Et les femmes dans « émancipation et quartiers
populaires » ?
Par rapport au texte précédent traitant de la difficile
politisation dans les quartiers populaires[1],
Serge Halimi qui en a apprécié la teneur, a néanmoins signalé ses carences
s’agissant de la question des femmes. Pour autant que notre expérience
restreinte puisse être généralisable, nous pouvons dire qu’à partir de
2003/2004, les femmes ont été très présentes dans les débats organisés sur la
situation au Proche Orient (Palestine) ou la guerre contre l’Irak, la loi
contre le foulard à l’école ou la participation au Forum social européen (celui
de Saint Denis en 2003).ou sur la laïcité. Ces jeunes femmes se sentaient
totalement concernées, elles découvraient avec le même élan que les jeunes hommes,
la nécessité de la résistance à l’oppression. Pour certaines, l’islam tel que
répandu par Tarik Ramadan, a pu être le déclencheur de leur engagement. Mais,
il y avait autre chose dans ce premier engagement collectif : leur volonté
de comprendre le monde, de chausser des lunettes permettant de découvrir des
journalistes, sociologues, des associations qui militaient pour le respect des
libertés, pour la libre détermination des peuples et pour leur émancipation
individuelle et collective. Certaines, avec ou sans foulard, s’engagèrent avec enthousiasme,
participant aux débats, aux rassemblements et aux manifestations, laissant
espérer qu’elles allaient prendre toute leur place dans le débat public, même
si elles restaient sur une prudente réserve, quoiqu’à l’écoute, n’intervenant
guère, la plupart découvrant la « politique ». Tout doucement, la
présence de femmes « voilées » s’imposait aux autres et devenait
« normale » car elles prenaient la parole.
C’était aussi l’époque de la naissance du forum social
des quartiers populaires, là encore, brassant jeunes hommes et jeunes femmes,
sans stigmatisation des différences d’appartenance religieuse ou de sexe. Ces
rencontres étaient de véritables lieux d’expression de représentant(e)s des
quartiers populaires où la parole libre s’exerçait. Malheureusement ils furent trop
boudés par les associations ou encore les partis politiques. Aujourd’hui, ce
mouvement s’essouffle et se divise[2],
d’autant que certains de leurs leaders ont des blessures narcissiques
profondes, voire de déchirements familiaux du fait de leurs itinéraires sociaux
particulièrement éprouvants (échec scolaire, précarité, chômage). Leur conscience
politique autodidacte par médias interposés ou sous influence initiale de Tarik
Ramadan, pour certains, les poussent à
s’insurger mais leur engagement reste erratique. En l’occurrence, la non
reconnaissance qu’ils subissent se transforme en attitude de surcompensation,
tout particulièrement chez les jeunes hommes, ego surdéveloppé, décontraction
affichée comme moyen d’exister… ; ce virilisme de démonstration tranchait
avec l’attitude « disciplinée », beaucoup plus sereine des jeunes
femmes sans que l’on sente à aucun moment une attitude de soumission chez
celles-ci, au contraire. Leur émancipation se focalisant plutôt sur la
poursuite d’études et ou dans l’engagement social.
Curieusement, la
loi contre le foulard, en exacerbant les débats, a libéré l’expression des
jeunes hommes et des jeunes femmes et cela nous a semblé de très bon augure.
Mais, il faut pourtant admettre, que cette période s’est refermée, cet essai ne
s’est pas transformé. Il semble que la révolte des quartiers populaires en 2005
sur fond de pauvreté et de précarisation a fait resurgir un racisme latent
amplifié par les médias, l’attitude des politiques et la répression policière,
judiciaire qui s’en sont suivies, ont en quelque sorte bloqué les mouvements
qui démarraient. Dès lors, les débats pour lesquels nous fumes sollicités,
concernèrent les violences policières (3 victimes locales dont 2 morts et un
jeune énucléé). Et, sur ces questions, nous n’avons pas réussi à élargir le
soutien aux forces militantes politiques ou associatives, tant le rejet des
populations « maghrébines et musulmanes » était prégnant. De
surcroît, nous n’avons pas réussi à faire émerger des « leaders autonomes»
issus des quartiers, parmi les jeunes refermés sur eux-mêmes, sur la défensive,
dévalorisés à cause du chômage et la pauvreté ; ils semblaient en retrait concernant la lutte
contre les violences policières comme si la peur d’être encore plus stigmatisés
les tenaillait. Certes, les femmes, jeunes et moins jeunes ont accompagné ces
manifestations, mais nous étions plutôt dans le soutien affectif que dans la
volonté de faire émerger une force collective pour la vérité et la justice.
Pour être plus complet, il faudrait pouvoir mesurer
l’ampleur des déchirements familiaux, attisés par la stigmatisation raciste qui
s’est développée, à la fois consentie par les plus âgés et rejetée par les plus
jeunes. Pèsent également les séparations (les « vieux » retournant au
bled périodiquement) laissant les grands frères vieillissants et les plus
jeunes en France. Entre recherche de travail, travail précaire, débrouille et
fumette, nombre de jeunes hommes « tiennent les murs » tout en
développant, pour survivre, des affectations (attitudes) viriles en cercle
fermé. Ceux qui sont les plus stables, sereins dans leur avenir, étudiants,
peuvent faire preuve d’un engagement déterminé mais ils sont encore des exceptions.
Cependant, des exemples existent de groupes de jeunes garçons et filles qui,
s’organisant dans un centre social et culturel, partent en Palestine, bâtissent
un documentaire, le diffusent, s’engagent, prennent la parole. Il reste,
cependant, un travail très important de politisation, d’accompagnement dans la
compréhension de ce qui se passe au Proche et Moyen-Orient, par exemple.
Comment expliquer qu’un débat sur les révoltes arabes ou sur la Syrie ne
mobilise que très peu celles et ceux qui hier venaient en nombre pour la Palestine
ou contre la guerre en Irak ? En fait, la conscience autodidacte
constituée à partir de sites internet ou de lectures rapides sur des médias
soutenant pour certains des thèses complotistes circulant en boucles, ne leur
permet pas de saisir les bouillonnements qui affectent l’ensemble du monde, y
compris de la société dans laquelle ils ou elles sont inséré(e)s, qu’ils
(elles) le veuillent ou non.
Cette modeste contribution fondée sur notre militantisme
dans un quartier de Belfort et sur Delle n’offre pas un éclairage suffisant
pour mesurer le degré d’indépendance, d’émancipation des femmes d’origine
maghrébine. Toutefois, notre sentiment ne s’accorde pas avec les clichés
largement répandus dans les médias. Il suffirait à notre sens de peu de choses
pour qu’une prise de conscience plus large puisse s’opérer et qu’un réel
déblocage se produise. Nous pensons que les « évènements », en Egypte
particulièrement, pourraient constituer des révélateurs insoupçonnés pour
autant que ne se répète pas la tragédie algérienne.
Le 6 juillet 2013
Gérard Deneux et Odile Mangeot