Où va Syriza ?
Par Panous Petrou – membre dirigeant de l’organisation anticapitaliste Gauche internationaliste des Travailleurs
(DEA), l’un des groupes fondateurs de Syriza
en 2004. Il a publié un article sur le site socialisworker.org le 19 décembre
2012 (traduit de l’anglais par Jean-Philippe Divès) dont nous livrons les
éléments les plus significatifs
La coalition de la gauche radicale, connue sous le nom de
Syriza, a créé un choc en Grèce et à l’échelle internationale quand, au
printemps 2012, elle est à deux reprises passée à quelques points d’une
victoire dans les élections nationales. Syriza proposait une alternative à
l’austérité drastique défendue par l’establishment de la politique et de
l’économie grecques avec, derrière lui, les dirigeants européens.
Syriza a tenu du 30 novembre au 2 décembre 2012 sa
première conférence nationale de délégués élus, premier pas d’un processus
visant à constituer une organisation plus unifiée au printemps 2013.
Syriza compte aujourd’hui
près de 500 sections et plus de 30 000 membres dans tout le pays. Ces
membres ont élu 3 000 délégués à la conférence nationale, qui à leur tour
ont élu une nouvelle direction de la coalition. La transformation de Syriza en une organisation de masse avec
la mise en place de droits démocratiques et d’une représentation nationale ou
parlementaire est d’autant plus nécessaire que la majorité de ses membres sont
des milliers de militants non organisés ayant rejoint Syriza surtout depuis les élections d’une part, et, d’autre part
que la coalition est actuellement composée d’une douzaine d’organisations de
gauche, allant du socialisme révolutionnaire au réformisme radical. Il y a des
raisons urgentes de clarifier le niveau d’accord entre les différentes
composantes de Syriza. Si des élections
étaient convoquées, Syriza pourrait
être amenée à prendre la tête d’un gouvernement avant son congrès de fondation
prévu au printemps. C’est pour ces raisons que des forces au sein de Syriza ont décidé de rendre public le
débat politique. En effet, des divergences de fond existent entre les
organisations formant la Coalition, sur les questions controversées notamment
de l’alliance avec le Parti communiste
(KKE) et Antarsya (la Gauche
anticapitaliste qui regroupe plusieurs organisations), de la dette et la zone euro, du refus de tout chantage de l’UE
destiné à maintenir l’austérité. Si Synaspismos
compose l’essentiel de la direction actuelle de Syriza et compte dans ses rangs Alexis Tsipras (président du groupe
des 71 députés Syriza), pour autant
deux tendances fortes existent au sein du mouvement de la Coalition. Elles se sont
exprimées lors du Congrès récent et ont exprimé leurs divergences :
-
Celles qui ont formé «le Bulletin unitaire» :
la majorité de Synaspismos, soutenant
la direction en place et Alexis Tsipras, l’Organisation
communiste de Grèce (KOE, organisation maoïste), la Gauche de renaissance
communiste et écologique (AKOA, d’orientation eurocommuniste), les communistes
libertaires du Groupe de la gauche radicale (Roza) ainsi que des groupes
d’anciens membres du Pasok ayant
rejoint Syriza. Cette alliance
défendait le projet de déclaration s’accordant sur l’idée que Syriza évolue dans la bonne direction.
Elle a remporté 75% des voix
-
Celles de «la Plateforme de Gauche» qui a
obtenu 25% des voix : le Courant de
Gauche de Synaspismos, le «Regroupement de Gauche» avec la Gauche
internationaliste des travailleurs (DEA), Kokkino («Rouge») et les
anticapitalistes (APO)
Le Bulletin unitaire a intégré
un large spectre de forces, depuis les membres du Synaspismos les plus modérés, qui poussent à ajuster le programme
de Syriza dans le sens du «réalisme»
jusqu’à des camarades de gauche très radicaux qui ont probablement pensé que la
meilleure façon de faire avancer Syriza
était d’argumenter en faveur de leurs positions dans le cadre de la majorité,
ou bien qui ont priorisé le besoin pour la coalition d’apparaître «unie»,
certains éléments de la majorité présentant La
Plateforme de gauche comme des «diviseurs».
La Plateforme de Gauche s’est
formée sur la base d’un accord sur les points principaux suivants :
-
Syriza doit maintenir son engagement en faveur d’un
«gouvernement de gauche» avec des appels à une collaboration avec le Parti communiste et Antarsya
-
Syriza ne doit accepter qu’un «gouvernement de gauche»,
c’est-à-dire refuser tout soutien à une coalition gouvernementale incluant des
partis bourgeois
-
Elle doit défendre la fin immédiate du paiement de la
dette et refuser le moindre sacrifice pour sauver l’euro
-
Elle doit défendre la fin de l’austérité par tous les
moyens nécessaires et placer les besoins des travailleurs au-dessus des propositions «réalistes» destinées à
satisfaire les besoins du capitalisme.
La Plateforme de Gauche a présenté
des amendements qui, s’ils n’ont pas été adoptés, ont obtenu plus que
25% : par exemple, l’amendement disant que l’unité devait être recherchée
avec le Parti communiste et Antarsya
ou celui sur la dette et la zone euro, ont frôlé les 40% des délégués.
L’émergence de la Plateforme de gauche et les efforts
de ceux qui l’ont formée afin d’ouvrir le débat politique établissent, pour Syriza, d’importants précédents, en
imposant quelques règles élémentaires pour le fonctionnement d’une coalition
plus unifiée, en particulier le droit de critiquer la direction, d’exprimer et
de défendre les divergences politiques qui existent, comme un contrepoids face
à toute tentative de faire virer Syriza
à droite. La Plateforme de gauche a
envoyé aux membres dirigeants de Syriza,
à la classe dirigeante qui entend domestiquer Syriza, aux camarades du parti
communiste et d’Antarsya, le message qu’existe
une opposition de gauche forte et visible face à toute tentative d’imprimer
à Syriza un tournant à droite ou un
certain modérantisme.
L’une de nos tâches les plus importantes est d’organiser
ces forces, de les engager dans les luttes sociales et de les coordonner en
leur donnant une voix politique. Cela peut s’avérer la plus importante
contribution afin de mettre un terme aux rêves des barons des médias qui voient
Syriza capituler dans le futur devant le modérantisme. Notre organisation, DEA,
combat pour ces objectifs depuis maintenant des années et continuera à le faire
avec les camarades partageant notre contribution commune avec Kokkino et APO,
avec ceux qui ont formé la Plateforme de gauche, et avec tous les camarades
souhaitant lutter pour une véritable alternative ouvrière à la crise du
capitalisme. La route qui nous attend ne sera pas facile mais il est clair que
l’avenir de la gauche et de la lutte des classes en Grèce dépendra dans une
très large mesure du cours que prendra Syrisa. Personne ne devrait s’abstenir
de la bataille qui se mène pour ce cours politique.