Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 29 août 2021

 

Le déclin manifeste des USA ?

 

Après la débâcle des Etats-Unis en Afghanistan, il y a lieu de s’interroger sur le devenir de cette nation fédérale. Nous sommes certainement à la fin d’un cycle, celui de la superpuissance autoproclamée, suite à l’effondrement de l’URSS. La « stratégie du choc » n’a pas, comme escompté, fait sombrer la Russie dans l’escarcelle du « gendarme du monde » et ce, malgré les moyens employés, golden boys ultralibéraux et l’appui d’Eltsine. Même dans les pays de l’Est intégrant le monde libre de l’Europe occidentale, la résurgence des nationalismes fracture cet espace territorial. Du reste, c’est surtout la quête de suprématie totale au Moyen-Orient, suite aux attentats du 11 septembre 2001, et la proclamation de la « guerre contre le terrorisme » par Bush et les néoconservateurs US, qui ont durablement infléchi le cours de l’histoire. Les apôtres de l’importation militaire de la démocratie néolibérale à coups de changements de régime ont signé la fin d’une période. Malgré le déversement d’une pluie de milliards de dollars, d’occupations militaires (Irak, Afghanistan), les échecs se sont succédé : les sanctions et intimidations n’y ont rien changé ; le chaos et la corruption ont gangrené les gouvernements fantoches installés, faisant surgir des sociétés encore archaïques, des nationalismes engoncés dans des représentations religieuses d’un autre âge, et ce, avec la complicité de prétendus alliés des USA : Pakistan, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis…(1) Avec le déclin de l’impérialisme américain, l’on assiste de fait à une balkanisation du monde et à l’émergence de puissances régionales contestant la domination états-unienne : Russie, Turquie, Iran, nombre de pays d’Amérique latine et surtout, la Chine. Les Etats-Unis, en effet, pourraient bien être les perdants de la mondialisation capitalo-financière qu’ils ont promue. Bien qu’ils possèdent l’armée du monde la plus puissante, de très nombreuses bases militaires réparties sur l’ensemble de la planète, ils apparaissent comme un géant aux pieds d’argile. Le soft power d’Obama ou sa volonté de « diriger de l’arrière » les interventions militaires (Libye, Syrie) tout comme les coups de menton de Trump, n’y ont rien changé.

 

Dans le cadre de cet article, l’accent sera toutefois mis sur les faiblesses de la société nord-américaine qui rendent compte du repli de la puissance impériale, entamé déjà par Obama, poursuivi par le tonitruant Trump, géré désormais par Jo Biden. Que reste-t-il de la vision idyllique du « rêve américain » et de sa « destinée manifeste » ? Un cauchemar pour les classes populaires ? Rien n’est plus éclairant, pour y répondre, que de s’interroger sur les raisons de la mise en œuvre du projet de loi « en faveur des travailleurs, du changement climatique, du statut de millions de migrants », promis par Joe Biden, à coups de milliards. Les Etats-Unis, a-t-il déclaré, se situent au « 23ème rang mondial en matière d’infrastructures ». Il faut y remédier. Mais les promesses émises lors de la campagne électorale se sont rétrécies. De 3 500 milliards, les « démocrates » US n’en ont retenu que 1 000 pour franchir l’opposition républicaine au Sénat. Et encore ! Ils y ont inclus les 550 milliards injectés par Trump qui n’ont pas été dépensés. Il n’empêche, ces milliards signalent que les besoins de « réfection des routes, des ponts, des chemins de fer, des transports en commun, des réseaux électriques » sont énormes. Quant à « l’aide au logement des personnes les plus pauvres », comme l’augmentation du salaire minimum, il n’en n’est plus question, ni par conséquent de la hausse des impôts en défaveur des multinationales et des milliardaires.   

 

L’effritement du rêve américain

 

On n’est plus dans les années 1948-1973, période où les salaires ont doublé. L’ascension sociale se traduisait par le développement de la classe moyenne, les ouvriers devenant des  « propriétaires avec voiture », avaient un train de vie « moderne ». La croissance entre 6 et 8 % tombe à 4 % en 1973. La crise va entraîner un tournant, celui du  néolibéralisme des années Reagan et, plus encore, avec Clinton. La restauration du taux de profit sera recherchée dans les pays à bas salaires avec son cortège de délocalisations et de fermetures d’entreprises.

 

En 2008, le taux de croissance aux USA est de 1 % mais les milliardaires n’ont jamais été aussi riches alors que nombre de travailleurs ont besoin de deux emplois pour maintenir leur niveau de vie (70 à 80 heures de travail par semaine) et ce, en recourant aux crédits. La classe ouvrière se rétrécit au profit des emplois de services mal rémunérés : 10 millions de personnes échappent aux radars : ni ouvriers, ni chômeurs, ils n’existent plus. 30 % des moins de 30 ans vivent encore chez leurs parents. Le tissu social se délite. L’usage des drogues augmente, tout comme les problèmes de santé et d’obésité. L’armée, porte de sortie, se ferme en refusant 50 % des volontaires. Malgré la réforme de la santé initiée par Obama, l’espérance de vie se met à baisser. Dans certaines régions ou villes industrielles, la situation est catastrophique. Ainsi dans le Michigan, des quartiers entiers sont vides, les maisons abandonnées, les usines fermées sont des bâtiments délabrés (encart 1) .

Le véritable tournant s’est en fait opéré sous Clinton en 1996, avec ses lois de criminalisation des pauvres, accentué par la lutte contre le terrorisme. Le nombre des prisonniers a été multiplié par 10 : 2.3 millions sont incarcérés, 5 millions libérés sous caution sont des sous-citoyens, privés du droit de vote. 97 % des prisonniers n’ont jamais eu un procès avec jury, le plaidoyer-coupable leur permet d’éviter de longues années de prison et de « bénéficier » de peines plus courtes. Dans ce pays qui prône les droits de l’Homme, les prisons comptent 25 % de tous les prisonniers dans le monde. Et, comme l’ont signalé les mouvements sociaux, la répression ne faiblit pas : plus de 1 000 personnes sont tuées chaque année par les « forces de l’ordre », en tout premier lieu, des noirs et des hispaniques. Les longues guerres perpétrées au Moyen-Orient n’ont pas épargné les soldats : des millions se retrouvent sans emploi, sans formation, deviennent toxicos. Le taux de suicide des anciens combattants est énorme (20 par jour, 6 500 en 2012). Bref, il y a plus de décès dans l’armée par suicide que dans les combats.

La crise des subprimes et du système financier a encore aggravé la situation. En 2009, 3.5 millions de logements de travailleurs ont été saisis, leurs occupants jetés à la rue. Quant à la crise sanitaire (covid 19), elle enfonce encore un peu plus les plus vulnérables, ceux en particulier qui n’ont pas d’assurance maladie…

 

La classe ouvrière blanche est-elle raciste ?

 

Il s’agit là d’une vision largement diffusée par les démocrates à la Clinton, flattant les minorités noires et hispaniques, prônant des réformes sociétales pour s’opposer aux républicains conservateurs. En fait, les travailleurs, surtout les blancs au col bleu,  s’abstiennent en masse depuis les années 60. Les Clinton sont détestés et haïs, considérés comme des traitres, responsables de l’effondrement du rêve américain (2). Pendant la dernière primaire présidentielle, le slogan « Enfermez-la » visant Hillary Clinton, était très populaire ; nombreux sont ceux qui désormais ne sont plus hostiles au « socialisme » à la Bernie Sanders. En fait, il existe un profond rejet du gouvernement, de l’administration fédérale, notamment depuis le scandale du Watergate. Quant aux suprémacistes blancs, mis en avant par les médias, ils n’ont jamais été aussi faibles. Rien de comparable avec les années 1930 où le Ku Klux Klan comptait 5 à 6 millions de membres. Certes, les racistes existent mais il  n’y a jamais eu aussi peu de racisme aujourd’hui, par rapport à l’histoire des USA. En fait, les études l’ont montré, nombre de ceux qui ont voté Trump étaient ceux qui, auparavant, avaient voté Obama. Trump, le milliardaire, raciste, a pu les rallier avec ses promesses de « l’Amérique d’abord », de mettre fin aux expéditions militaires dispendieuses et « d’assécher le marais » de la bureaucratie.

 

Vers un renouveau des luttes sociales ?

 

Déjà en 2018, en Virginie occidentale, dans les Appalaches, 45 000 enseignants, chauffeurs de bus scolaires, ont pendant 12 jours, fait une grève totale. Le mouvement s’est étendu dans les Etats ayant voté Trump. Les raisons : des salaires trop bas, l’absence de fournitures scolaires dans les écoles publiques, le nombre démesuré d’élèves par classe. Bien que les enseignants n’aient pas le droit de grève, qu’ils risquent d’être condamnés à des peines de prison, les grévistes n’ont pas cédé : les syndicats ont été débordés, la solidarité s’est organisée avec les parents d’élèves (cantines, garderies) ;  et malgré les tentatives de diviser le mouvement, en proposant de n’augmenter que les seuls salaires des enseignants, l’unité populaire n’a pas été brisée. La grève a continué et puis tous les salaires furent augmentés.

Depuis un an, les mouvements sociaux se multiplient : dans l’éducation (300 à 400 000 travailleurs), la mobilisation ne s’éteint pas. Surtout, on assiste à des actions de solidarité étonnantes : les syndicats de routiers défendent les sans-papier, réclamant leur régularisation, leur droit d’obtenir le permis de conduire, le statut de salariés et non d’indépendants. A Los Angeles, 10 millions de travailleurs ont été reclassés comme salariés contractuels. En Floride notamment, des manifestations exigent le droit de vote des prisonniers et ex-incarcérés. Dans l’Ohio, des milliers de mineurs de charbon se sont mobilisés contre la diminution de leurs pensions de retraite. D’autres, en particulier dans les services de restauration rapide, exigent un salaire minimum de 15 dollars de l’heure (il est fixé à 7.5 actuellement). Dans les hôtels de San Francisco, plus de 1 000 salariés font grève, leur mot d’ordre « un seul emploi doit être suffisant pour vivre ». En Pennsylvanie, 8 000 ouvriers de l’usine de freins à air comprimé ont, pour les mêmes raisons, fait grève pendant 9 jours. Et l’on pourrait multiplier les exemples de ce renouveau de combativité (encart 2).

 

Que peut Joe Biden ?

 

Il est le représentant d’une classe dominante divisée sur les solutions à apporter au déclin de l’impérialisme états-unien. Certes, il y a un apparent consensus visant à maintenir l’influence économique et politique sur le monde. La débandade en Afghanistan a toutefois fait perdre à l’armée US, et à l’OTAN, toute crédibilité. Il semble impossible de contraindre les peuples par l’occupation militaire à l’aide de gouvernements fantoches. La pluie de dollars s’avère être un facteur de corruption contreproductif.

 

L’Europe, ce nain politique, semble être encore à portée du soft power états-unien. Jusqu’à quand ? Dans la dernière période, des blocs de puissance mondiale (Chine, Russie) et régionale (Turquie, Iran…) ainsi que l’expérience accumulée des peuples (Amérique latine), restreignent la capacité de ce qui demeure la plus grande puissance mondiale.

 

En outre, le poids des milliardaires, des transnationales, leur capacité (illimitée ?) de financement et de manipulation des partis politiques, démocrates comme républicains, semblent interdire l’émergence d’une véritable alternative. Les velléités de dirigisme d’Etat semblent, pour l’heure, vouées à l’échec. L’injection d’argent public pourrait bien profiter aux magnats de la finance et du béton… Quant à taxer les plus riches et les sociétés capitalistes, ce n’est de fait qu’un affichage revendiqué uniquement par l’aile gauche du parti démocrate. La tendance générale (d’ailleurs partout présente dans le monde) est à la manipulation des esprits, à la surveillance généralisée et, au bout du compte, à la répression.

 

Reste qu’entre un nouveau maccartisme et une politique keynésienne, les classes populaires pourraient tenter de sortir de ce dilemme. En effet, les problèmes sociaux et environnementaux se sont tellement accentués que des brèches béantes sont ouvertes : l’intensification des luttes sociales peut obtenir des avancées en matière de santé publique, d’éducation, de hausse des salaires… Elles se heurteront à l’endettement public, maintenu grâce à la suprématie du dollar. Jusqu’à quand ?

 

Enfin, l’accumulation des problèmes semble, dans la conjoncture présente, insurmontable :

-        le poids grandissant de l’impérialisme commercial de la Chine peut-il être contenu par le soft power des droits de l’Homme, des sanctions, de l’influence du dollar, de l’armée US ?

-        la dégradation accélérée de l’écosystème (incendies ravageurs, montée des eaux des océans, cyclones...) ne peut être résolue par des mesures cosmétiques et encore moins par l’utilisation de nouvelles technologies

-        la survenue d’une nouvelle crise économique et financière ne pourrait qu’aggraver les tensions sociales d’une société au bord de la crise de nerf.

 

Pour les classes dominantes US, l’avenir est incertain.

 

Gérard Deneux le 22.08.2021

 

(1)   Il faudrait pouvoir rappeler le jeu cynique des Etats-Unis, plus particulièrement a) contre l’intervention de l’URSS en Afghanistan : soutien aux soi-disant « combattants de la liberté » avec l’aide de supplétifs venus d’Arabie Saoudite notamment Ben Laden… b) leur impassibilité ensuite vis-à-vis de la prise de pouvoir par les talibans puis leur retournement après les attentats à New York en 2001… c) de même, le feu vert donné à Saddam Hussein pour entrer en guerre contre l’Iran khomeyniste et leur retournement lors de la guerre du Golfe (Koweït)…

(2)   Pour en savoir plus :

-        Le bilan anti-ouvrier des Clinton. Pourquoi Washington craint les travailleurs  de Jack Barnes

-        l’interview de Nat London, présentant le livre de Mary-Alice Waters La situation des classes laborieuses aux Etats-Unis d’Amérique,  sur le site Lib-Tropiques – le 19.05.2019

 

 

Encart 1

2021. Le nombre de sans-abris (SDF), recensés par la Fondation Endhomelessnoss, atteint le chiffre de plus de 580 000 dont 400 000 personnes seules et 171 000 familles. 6 sur 10 sont des hommes : 48 % blancs, 39 % noirs, 22 % hispaniques. Si le moratoire fédéral sur les expulsions locatives a été prolongé… les aides arrivent difficilement : seuls 3 milliards sur les 47 milliards prévus pour loyers impayés ont été distribués. Et les loyers sont en hausse ! (le Monde du 24.08.2021). A en croire Nat London « une explosion sociale est inévitable mais personne ne peut dire quand ».

 

 

Encart 2

Faut pas désespérer des Etats-uniens !

Nat London, ouvrier nord-américain, militant au Parti Socialiste des Travailleurs (SWP) raconte : « En 1965, faisant suite au mouvement des droits civiques, des groupes d’autodéfense se sont armés. Les soulèvements des quartiers noirs se sont traduits par plus de 1 000 morts mais le système de ségrégation était détruit. En 1966, la majorité des travailleurs s’oppose à la guerre du Vietnam. En 1967, lors du soulèvement des ghettos noirs, des milliers ont été arrêtés et, pour échapper à la prison, un certain nombre se sont engagés dans l’armée puis se sont retournés contre la guerre. En 1970, l’opposition à la guerre concernait 10 millions d’étudiants et lycées. Les forces de police ont tiré à balles réelles… En 1971, deux ans avant l’offensive du Têt et avant les accords de Paris, le mouvement antiguerre dans l’armée était fort, à tel point que le FLN a donné l’ordre de ne plus attaquer les soldats US dans les campagnes ».