Intervention de
Gérard Deneux, au nom des Amis de l’émancipation Sociale, le 8 janvier 2015 à
Belfort,
à l’appel au rassemblement pour Charlie
Charlie et ses figures iconoclastes, ses caricaturistes de talent,
son esprit de dérision, son humour implacable contre les puissants, les
despotes et contre les intégristes de tous poils, ont été frappés au cœur.
C’est Charlie que des barbares obscurantistes ont voulu assassiner. Des
amis de la liberté sont tombés, mais déjà, d’autres amis sortent de l’ombre pour
poursuivre leur combat, crayon à la main. L’esprit critique ne saurait être
bâillonné, ne saurait être éradiqué. Certes, nous avons besoin d’une levée en
masse qui dure, de la jeunesse et de tous les autres adultes, pour exprimer
leur réprobation contre ceux qui n’ont pour argument que la haine qui les
anime, contre ceux qui ne tolèrent pas ceux qui ne sont pas comme eux, contre
ceux qui veulent imposer de force leur façon obscurantiste de penser.
Mais les questions qu’il nous
faut élucider, c’est : d’où viennent ces monstres ? Que veulent-ils
imposer par ces lâches assassinats ? Ils sont les produits des
interventions militaires russes puis états-uniennes en Tchétchénie, en Afghanistan,
en Irak… et ailleurs. Ils sont nés du chaos, des divisions ethniques et
religieuses. Ils ont été alimentés, financés par les pétromonarchies, les
mollahs et ce, avec la complaisance douteuse des impérialismes occidentaux. Ils
prospèrent dans les camps de réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban. Les
courbettes et les compromissions avec les monarques waahabites, avec les
dictateurs Ben Ali, Moubarak, Bachar Al Assad, ont amené les esprits les plus
faibles à exiger la vengeance. Les esprits rétrogrades des intégrismes
archaïques ont trouvé là tout un terreau à formater. Et ici même, dans cette
Europe du chômage, de l’austérité et de la montée du racisme, des jeunes
déclassés, issus d’un lumpen-prolétariat sans perspective, trouvent matière à
se grandir dans la haine de l’autre.
N’oublions pas que nos
gouvernements ont leur part de responsabilité. Ils ont déclaré la guerre à la
Lybie de Kadhafi, provoqué le chaos, et ils hésitent à combattre le monstre de
l’Etat Islamique, sinon par quelques frappes aériennes. Ils ont hésité à
envoyer des armes hier aux Syriens démocrates et aujourd’hui aux Kurdes syriens
qui résistent, à Kobané. Ils ont déclaré
la guerre mais ne veulent pas vraiment la mener et s’étonnent, aujourd’hui,
qu’elle surgisse sur le sol français. Que ne se souviennent-ils des largages
d’armes aux résistants contre l’occupation nazie !
Il n’y a pas si longtemps, les barbares nazis
brûlaient des livres, traquaient, torturaient, brûlaient les Juifs, les
Tziganes et tous ceux qui leur résistaient. Il n’y a pas si longtemps, faute
d’arguments contre les communistes et les antifascistes, les fascistes
mussoliniens recourraient à l’huile de ricin ingurgitée de force ou à coups de
gourdin jusqu’à ce que mort s’en suive. Aujourd’hui, les assassinats, ciblés ou
non, se font par drones pour les uns et par décapitation ou kalachnikov pour
les autres.
S’il nous faut exprimer notre
dégoût et notre condamnation des crimes commis à l’encontre de la liberté de
conscience, de croyance, d’expression écrite ou caricaturale, il nous faut
également, contre un unanimisme de
façade, dénoncer pour le moins les régimes qui recourent à la peine de mort
contre les apostats. La liberté de changer de religion, de se déclarer agnostique
ou athée, ne vaut pas la mort. Ceux qui pratiquent cette législation criminelle
sont des assassins, tout comme ceux qui imposent, sur les cartes d’identité,
l’ethnie ou la religion d’appartenance. On n’entend guère les partis de
gouvernement condamner ces pétro-monarques, condamner ces pratiques qui, on le
sait, ont conduit au génocide de 800 000 Tutsi, avec la complaisance du
régime mitterrandien…
Nous avons besoin d’une levée
en masse de tous, jeunes et moins jeunes, pour que vive l’esprit de Charlie. Mais l’esprit de Charlie et de son équipe amputée, c’est
l’esprit de résistance contre tous les puissants, les despotes, les
démocratures et tous les fondamentalismes et les racismes. Car les assassins
qui ont sévi cherchent à répandre la peur, la panique, la stigmatisation de
l’autre, du différent et veulent que, sur ce territoire, l’unité populaire à
construire se transforme en guerre de tous contre tous, pour le seul bénéfice
des plus puissants.