Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 4 avril 2018


Mayotte, ce confetti de l’ex-empire français si maltraité,
cette partie des Comores, elles-mêmes désarticulées.

On ne peut comprendre la situation de blocages et de grèves dans l’île de Mayotte, ce 101ème département français, sans évoquer son histoire tumultueuse et les responsabilités de l’impérialisme français. Ce détour est d’autant plus nécessaire que les médias dominants réduisent le mouvement local d’ampleur à l’afflux de migrants des autres îles de l’archipel ; si cette réalité n’est pas contestable, les causes de ce « besoin de sécurité » sont largement ignorées.

Détour par  l’histoire coloniale et néocoloniale

Tout commence en 1841, le sultan Andriantsouli cède à la France l’archipel contre une rente viagère annuelle. Cette cession est ratifiée par Louis-Philippe en 1843. Dès 1886, l’archipel des Comores devient colonie française. Il comprend 4 îles : Anjouan, la grande Comore, Mohéli et Mayotte. Les populations qui y vivent partagent la même culture traditionnelle, la même religion sunnite, la même langue, le shikomori. En 1912, le statut colonial est réaffirmé : la position de l’archipel est en effet considérée comme stratégique ; située entre Madagascar (colonie française) et le Mozambique, elle constitue un verrou dans l’océan indien pour la circulation maritime qui passe par le cap de bonne Espérance.

En 1946, l’archipel devient Territoire d’Outre-Mer. L’heure de la décolonisation semble ouvrir une nouvelle voie. Il faut néanmoins attendre 1974 pour qu’un référendum soit organisé. 94.75% de la population se déclarent pour l’indépendance. Alors même que la loi française avait prévu un comptage global, le gouvernement français se prévaut du vote île par île pour revenir unilatéralement sur sa décision, Mayotte ayant voté à 63% contre l’indépendance. Contre la décision de l’ONU, admettant en son sein l’intégralité de la jeune République des Comores, le gouvernement français décide de se maintenir dans l’île de Mayotte. En 1976, un nouveau référendum, avec force trucages et fraudes, proclamera à 99.4% que Mayotte doit rester française. Il s’agit de fait d’extirper cette île de son contexte comorien et africain pour assurer la présence impérialiste de la France. Les décisions de l’ONU condamnant la France « d’atteinte à l’unité des Comores », de « violations de l’intégrité territoriale » et du droit international n’y changeront rien. La France néocoloniale s’installe et ignore l’admonestation de l’ONU exigeant son retrait de l’île de Mayotte. Pire, les autres îles des Comores vont payer très cher le fait d’avoir mal voté. La France gaullienne ne pardonne pas. La cellule de l’Elysée avec Foccart d’abord puis Michel Debré et Olivier Sterne, aidée par les services secrets, va tout faire pour déstabiliser les Comores en employant ses chiens de guerre.

Les déstabilisations successives des Comores

Bob Denard et ses mercenaires vont faire l’affaire. Dès le 6 juillet 1975, ils débarquent et destituent le président Ahmed Abdallah. Le président nouvellement élu Ali Soilihi est très vite en disgrâce. Il entreprend une réforme agraire, pire, il se revendique du marxisme. Nouveau coup d’Etat initié de l’Elysée et conduit par Bob Denard et ses miliciens. Ils s’installent dans l’île. Le nouveau gouvernement s’aligne sur les positions françaises et devient un partenaire de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce dernier pays conclut un accord tacite avec l’Elysée. Les mercenaires sont payés en grande partie par l’Afrique du Sud, le reste provenant des fonds secrets de la DGSE.

En 1989, le président Ahmed Abdallah revient au pouvoir… pas pour longtemps, il est assassiné dans des conditions des plus troubles… en présence de Bob Denard. En 1990, Mitterrand soutient le nouveau président Saïd Mohammed Djohar… pas pour longtemps…, il a osé se rapprocher de l’Iran et de la Libye. 1995, nouveau coup d’Etat, Bob Denard toujours à la commande. Cette fois est la fois de trop, la réprobation nationale et internationale oblige le gouvernement à reculer. Juppé proclame que la France n’est pas responsable ( !). Bob Denard est lâché mais ses hommes et lui-même sont récupérés par l’armée française et la DGSE (1). Rocard se félicite d’une opération si bien menée.

Ces diverses tentatives opaques pour préserver le néocolonialisme sur l’ensemble de l’archipel ont donc échoué. Balladur en prend acte de manière répressive. Les Comoriens sont interdits à Mayotte. Entretemps, les médias, pour dissimuler les coups fourrés de l’Elysée, ont répandu l’idée que ces îles des Comores, hors du giron de la France, forment une République bananière incontrôlable. Reste que depuis 1995, 15 000 Comoriens ont tenté de rejoindre Mayotte et se sont noyés dans l’océan indien. Quant aux affreux comme Bo Denard et tous ceux qui ont agi dans l’ombre de la république française… ils n’ont pas été inquiétés. Encore aujourd’hui, ces mercenaires recrutés dans la mouvance d’extrême droite, sont qualifiés de « corsaires de la République » ( !)

Mayotte, la maltraitée

Ce département, français depuis 1976, n’a pas pour autant connu le développement qu’il aurait pu espérer, bien au contraire. Il se caractérise par des records d’illettrisme (40%) des jeunes de 16-24 ans, de chômage des jeunes (47%) et une situation de santé publique déplorable. Les hôpitaux sont saturés tant et si bien qu’il faut multiplier les évacuations sanitaires vers l’île de la Réunion à 684 km à l’est de Madagascar, pour encombrer le CHU de cette île dont le déficit est abyssal. Les records de fécondité, la multiplication de la population passée depuis 1958 de 23 300 habitants à 256 000, tout comme l’immigration résultant pour l’essentiel de la déstabilisation des Comores, rendent la situation inextricable : 84% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté ; on compte des milliers de mineurs isolés livrés à eux-mêmes dans les bidonvilles. Le manque de services publics est criant, y compris en matière d’éducation et de prévention. Evidemment, l’économie informelle, la délinquance, les viols, les milliers d’enfants abandonnés, ne sont guère des « aspects positifs » ( !) du néocolonialisme. Coupé de son environnement proche, l’Afrique, ce DOM reste dépendant et sous perfusion aléatoire de l’Hexagone.

Les déstabilisations successives des Comores, la misère qui y règne, incitent par conséquent leurs  habitants à rejoindre Mayotte pour mieux pourrir dans des bidonvilles. Ils représentent désormais le ¼ de la population. Face à l’immobilisme des différents gouvernements français, il n’y a guère lieu de s’étonner de la paupérisation croissante de la population, de la hausse de la mortalité infantile et de la baisse de l’espérance de vie. Si les Français de métropole installés dans cette île gagnent, en moyenne, 1 400€/mois, les originaires de Mayotte se contentent de 290€. Quant aux sans-papiers, sans-visa Balladur, ils végètent dans des conditions semi-esclavagistes, installés dans des habitats précaires après avoir loué les terrains où ils ont pu construire leurs cahutes. La surpopulation devient dramatique, générant une concurrence entre les pauvres et les miséreux, développant des violences xénophobes et ne rencontrant, au mieux, que l’indifférence de la métropole, au pire, l’entretien des rejets sécuritaires comoriens. Et ce n’est pas d’aujourd’hui que la situation est devenue intenable. En 2011, un grand mouvement contre la vie chère, puis un autre en 2016 pour l’harmonisation du statut de cette île vis-à-vis des autres confettis de l’ex-empire français, n’ont guère incité l’Etat français à améliorer la situation. Rien d’étonnant donc à la reprise, avec plus de force, d’un nouveau mouvement social depuis le 20 février 2018.    

La ministre d’Outre-mer chahutée et toujours les mêmes recettes

Après bien des tergiversations, Macron a envoyé Annick Girardin à Mayotte pour « renouer le dialogue » qui n’a jamais réellement existé. Face au Collectif d’associations, de syndicats et d’élus, elle avait pour mission de rétablir le calme dans cette île complètement bloquée. Accompagnée d’une cohorte d’experts  en retour à l’ordre, tels le général Lambert et l’ex-préfet de ce département Jean-Jacques Brot, croyant bien faire, elle a, sitôt débarquée, annoncé un nouveau renfort des forces de l’ordre, en plus des trois escadrons de gendarmerie déjà à l’oeuvre. La veille de son arrivée, en effet, ces derniers étaient intervenus pour dégager le rond-point « stratégique », celui de l’entrée du port de Langoin et ce, bien que les dirigeants du collectif aient toujours laissé passer les véhicules sanitaires et de livraison. Provocation inutile. Le lendemain, le carrefour était réoccupé.

C’est donc dans une île paralysée par la grève et les blocages que la ministre a cherché des interlocuteurs, sans en trouver. Bravache, elle s’est rendue place de la République, mégaphone en main. Et ce fut une pluie de quolibets et d’interpellations véhémentes jusqu’à son exfiltration sous les huées. Elle n’eut guère plus de succès au conseil départemental, l’hémicycle étant vide. Se précipitant alors vers la Maison de l’entreprise, elle finit par trouver quelques patrons pour… une heure d’entretien.

Après bien des flottements et hésitations, faute d’élus « responsables », elle consentit à recevoir une délégation du collectif, pour annoncer des mesures sécuritaires et une vague promesse : des navires patrouilleurs coiffés par un état-major pour stopper les migrants, un plan de destruction des habitations illégales et un « plan de rattrapage » dont trois hauts fonctionnaires seraient chargés. Aucun protocole d’accord ne fut signé.

La délégation crut bon de proposer, comme souhaité par la ministre, une suspension du mouvement. Désavouée, « balayée par la colère des grévistes et des barrièristes », la délégation ne put qu’acter la poursuite du mouvement, tout en exigeant la présence d’un « véritable interlocuteur » en capacité de prendre en compte les revendications populaires. Jupiter va-t-il s’y risquer et descendre de son Olympe ? Bref, rien n’est réglé et la voie est étroite entre le chaos et la répression.

Un peuple qui laisse son Etat dominer d’autres peuples ne saurait être un peuple libre. C’est dire, par cette paraphrase que, pour le moins, la métropole doit être solidaire des Mahorais. Les mouvements qui secouent périodiquement les confettis de l’ex-empire colonial doivent acquérir l’autonomie réelle de ces territoires, voire leur indépendance. Celle-ci ne peut se construire qu’avec la coopération des pays limitrophes et, pour ce qui concerne Mayotte, avec les pays africains à proximité, avec la Réunion, Madagascar et ce, dans le cadre de la réunification de l’archipel des Comores

Gérard Deneux, le 3 avril 2018

(1)   Bob Denard possédait en 1978, 800 000 millions sur des comptes au Luxembourg. Ce « sultan blanc » des Comores qui se conduisit en despote, pratiquant au besoin la torture, était devenu un homme d’affaires trafiquant avec l’Afrique du Sud. Avec la fin de l’apartheid, il fut lâché par ce pays et par la France qui ne pouvait admettre des liens troubles avec ce chien de guerre.