Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 6 octobre 2017

Les Amis de l’Emancipation Sociale,
 les Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté
 vous invitent

 Mercredi 25 octobre 2017
 au Bar Atteint à BELFORT – 20h30

et

 jeudi 26 octobre 2017
à Noroy-le-Bourg (70)  - Maison de la ruralité - 20h30


conférence-débat sur le thème
 Quand le bio dénature le bio 
 en présence de
 Claire Lecoeuvre

Journaliste scientifique

Dans le Monde Diplomatique de juin 2017, Claire Lecoeuvre nous alerte : l’agriculture biologique progresse rapidement en France mais l’industrie agroalimentaire et la grande distribution entendent bien s’emparer de ce marché alléchant au risque d’en effacer les grands principes : la santé des sols, des plantes, des animaux et des hommes. Ecologie rime avec équité dans les rapports entre les êtres humains et à l’égard des autres créatures vivantes et avec la précaution pour la santé des consommateurs. La politique productiviste dévastatrice mise en œuvre en France et dans le monde, l’engagement de l’Union Européenne dans les traités bilatéraux (CETA, notamment, entre UE et Canada), l’actuelle révision de la réglementation  européenne, nous font craindre la disparition des principes fondamentaux que nous défendons. Venez en débattre

Soirées soutenues par des agriculteurs et maraîchers bio de Franche-Comté, Interbio Franche-Comté, Borplacal 70, France Nature Environnement 90 et 70, la Confédération paysanne, Biocop 70


A Belfort, au Bar Attient, il est possible de manger à partir de 19h30, sur
réservation au  09.83.91.84.99. Le bar est ouvert toute la soirée. http://www.les-creatures.org/

  Contact AES/AMD : aesfc@orange.fr     03.84.30.35.73  






       


Les Amis de l’Emancipation Sociale,
les Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté  vous invitent
au ciné-débat d’octobre

mercredi 18 octobre 2017
au Bar Atteint à BELFORT 25 rue de la Savoureuse

  Une histoire de la grève générale
 de la Commune au Front Populaire 
film d’Olivier Azam, produit par Les Mutins de Pangée

Le débat animé par les AES prolongera la réflexion jusqu’à la grève générale en 1968

à partir de 19h30 (pour une dégustation  (8 à 10€) ou à 20h30 pour le film et le débat
réservation au Bar Atteint : 09.83.91.84.99. Le bar est ouvert toute la soirée.

En partenariat avec Les Créatures

  Contacts : aesfc@orange.fr     03.84.30.35.73   http://www.les-creatures.org/        www.lesmutins.org
Le nouveau PES (n° 37) est sorti
Vous y trouverez également les articles suivants :
Venezuela. Echec du « socialisme » ? (publié ci-dessous)
De la misère des contrats aidés en milieu non-marchand (publié ci-dessous)
CQFD ! CQFdistinguer. CQFDémontrer. CQFDéfendre. CQFDétruire…
Où en sommes-nous ? Que pouvons-nous ? (publié ci-dessous)
Science sans conscience
Nos rubriques : Ils, elles luttent et Nous avons lu
Et un poème d’Hassen (ci-dessous)

Pour vous abonner à PES (10 numéros):
-        Abonnement postal : envoyer un chèque de 5€ (faibles revenus) ou 18€ à Gérard Deneux, 46 avenue Carnot 70200 Lure
-        Abonnement courriel : 5€

Editorial du n° 37


Blocages… vers de possibles dérapages ?

Comment caractériser le monde qui vient ? On assiste de fait à l’exacerbation de nombreux antagonismes, à un équilibre instable de forces opposées sans que l’on puisse entrevoir d’issues positives.
En Europe, la fuite en avant néolibérale, voire la résurgence d’un fédéralisme technocratique, se heurte au rejet des peuples, à la montée des égoïsmes nationaux et régionaux. De l’Ecosse au Brexit, de la Flandre belge à l’Italie du Nord, de la Catalogne aux pays de l’Est de l’Europe (groupe de Visegrad), l’indépendantisme ou le retrait nationaliste gagne du terrain. La domination allemande elle-même s’effrite, tiraillée qu’elle est entre besoin de main d’œuvre étrangère et montée de la xénophobie au sein des populations précarisées, même si, au racisme, s’opposent des élans de solidarité avec les migrants victimes des guerres et de la misère. Aucune solution durable n’est en vue. Les gouvernements semblent d’ailleurs impuissants. Empêtrés dans leurs propres contradictions, ils sont tentés par le recours de plus en plus prononcé à l’autoritarisme et à la répression liberticide, tout en redoutant la montée en puissance de multiples conflits qui deviendraient incontrôlables. Les différentes classes régnantes sont elles-mêmes prises en étau entre la dénonciation du capital financier cosmopolite et leur propre bourgeoisie qui assiste aux concentrations capitalistes et délocalisations. Ce sont là des négations des souverainetés industrielles et alimentaires, effritant leur faible légitimité.
Au Moyen-Orient, les invasions et ingérences étrangères après l’éradication possible de l’Etat islamique, risquent de connaître des tensions et des conflits tout aussi détestables. Les partitions de la Libye, de l’Irak, de la Syrie ne pourront qu’accroître la belligérance entre Kurdes, Chiites, Sunnites sur fond d’ingérences meurtrières (USA, Russie, Iran, Turquie, Egypte, France). Quant à l’ONU… évanescente ? Comme elle l’est depuis si longtemps face à  l’occupation israélienne de la Palestine !
En Asie, l’impérialisme économique de la Chine, la volonté des USA d’y maintenir leur influence, ne parviennent pas à résoudre l’indépendantisme de l’absolutisme de la Corée du Nord lancée dans la course à l’arme atomique. Bravades, surenchères et menaces se succèdent, aucun traité de paix ne semble envisageable. Le blocage est total. Ailleurs, sur fond de dictatures impitoyables (Birmanie, Thaïlande..), les différentes ethnies sont réprimées y compris sous la forme de massacres de masse et de génocide (Rohingya).
En Amérique latine, le progressisme anti-impérialiste régresse et ce, malgré les accords de démobilisation des guérillas FARC en Colombie. La corruption, l’affairisme gangrènent nombre de formations sociales hétérogènes.
Et l’on pourrait multiplier les exemples (en Afrique notamment) illustrant la balkanisation du monde. Elle est plus accentuée non seulement par l’accroissement des inégalités abyssales mais également par la destruction accélérée de l’écosystème et son cortège de catastrophes climatiques à venir. S’installe un capitalisme mondialisé mortifère qui proclame Après moi le déluge malgré les effets de tribune des politiciens et écologistes avertis des désastres annoncés.
L’ex-gendarme du monde, à la tête folle, s’il multiplie les coups de gueule, hésite, empêtré qu’il est dans les propres contradictions internes du système : racisme anti-noirs et latinos/besoin de main d’oeuvre corvéable ; prospérité d’une extrême minorité/misère et délinquance ; enrichissement éhonté/dettes colossales…
Tous les dérapages sont envisageables d’autant que la prise de conscience des peuples retarde sur les méfaits et autres drames auxquels ils devront faire face.
Le 02.10.2017


Où en sommes-nous ? Que pouvons-nous ?

Macron, assisté de tous ses novices et technocrates, a lancé une offensive, tous azimuts, contre ce qu’il reste des conquêtes sociales durement acquises. En retour, une effervescence nouvelle, bien que minoritaire, semble germer. Et comme l’atteste le texte de Jano, CQFD, monte ce cri du cœur : « C’est qui les salauds qui nous traitent de fainéants ? » Depuis quelque temps, surtout depuis l’effondrement du PS, une question taraude nombre de militants. Que faire dans la conjoncture actuelle ? Ce qui affleure, sans être pour autant partagé par le plus grand nombre, c’est qu’il est vain de croire à une solution électorale, une alliance de gauche, alors que la gauche dite plurielle n’est plus rien. Qui plus est, il paraît inconcevable de subir pendant 5 ans ce régime de régression sociale et politique. Il semble bien qu’il ne peut y avoir de stratégie efficace sans tenter d’abord de cerner la réalité du rapport de forces contre le pouvoir et ce que l’on dénomme un peu trop vite «le mouvement social». Comment sortir de l’impasse ? Force est de constater que les incantations au recours à la grève partielle ou générale ne suffisent pas. Des confusions, sources de divisions, règnent dans les esprits. Ce qui suit propose quelques explications et réfutations dont il faudrait débattre pour tenter d’y voir un peu plus clair.

Une effervescence encore bien minoritaire

Le Front Social, auquel fait référence Jano (voir également les positions de ce mouvement dans le n° 36) est né à la suite de Nuit Debout et de l’échec de la lutte contre la loi El Khomri. La tentative d’occupation des places, à l’image de ce qui s’est passé en Espagne notamment, ainsi que les manifestations d’ampleur, n’ont donné aucun résultat tangible. Au-delà des discussions assez abstraites sur la démocratie, a surgi la nécessité d’une convergence des luttes sociales. Le 16 février, un meeting organisé au théâtre Jolie Môme a donné naissance au Front Social. Il regrouperait 70 organisations et associations, des syndicalistes, des militants qui défendent les migrants, qui luttent contre les violences policières, pour le droit au logement, etc. Bien que très minoritaire, il a réussi à rassembler entre les deux tours des présidentielles, 2 000 personnes, à Paris. Son mot d’ordre : Ni Macron, ni Le Pen désignait le piège dans lequel on voulait nous faire tomber. Ne restait que Macron, face à l’épouvantail Le Pen pour nous enchaîner à une politique néo-libérale encore plus régressive que précédemment.

La France Insoumise, ce 23 septembre, parvenait à rassembler 150 000 personnes ; le Front Social y participait, le cortège des luttes était en tête de manif, la province était fortement représentée. Au-delà du discours du tribun Mélenchon, des appels à la jeunesse notamment à entrer en lutte, résonnait la détermination des participants qui,  poing levé, scandaient : « Résistance », « Dégagez ». Qu’un mouvement politique s’adressant à la rue appelle à abattre un régime issu des élections est (depuis bien longtemps) une première. Cela traduit-il dans le pays un niveau de conscience suffisant pour y parvenir ? A mon sens, pour l’heure, la réponse est négative. Pas seulement pour des raisons quantitatives (nombre de participants, absence le luttes grévistes…) mais également au vu du niveau de conscience de ce qu’il faudrait accomplir par en bas. Si je m’en réfère à celles et ceux que j’ai rencontrés ce 23 septembre (ce qui est bien insuffisant), force est de constater que, mis à part un certain nombre de militants, nombre des participants font leurs premières armes. Tout reste donc à faire.

« La révolte gronde-t-elle dans les chaumières » ?

La réponse, là encore, est négative, pour le moment. Qu’il y ait partout de la rouspétance, du mécontentement, même de la colère face à ce que l’on s’apprête à nous faire subir, certes oui. On est toutefois loin de l’insubordination ouvrière (1) et de la politisation caractérisant l’avant Mai 68 (2). Les défaites du mouvement social, défensif, depuis 1995, pèsent lourd. Ce qui semble prévaloir, c’est l’à quoi bonisme (A quoi bon ?). Nulle envie d’en découdre, mais plutôt de se retirer : les manifestations, les abstentions et votes blancs qui ne donnent rien, semblent en attester. L’extrême division syndicale, voire politique, à la gauche du PS, n’arrange rien d’autant que la réorganisation capitaliste de la production (concentrations/rachats, délocalisations, externalisations, robotisations, nouveau management…) lamine toujours plus ladite classe ouvrière (3). Cette dernière ne semble plus jouer un rôle central, atomisée qu’elle est entre chômeurs, précaires et ouvriers traditionnels. Il en est de même pour d’autres catégories sociales, tout particulièrement dans les services publics.

Néanmoins, bien que l’on puisse toujours trouver à redire, le programme de la France Insoumise (4) trace des perspectives en rupture avec le néo-libéralisme. Il va bien plus loin que celles consistant à demander l’abrogation et le retrait des ordonnances, la fiscalisation des multinationales ou la chasse à l’évasion fiscale. Non seulement il pose la question du pouvoir et de sa nature (Constituante) mais il affirme la nécessité de « balayer l’oligarchie, d’abolir les privilèges de la caste, la socialisation des banques généralistes, l’instauration d’un salaire maximum, l’organisation du blocus des paradis fiscaux, la sortie des traités européens, la transition écologique… ». Certes, ce n’est qu’un programme et ce n’est pas vraiment une rupture avec le capitalisme mais plutôt la volonté d’en juguler ses modalités néo-libérales. S’il était mis en œuvre, ce serait la traduction d’un réel bouleversement du rapport de forces, aussitôt. Même si le contenu de ce programme néo-keynésien semble être le fruit d’une élaboration collective, animée notamment par Jacques Généreux, il n’est pas certain que tous les Insoumis s’en soient emparés pour en débattre. Du reste, sur certains points, il reste en-deçà du Programme Commun première mouture, et il ne propose pas la socialisation des moyens de production et d’échanges des secteurs clés de l’économie, et encore moins « l’expropriation des expropriateurs », c’est-à-dire, pour le moins celle des grands actionnaires et ce, sans indemnisation aucune. Néanmoins, dans le paysage politique écrasé par la prégnance des contre-réformes, il offre un autre avenir. Peut-on considérer que ces idées émises n’auraient aucun impact ?

Quand bien même se mettraient en place des coordinations de luttes issues de la base, aurait-on, sans médiation politique, un contenu susceptible de promouvoir une rupture avec le capitalisme ? L’autogestion des luttes n’est pas porteuse, par elle-même, d’un programme révolutionnaire. Elle entend se départir d’un carcan bureaucratique, dénaturant, freinant l’obtention de revendications à caractère essentiellement économique, plus ou moins radicales. Dès lors, la question clé n’est pas tant celle des formes d’organisation que celle du contenu des objectifs défendus. Ce qui, en revanche, est salutaire dans cette démarche « formelle », c’est la volonté de débats, de décisions démocratiques qui s’y manifestent. Mais ceux-ci peuvent très bien être instrumentalisés dans un sens réformiste, voire contre-révolutionnaire. Il suffit de penser aux conseils ouvriers et de soldats en Allemagne en 1918 au sein desquels s’imposèrent les sociaux-démocrates, provoquant par là-même l’assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg et la répression sanglante contre les Spartakistes. Pour dépasser, ou contenir de tels risques, faut-il, comme semble le penser Jano, préparer, inculquer… une morale qui conjurerait toute traitrise…

Le poids de l’idéologie dominante

Elle pèse sur la conscience et le comportement des individus. Dans toute formation sociale, traversée par des intérêts contradictoires, il n’existe pas d’individus, de sujets libres qui pourraient s’en abstraire. Kant, le philosophe des Lumières, celui de la révolution scientifique copernicienne, pensait que l’utilisation de la Raison était susceptible d’engendrer des actes moraux. Cette « théologie morale » qu’il préconisait, n’avait pas de mains pour appréhender la réalité de la société. Hegel, critique vis-à-vis de cette « vision » hors sol, réintroduisait la Raison dans le cours de l’histoire des sociétés. Le progrès rationnel se matérialisait dans l’Etat. Ces philosophies issues des Lumières et de la Révolution française faisaient l’impasse sur les antagonismes travaillant le réel, marquant par là-même la domination de la bourgeoisie.

Or, le système capitaliste dont les moteurs sont la concurrence, l’exploitation et le brigandage économique, faisait prévaloir dans la réalité des comportements, la morale des plus forts, des plus retors… pour le bien de tous ! En réaction à l’exploitation et aux humiliations qu’il suscita, les classes ouvrières et populaires développèrent des « réflexes » de solidarité, d’entraide et  donc une autre « morale » que celle de « l’accumulation des écus ». Mais, spontanément, contre la logique du capital, ces luttes furent purement « économiques », consistant, pour les salariés, à améliorer la vente de leur force de travail. Les révoltes, les bris de machines qui ont pu scander ces luttes n’étaient pas par elles-mêmes porteuses d’une alternative au mode de production capitaliste. Au mieux, elles furent travaillées par l’espoir d’en revenir à des formes artisanales, précapitalistes, de coopératives dont les socialistes utopiques s’emparèrent. Dans l’histoire du mouvement ouvrier ou à sa marge, s’affirmèrent des « leaders », des «penseurs», blanquistes, proudhoniens, anarcho-syndicalistes, puis marxistes qui tentèrent de se constituer en «intellectuel collectif». Ce qui importait, pour eux, c’était de sortir les ouvriers du conditionnement dont ils étaient (et sont toujours) l’objet. Ce qui demeure, en effet, c’est que l’idéologie dominante y compris dans ses variantes secondaires (on pense à l’Eglise) est toujours celle de la classe dominante. Aujourd’hui, elle possède d’ailleurs, par l’intermédiaire des médias, des moyens de diffusion de grande ampleur. On pourrait dire que les prêches de la télé ont supplanté ceux de l’église d’antan, même si cette affirmation est un peu caricaturale.

Oser s’organiser, oser lutter

Vaincre le système de « valeurs », de soumission volontaire qui enfonce les individus dans la croyance qu’il n’y aurait pas d’alternative et que, par conséquent, se réfugier dans l’à quoi bonisme et le repli individualiste pour se sortir de sa condition d’exploité, serait la seule solution, était, (est encore ?) largement partagée. Au cours des 30 Glorieuses marquées par la possibilité, restreinte, de l’ascension sociale et par le système éducatif dit de « l’égalité des chances », cette croyance pouvait espérer se matérialiser (méritocratie). Avec la précarisation de la société, elle s’est largement amenuisée pour se réfugier dans l’illusion des start-up. Autrement dit, les antagonismes se sont durcis. Toutefois, les luttes sociales sans débouchés politiques, sans réelles victoires, les illusions répandues par les sociaux-libéraux et les syndicalistes réformistes d’accompagnement des réformes néo-libérales, ont favorisé une apathie, un repli démobilisateur. Certes, l’espoir entretenu dans le parlementarisme a pris un sérieux coup dans l’aile, il a pu se réfugier, comme son contraire, dans le nationalisme xénophobe, voire pour certains, se cantonner à des postures de retrait ou s’enfermer dans une tour d’ivoire surmontant la plèbe. Sortir de cet état de fait suppose un terrain favorable, celui d’une effervescence démocratique qui ne peut prospérer que dans l’échange, la confrontation. L’occupation des places comme en Espagne, tout comme les AG grévistes d’antan, furent une illustration de cette nécessité. C’est dans ce contexte que peuvent surgir de fortes individualités encastrées dans le mouvement populaire. Rien ne tombe du ciel, tout repose sur la conjoncture et parfois, le plus souvent, la conscience tarde à saisir la réalité effrayante qui s’impose. Sans l’occupation prussienne de la France, le défaitisme des élites, la fuite des bourgeois de la capitale, pas de Commune de Paris en 1870. Sans la grande boucherie de 14-18, pas de révolution russe. Sans prétendre au pire, force est de constater que la guerre, la misère et la faim au sud, la précarisation des sociétés occidentales, la rapacité de l’oligarchie mondialisée et les inégalités abyssales qu’elle entraîne, les crises écologiques et économiques, sont grosses de révoltes potentielles. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres.  Les antagonismes semblent venir trop lentement à maturité alors que les concentrations et fusions capitalistes continuent leurs ravages. Les directions syndicales d’accompagnement des  contre-réformes libérales (CFDT, FO) ne sont pas (encore) mises en cause largement. Intégrées à l’appareil d’Etat dont elles dépendent en partie financièrement, elles n’ont aucun intérêt au bouleversement de l’ordre social dominant et feront tout pour maintenir leur hégémonie sur une classe ouvrière largement désemparée. Certes, la CGT, plus combative, SUD Solidaires, le Front social plus radical, les Insoumis plus nombreux, ouvrent les fenêtres vers d’autres horizons mais rien n’est joué.

Alors, que peut-on espérer ? Que de plus en plus de salariés, chômeurs, intellectuels osent, ensemble, s’organiser collectivement et transforment les frémissements actuels en effervescence démocratique. A ce stade, il s’agit « d’affecter » le plus grand nombre pour que nous devenions ingouvernables, irrespectueux, insubordonnés, tout en étant lucides sur la réalité du rapport de forces auquel nous nous heurtons. C’est seulement dans ces conditions, conjuguant éducation populaire et actions que peuvent surgir de nouveaux modes de pensée, de nouveaux comportements, une nouvelle hégémonie brisant le carcan de l’idéologie dominante. Dès lors, à la vieille querelle formelle opposant partis et syndicats, se substituera le questionnement de ce qu’il est possible d’obtenir ici et maintenant, compte tenu de l’effort entrepris pour délégitimer Macron, le mal élu. Tout doit donc être entrepris pour favoriser la crise politique du régime. Que le pouvoir se sente obligé de dissoudre l’Assemblée en tentant de trouver par des élections une nouvelle légitimité en faveur des classes dominantes importe peu. L’essentiel est d’ouvrir des brèches à d’autres espérances plus radicales. La nouvelle génération qui émerge se doit, dans le processus heurté qui s’annonce, à la fois de renouer avec l’histoire des luttes passées, en dépassant ses errements, et d’avoir prise sur le réel tel qu’il est, et ce, en toute lucidité pour convaincre, rassembler, organiser.

Gérard Deneux, le 27.09.2017

(1)   Pour en savoir plus, lire L’insubordination ouvrière dans les années 68 de Xavier Vigna (PUF)
(2)   Il y eut bien en 1968, la tentative de s’opposer au pouvoir gaulliste, lors du meeting de Charléty. De fait, il s’agissait d’occuper une place momentanément vacante avec l’assentiment des formations politiques pour éteindre le mouvement devenu incontrôlable. Mitterrand, Rocard, Mendes France… s’y préparaient. Cette tâche fut de fait assurée par le mouvement gaulliste (défilé aux Champs Elysées, SAC, diffusion de la peur du chaos, élections)
(3)   Lire Grain de sable sous le capot de Marcel Durand (Agone)
(4)   L’avenir en commun, programme de la France Insoumise (Seuil)

Encart 1
Cupide, Macron ?
Macron président, outre ses relations, a de quoi régler les peccadilles de son voyage dispendieux à Las Vegas (1). Après 2 ans passés à la banque Rothschild, il possède un moelleux matelas : près de 3 millions €, voire plus. Il a déclaré, pour l’année 2004 : 403 600 € de salaire, 291 300 € de dividendes, 706 300 € de bénéfices industriels et 1,4 million de prime pour avoir négocié le rachat par Nestlé d’une filiale du groupe Pfizer au détriment de Danone. Ce flibustier de la finance peut se permettre cette arrogance vis-à-vis des « fainéants », des « analphabètes » qui ne comprennent rien à la « pensée complexe » du Président des super-riches. 

(1)   organisé par Mme Pénicaud, voir Le macronisme existe-t-il ? PES n° 36  


Encart 2

Au royaume des ékronomistes
Ils brûlaient du pétrole et se goinfraient de hamburgers.
Ils croupissaient dans les embouteillages et jouaient au loto.
Ils déambulaient dans la rue, tenus en laisse par un grigri numérique.
Ils se trouvaient beaux en se regardant dans le miroir de la mode.
Ils s’agglutinaient dans les hypermarchés pour soulager provisoirement leur fièvre acheteuse.
Ils absorbaient quantité d’antidépresseurs prescrits par l’industrie pharmaceutique.
Ils croyaient que la technique résoudrait tôt ou tard tous leurs problèmes.
Ils voulaient aller toujours plus vite vers l’instant d’après…
Ainsi agissaient les primates à deux pattes : Primatus Ordinarius Consumeris (POC) tandis que Primatus Liberatus Oligarchis ordonnait à Poc qui exécutait, aidé en cela par Primatus Domesticus Mediatis…

Extraits de l’essai iconoclaste Au royaume des ékronomistes de François Seine (ed. Le Pré du Plain, 2014, 7€)


NDLR : C’est bien cette société-là que nous combattons  

Feuilles d’automne

Pour ceux qui n’ont plus de droits
Injustement pris dans les tourbillons de la loi
Pour ceux que l’on a privés de leurs voix
C’est leur vie que l’on a pris dans l’effroi
De crier leurs douleurs de vive voix
Ils n’ont pas eu vraiment le choix
Tous ils ont été victimes pris en proie
A de faux semblants de bonne foi
Tous martyrs du même droit
Ecrasés par ce poids
Qui fait la justice et la loi
Et se cacher derrière ce droit
Ce n’est pas le monde que je conçois
C’est un oison offert avec joie
Notre histoire corrompue, quel effroi
D’ignorer ce monde et ces gens-là
Là il n’est pas question de choix
Je n’ai ni la place d’un roi
Et encore moins celle d’un rat
Je suis de bonne foi
Je ne m’appelle ni François et encore moins Benoît
Et en cadeau pour ma vie l’ignorance l’injustice et le non-droit
C’est ainsi que je porte ma croix
Moi, l’immigré pointé du doigt
Sans cesse chassé, mis en proie
Jeté dans les failles de la foi
Méprisé comme un ingrat
Une personne que l’on ne veut pas voir
Pourtant, c’est une victime de choix

Hassen



 Venezuela. Echec du « socialisme » ?

Dans un Venezuela en ébullition, les médias, pour l’heure, ont délaissé leur acharnement contre Maduro «ce dictateur» disent-ils qui impose une nouvelle Constituante pour se maintenir au pouvoir. N’y aurait-il que les médias dominants nourris par les grands patrons et autres richissimes pour défendre la démocratie ? Diantre ! Certes, ceux qui osent défier la domination étatsunienne dans son pré-carré du sud sont soumis à la vindicte des pratiquants de la désinformation et du mensonge, formatant une pensée manichéenne du bien contre le mal. Il ne s’agit pas, pour nous, de pratiquer de la même manière ne faisant valoir qu’un seul point de vue, mais au regard des réalités de ce pays aujourd’hui, de se forger une opinion partant d’une analyse concrète. C’est ce que nous allons tenter de faire, de manière non exhaustive car il serait prétentieux de vouloir tout évoquer, mais plutôt pour vous inciter à aller plus loin grâce à des sources non assujetties aux "puissants" (citées en fin d’article). Actuellement, le peuple vénézuélien subit une grave crise sociale, économique et politique qui risque de le renvoyer à la misère et à la pauvreté que le régime de Chavez avait réussi à faire reculer grâce à la redistribution de la rente pétrolière. Y a-t-il une issue possible pour le « socialisme du 21ème siècle » annoncé par Chavez ?

Sur l’histoire politique récente

L’ordre politique du puntofijismo (du nom du pacte de Punto Fijo entre les deux principaux partis politiques, Action démocratique et COPEI social-démocrate en 1958) a institué, jusqu’en 1993, le partage du pouvoir et de la rente pétrolière de la PDVSA (Petroleos du Venezuela SA) en excluant les travailleurs, paysans et groupes indigènes. Suite au choc pétrolier de 1973, les politiques drastiques d’ajustement structurel du FMI  déclenchent, en 1989, le Caracazo, protestations populaires massives réprimées très violemment (des milliers de morts et disparus), les médias furent, alors, plutôt muets. Perez, président (1) est destitué, pour corruption. Caldera le remplace mais cela ne change rien à la situation des populations pauvres. Chavez, après sa tentative ratée de coup d’Etat en 1992, crée, avec le soutien des militaires, d’intellectuels et de militants de gauche, le MVR (Movimiento Quinta Republica) et emporte les élections en 1998.
Pendant 14 ans (jusqu’à sa mort en 2013), il mène une politique de redistribution de la rente pétrolière et endigue l’extrême pauvreté, grâce notamment aux Missions auprès des classes populaires (actions sur la santé, l’alimentation, l’éducation, le chômage). Il convoque une Assemblée Constituante pour la création de la 5ème République : il y dénonce l’impérialisme mais ne rompt pas avec le caractère capitaliste de l’économie. Il réaffirme la nécessité d’un Etat fort qui se réserve l’activité pétrolière et les autres industries d’intérêt stratégique, tout en incorporant des mécanismes participatifs à l’échelle locale. Deux lois ont particulièrement mécontenté le patronat et les classes bourgeoises : celle relative à la terre et au développement agraire pour limiter le pouvoir des latifundistes mais qui, faute de moyens techniques suffisants, ne permettra pas la récupération de la souveraineté alimentaire ; la deuxième loi concerne le contrôle politique et économique sur la PDVSA.
De 2001 à 2007, l’opposition usera de tous les moyens (manifestations, grève patronale…) pour renverser Chavez, jusqu’au coup d’Etat en 2002 qui échoua grâce à la mobilisation populaire appuyée par un secteur des militaires. Chavez, renforcé par ces combats, s’impose en 2004, lors du référendum révocatoire, avec 59% des votes ; l’année suivante, lors des élections à l’assemblée nationale, l’opposition se retire par crainte d’être balayée et semble abandonner la partie. En 2006, Chavez est réélu Président avec presque 63% des suffrages. Il tente de consolider sa position internationale, même si certaines de ses alliances sont ambigües (Kadhafi et Assad). Il crée l’ALBA, alliance d’échanges avec le Brésil de Lula, l’Argentine de Kirchner, la Bolivie de Morales, l’Equateur de Correa… enthousiasmant ceux qui résistent à l’hégémonie des Etats-Unis en Amérique latine et au-delà.    
    Mais, en 2007, alors qu’il annonce la construction du « socialisme du 21ème siècle », il crée le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV) contrôlé par les chavistes, réaffirme la propriété et le contrôle de l’Etat sur les hydrocarbures, s’accorde des pouvoirs extraordinaires, élimine les restrictions à deux mandats pour la réélection présidentielle… Il maintient la dépendance à la rente pétrolière et n’engage pas la diversification de la production. Par la distribution de la rente, il favorise un patronat chaviste : la bolibourgeoisie. Il a réinstauré le contrôle des changes pour parer la fuite de capitaux qui génèrera un business via la falsification d’importations et la revente au marché noir des pétrodollars, avec la complicité des hauts fonctionnaires chavistes.
Il réduit son projet de socialisme à un étatisme vertical, diminuant le pouvoir des classes populaires au profit d’un clientélisme d’Etat. Pour autant, ses mesures sociales en faveur des populations les plus pauvres, lui garantissent une popularité intacte auprès d’elles.

Crise sociale

C’est de cette situation politique dont Maduro hérite le 5 mars 2013 au moment où la rente pétrolière diminue sévèrement. Représentant près de 95% des revenus d’exportation et 60% des recettes budgétaires, elle tombe, en 2015, à 40% des revenus d’exportation. La dette extérieure, par ailleurs, augmente de plus de 350% par rapport à 1998. On assiste, dès lors, à la réduction des programmes de redistribution sociale, au renforcement des traits autoritaires du régime politique, à la militarisation du gouvernement (un tiers des ministres (12 sur 31) et des gouverneurs (13 sur 20) sont des militaires et au renforcement de l’opposition. L’absence de contrôles démocratiques crée les conditions de la corruption (notamment sur les importations de biens de consommation ou la distribution des aliments). L’effondrement de la rente pétrolière entraîne des coupes dans l’investissement, des restrictions dans la fourniture d’électricité ou de gaz naturel, alors que le Venezuela possède une des plus importantes réserves de gaz conventionnel au monde. Emeutes et pillages réapparaissent. Maduro lance l’état d’exception et d’urgence économique. Et il fait appel au capital transnational (multinationales chinoises, russes et nord-américaines) pour créer une nouvelle zone de développement stratégique, l’Arc minier de l’Orénoque : 12% du territoire voué à être exploité à ciel ouvert pour extraire des minerais (or, argent, diamant, bauxite, coltan, cobalt…) au mépris des droits vitaux des populations autochtones.
En 2016, les pénuries de produits alimentaires, de médicaments, de produits de base, l’explosion de la violence et l’insécurité sont des réalités que l’opposition va instrumentaliser quitte à faire porter au gouvernement les violences qu’elle organise. L’inflation générale est de presque 181% (décembre 2015) et l’inflation du prix des aliments de 218%. Entre 2014 et 2016, le pourcentage de foyers pauvres passe de 48.4% à 81.8%. La situation sociale est grave

Sournoise guerre économique

Diversification de l’industrialisation et développement de la production agricole auraient permis au Venezuela de gagner son indépendance économique, car, lorsque le prix du baril de pétrole s’écroula, chutant de plus de 100 dollars en 2007 à 38 dollars en 2016, la période des « années glorieuses » de ce pays importateur se ferma. D’autant que le choix de rembourser de la dette publique, le contraignit à restreindre ses dépenses et, notamment, ses importations ainsi que les mesures sociales qui ont permis de sortir de la pauvreté nombre d’habitants des quartiers populaires.
L’opposition revancharde, dès lors, se chargea de rendre impopulaire Maduro, pour le faire tomber. Le contexte de pénurie des produits de base lui facilita la tâche pour aiguiser la colère et, au passage, enrichir les intermédiaires corrompus ; la corruption et le marché noir sont une réalité, notamment dans les produits importés dans lesquels trempent membres de l’opposition et de la majorité, pour un certain nombre.
La fragilité du « socialisme du 21ème siècle » de Chavez est apparue dans le secteur de l’alimentation car l’Etat n’a pas développé le secteur agricole, bien loin de garantir la souveraineté alimentaire du pays. La redistribution des terres aux paysans s’est vite arrêtée à 7 millions d’hectares (2001) et 3.5 millions repris aux latifundistes, alors que le Venezuela pourrait en exploiter plus de 30 millions. Le pays est, en conséquence, totalement dépendant des importations d’une vingtaine des produits de base les plus consommés (blé, riz, huile…). Leur production et leur distribution sont aux mains des monopoles et oligopoles multinationaux qui en contrôlent la technologie et la transformation. Cette réalité vaut aussi pour les médicaments et d’autres produits, comme les pièces de rechange pour les véhicules, les machines et équipements…
Une autre fragilité est celle du non-contrôle des importations. In fine, les produits n’arrivent pas là où ils sont nécessaires. Un système de spéculation et de malversation s’est institué sans que le gouvernement l’interdise. Ainsi, des « tonnes d’aliments et autres produits dorment dans des hangars d’où ils sont  dirigés vers des filières illégales ». Exemples : le 18 octobre 2013, à Maracaibo, la police bolivarienne saisit 10 tonnes de sucre, 3.5 tonnes de riz, 1.5 tonnes de farine de blé, 4 500 litres d’huile, etc. dissimulés dans un dépôt de la grande surface Super tienda Caribe. Le 5 février 2014, dans le Tachira, les services de renseignement récupèrent dans plusieurs hangars… 939.2 tonnes d’aliments de 1ère nécessité. Le 14 juillet 2016, 81 conteneurs abandonnés sont découverts, contenant produits d’hygiène, ordinateurs, imprimantes, engrais pour l’agriculture et produits chimiques pour la fabrication de médicaments (2). Cette guerre économique est menée grâce aux bachaqueros,  revendeurs qui, dans les rues, sur les marchés ou ailleurs, après avoir soustrait au marché formel les produits importés au prix régulé (politique dite des « prix justes ») les revendent en gonflant les prix. Par esprit de lucre ou pour des raisons politiques, des petits commerces se lancent dans le trafic et détournent leurs marchandises vers les bachaqueros, tout en criant à la pénurie qui serait due au gouvernement. Ce phénomène très localisé au départ, non traité par l’Etat, n’a cessé de croître à mesure que la crise économique s’est aggravée. Les pénuries des produits de 1ère nécessité ne relèvent pas tant du manque de devises pour se les procurer, que du non-contrôle de leur transformation et de leur distribution. Les Vénézuéliens sont grands consommateurs de pain alors que le pays ne produit pas de blé : l’Etat importe donc du blé que l’entreprise publique Casa fournit à 12 minoteries privées -multinationales Cargill, Monaca, Mocasa (3)- qui, après transformation, distribuent la farine. Une majorité des 10 000 boulangeries ne sont pas livrées régulièrement par ces sociétés ; d’autres, liées à des mafias, reçoivent plus de marchandises que nécessaire et revendent au prix fort leur superflu… La pénurie devient un outil pour faire du profit.
 Le système a engendré une prolifération de la corruption dans les domaines de la répartition des devises, du contrôle des ports ou de la distribution des aliments. La dépendance du Venezuela à l’importation est catastrophique : d’une part le secteur privé fournit le marché intérieur et ne réinvestit rien dans le pays. D’autre part, la pénurie entraîne la hausse des prix des produits de première nécessité, provoque l’inflation et accentue le mécontentement populaire. La crise économique et sociale devient politique.

Crise politique

La droite réactionnaire, revancharde, soutenue en cela par les Etats-Unis réapparaît, prête à user de tous les moyens pour destituer Maduro et récupérer le pouvoir. Rassemblée au sein du MUD - Table de l’unité démocratique - elle réunit la droite et la social-démocratie, cela va de la gauche modérée à l’extrême droite putschiste. En décembre 2015, elle remporte les élections législatives, le PSUV perd 2 millions de voix, principalement dans les Barrios. Maduro, aussitôt, la prive de sa majorité des 2/3 à l’Assemblée en faisant invalider l’élection de députés indigènes (sur soupçons de fraude à ce jour non avérée) par le Tribunal Suprême de Justice. La MUD lance une procédure pour révoquer Maduro par référendum mais le Conseil National Electoral le refuse ; simultanément, il reporte les élections régionales et syndicales (le PSUV ne tient plus les industries du pétrole et de la sidérurgie).
Dans le contexte de fragilisation du pouvoir, l’opposition se radicalise. Elle compte dans ses rangs quelques personnages accusés de violences. Ainsi Capriles, ex-candidat aux présidentielles, après avoir lancé l’accusation intenable de fraude électorale en 2013, soutint avec Lopez (parti d’extrême droite Voluntad Popular) et Ledezma (maire de Caracas) une mobilisation qui fit 47 morts durant laquelle des fils de fer étaient tendus dans les rues décapitant les motocyclistes pro-gouvernementaux. Les mêmes Lopez et Ledezma ont été condamnés à des peines de prison pour avoir appelé, violemment, à faire tomber le gouvernement.  Mais, ceux-là peuvent compter sur leurs amis, dont  Aznar, qui plaida en la faveur de ces « martyrs »  de la défense des droits humains !
Certes, depuis 2016, les protestations populaires, les exaspérations sont nombreuses et peuvent coexister avec des manifestations de la MUD et des étudiants. Face à cela, Maduro décrète, en contournant la Constitution et avec l’accord du Conseil National Electoral et du Tribunal Suprême de Justice, des élections pour une Assemblée Nationale Constituante : pouvoir parallèle à l’assemblée existante, contre-pouvoir venu par en haut. Elle est élue le 30 juillet malgré les tentatives de l’opposition de boycott, avec des méthodes violentes (10 à 15 morts dont un candidat à la Constituante). Les médias internationaux ont, alors, attribué les violences à Maduro, le traitant de « dictateur »… pour avoir organisé une élection ! Il veut régler la crise de manière non violente. Acte illégitime ? Autoritarisme ?
Cela constitue, en interne au PSUV, des fissures entre ceux voulant créer un parti de gauche plus critique le Marea socialista, ceux qui considèrent que la lutte ne peut avoir lieu en dehors du PSUV et le 3ème courant regroupant des anciens ministres pro-chavistes et ex-compagnons d’armes de Chavez. Ils dénoncent les méthodes antidémocratiques de Maduro ainsi que l’extension de la violence d’Etat, son éloignement de la politique « révolutionnaire, socialiste ou bolivarienne » de Chavez. « La guerre intestine ravit la droite… enchante les nouveaux oligarques en chemise rouge, lesquels rêvent de transformer la lutte des classes qui les a portés au pouvoir en vulgaire lutte de camps. S’ils devaient l’emporter, les innombrables « perturbations » auxquelles le chavisme n’a pas su répondre auraient assurément enfanté la catastrophe » (4).
L’opposition est, elle aussi, divisée, entre celle qui veut le renversement immédiat de Maduro et celle, plus modérée, qui vise les élections régionales et craint une forte résistance des travailleurs et paysans. La situation est inquiétante pour les Vénézuéliens. Les puissances internationales quant à elles, ont entamé des négociations secrètes sous la conduite de Zapatero… Il fallait éteindre la déclaration de Trump affirmant ne pas exclure une « option militaire ». De hauts responsables n’oublient pas que le Venezuela est le 3ème fournisseur de pétrole des Etats-Unis, que des sanctions affectant la PDVSA auraient un impact immédiat sur les entreprises étatsuniennes de raffinement, ou qu’elles pourraient rapprocher le Venezuela de la Chine ou de la Russie.

Quelle issue ?

 Maduro semble avoir repris le contrôle de la situation intérieure ; depuis l’élection de l’ANC, il a annoncé un nouveau système des prix régulés, des augmentations de salaire et la constitution de conseils locaux pour le contrôle de la production et de la distribution, des bureaux de change dans tout le pays pour vaincre les mécanismes de fixation des prix du dollar depuis Miami (cf encart Dollar Today).
Pour autant, ce ne sont pas les annonces de Maduro de commandes le blé à la Russie ou de création de boulangeries populaires, qui règleront la dépendance du pays au système capitaliste. Si l’on prend l’exemple des pénuries de pain, et cela vaut pour les autres productions), les questions sont : qui décide de produire ? Quoi ? Pour qui ? Comment ? Le « socialisme » de Chavez puis Maduro n’a pas pris cette voie. Primo, les bénéfices que procure l’exploitation des ressources naturelles (le pétrole), y compris sous monopole d’Etat, génèrent une extrême dépendance aux cycles économiques internationaux, pouvant produire des crises sociales, environnementales, sans que les populations ou leurs représentants ne puissent s’y opposer. Secundo, « prendre l’Etat » ne suffit pas pour transformer la société capitaliste, il s’agit au contraire de socialiser le pouvoir et de démocratiser la vie sociale. Tertio, la souveraineté d’un pays passe par son indépendance aux puissances de l’argent (répudiation de la dette) et par l’expropriation des banques privées et autres oligopoles. 
La crise au Venezuela est une phase de reprise du pouvoir capitaliste pour stopper les reculs qu’il a dû encaisser suite aux mouvements de « libération » au Brésil, en Argentine, au Venezuela, en Bolivie, en Equateur, en Uruguay…  La contre-libération est à l’œuvre. Au Venezuela, cela peut se transformer en guerre civile ou en un nouveau Caracazo. Dans l’immédiat, notre solidarité avec les peuples d’Amérique latine passe par notre capacité à la critique constructive pour que demain se concrétisent les espérances d’une révolution sociale réelle pour une transformation radicale de la société en éliminant un système que nous ne voulons plus subir et en inventant une alternative que nous voulons construire ensemble.

Odile Mangeot, le 28 septembre 2017

(1)   il fut Vice-Président de l’Internationale Socialiste et ami de Felipe Gonzales !
(2)   Maurice Lemoine donne ces exemples et bien d’autres, site Mémoire des luttes
(3)   dont le Président apparaît dans les Panama Papers
(4)   Renaud Lambert Le Monde Diplomatique, décembre 2016 

Sources :
Mémoire des luttes http://www.medelu.org (Maurice Lemoine, G. Boccardo/S. Caviedes
Le Monde Diplomatique  déc. 2016 et sept. 2017, Renaud Lambert
Venezuela infos https://venezuelainfos
A l’encontre www.alencontre.org/   

Encart                                                                     Dollar Today

La valeur du dollar est annoncée chaque matin par le site web Dollar today. Depuis 2010, il est la référence pour qui veut acheter ou vendre des dollars au marché noir. Le prix des devises s’appuie sur les variations du taux pratiqué par les bureaux de change de … Cucuta (ville colombienne frontière). Les cambistes de la frontière établissent leurs propres taux dans des bureaux de change légaux et illégaux qui peuvent effectuer toute transaction sans autorisation des tutelles, si elles sont inférieures à 10 000 dollars. Mécanisme on ne peut plus utile pour blanchir l’argent du narcotrafic. Un des responsables de cette maffia est Gustavo Diaz, ancien militaire, ayant participé au coup d’Etat contre Chavez en 2002, depuis, réfugié politique aux Etats-Unis. M. Lemoine 
De la misère (des contrats aidés) en milieu non-marchand

Ce texte n’épuise pas la problématique des dérives dont ces contrats de travail sont lobjet. Cest un simple témoignage, lancé à ladresse de leurs défenseurs et une invitation à penser hors les réflexes pavloviens de la gauche radicale, à partir d’éléments documentés (alsaciens pour partie) et des sources crédibles. Il sagit surtout de rappeler, y compris de manière polémique, que le dispositif des contrats aidés constitue une solution douteuse parmi les normes sociales et juridiques de rigueur en matière salariale, singulièrement dans le contexte associatif et institutionnel où ces contrats pullulent dans un climat d’impunité sans pareil. Et que, partant, il ny a rien de moins normal que de les favoriser ou les maintenir pour ce qu’ils sont (on pense notamment au dispositif CUI-CAE(1). Quand bien même s’agirait-il dinvoquer de fallacieux prétextes.

A la récente annonce d’une réduction sensible du budget alloué aux contrats aidés lors du second semestre 2017, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, provoqua l’incompréhension, voire la colère, de nombreuses structures tributaires de cette forme dérogatoire de contrat de travail. Pourtant, ce feu roulant protestataire dissimule quelques omissions qu’il convient de rappeler obligeamment aux oreilles de ces pétitionnaires démunis. En commençant par souligner combien, de longue date, le secteur parapublic et associatif use, et abuse, de toute la panoplie offerte par ces dispositions salariales déséquilibrées, et à temps souvent incomplet.
Fort heureusement, nos plaignants disposent d’un kit de plaidoirie prêt à servir, dont voici à peu près la trame : « Ces contrats aidés agissent comme un tremplin vers l’emploi, par les effets conjugués de lactivité professionnelle, de laccompagnement et de la formation. De fait, ces contrats aidés sont destinés aux plus fragilisé-e-s par le chômage de masse : personnes privées demploi sans qualification, jeunes des quartiers, personnes âgées et handicapées».
Face à un ramage un peu trop beau pour ne pas plumer spontanément les bonnes âmes progressistes, il est temps dexaminer ce dont on parle, par-delà les cris dorfraie misérabilistes.

Aide-toi toi-même !
Elément central de la politique de l’emploi et du traitement social du chômage de masse, l’Etat, au travers de Pôle-Emploi (prescripteur dans 80 % des cas), régale depuis belle lurette les employeurs du secteur non-marchand de ce genre de dispositifs. Plus de 30 ans déjà que les acronymes TUC, CES, CEC, CAE, CUI-CUI et autres noms floraux surgissent au firmament du précariat low-cost ambulant. Et ce n’est pas prêt de changer, tant le recours à ces contrats indirectement subventionnés par l’Etat constituerait, selon les économistes, une sorte damortisseur social de circonstance (effet « contracyclique » dans leur langage), en cas de hausse significative du niveau de chômage. Le sous-emploi aurait donc ses raisons que la déraison admettrait.
Pour preuve, une partie de la presse de «gauche» emboîte alors le pas de nos «sous-employeurs» privés et publics, et s’émeut du coup de canif envisagé par le gouvernement Macron à leur sujet. Et d’évoquer tour à tour le rôle «socialement utile» desdits contrats, le «coup dur pour les associations », « l’effet de lutte à court terme contre le chômage » ou, plus hardi encore : « leffet sur la liste dattente des chômeurs ». Le soldat-chômeur, avançant péniblement dans la file d’attente de l’armée de réserve des sans-turbin saura donc se consoler. Car le contrat-aidé viendra à lui, aussi sûrement que le nuage de sauterelle viendra ensemencer son avenir.

Pleureuses enfarinées
Le niveau local n’échappe pas plus au concert de protestation de nos employeurs-aidés. Tonnant comme un chœur de l’Armée rouge sous tranquillisant, il aura toutefois titillé les portugaises du journal LAlsace, dont le numéro du 29 août 2017 leur ouvre largement le prétoire.
 Du social, du social, et encore du social, voilà notre grand œuvre ! S’époumonent-ils, avant denchaîner avec le lamento des tartuffes. Une vocalise alsacienne pour travailleurs sociaux contrariés.
Mais alors, que sont les estomacs de nos étudiants devenus ? S’enquiert le peuple subalterne. Des contrats-aidés servent en effet le potage au resto-u du foyer de l’étudiant catholique de Strasbourg. Son directeur, Etienne Troestler, reconnaît la nécessité de «faire évoluer le dispositif », mais pas «dans la précipitation et sans concertation» s’étrangle-t-il, avant davaler son calice de travers. Une association d’étudiants en médecine strasbourgeoise, quant à elle, ne pourra plus «faire tourner sa cafétéria», prévient-on. Elle employait sept contrats-aidés, sans doute en guise de prophylaxie. Qui donc pour aller servir le redbull à ces messieurs-dames les futurs notables ?
A Mulhouse aussi, des soldats du contrat-aidé pointent le bout du mousqueton. Toujours relayé par L’Alsace, Jean-Luc Wertenschlag, directeur de « Old School »-« Radio MNE », annonce salarier 13 personnes... dont 9 en contrats aidés. «Cest une vocation sociale qui risque de disparaître », prévient-il. Le patron sera-t-il encore audible sans sa cohorte daspirants sociaux ? Mystère et bande FM. Quant à l’APA, une association d’aide à la personne qui fait figure dinstitution en Alsace, elle indique employer 43 contrats-aidés. Un record demplois aidés... chargés daider ! Tandis que lEPHAD de lArc à Mulhouse emploie un animateur... et 19 contrats aidés... chargés de compléter l’animation ! Un ratio optimisé de travailleurs très animés.

Traiter le mal par le mal
Par-delà les persiflages inspirés par les situations apparemment ubuesques engendrées par l’inflation de ces contrats (même si, tendanciellement, il y a un peu moins de contrats signés que lors des années 2000), voire les petits arrangements avec la vérité quant aux activités ou missions réellement effectuées par les bénéficiaires, la rigueur et le sérieux des employeurs devraient prévaloir en la circonstance. Chacun sait que derrière ces chiffres, pourcentages ou acronymes, il y a la vie de personnes en désarroi et en graves difficultés économiques. Celles-là mêmes qui, souvent, se persuadent volontiers du bien-fondé de tels dispositifs dont elles disent profiter. « Un contrat aidé, cest sans doute mieux que rien, cela permet de se sentir utile, de reprendre confiance, cest une opportunité pour espérer rebondir professionnellement », se promettent-elles.
Pourtant, cette occasion de rebond ne cesse de s’écraser contre le mur du réel, car les faits sont obstinément têtus. Et largumentaire de nos employeurs prétendant « faire dans le social », cest-à-dire agir dans l’intérêt exclusif des personnes en recherche durable demploi, ce à quoi est voué en principe le contrat aidé, ne résiste pas longtemps à  lexamen.

Des chiffres qui grincent
Les chiffres fournis par la DARES (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du Ministère du Travail) dans l’un de ses derniers rapports sur ces contrats, sont, à ce titre, extrêmement éclairants.
Il est ici important de distinguer entre les «contrats d’avenir», les contrats de chantiers d’insertion (ACI), des contrats CUI-CAE («contrats d’accompagnement dans l’emploi», les plus massivement utilisés dans les administrations et les associations). De multiples études (dont celles de la DARES) montrent en effet que laccompagnement social et l’accès à la formation sont, en règle générale, qualitatifs sagissant des deux premiers, a contrario de celui que nous examinons particulièrement ici, le CUI-CAE.
Le tableau figurant ci-dessus (source DARES) formalise un aperçu de la situation des personnes en contrat aidé (CUI-CAE) six mois après la cessation de leur activité : 

Ces données documentent essentiellement 2 choses. La première est que 51 % des personnes ayant contracté un CUI-CAE du secteur non-marchand (autrement dit un contrat aidé dans une association, une collectivité locale ou une administration) sont au chômage 6 mois après avoir cessé leur activité sous cette forme. Par ailleurs, il indique que 41 % parmi elles ont renouvelé un contrat de ce type, ou au mieux un CDD. En ne prenant en compte que les CDI et les CDD de plus de six mois, ce taux était respectivement de 26,7% dans le secteur non-marchand et 54,8% dans le secteur marchand, en 2009.
L’analyse de ces premiers éléments permet de conclure assez sûrement que le contrat aidé est un dispositif qui génère à la fois de la précarité (de par sa nature de CDD) mais qu’il constitue, symétriquement, une forme achevée de précarité salariale circulaire, d’où il est extrêmement difficile de sextirper. Constituant donc une sorte d’enfermement ou de cloisonnement social, presque à l’égal dun RSA.

Un second tableau nous permet d’étayer ce sentiment:
Il illustre la situation des personnes à 30 mois de la sortie du dispositif. On y apprend que 23 % des personnes issues de l’un de ces contrats y sont revenues, mais cette fois dans le cadre d’un contrat aidé du secteur marchand (sur lequel il faudrait se pencher dans un tout autre article, mais qui semblerait donner des résultats légèrement supérieurs, cela pour diverses raisons). D’autre part, 31 % des personnes issues d’un contrat aidé travaillent désormais dans le cadre dun CDI non aidé. Moins dun tiers des bénéficiaires qui renouent enfin avec un véritable emploi, ce nest certes pas insignifiant, mais cela demeure modeste. D’autant que la seconde colonne transcrit 2 chiffres bien plus stupéfiants. Le premier, « -5 », indique que le bénéficiaire dun contrat aidé a 5 points de chance en moins d’être en «emploi non aidé» que s’il s’était dispensé dy souscrire, et 8 points de chance en moins d’être en «CDI non aidé» que sil navait jamais accepté de contrat aidé ! Autrement dit, le bénéficiaire d’un emploi aidé subit, outre la précarité et la circularité de sa condition, des situations de discrimination de fait à l’embauche !

Des employeurs désolidarisés !
Mais l’étude la DARES documente également le caractère opportuniste du dispositif aux yeux des employeurs. Dans le secteur non-marchand, celui qui nous intéresse, près de 70 % des bénéficiaires d’un contrat aidé quittent linstitution ou lassociation, aux termes de laide financière que percevait lemployeur pour financer le poste de travail. Avec un record, encore un, dans l’Education Nationale, avec près de 80 % d’exclus aux termes de l’aide financière !
A contrario, plus de 80 % des bénéficiaires d’un contrat aidé demeurent dans des entreprises du secteur marchand. Ce qui semble illustrer que la fin des incitations financières est compensée par la productivité nouvelle et le développement du chiffre d’affaires dégagé par la présence de ces salariés.

(Dé)formation d’Etat
Au cœur du dispositif des contrats aidés, sont censément actives les « actions de formation », préalable indispensable à toute réinsertion durable dans l’emploi, et dont la mise en pratique est une obligation légale. Pourtant, près de 60 % des contrats ne respectaient pas ce volet de la convention signée entre l’employeur et Pôle-emploi en 2011. Si tous les employeurs sont responsables de cet état de fait, l’Education Nationale, matrice institutionnelle de formation de la jeunesse française, nest pas même fichue de former ses propres contrats aidés ! Cela tombe à point nommé, car l’Etat, qui a toujours fermé les yeux sur ces négligences particulièrement coupables, a décidé de concentrer les principaux moyens dévolus au financement des contrats aidés en 2017... vers l’Education Nationale !
Qu’en conclure, sinon que l’Etat, via le gouvernement Macron aujourdhui, continue de sasseoir sur ses propres obligations, et de creuser inlassablement le sillon de misère et de précarité salariale circulaire que nous évoquions plus haut.

Un détournement cynique
Outre le déni de droit à la formation, le second élément à considérer est, de fait, le cynisme bien ordinaire d’une fraction non négligeable des employeurs associatifs ou institutionnels.
En 2011, via l’un de ses communiqués intitulé «Les salariés en contrats aidés : des salariés à part entière», la CGT dénonçait déjà le juteux bénéfice que tirent les structures daccueil, de ce qu’elles ne sont pas tenues de comptabiliser leurs contrats aidés dans les effectifs de lentreprise. Moralité : pas daccession aux œuvres sociales et aux institutions représentatives du personnel en leur sein, notamment. A loccasion dun différend avec des employeurs privés et publics, le tribunal d’instance de Marseille rappelait alors que : « les travailleurs en contrats aidés doivent être des salariés à part entière». Cela, alors que les accusations de la CGT se faisaient très précises : « Ils [les contrats aidés] sont censés permettre à des travailleurs en grande difficulté d’insertion sociale de retrouver un emploi pérenne. Or, les études de la Dares montrent un détournement de la finalité de ces contrats : les salariés qui en bénéficient sont de plus en plus qualifiés et de moins en moins chômeurs de longue durée ou bénéficiaires de minima sociaux».
En effet, selon les derniers chiffres de l’institut, plus de 25 % des bénéficiaires dun contrat aidé employés par des associations sont diplômés de lenseignement supérieur. Plus de 58 %, si lon y ajoute les titulaires du baccalauréat !
Le détournement du dispositif est manifeste, et le mot n’est pas trop fort. Les exemples sont légions et internet regorge de témoignages à ce sujet. Notamment sur lexcellent site : Le travail concrètement, on vaut mieux que ça.
Mais le site internet de Pôle-emploi ne démérite pas moins en la matière. La CGT rappelait dailleurs récemment à son sujet que près de 50 % des annonces publiées sur celui-ci étaient illégales ou bidons ! Aucune vérification n’étant réalisée par linstitution quant à la nature et aux spécifications des postes proposés par les employeurs, on y trouvera aisément toutes sortes d’annonces illustrant l’illégalité patente des employeurs publics ou associatifs à l’égard du dispositif CUI-CAE. Des postes denseignants dans des écoles privées du premier degré, ou d’éducateurs de jeunes enfants. Des postes équivalent à ceux de travailleurs sociaux, voire de fonctionnaires... Tous ces exemples (non exhaustifs !) de professions qualifiées et réglementées, supposent l’obtention de diplômes d’Etat ou la réussite à des concours de la fonction publique. Ils sont néanmoins proposés impunément... sous la forme de contrats aidés !

Des temps très modernes
Comment peut-on profiter cyniquement de tant de salariés, a fortiori de l’énergie et de la créativité de la jeunesse universitaire, en lui assurant misère économique et désillusions, au prétexte de la continuation dun projet associatif, quel quil soit, ou afin dassurer lordinaire dune administration en sous-effectif ?
Je fus moi-même lun de ces rouages que lon tord à satiété. L’Education Nationale, encore elle, m’engagea en tant qu’« assistant de formation » en contrat aidé, chargé de recenser les besoins de formation dhommes incarcérés. En réalité, dans cette maison darrêt, je fis office denseignant. Japprenais le français aux étrangers en attente de jugement, et servais de professeur de langue auprès des détenus. Trop compliqué et trop cher de créer un poste de fonctionnaire, on appuiera donc sur le bouton « contrat aidé ». Facile, et très bon marché. Je neffectue pas la prestation de travail qui figure dans mon contrat, et on ne me forme évidemment à rien. Et si je souhaite bénéficier des vacances scolaires, ce sera 26 heures de présence par semaine au lieu des 20 heures prévues au contrat. Rémunération : 578 euros nets. Prud’hommes et Cour d’Appel ont heureusement sifflé la fin de la récrée pour le mammouth grimé en baudruche administrative.
Alors que plus de la moitié des candidats tenus de s’engager par défaut dans ces contrats sont bacheliers ou issus du supérieur, que la seconde moitié aurait besoin de se voir proposer un parcours de formation structurant et diplômant, que dit le rapport de la DARES sur la qualité du travail opéré par ces salariés ? Si 9 candidats sur 10 déclarent avoir « appris des choses » au cours de leur passage en CUI-CAE, ils sont 77 % à avoir effectué des tâches répétitives tout au long de la journée, 81 % pour l’Education Nationale, et 91 % dès lors que lemployeur est issu du secteur sanitaire et social...

Antonomase ta mère !
En vérité, l’essentiel à considérer est que dans notre pays, l’étiquette socio-professionnelle peut être tout simplement infamante. Nous ne semblons être que ce quun statut nous confère, ou ce dont il nous prive. Diplômé ou sans formation, de quoi alors le « contrat-aidé », ce nom commun mué depuis en nom propre, est-il le prête-nom ? Du salarié qui nest porté que par le type juridique avec lequel il se confond ? Et dont la compétence, le savoir-faire ou le métier sont indistincts, malléables ? Du handicapé social, dont on profite au gré des circonstances économiques ? Un polymorphe interchangeable, qui servirait à rafistoler les morceaux de société qui sombrent aussi prestement que le Titanic, et dont il devrait, lui, jouer le marin sauvé des eaux ?
Par-delà l’inertie aveugle de l’administration, qui ne reflète que la lâcheté des gouvernants, ce qui transparaît surtout dans ce débat est le court-termisme dont se rendent coupables certaines structures associatives. Réclamer des fonds, des subventions, créer de l’emploi qualifié et décemment rémunéré, est devenu chose aléatoire, harassante, et presque chimérique, tant cela suppose d’énergie et de temps consacré, dans un contexte de restrictions budgétaires croissantes. Devant ce labeur inepte, les structures qui emploient ces travailleurs précaires pratiquent de fait l’exploitation par omission, au prétexte que des besoins non pourvus existent. Elles en oublient cependant que se compromettre socialement pour survivre, alors que l’on incarne une forme d’engagement désintéressé, et un modèle de développement alternatif, constitue une négation du projet quelles animent. La condition sociale de leur développement ne peut dépendre de lemploi de sous-employés jetables, mais de la force de leur noyau bénévole, et avant tout de leur rayonnement militant. L’humilité de cette approche supposerait à tout le moins dadmettre quil nexiste aucune organisation qui soit indispensable en soi, dès lors quelle délaisse l’idéal et la promesse dont elle est porteuse. Et la nécessité de survivre pour survivre ne justifie rien, sinon que la forme associative est moribonde, et le projet exsangue. La fin ne justifiera jamais lutilisation dun volant continu de précaires, a fortiori diplômés et formés !

Capital et jambe de bois
Avec la fin progressive du modèle social «à la française», et le démembrement des solidarités de classe, les dernières décennies ont fait le lit du repli sur soi, des intolérances ethniques et religieuses. Tout cela a été largement documenté et établi par les meilleurs analystes.
Au plus fort de « la crise » dont nous ne sortons jamais que pour y choir, au gré des cycles du capitalisme zombie, ni vraiment mort, ni tout à fait vivant, le modèle marchand de surconsommation continue pourtant à cannibaliser nos imaginaires. Une reptation qui ne connaît plus dentraves, et menace désormais dengloutir nos écosystèmes matriciels, après avoir déjà siphonné une part considérable de leurs ressources.
La logique économique capitaliste, fondée sur la rapacité criminelle et la délinquance sociale, doit céder le pas, de gré ou de force, devant la gravité des enjeux qui surviennent.
Et parmi les plus impératifs de ces enjeux, figure rien moins que celui de pouvoir survivre à ce siècle. Cela semble être le défi collectif le plus improbable que lhumanité ait eu à affronter depuis son apparition.
Mais outre les fondamentaux de la vie qu’il faudra préserver, ce sont les nouvelles modalités sociales de ce renouveau éventuel qui doivent émerger au plus tôt. Avec la fin possible, par épuisement idéologique et anthropologique, du modèle capitaliste, il sagira de repenser nos priorités essentielles.
Repenser la place du travail « productif », ainsi que sa finalité. Et surtout valoriser celle de lactivité dutilité sociale. Où la seule valeur dusage, que lon voit poindre aujourdhui par le truchement de l’économie collaborative, primerait sur toute autre considération marchande ou économique.
C’est dans cette optique que le monde associatif trouverait naturellement de quoi irriguer et contribuer positivement à l’émergence dune société fondée sur la justice et lutilité commune, et non servir de supplétif hypocrite au capitalisme mercenaire.
Se battre pour faire reconnaître la valeur sociale et économique du bénévolat. Se battre encore pour garantir l’émancipation du citoyen, par le plein épanouissement de ses compétences. Se battre enfin pour que le temps libre devienne une occasion matériellement reconnue de délibérer indéfiniment sur les manières dont il conviendrait d’agir pour rendre la vie plus... vivable !
Au lieu de cela, nous voyons des structures qui gèrent l’ordinaire, comme elles servent la soupe au cadavre auprès de qui elles servent de jambe de bois, et dont elles voudraient réclamer la pitance, afin de prolonger l’enfer social et économique quelles appellent monde.
Les salariés jetés aux rebuts du fait des décisions gouvernementales quant à leurs contrats méritent que l’on se batte pour eux. Ils doivent être réellement « aidés », et valent plus que les larmes de crocodile quon leur prodigue ces temps derniers.
Sans évoquer le sort des employeurs publics et institutionnels desquels il n’y a rien à attendre, sinon une (r)évolution de fond en comble, les associations qui gèrent le présent de ces salariés précaires devront décider si elles renoncent ou non à se servir, à travers eux. A défaut de quoi, leurs atermoiements ressembleraient plutôt à ceux de geôliers qui verraient s’écrouler avec effroi le mur du monde quils tentent vainement de maintenir à tout prix.

Le mot du Ruffin
Avec une gouaille inimitable et délicieusement provocatrice, François Ruffin, député apparenté France insoumise, a résumé au mieux le psychodrame des hérauts versatiles du contrat aidé après, il est vrai, avoir préalablement traité le gouvernement de « minable »: « Le gouvernement a, sur ce dossier, commis une nouvelle maladresse. Il va reculer. Il va se rendre compte que, au fond, ces contrats aidés répondent plutôt à son idéologie : ils sont payés à un prix plancher, font baisser les chiffres du chômage, rendent les travailleurs dociles, et tout ça, pour un coût dérisoire »/

Merci à toi, patron ! Fernando TEIVES