Bébert Truxler nous propose un poème de
De Roland Masseboeuf, poète à la «Peuge»
Extrait du recueil «Poésie en bleu» - édition Saint Germain-des-Prés en 1987
La violence
La violence
n’est pas vêtue d’un blouson noir.
La violence
n’a pas les yeux de ces loubards.
Pauvres
gosses perdus dans ces tours de béton,
Qui nous
montrent les dents à défaut d’affection.
La violence
est vêtue d’un beau complet veston,
Tirée à
quatre épingles, au-dessus de tout soupçon.
Et d’avion
en avion, elle vend des canons,
De salon en
salon, elle vend des avions.
La violence
n’est pas dans le quartier Barbès.
Cité des
Quatre Mille ne cherche pas son adresse.
Cherche
plutôt à Neuilly, ou bien dans le seizième.
Mais je
doute beaucoup qu’un jour tu y parviennes.
Les milices
privées sont là pour t’arrêter,
Et méfie-toi des crocs de leurs chiens
policiers.
La violence
n’est pas derrière les banderoles,
Dans le cœur
de cet homme qui a pris la parole,
Dans le cœur
de ces gens, dressant des poings rageurs,
Qui gueulent
leur colère pour conjurer leur peur.
La violence
dort bien, sous de beaux édredons,
Mais, c’est
dans ses usines que nous la côtoyons.
Si vous ne
me croyez pas, demandez à Raymond.
Non, pas
lui, il est mort peu après l’explosion.
Demandez à
Antoine si vous ne me croyez pas.
Non, pas
lui, les vapeurs lui ont brûlé la voix.
Pas non plus
à Philippe, encore moins à Anna,
Le cœur pas
assez dur pour mener le combat,
Faut-il que
ce soit dur pour préférer à ça
Quelques
grammes de plomb qui ne pardonnent pas.
Raymond, 47 ans, 5
enfants, est mort le 10 septembre 1981 des suites de ses brûlures, après
l’explosion du four qu’il conduisait à la fonderie Peugeot-Sochaux
Antoine, délégué du
personnel à la verve intarissable, a perdu l’usage de son arme favorite :
la parole, après avoir travaillé de nombreuses années à la soudure aluminium
sans dispositif d’aspiration des vapeurs. Deux de ses camarades, Marcel et
René, sont morts d’un cancer de la gorge.
Philippe, délégué en
Carrosserie, s’est donné la mort le 8 février 1980. Il avait reçu quelques 62
lettres d’avertissements, mises à pied, brimades, rien ne lui a été épargné.
Anna, ouvrière à la fonderie,
a choisi d’en finir avec cette vie à 25 ans.
Roland
Masseboeuf était ouvrier et délégué CGT à la fonderie de Peugeot-Sochaux. Il
est reparti dans son Ardèche natale après les grèves de l’automne 1989, dégoûté
comme beaucoup de militants sincères.