtout, on assiste à des actions de solidarité étonnantes : les syndicats
de routiers défendent les sans-papier, réclamant leur régularisation, leur
droit d’obtenir le permis de conduire, le statut de salariés et non
d’indépendants. A Los Angeles, 10 millions de travailleurs ont été reclassés comme
salariés contractuels. En Floride notamment, des manifestations exigent le
droit de vote des prisonniers et ex-incarcérés. Dans l’Ohio, des milliers de mineurs
de charbon se sont mobilisés contre la diminution de leurs pensions de
retraite. D’autres, en particulier dans les services de restauration rapide,
exigent un salaire minimum de 15 dollars de l’heure (il est fixé à 7.5
actuellement). Dans les hôtels de San Francisco, plus de 1 000 salariés
font grève, leur mot d’ordre « un
seul emploi doit être suffisant pour vivre ». En Pennsylvanie,
8 000 ouvriers de l’usine de freins à air comprimé ont, pour les mêmes
raisons, fait grève pendant 9 jours. Et l’on pourrait multiplier les exemples
de ce renouveau de combativité (encart 2).
Que peut Joe
Biden ?
Il
est le représentant d’une classe dominante divisée sur les solutions à apporter
au déclin de l’impérialisme états-unien. Certes, il y a un apparent consensus
visant à maintenir l’influence économique et politique sur le monde. La
débandade en Afghanistan a toutefois fait perdre à l’armée US, et à l’OTAN,
toute crédibilité. Il semble impossible de contraindre les peuples par
l’occupation militaire à l’aide de gouvernements fantoches. La pluie de dollars
s’avère être un facteur de corruption contreproductif.
L’Europe,
ce nain politique, semble être encore à portée du soft power états-unien.
Jusqu’à quand ? Dans la dernière période, des blocs de puissance mondiale
(Chine, Russie) et régionale (Turquie, Iran…) ainsi que l’expérience accumulée
des peuples (Amérique latine), restreignent la capacité de ce qui demeure la
plus grande puissance mondiale.
En
outre, le poids des milliardaires, des transnationales, leur capacité (illimitée ?)
de financement et de manipulation des partis politiques, démocrates comme
républicains, semblent interdire l’émergence d’une véritable alternative. Les
velléités de dirigisme d’Etat semblent, pour l’heure, vouées à l’échec.
L’injection d’argent public pourrait bien profiter aux magnats de la finance et
du béton… Quant à taxer les plus riches et les sociétés capitalistes, ce n’est de
fait qu’un affichage revendiqué uniquement par l’aile gauche du parti
démocrate. La tendance générale (d’ailleurs partout présente dans le monde) est
à la manipulation des esprits, à la surveillance généralisée et, au bout du compte,
à la répression.
Reste
qu’entre un nouveau maccartisme et une politique keynésienne, les classes
populaires pourraient tenter de sortir
de ce dilemme. En effet, les problèmes sociaux et environnementaux se sont
tellement accentués que des brèches béantes sont ouvertes :
l’intensification des luttes sociales peut obtenir des avancées en matière de santé
publique, d’éducation, de hausse des salaires… Elles se heurteront à
l’endettement public, maintenu grâce à la suprématie du dollar. Jusqu’à quand ?
Enfin,
l’accumulation des problèmes semble, dans la conjoncture présente,
insurmontable :
-
le poids
grandissant de l’impérialisme commercial de la Chine peut-il être contenu par
le soft power des droits de l’Homme, des sanctions, de l’influence du dollar,
de l’armée US ?
-
la dégradation
accélérée de l’écosystème (incendies ravageurs, montée des eaux des océans,
cyclones...) ne peut être résolue par des mesures cosmétiques et encore moins
par l’utilisation de nouvelles technologies
-
la survenue d’une
nouvelle crise économique et financière ne pourrait qu’aggraver les tensions
sociales d’une société au bord de la crise de nerf.
Pour
les classes dominantes US, l’avenir est incertain.
Gérard
Deneux le 22.08.2021
(1)
Il faudrait
pouvoir rappeler le jeu cynique des Etats-Unis, plus particulièrement a) contre
l’intervention de l’URSS en Afghanistan : soutien aux soi-disant
« combattants de la liberté » avec l’aide de supplétifs venus
d’Arabie Saoudite notamment Ben Laden… b) leur impassibilité ensuite vis-à-vis
de la prise de pouvoir par les talibans puis leur retournement après les
attentats à New York en 2001… c) de même, le feu vert donné à Saddam Hussein
pour entrer en guerre contre l’Iran khomeyniste et leur retournement lors de la
guerre du Golfe (Koweït)…
(2)
Pour en savoir
plus :
-
Le bilan anti-ouvrier des Clinton. Pourquoi Washington
craint les travailleurs de Jack
Barnes
-
l’interview de
Nat London, présentant le livre de Mary-Alice Waters La situation des classes laborieuses aux Etats-Unis d’Amérique, sur le site Lib-Tropiques – le 19.05.2019
Encart
1
2021.
Le nombre de sans-abris (SDF), recensés par la Fondation Endhomelessnoss, atteint le chiffre de plus de 580 000 dont
400 000 personnes seules et 171 000 familles. 6 sur 10 sont des
hommes : 48 % blancs, 39 % noirs, 22 % hispaniques. Si le moratoire
fédéral sur les expulsions locatives a été prolongé… les aides arrivent
difficilement : seuls 3 milliards sur les 47 milliards prévus pour loyers
impayés ont été distribués. Et les loyers sont en hausse ! (le Monde du
24.08.2021). A en croire Nat London « une explosion sociale est inévitable mais
personne ne peut dire quand ».
Encart
2
Faut pas
désespérer des Etats-uniens !
Nat
London, ouvrier nord-américain, militant au Parti Socialiste des Travailleurs
(SWP) raconte : « En 1965, faisant suite au mouvement des droits
civiques, des groupes d’autodéfense se sont armés. Les soulèvements des
quartiers noirs se sont traduits par plus de 1 000 morts mais le système
de ségrégation était détruit. En 1966, la majorité des travailleurs s’oppose à
la guerre du Vietnam. En 1967, lors du soulèvement des ghettos noirs, des
milliers ont été arrêtés et, pour échapper à la prison, un certain nombre se
sont engagés dans l’armée puis se sont retournés contre la guerre. En 1970,
l’opposition à la guerre concernait 10 millions d’étudiants et lycées. Les
forces de police ont tiré à balles réelles… En 1971, deux ans avant l’offensive
du Têt et avant les accords de Paris, le mouvement antiguerre dans l’armée était
fort, à tel point que le FLN a donné l’ordre de ne plus attaquer les soldats US
dans les campagnes ».