Le chaos ukrainien
Dans un
article précédent (1), intitulé « Ukraine,
vers la guerre ou la partition », en conclusion, je laissais entendre
que « si le pire n’est jamais
certain, tous les dérapages sont néanmoins toujours possibles ». Or,
depuis, le déroulement des évènements a prouvé que nous avons eu, dans ce pays,
et la guerre limitée et la partition toujours programmée.
Aux 200 morts résultant de la révolte
de Maïdan, entraînant la fuite du Président Ianoukovitch, il faut, au
15.09.2014, en ajouter 2 600 dont 900 militaires, victimes de l‘offensive
ukrainienne contre les « séparatistes pro-russes ». Les
bombardements et les combats ont été d’une telle violence qu’ils ont contraint
400 000 civils à fuir leurs habitations. Qui plus est, 230 000 à
300 000 personnes ont été déplacées et 283 000 se sont réfugiées dans
les Etats voisins. Quant aux civils qui sont restés sur place, ils vivaient la
plupart du temps (avant le cessez-le-feu… provisoire) terrés dans des caves et,
vu les destructions, sans eau ni électricité. En outre, les villes de l’Est
meurtries, comme Louhansk, ayant subi deux mois de bombardements, sont des
cités mortes, sans eau, sans électricité, ni réseau téléphonique. Dans la ville
précitée, l’immense usine de locomotives a été entièrement détruite, de même, à
Loutoufino, l’entreprise de machines-outils n’est plus qu’un amas de ferrailles
calcinées.
Comment en est-on arrivé à ce point de
non-retour ? Faut-il croire, comme les médias nous portent à le penser(2), qu’il s’agirait
d’une lutte entre les « gentils » pro-européens de Kiev et les
« méchants terroristes » pro-russes armés par Poutine ? Que dire
du cessez-le-feu obtenu suite à la rencontre de Minsk en Biélorussie ?
Comment appréhender cette réunion de l’OTAN les 4 et 5 septembre, à Newport, et
la tournée d’Obama dans les pays baltes ? Porochenko et son gouvernement
peuvent-ils se maintenir au pouvoir ? Tenter de produire des éléments de
réponse à ces questions c’est d’abord revenir sur l’enchaînement des faits ou
l’engrenage du « pire » s’est enclenché.
1 - Le roi du chocolat et la « crème
terroriste »
La révolte de Maïdan, au centre de
Kiev, a surgi lors du choix cornélien auquel a dû procéder le président en
exercice, l’oligarque Ianoukovitch porté au pouvoir par le parti des régions
(surtout de l’Est) après la faillite des oligarques pro-révolution orange (3).
L’économie de prédation qu’il dirigeait était en quasi-faillite, une
« aide » d’urgence était nécessaire pour le maintenir à flot. Face à
sa demande, l’Union européenne et le FMI ne proposaient que 3 milliards de
dollars, assortis de mesures d’austérité impopulaire et de dispositifs
anti-corruption malmenant la véritable maffia économique, soutien du régime.
Quant à la Russie, son offre était plus alléchante : 11 milliards de
dollars accompagnés de remises de dettes de gaz impayées. Le choix
« pro-russe » fut vite fait, trop vite, car il fut suivi
immédiatement de l’occupation de la place Maïdan par une foule déterminée, à
laquelle se sont jointes des forces ultra-nationalistes et d’autres,
ouvertement fascistes. Cette confrontation violente avec le pouvoir mêlait
revendications démocratiques, hostilité aux oligarques, illusions sur l’union
européenne et sentiments ultra-nationalistes antirusses.
Un terme de
cette opposition irréductible de la rue fut trouvé (4) lors de la formation
d’un nouveau gouvernement dit de transition après la fuite de Ianoukovitch et
la volte-face de parlementaires acquis à sa cause. C’est sous la pression
conjointe des puissants oligarques, l’ingérence des puissances européennes et
la pression de la rue qu’il vit le jour. Ceux qui avaient acquis d’immenses
fortunes en faisant main basse sur les biens publics privatisés à vil prix, les
mêmes qui avaient financé la « révolution orange », porté au pouvoir
Ioutchenko (le grêlé suite à une tentative d’empoisonnement) et permis
l’ascension de l’égérie Ioulia Timochenko, tous ceux-là, malgré leurs
contradictions, devaient voir leurs intérêts préservés, voire, pour certains
d’entre eux, décuplés au terme de l’accord d’association avec l’Union
européenne, et ce, sous l’aile protectrice de l’OTAN. Tel était le scénario
envisagé car, en définitive, la preuve semblait faite que la rébellion de Maïdan ne ressemblait en rien aux prémices d’une
possible révolution. Toutefois, cette vue de l’esprit ne prenait pas en
compte les intérêts de la puissance russe, ni la fièvre ultranationaliste à
l’ouest. Il devenait de plus en plus difficile dans ces conditions de trouver
un compromis entre les baronnies financières, entre l’Est et l’Ouest. Enivrés
par la fébrilité pro-occidentale et nationaliste de la rue, les parlementaires
votèrent le 23 février l’abolition du statut du russe, 2ème langue officielle. Ces boutefeux, tout à leur
provocation, ne pouvaient pas ignorer que 38% des Ukrainiens pratiquent cette
langue. Cette manipulation des peurs et des sentiments identitaires de l’ouest
ne pouvait qu’exciter la colère des russophones. Ils étaient jusqu’alors
méfiants, dans l’expectative vis-à-vis de la révolte de Maïdan. Sous l’instigation
de la propagande de Moscou, ils devinrent hostiles, voire sécessionnistes dans
leur grande masse. Et ce fut à l’Est un Maïdan à l’envers, même s’il ne connut
pas la même ampleur. Le rapprochement vis-à-vis de Moscou semblait d’autant
plus naturel (quand bien même la méfiance persistait) que le commerce avec
cette puissance assurait, pour l’essentiel, l’irrigation économique de l’Est
ukrainien : le Donbass possède en effet d’énormes quantités de charbon, il
fut le cœur industriel et minier de l’URSS. Officiellement, 95 mines sont
toujours en activité.
Face à ce gouvernement imposé, Poutine
se déclara protecteur des populations russophones, contre ce « coup
d’Etat » auquel il n’avait pas été associé. Il le qualifia de fasciste
bien que les éléments d’extrême droite y siégeant fussent minoritaires. Et il
prit de court ses adversaires, Kiev et les gouvernements occidentaux. Décidé à
éviter la perte de sa base navale stationnée en Crimée, il organisa, fin
février, un référendum bâclé et récupéra dans son giron, le 18 mars, cette
presqu’île peuplée majoritairement de Russes (5).
Pendant des décennies, les Etats-Unis
traitèrent avec dédain le pouvoir poutinien, les Etats européens, quant à eux,
pensaient amadouer « l’ours russe » par le développement de relations
économiques et financières sans en saisir la nature bien différente de celle de
son prédécesseur Eltsine. Pourtant bien des signes auraient dû les avertir que
la mise sous tutelle de la Russie n’était plus de mise : les massacres en
Tchétchénie, l’intervention de l’armée russe en Géorgie, son soutien au boucher
El Assad en Syrie. S’appuyant sur les divisions des Etats européens, leur
dépendance énergétique au gaz, jouant sur les velléités de la puissance US,
Poutine allait démontrer qu’il était un maître au poker menteur, jouant tantôt
l’apaisement, tantôt la force pour mieux
s’imposer car, entretemps, les braises sur lesquelles avaient soufflé
Washington et Bruxelles s’enflammèrent. Le nouveau gouvernement prétendument
assuré de leur soutien allait mener la guerre contre une partie de sa
population.
De la guerre de Kiev contre le Donbass
L’embrasement de l’Est se traduisit
d’abord par des manifestations, sit-in autonomistes acclamant Poutine, puis
très rapidement, des confrontations avec la police mise en déroute à coups de
cocktails molotov. Très vite, des rebelles armés et des milices pro-russes
occupèrent les bâtiments publics dans les villes de Donetsk, de Louhansk
notamment, se proclamèrent République populaire, menacèrent de nationaliser les
biens privatisés, tout en chassant les représentants de Kiev qui rapidement se
réfugièrent à Sébastopol.
Dans le même temps, face à cette
militarisation à caractère séparatiste, soutenue, armée par Poutine et
infiltrée de mercenaires et conseillers russes, le gouvernement assura la même
montée aux extrêmes. L’armée et les groupes fascistes furent mobilisés pour la
reconquête du territoire occupé par les « terroristes séparatistes »
qu’il fallait écraser sous les tirs d’artillerie lourde.
D’ailleurs, Porochenko avait été élu
par le Parlement sur la promesse de gagner la guerre contre les
« séparatistes », de maintenir à tout prix l’unité de l’Ukraine, de
ne pas céder face aux revendications fédéralistes et de ne jamais négocier avec
ces rebelles. Le roi du chocolat, l’un des hommes les plus riches d’Ukraine
allait de fait s’enliser dans « la crème des terroristes ».
Persuadée que Poutine n’oserait aller
trop loin que les sanctions occidentales finiraient par le faire reculer, forte
du soutien apparent de l’Union européenne, des Etats-Unis et de l’OTAN, l’armée
ukrainienne fut lancée à l’assaut. Après de meurtriers combats, bombardements,
pilonnages de l’artillerie, les villes « séparatistes » semblaient
devoir tomber les unes après les autres et l’ordre nationaliste s’imposer.
D’autant que le 2 mai, la répression à Sébastopol inaugurait un cycle marquant
la volonté de ne tolérer aucune dissidence. La manifestation anti-Maïdan
s’était traduite, en effet, par l’incendie de la maison des syndicats où périrent
30 Ukrainiens. Les fascistes de « Secteur droit » à l’avant-garde de
la répression étaient déterminés à faire régner la terreur
« anti-prorusse ».
Toutefois,
contre toute attente, l’infiltration russe s’amplifiait, des armes
sophistiquées et les contre-attaques des milices portaient des coups à l’armée
ukrainienne mal organisée, des officiers s’enfuyaient… ils ne s’attendaient pas
à cette « résistance » acharnée. Le nombre de morts s’accumulait, la
population désemparée, en manque de vivres et d’eau, commençait à filtrer dans
la presse, même si les médias occidentaux n’en parlaient guère. Le plan
poutinien pouvait dès lors se mettre en place. Il fut de fait retardé par
l’intense émotion suscitée par le tir provoquant le crash du Boeing MH17 qui
volait à 10 000 mètres d’altitude. Les 298 victimes provoquèrent une vive
émotion, attisant la rhétorique d’Obama dénonçant le « nationalisme
débridé de Moscou », affirmant qu’il comptait élargir l’OTAN à la Géorgie,
qu’il allait aider l’Ukraine et multiplier les sanctions. La réponse fut
fournie par Medvedev : à sanctions, contre-sanctions et la menace
d’interdire le survol du territoire russe par les compagnies aériennes
occidentales, ce qui ne manquerait pas, si elle était exécutée, de provoquer
leur faillite. Des Mac Do furent fermés et des produits occidentaux interdits
d’importation. Quant à Poutine, il joua l’apaisement le 9 août en appelant les
dirigeants occidentaux au « bon sens » lors du lancement du projet
d’exploration conjointe entre le Russe Rosneft et l’américain Exxon Mobil dans
l’Arctique et en ironisant sur les sanctions.
2 – De l’opération humanitaire russe à
l’intervention militaire
Face à la
détérioration de la situation sanitaire et sociale de la population du Donbass,
et surtout prenant en compte l’encerclement de Donetsk qu’était en train
d’opérer l’armée ukrainienne, en passe de couper cette ville de celle de
Louhansk, bastion des « séparatistes », Poutine déclara que la Russie
allait procéder à une intervention humanitaire massive : 1 800 tonnes
de vivres, de médicaments et d’équipements de première nécessité seraient
livrées. Si, sans conteste, les populations soumises à des tirs d’artillerie
massifs étaient, tout particulièrement à Louhansk, privées d’eau et
d’électricité et victimes de pénurie alimentaire, il s’agissait essentiellement
pour Poutine de retarder le plan d’assaut final prévu par Porochenko. La suite
des évènements allait le démontrer. Kiev ne pouvait s’opposer frontalement à
cette opération mais posait en revanche ses conditions : strict contrôle à
la frontière, avec chargement et déchargement des 260 camions russes, sous
contrôle de la Croix Rouge. Des tractations sans effet s’en suivirent, les
convois étant bloqués à la frontière. Le feu vert fut donné par Poutine, au
bout d’une semaine d’immobilisation, de franchir la frontière : Kiev tout
comme les gardes-frontières furent pris de court n’osant tirer sur un tel
convoi ce qui aurait non seulement justifié une intervention militaire russe
mais également provoqué la réprobation internationale. Face aux protestations
embarrassées de Washington, Vitali Tchourkine, responsable permanent de la
Russie à l’ONU se fit ironique : « Les Etats-Unis n’ont pas le monopole en matière d’humanisme ».
Les muscles propagandistes des défilés militaires
et la rencontre de Minsk
Les 22 et 23 août, les convois
humanitaires étaient à Lougansk. La trêve s’imposait. Dès les déchargements
opérés, ils repartirent.
Face à cette opération de retardement
de l’offensive ukrainienne et au mécontentement des ultra-nationalistes de son
propre camp, persuadé que la victoire lui avait été volée, Porochenko se devait
de montrer sa détermination. Le 24 août, allait donc être le théâtre d’une
démonstration propagandiste. A Kiev, l’on assista à un défilé militaire d’un
millier de soldats, à Odessa à une parade navale, ce à quoi répondit à Koursk
un humiliant défilé de prisonniers ukrainiens déguenillés, conspués par la
foule et une exposition d’armements saisis. Dès lors, les évènements allaient
se précipiter. Poutine se présentant comme un faiseur de paix face aux
belligérants prêt à en découdre à nouveau, proposa à Porochenko aux abois une
rencontre à Minsk, en Biélorussie. Le 26 août, en présence de Catherine Ashton
comme potiche de l’Union européenne, il prescrivit un cessez-le-feu et invita
son homologue ukrainien à dialoguer avec ses compatriotes…
« séparatistes » en l’assurant qu’il ne désirait que l’autonomie au
sein d’une république fédérale. Sinon… le gaz serait coupé cet hiver. Si aucun
accord ne fut conclu, les discussions tendues se déroulèrent sur fond
d’intervention russe car, à juste titre, Moscou était persuadé, comme le
déclara un diplomate onusien que « personne (parmi les Etats occidentaux)
ne veut se lancer dans une aventure militaire contre la Russie ».
En effet, si
les Etats-Unis faisaient valoir, par la publication d’images satellites, des
convois militaires comprenant plus de 1 000 soldats, de véhicules blindés,
de l’artillerie et des moyens de défense aérienne s’acheminaient vers Donetsk,
il ne s’agissait pas d’invasion mais seulement d’une « ingérence
inacceptable » : au nord, des renforts et des livraisons d’armes et
au sud, l’ouverture d’un nouveau front à partir de la côte de la mer d’Azov et
la chute rapide de la ville de Novoazovsk. Cette offensive militaire russe
circonscrite au Donbass ne se limite pas à rééquilibrer le rapport des forces
en présence mais brise la tentative d’encerclement de Donetsk, mettant l’armée
de Kiev en déroute en provoquant de lourdes pertes. Porochenko allait-il
négocier avec les « séparatistes » ? Ce qui est sûr c’est que la
panique s’empara du gouvernement de Kiev qui en appela, sans succès à l’OTAN, à
Washington et à l’UE. Panique d’autant plus forte que Marioupol au sud de
l’Ukraine, cette ville de 500 000 habitants située à 40 km des troupes
« pro-russes » semblait menacée. Les corps d’armée qui y
stationnaient, réquisitionnèrent les usines, des tranchées furent creusées et
une chaîne humaine d’un kilomètre largement médiatisée fut organisée. La prise
de Marioupol aurait été un désastre pour le pouvoir ukrainien. Mais l’OTAN se
contenta de vociférer et la Russie imposa de fait un cessez-le-feu attendant
que le fruit mûr tombe de lui-même : l’économie ukrainienne était exsangue
et l’armée ukrainienne à bout de souffle après sa 3ème phase de mobilisation de réservistes et ses
lourdes pertes. Il suffisait d’attendre et d’observer les réactions des
puissances occidentales.
3 – En attendant… la suite du chaos avant… la
partition soft ?
Au lendemain
de la rencontre de Minsk, le 28 août, alors même que la défaite ukrainienne ne
faisait plus de doute, Hollande dans un élan de sympathie poutinien
déclarait : « Les autorités
(sic !) ukrainiennes doivent faire preuve de retenue dans les opérations
militaires, décider d’une large décentralisation au bénéfice des régions
russophones et écarter toute provocation ». Quelques jours plus tôt,
Merkel jouant les intermédiaires entre Poutine et Porochenko, tout en prônant
la décentralisation du pouvoir ukrainien, se justifiait ainsi : « Je veux trouver une voie de sortie qui ne
nuise pas à la Russie ». En outre l’Allemagne fit savoir qu’elle
n’armerait pas l’Ukraine et ne financerait pas la reconstruction du Donbass.
L’Union Européenne divisée entre la vieille et la nouvelle Europe peut-elle se
contenter d’une mise sous tutelle des régions de l’Est de ce pays et de
l’avancée menaçante de l’Eurasie poutinienne dans l’espace de l’ex-URSS ?
Déclarer la guerre à la Russie, puissance nucléaire, en utilisant l’OTAN ?
Impensable, pour les pays qui n’y adhèrent pas !
La conférence de l’OTAN et la rhétorique d’Obama
Reste que cette structure guerrière
sous égide anglo-saxonne n’a pas manqué de procéder à de la surenchère… sans
guère se mouiller. Des promesses de soutien à Kiev ont certes été formulées et
ont encouragé Porochenko dans sa croyance que Moscou finirait par céder :
assistance technologique et logistique, fonds de soutien de 15 millions d’euros
pour réformer l’armée, aide au traitement des blessés mais… pas d’adhésion à l’OTAN.
Toutefois, les
4 et 5 septembre, se tint à New Port, au Pays de Galles, un grand raout en
présence de 60 chefs d’Etats et de gouvernements entourés tous de leurs
ministres de la défense et des affaires étrangères. L’inquiétude et l’apparente
détermination étaient de mise : la Pologne et les pays baltes réclamèrent
(6) des bases permanentes sur leur territoire, l’on déclara que si l’Alliance
militaire ne concernait que 28 pays et pas un de plus, « la porte restant néanmoins ouverte ».
La création d’une force de réaction rapide fut décidée. Elle devrait être
composée de 5 000 hommes, une unité de 800 hommes pourrait être prête en
deux jours et le reste devrait être opérationnel en 5 à 7 jours. Restait à la
constituer ! Les dépenses militaires de l’OTAN se chiffrant à 900
milliards de dollars par an dont 75% sont assurés par les Etats-Unis, Obama,
lui qui souhaite « diriger de l’arrière », fit la leçon aux
gouvernements européens : chaque Etat devrait consacrer au moins 2% de son
PIB aux dépenses militaires communes dont 20% pour des investissements
nouveaux. Il était inadmissible que les budgets européens d’armement soient en
baisse depuis 2012 ! Il fallait faire grossir le mastodonte OTAN même si
la Russie ne consacrait annuellement que 80 milliards pour ses dépenses
militaires. Une nouvelle course aux armements était-elle à l’ordre du jour afin
de satisfaire les marchands de canons et ce, en pleine période d’austérité
imposée ? « Voyager léger pour frapper fort » ce slogan adopté
pour baptiser la force de réaction rapide capable d’intervenir dans tout pays
menacé d’incursion russe n’allait-il pas entraîner un engrenage guerrier
somnambulique ? L’Union européenne avait-elle besoin d’une mise sous
tutelle de l’ensemble de l’Ukraine ? Quant aux peuples, aux parlements
nationaux, il ne fut nullement question de les consulter et encore moins qu’ils
décident de quoi que ce soit à ce sujet.
Obama, lui qui avait affirmé avec emphase que la souveraineté nationale de
l’Ukraine ne saurait être mise en cause, cautionnant ainsi l’offensive de Kiev
« contre son propre peuple » pour reprendre le mot de Poutine, ne
pouvait que réaffirmer que l’hégémonie US ne saurait être mise en doute même si
les faits lui donnaient tort. Il n’y a pas, dit-il en substance, de « zone
d’influence naturelle » russe… mais la volonté d’élargissement de l’OTAN à
s’étendre à la Géorgie, à la Moldavie… et demain à l’Ukraine ne saurait être
mise en cause. Il exhorta les pays membres de l’OTAN à prendre des engagements
concrets pour aider l’Ukraine.
Cette rhétorique ne suffisant pas à
rassurer certains pays, il entreprit une tournée… triomphale aux pays baltes,
inquiets des appétits de « l’ogre russe ». Ce fut, pour reprendre le
mot d’un général français cité par le Canard Enchaîné, « une séance de
câlinothérapie à l’américaine ».
Poutine vis-à-vis de la force de cette
démonstration verbale répondit à la Pologne antirusse en diminuant
drastiquement les livraisons de gaz, et le 8 septembre, aux pays baltes par une
opération commando kidnappant l’espion estonien Eston Kohver et ce, le jour
même où s’achevait le sommet de l’OTAN dont les pays membres, testés ne
réagirent guère…
Les lendemains ne sont pas prêts de chanter
C’est que, comme suggéré dans un
précédent article, les Etats européens, tout particulièrement leurs
transnationales ont beaucoup à perdre dans une escalade avec Moscou. Pour ne
prendre qu’un exemple, le plus emblématique, les exportations allemandes vers
la Russie ont chuté de 15% et les chefs d’entreprises de ce pays mènent un
intense lobbying contre les sanctions.
Quant à l’Ukraine, elle est au bord de
la faillite, le FMI prévoyant une contraction de son PIB de 6.5% en 2014.
L’Etat est rongé par la corruption, les caisses sont vides et une grande partie
du Donbass considère que le divorce avec Kiev est consommé. Les élections
prévues le 26 octobre (sans la partie Est ?) risquent d’être le théâtre de
bien des surprises et surenchères fascisantes. Jusqu’à présent, les aspirations
sociales et démocratiques ont pu être occultées mais, face à la déconfiture de
Porochenko, un nouveau Maïdan est probable. Ce ne peut être, compte tenu des
forces politiques en présence, qu’un nouveau chaos dont pourrait enfin sortir
une force de transformation sociale réelle. Mais, dans l’immédiat, rien n’est
moins certain. La partie ouest s’achemine vers la dépendance européenne et ses
ajustements structurels, la partie Est à reconstruire va connaître le joug
poutinien et ce, dans un contexte international où la « grande
coalition » sous l’égide d’Obama a les yeux tournés vers le bourbier
irakien et l’hydre de l’Etat islamique.
Gérard Deneux, le 17.09.2014