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lundi 24 octobre 2016

Afrique sous pression

La seule raison d’être de l’Europe c’est le commerce et la libéralisation des échanges. Pour compter dans le monde, elle doit gagner des marchés, sur tous les territoires, et a jeté ses filets en Afrique, où elle est en concurrence avec les impérialismes asiatiques et chinois. Pour pouvoir inonder l’Afrique des productions européennes, il faut lever  toutes les « contraintes » tarifaires et non tarifaires. Sur le modèle des accords  bilatéraux, comme le TAFTA avec  les Etats-Unis ou le CETA avec le Canada ou encore avec le Mercosur(1), le  Vietnam, les Philippines, etc. l’Europe mène, donc, en Afrique une politique de pressions et d’influences pour arracher des accords qui annihilent  les protections des pays en voie de développement ou des pays les moins avancés. L’outil : les APE, Accords de Partenariat économique, certains les nomment (plus justement !) les Accords de Paupérisation Economique. On en parle peu,  mais les APE méritent que l’on  s’y attarde, tant ils sont une menace pour les Africains. Jacques Berthelot(2) parle du « baiser de la mort de l’Europe à l’Afrique ».  

Les accords de libre-échange au service des prédateurs   

Pour l’heure, le TAFTA  semble mis en sommeil grâce aux mobilisations des Européens qui ont perturbé l’agenda prévu par les négociateurs ; il resurgira après les élections américaines, et françaises, même si M. Fekl, secrétaire d’Etat au commerce, s’est agité pour dire stop. L’enterrement définitif d’un tel accord est une décision formelle des 28 (devenus 27), or, en juin dernier, l’ensemble des chefs d’Etats européens a confirmé le mandat de négociation du TAFTA face à Jean-Claude Junker. De plus, juste derrière le TAFTA, se cache son vilain frère jumeau, le CETA (entre l’UE et le Canada). Il devrait être adopté par le Conseil européen  le 18 octobre prochain, puis, s’agissant d’un accord mixte (qui concerne plusieurs secteurs d’activités), ratifié par chaque Etat membre de l’UE. Ce parcours de ratification ne plaît guère à ceux qui, majoritairement, veulent l’application la plus rapide possible, et qui vont devoir attendre la décision des Parlements nationaux, avec le risque de mobilisations citoyennes et de frilosité des Assemblées… Mais cette crainte a vite été levée, la Commission européenne a trouvé le tour de passe-passe en proposant « l’application provisoire » ; dans le droit européen, un accord commercial validé par le conseil des ministres, peut être mis en œuvre immédiatement, sans devoir attendre l’approbation des parlements nationaux ! Si cette proposition est maintenue,  plus de 90% de l’accord entrera en vigueur dès la bénédiction du Conseil. Oser traiter les peuples européens avec autant de mépris, c’est renforcer le sentiment anti-européen et favoriser d’autres Exit.      

Pendant que nous sommes occupés à nous battre contre ces dénis de démocratie et contre la marchandisation entre les grandes puissances des pays du Nord, les pays du Sud, l’Afrique plus particulièrement, subissent des pressions, depuis 20 ans, pour signer des accords bilatéraux les livrant totalement à la concurrence.

La volonté européenne de nouer des liens étroits avec l’Afrique au plan économique, commercial et financier s’est manifestée, dès les indépendances ; les relations  Afrique/Europe ont toujours été déséquilibrées au profit de l’Europe, par le biais des accords économiques ACP (Afrique/Caraïbes/Pacifique)-CEE puis ACP-UE. Les conventions de Yaoundé (1963/1975), puis les conventions de Lomé (1975-2000), veulent intégrer l’Afrique dans le libre-échange, même si elles sont  assorties d’aides financières et techniques et de règles exceptionnelles de protection. Les résistances n’ont pas manqué, associations et ONG mobilisant les Africains (notamment lors des marches de protestation à Dakar en 2000) prônant un autre modèle de développement. En juin 2000, l’accord de Cotonou (79 Etats ACP + 28 Etats UE) fixe, jusqu’à 2020, un nouveau cadre de coopération économique et commerciale : les APE – Accords de Partenariat Economique. La logique est toujours la même : l’Afrique doit s’ouvrir totalement à la mondialisation et abandonner ses protections.  Depuis leur indépendance, les pays africains ont obtenu le droit de vendre leurs marchandises en Europe sans payer de droits de douane ; ils ont maintenu des taxes sur les importations en provenance d’Europe, pour se protéger de la concurrence au nom de leur auto-développement car, entre pays se trouvant dans des situations économiques et sociales différentes, le libre-échange ne fait qu’enfermer le pays le moins développé dans son sous-développement. Toutes ces « partenariats » n’ont pas permis de lutter contre la pauvreté, la misère, alors que des pays africains, à l’exemple du Nigéria, ont des ressources. Au contraire, le « partenariat » économique, annihile les possibilités d’un projet industriel et économique souverain. Les mécanismes dits de stabilité des recettes d’exportation des produits de base ou de compensation de chute des prix introduits dans les partenariats n’ont eu que des effets marginaux.

Il faut évoquer, ici, la création de l’OMC (1995) qui a accéléré la stratégie du capitalisme occidental, en tentant de passer des accords multilatéraux, facilitant la libre circulation des capitaux et des marchandises, assurant la domination globale de la finance et des multinationales.  Elle s’est accompagnée de l’endettement des pays du Sud et leur dépendance vis-à-vis des produits importés ; ils se sont vu imposer des plans d’ajustement structurels pour rembourser les emprunts  souscrits auprès des marchés financiers. Ces PAS ont provoqué la misère, les migrations et un rejet des solutions imposées. Les pays du Sud ont mis en échec la stratégie de négociations de l’OMC en refusant d’être à la merci du capitalisme transnational. Mais les règles de l’OMC, auxquelles les Etats ont accepté de se soumettre, sont implacables en matière de libre-échange(3). C’est ainsi que celle-ci exigea l’abandon par l’Europe du traitement jugé préférentiel  grâce auquel les pays d’ACP peuvent exporter sans droits de douane vers l’UE, tout en maintenant des taxes à l’importation pour les marchandises européennes. Changeant de stratégie, l’UE avec la signature de l’accord de Cotonou, espérant sortir de l’impasse par des négociations bilatérales, se donna d’abord jusqu’à 2007 pour y réussir.

Mais, qui peut encore penser que l’UE et autres puissances économiques mondiales veulent le développement de l’Afrique ? L’UE veut imposer au continent africain une libéralisation du commerce, en supprimant les droits de douane qui protégeaient leurs économies fragiles, pour ouvrir aux multinationales et à leurs actionnaires des marchés nouveaux partout dans le monde, poursuivant cette fuite en avant de la croissance sur le continent africain, au mépris des besoins des peuples, de l’auto-détermination et de la démocratie alors que, comme le précise Mamadou Cissokho (4) :  « Tous les pays qui se sont développés ont commencé par créer les conditions pour le faire en se protégeant et ce n’est qu’après qu’ils se sont ouverts aux autres. On ne peut demander aujourd’hui à l’Afrique d’être le premier exemple qui montrera que c’est en s’ouvrant d’abord au commerce qu’elle va se développer »

Qu’en est-il des accords signés et des résistances ?

Nouvel échec. A l’expiration du délai (2007), seules les Caraïbes avaient conclu un accord régional. 43 pays n’avaient pas bougé et 20 avaient signé des accords individuels dits « intérimaires ».  Parmi les non signataires, figuraient la majorité des Pays Moins Avancés (PMA) qui relèvent du programme « Tout sauf les armes » adopté par l’UE en 2001 : tous leurs produits, hors les armements, entrent sans droits de douane sur le marché européen.  Pour vaincre les résistances, les 28 adressèrent un ultimatum aux dirigeants africains : à défaut de ratification des APE régionaux avant le 1er octobre 2014, les exportations des pays hors PMA en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Ghana, Cap Vert et Nigeria), seront taxées à leur entrée sur le marché commun.

A force de pressions, après 13 ans d’une sourde bataille, l’UE triomphe : le 10 juillet 2014, 13 des 15 pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont signé l’APE d’Afrique de l’Ouest, l’obligeant à  supprimer ses droits de douane sur 75% de ses importations européennes, à l’horizon 2035. C’est à l’usure que la Commission obtient la signature des Etats africains. Ce peut être aussi à la faveur d’une élection opportune ( !) (dans laquelle la Françafrique peut toujours agir). Ainsi, l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara (2011) en Côte d’Ivoire a permis d’emporter l’adhésion de la Cedeao.

Pourtant, l’Afrique de l’Ouest a tout à perdre dans ces « partenariats »(5).
C’est pourquoi de fortes résistances subsistent : le Nigéria et la Gambie n’ont pas signé. Au Sénégal, il y a de fortes oppositions ; la  société civile et une partie de la classe politique s’inquiètent : les 78 entreprises laitières craignent de devoir faire face à la concurrence du lait en poudre européen, aujourd’hui taxé à 5%. Même inquiétude pour la filière de production d’oignons. Le Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique et première économie du continent grâce à ses réserves de pétrole, craint de subir un coup d’arrêt dans son développement économique.

Car si les négociations ont lieu par région, les accords sont signés au cas par cas. Si cela permet des refus de signature, par contre cela provoque des divisions comme autant de menaces contre la coopération des pays africains entre eux. Certains pays, comme le Cameroun (région Centre) où les négociations patinent, concluent, seuls, un accord intérimaire. En Afrique de l’Est, par contre, la signature prévue le 18 juillet dernier, a été annulée car la Tanzanie a choisi de s’en dissocier avec le soutien de l’Ouganda.  Mais, le Kenya, s’il continue à s’opposer, pourrait perdre son accès privilégié au marché européen, avec un impact énorme sur sa filière de production de fleurs coupées, qui fait vivre 600 000 personnes et représente 25% de l’économie du pays. Difficile de résister aux menaces réelles. C’est pourtant  le seul moyen de faire dérailler le train infernal d’ouverture totale des marchés qui fait concourir des pays à situations économiques tellement inégales : en 2012, le PNB (produit national brut) par habitant des 4 pays non ACP d’Afrique de l’Ouest était de 1 530 dollars contre 4 828 dollars pour les 6 pays non ACP d’Amérique centrale et 7 165 euros pour les 3 pays andins. L’influence européenne sur les pays africains passe aussi par les sessions de « mise à niveau » de leurs experts « les chefs d’Etat sont mal informés. On ne comprend pas ce qui les empêche de consulter les mouvements sociaux. Mais ils ne se fient qu’aux bureaucrates » s’insurgeait Mamadou Cissokho « Ce n’est pas acceptable : avant d’engager la vie de millions de personnes il faut les consulter »(6).    

Pour entrer en vigueur, l’APE doit être signé par chaque pays de la région et ratifié par les parlements. Il y a des obstacles importants… ce qui fait reculer l’UE, non pas sur la poursuite des négociations, mais sur la date butoir prévue au 1er octobre 2016… reportée à 2017 ? L’Europe sait être patiente, tant le jeu en vaut la chandelle : l’Afrique est un marché potentiel de 400 millions d’habitants, qui doublera d’ici à 2050 avec une classe moyenne grandissante.  D’énormes investissements sont à prévoir pour les infrastructures. De quoi offrir des débouchés aux grands céréaliers, au lobby laitier ou aux géants du BTP. Par ailleurs, il s’agit de reprendre rang en Afrique, face aux puissances émergentes, Brésil, Inde, Chine qui s’y implantent. Pour exemple,  la « part de marché » de la France en Afrique est passée de 10% en 2009 à 4.7% en 2011(5)

L’UE sait user de la menace pour l’emporter face aux pays réticents craignant légitimement de perdre des recettes : taxes sur les produits européens entrant en Afrique, impôts sur les exportations pour encourager les entreprises à transformer les matières premières sur le sol africain. Si des compensations ont été évoquées, tout reste flou. Rien en compensation de la baisse des droits de douane. Rien  en matière d’aide au développement, dont une partie est transférée dans le PAPED (Programme APE pour le Développement), conditionné à la ratification de l’APE. Les pays les plus développés comme le Cameroun ou le Nigeria sont menacés d’une augmentation des droits de douane à l’entrée du marché européen. C’est une supercherie  de parler de « partenariat » entre l’UE et l’Afrique quand l’économie européenne est 18 fois supérieure à celle de l’Afrique de l’Ouest, quand l’UE subventionne son agriculture ce qui n’est pas le cas en Afrique !

Quant à la France, elle a joué un rôle majeur dans la signature de l’APE de l’Afrique de l’Ouest. A Dakar, le 12 octobre 2012, Hollande prône une relance des négociations « avec des conditions plus favorables pour les pays africains » ( !). Vœu pieux  sans engagement au bénéfice de l’Afrique qui peut, par contre, être très « juteux » pour  le secteur agroalimentaire français. « C’est la Compagnie Fruitière de Robert Fabre (basée à Marseille) qui exporte l’essentiel des bananes et des ananas de Côte d’Ivoire, du Ghana et du Cameroun, avec sa propre flotte de cargos. Il exporte aussi des tomates-cerises du Sénégal. Pour les céréales, le groupe Mimram, basé en Suisse mais dirigé par la famille française du même nom, a fait pression pour ramener à zéro le droit de douane sur le blé puisqu’il possède les Grands Moulins de Dakar et d’Abidjan et la Compagnie Sucrière du Sénégal. Le groupe Bolloré est aussi concerné puisqu’il contrôle la plupart des ports du golfe de Guinée et est impliqué dans l’exportation du cacao. Toutes ces firmes ont intérêt à ce que l’APE entre en vigueur pour pouvoir continuer leurs exportations de l’Afrique vers l’UE sans droits de douane »(7).

TAFTA, CETA, APE, même combat

Les Africains opposés à ce néo-colonialisme résistent. Leur combat est le nôtre qui nous mobilisons contre le TAFTA et le CETA. Elevons-nous aussi contre les Accords de Paupérisation Economique. En Afrique de l’Ouest, les sociétés civiles (organisations paysannes, syndicats, ONG…) se mobilisent dans leurs pays respectifs. Une trentaine d’associations  comme Survie, CADTM, ATTAC, Peuples Solidaires, etc. ont lancé une pétition (8).  Il ne reste que peu de temps mais le Parlement européen peut encore stopper l’APE. C’est bien cette implacable politique prédatrice qui ne sert que les puissantes multinationales, les banquiers et tous ceux qui les servent, qu’il faut dénoncer, mettre à jour pour les anéantir. Les peuples n’ont pas besoin d’eux pour vivre. Au contraire, ils vivent mieux sans eux.

Odile Mangeot, le 27 septembre 2016  
(1)   « marché commun du Sud » : Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Venezuela
(2)   Economiste, spécialiste des politiques agricoles européennes et africaines, collaborateur régulier du Monde Diplomatique
(3)   Pour la 3ème fois, le 7 avril 1999, l’UE a été condamnée par l’OMC en raison des conditions commerciales accordées aux pays africains à la suite de la plainte de 9 pays d’Amérique latine exportateurs de bananes
(4)   Mamadou Cissokho, président honoraire du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (Roppa)
(5)   Les informations qui suivent sont extraites du dossier spécial « Accords Europe-Afrique : un marché de dupes » dans Politis du 01.09.2016 
(6)   Le Monde Diplomatique septembre 2014 (Jacques Berthelot) http://www.monde-diplomatique.fr
(7)   Survie http://survie.org
(8)   Pétition sur le site d’ATTAC sur https ://blogs.attac.org/ape/article/ape-un-accord-de-pauperisation