Gaz de schiste aux USA :
nouvelle ruée vers l’or ?
Le rapport établi
en novembre 2012 par l’Agence Internationale pour l’Energie (AIE) a de quoi
surprendre. Les Etats-Unis seraient en passe de devenir la première puissance
pétrolière et gazière du monde. Ils disposeraient de 1 900 milliards de m3
de gaz de schiste et de pétrole bitumineux (non conventionnel)[1]
et devanceraient ainsi le Proche-Orient dont les réserves équivaudraient à
1 200 milliards.
Du Dakota au Texas,
de la Californie en passant par la Pennsylvanie, le pays se couvre de centaines
de milliers de puits. Outre la collusion entre scientifiques et industrie
pétrolière pour démontrer la prétendue innocuité de la fracturation
hydraulique, cette ruée vers l’or
trouve son origine dans la politique lancée depuis plus de 10 ans par la Maison
Blanche. Apparemment, les résultats sont là : au premier semestre 2012,
les USA ont assuré 83% de leurs besoins en pétrole et en gaz, la production
locale a progressé de plus de 25% en 4 ans et l’on annonce que les Etats-Unis
seraient auto-suffisants en énergie en 2030. Déjà, le gaz US serait de 50 à 70%
moins cher qu’en Europe, sans compter le coût moindre de tous les dérivés du
pétrole et du schiste bitumineux. Cette fuite en avant pour la souveraineté
énergétique et les royalties qui vont avec est-elle tenable ?
Une croissance dopée par le
capitalisme du désastre
Les «explorateurs»
de gaz disposent d’incitations fiscales et de subventions généreuses qui les
poussent à se ruer vers le nouvel eldorado. Les particuliers états-uniens,
propriétaires du sol le sont aussi du sous-sol ; ils acceptent ainsi,
contre royalties sonnantes et trébuchantes, d’autoriser les forages sans trop
se poser de questions. La législation laxiste fait le reste. Ainsi, entre 2005
et 2010, grâce à ce «nouveau gisement de
croissance», 400 000 emplois directs et indirects auraient été créés.
Mais cette embellie
pourrait tourner au cauchemar. Des voix s’élèvent déjà, au sein même de
l’Agence d’information de l’énergie pour mettre en garde «ceux qui creusent d’abord et réfléchissent ensuite». «Il est fort probable que beaucoup de ces
entreprises (qui se sont lancées à corps perdu dans le forage) vont faire
faillite». Des «bulles» vont se former. Cette «exubérance irrationnelle» pourrait se terminer en «fiascos financiers». «Victimes de leur succès» les industriels
du gaz de schiste seraient en situation de surproduction. Alors qu’il caracolait à 13 dollars pour 28
m3, le prix du gaz plafonne aujourd’hui à 2,8 dollars ! Faillite,
concentration, exportation. Jean Atbiboul, patron d’une des plus grosses
sociétés de courtage du gaz a la solution : «quatre fois moins cher qu’en Europe, six fois moins qu’en Asie, le gaz
américain a permis la relocalisation d’activités gourmandes en énergie, comme
la chimie ou l’acier». Son entreprise se dit prête à investir «10 milliards de dollars (ce) qui pourrait
faire des Etats-Unis le concurrent du Qatar ou de la Russie en 2016» (!)
Dans l’attente de
ce désastre à venir, les conséquences sur l’homme et la nature sont
irrémédiables : contamination des sols et des eaux souterraines, la
fracturation hydraulique nécessitant le recours à des produits chimiques
toxiques, dégagement de méthane dans l’atmosphère, de 3,6 à 8% du gaz
extrait : celui-ci, ayant un impact à court terme plus puissant que le CO2
au cours des deux premières décennies avant sa dissipation. En outre,
l’injection massive d’eau pour fracturer la roche risque d’entrer très vite en
conflit avec les besoins de l’agriculture, la pêche et l’alimentation humaine.
Il faudrait en effet 10 000 à 15 000 m3 d’eau pour chaque forage.
Reste l’urbanité des paysages perforés et bruyants. Des solutions lucratives
ont déjà été trouvées : des palissades matelassées pour réduire les
nuisances sonores aux abords des terrains de golf… Le «vacarme assourdissant» des gigantesques pompes installées en
surface, le ballet des camions-citernes, l’énorme emprise au sol de ces
installations qui mitent le paysage, sans compter les kilomètres de pipelines,
préfigurent-ils une nouvelle ghettoïsation rurale et urbaine ?
Des résistances : un
exemple surprenant
A Longemont, dans
le Colorado, les compagnies gazières avaient pourtant mis le paquet pour
convaincre les habitants de cette ville de l’innocuité de la fracturation hydraulique :
500 000 dollars investis dans la publicité qui faisait miroiter par
ailleurs la création de centaines d’emplois. Mais, ça n’a pas suffi, d’autant
que les autorités de cette bourgade se sont vues contraintes d’organiser un
référendum ! A 59%, la population s’est prononcée contre ces
installations ! Le gouverneur de l’Etat qui, pour sa campagne électorale
en 2010 avait reçu 76 441 dollars de «contribution» ( !) de
l’industrie gazière, est furieux. Il menace la ville des foudres de la justice,
l’Etat, d’après lui étant le seul habilité à réglementer les forages. Quant aux
magnats du gaz, ils ont porté plainte pour entrave aux droits de forage qu’ils
ont acquis auprès des particuliers… Pour reprendre la formule de Karl Marx, à
notre manière, si le capitalisme n’épuise plus l’homme et la nature, ce n’est
plus du capitalisme.
Cet exemple à
contre-courant est loin d’illustrer un changement d’orientation. Pour l’heure,
la fuite en avant continue. Peut-elle avoir, comme on le prédit, des
conséquences géopolitiques ?
Vers une réorientation de la
domination états-unienne ?
Depuis presque 70
ans, un pacte structure la géopolitique mondiale. Il fut conclu le 12 février
1945 à bord du croiseur Quincy entre
Roosevelt et le monarque, théocrate, Ibn Saoud. En échange de la protection
politique et militaire de son régime, le roi concédait un droit de pillage et
d’exploitation de son or noir. L’Arabie Saoudite promettait d’approvisionner
son tuteur pour 60 ans à «prix stable et modéré». Il y eut bien quelques coups
de griffe à cette entente, notamment lors de ladite «crise du pétrole» où les
prix ont flambé momentanément, mais ce pacte, pour l’essentiel, fut maintenu et
même renouvelé par Georges Bush et le prince Abdallah, lors de sa visite en
2005 au Texas.
Pour les
pétromonarchies du Golfe, restent la Chine et l’Europe, des marchés qui ne sont
pas prêts de s’éteindre. N’empêche que si l’hypothèse d’une quasi souveraineté
énergétique (momentanée ?) des USA s’esquissait, la 5ème flotte
US aurait-elle encore intérêt à stationner dans le Golfe pour protéger un
pétrole acheminé pour l’essentiel en Europe et en Chine ? L’impérialisme
US serait-il conduit à voir venir et à diriger de l’arrière, surtout après les
fiascos irakien et afghan ? Et à laisser l’Arabie Saoudite à ses
démons ? Dans ce pays le plus archaïque et le plus réactionnaire au monde,
où 2 Saoudiens sur 3 ont moins de 30 ans, où 3 chômeurs sur 4 ont entre 20 et
30 ans, qui compte désormais 25 millions d’habitants (dont 5 millions
d’étrangers), la collusion entre le gaz de schiste US et l’or noir de la
péninsule arabique pourrait connaître demain des explosions inattendues. Ce
n’est pas par largesse d’esprit que le roi rentier Abdallah, dont la seule
fortune pèse 18 milliards de dollars, s’est engagé, suite au «printemps arabe»,
à dégager sur 5 ans 130 milliards pour la construction de logements,
l’augmentation des salaires et des indemnités de chômage. Car on ne le sait pas
assez, là-bas, dans ces étendues désertiques aux villes fabuleuses, 4 millions
de personnes (si l’on compte les étrangers) vivent au-dessous du seuil de
pauvreté.
La fièvre de l’or
noir pousse aux forages tout en alimentant la vieille taupe qui creuse ses
galeries sous le vieux monde pour le pire et le meilleur.
Gérard Deneux le 20
janvier 2013.
Sources pour cet
article : le Monde du 1er
au 17 janvier 2013, traduction d’articles du New York Times, sites énergies
nouvelles et stop au gaz de schiste
[1] D’autres chiffres plus extravagants sont annoncés : 23 000
milliards de m3 prétend Didier Houssin de l’AIE