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dimanche 20 janvier 2013


Gaz de schiste aux USA : nouvelle ruée vers l’or ?


Le rapport établi en novembre 2012 par l’Agence Internationale pour l’Energie (AIE) a de quoi surprendre. Les Etats-Unis seraient en passe de devenir la première puissance pétrolière et gazière du monde. Ils disposeraient de 1 900 milliards de m3 de gaz de schiste et de pétrole bitumineux (non conventionnel)[1] et devanceraient ainsi le Proche-Orient dont les réserves équivaudraient à 1 200 milliards.

Du Dakota au Texas, de la Californie en passant par la Pennsylvanie, le pays se couvre de centaines de milliers de puits. Outre la collusion entre scientifiques et industrie pétrolière pour démontrer la prétendue innocuité de la fracturation hydraulique, cette ruée vers l’or trouve son origine dans la politique lancée depuis plus de 10 ans par la Maison Blanche. Apparemment, les résultats sont là : au premier semestre 2012, les USA ont assuré 83% de leurs besoins en pétrole et en gaz, la production locale a progressé de plus de 25% en 4 ans et l’on annonce que les Etats-Unis seraient auto-suffisants en énergie en 2030. Déjà, le gaz US serait de 50 à 70% moins cher qu’en Europe, sans compter le coût moindre de tous les dérivés du pétrole et du schiste bitumineux. Cette fuite en avant pour la souveraineté énergétique et les royalties qui vont avec est-elle tenable ?

Une croissance dopée par le capitalisme du désastre

Les «explorateurs» de gaz disposent d’incitations fiscales et de subventions généreuses qui les poussent à se ruer vers le nouvel eldorado. Les particuliers états-uniens, propriétaires du sol le sont aussi du sous-sol ; ils acceptent ainsi, contre royalties sonnantes et trébuchantes, d’autoriser les forages sans trop se poser de questions. La législation laxiste fait le reste. Ainsi, entre 2005 et 2010, grâce à ce «nouveau gisement de croissance», 400 000 emplois directs et indirects auraient été créés.

Mais cette embellie pourrait tourner au cauchemar. Des voix s’élèvent déjà, au sein même de l’Agence d’information de l’énergie pour mettre en garde «ceux qui creusent d’abord et réfléchissent ensuite». «Il est fort probable que beaucoup de ces entreprises (qui se sont lancées à corps perdu dans le forage) vont faire faillite». Des «bulles» vont se former. Cette «exubérance irrationnelle» pourrait se terminer en «fiascos financiers». «Victimes de leur succès» les industriels du gaz de schiste seraient en situation de surproduction.  Alors qu’il caracolait à 13 dollars pour 28 m3, le prix du gaz plafonne aujourd’hui à 2,8 dollars ! Faillite, concentration, exportation. Jean Atbiboul, patron d’une des plus grosses sociétés de courtage du gaz a la solution : «quatre fois moins cher qu’en Europe, six fois moins qu’en Asie, le gaz américain a permis la relocalisation d’activités gourmandes en énergie, comme la chimie ou l’acier». Son entreprise se dit prête à investir «10 milliards de dollars (ce) qui pourrait faire des Etats-Unis le concurrent du Qatar ou de la Russie en 2016» (!) 

Dans l’attente de ce désastre à venir, les conséquences sur l’homme et la nature sont irrémédiables : contamination des sols et des eaux souterraines, la fracturation hydraulique nécessitant le recours à des produits chimiques toxiques, dégagement de méthane dans l’atmosphère, de 3,6 à 8% du gaz extrait : celui-ci, ayant un impact à court terme plus puissant que le CO2 au cours des deux premières décennies avant sa dissipation. En outre, l’injection massive d’eau pour fracturer la roche risque d’entrer très vite en conflit avec les besoins de l’agriculture, la pêche et l’alimentation humaine. Il faudrait en effet 10 000 à 15 000 m3 d’eau pour chaque forage. Reste l’urbanité des paysages perforés et bruyants. Des solutions lucratives ont déjà été trouvées : des palissades matelassées pour réduire les nuisances sonores aux abords des terrains de golf… Le «vacarme assourdissant» des gigantesques pompes installées en surface, le ballet des camions-citernes, l’énorme emprise au sol de ces installations qui mitent le paysage, sans compter les kilomètres de pipelines, préfigurent-ils une nouvelle ghettoïsation rurale et urbaine ?    


Des résistances : un exemple surprenant

A Longemont, dans le Colorado, les compagnies gazières avaient pourtant mis le paquet pour convaincre les habitants de cette ville de l’innocuité de la fracturation hydraulique : 500 000 dollars investis dans la publicité qui faisait miroiter par ailleurs la création de centaines d’emplois. Mais, ça n’a pas suffi, d’autant que les autorités de cette bourgade se sont vues contraintes d’organiser un référendum ! A 59%, la population s’est prononcée contre ces installations ! Le gouverneur de l’Etat qui, pour sa campagne électorale en 2010 avait reçu 76 441 dollars de «contribution» ( !) de l’industrie gazière, est furieux. Il menace la ville des foudres de la justice, l’Etat, d’après lui étant le seul habilité à réglementer les forages. Quant aux magnats du gaz, ils ont porté plainte pour entrave aux droits de forage qu’ils ont acquis auprès des particuliers… Pour reprendre la formule de Karl Marx, à notre manière, si le capitalisme n’épuise plus l’homme et la nature, ce n’est plus du capitalisme.

Cet exemple à contre-courant est loin d’illustrer un changement d’orientation. Pour l’heure, la fuite en avant continue. Peut-elle avoir, comme on le prédit, des conséquences géopolitiques ?

Vers une réorientation de la domination états-unienne ?

Depuis presque 70 ans, un pacte structure la géopolitique mondiale. Il fut conclu le 12 février 1945 à bord du croiseur Quincy entre Roosevelt et le monarque, théocrate, Ibn Saoud. En échange de la protection politique et militaire de son régime, le roi concédait un droit de pillage et d’exploitation de son or noir. L’Arabie Saoudite promettait d’approvisionner son tuteur pour 60 ans à «prix stable et modéré». Il y eut bien quelques coups de griffe à cette entente, notamment lors de ladite «crise du pétrole» où les prix ont flambé momentanément, mais ce pacte, pour l’essentiel, fut maintenu et même renouvelé par Georges Bush et le prince Abdallah, lors de sa visite en 2005 au Texas.

Pour les pétromonarchies du Golfe, restent la Chine et l’Europe, des marchés qui ne sont pas prêts de s’éteindre. N’empêche que si l’hypothèse d’une quasi souveraineté énergétique (momentanée ?) des USA s’esquissait, la 5ème flotte US aurait-elle encore intérêt à stationner dans le Golfe pour protéger un pétrole acheminé pour l’essentiel en Europe et en Chine ? L’impérialisme US serait-il conduit à voir venir et à diriger de l’arrière, surtout après les fiascos irakien et afghan ? Et à laisser l’Arabie Saoudite à ses démons ? Dans ce pays le plus archaïque et le plus réactionnaire au monde, où 2 Saoudiens sur 3 ont moins de 30 ans, où 3 chômeurs sur 4 ont entre 20 et 30 ans, qui compte désormais 25 millions d’habitants (dont 5 millions d’étrangers), la collusion entre le gaz de schiste US et l’or noir de la péninsule arabique pourrait connaître demain des explosions inattendues. Ce n’est pas par largesse d’esprit que le roi rentier Abdallah, dont la seule fortune pèse 18 milliards de dollars, s’est engagé, suite au «printemps arabe», à dégager sur 5 ans 130 milliards pour la construction de logements, l’augmentation des salaires et des indemnités de chômage. Car on ne le sait pas assez, là-bas, dans ces étendues désertiques aux villes fabuleuses, 4 millions de personnes (si l’on compte les étrangers) vivent au-dessous du seuil de pauvreté.


La fièvre de l’or noir pousse aux forages tout en alimentant la vieille taupe qui creuse ses galeries sous le vieux monde pour le pire et le meilleur.

Gérard Deneux le 20 janvier 2013.

Sources pour cet article : le Monde du 1er au 17 janvier 2013, traduction d’articles du New York Times,  sites énergies nouvelles et stop au gaz de schiste   


[1] D’autres chiffres plus extravagants sont annoncés : 23 000 milliards de m3 prétend Didier Houssin de l’AIE