Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 9 juillet 2013

Et les femmes dans « émancipation et quartiers populaires » ?

Par rapport au texte précédent traitant de la difficile politisation dans les quartiers populaires[1], Serge Halimi qui en a apprécié la teneur, a néanmoins signalé ses carences s’agissant de la question des femmes. Pour autant que notre expérience restreinte puisse être généralisable, nous pouvons dire qu’à partir de 2003/2004, les femmes ont été très présentes dans les débats organisés sur la situation au Proche Orient (Palestine) ou la guerre contre l’Irak, la loi contre le foulard à l’école ou la participation au Forum social européen (celui de Saint Denis en 2003).ou sur la laïcité. Ces jeunes femmes se sentaient totalement concernées, elles découvraient avec le même élan que les jeunes hommes, la nécessité de la résistance à l’oppression. Pour certaines, l’islam tel que répandu par Tarik Ramadan, a pu être le déclencheur de leur engagement. Mais, il y avait autre chose dans ce premier engagement collectif : leur volonté de comprendre le monde, de chausser des lunettes permettant de découvrir des journalistes, sociologues, des associations qui militaient pour le respect des libertés, pour la libre détermination des peuples et pour leur émancipation individuelle et collective. Certaines, avec ou sans foulard, s’engagèrent avec enthousiasme, participant aux débats, aux rassemblements et aux manifestations, laissant espérer qu’elles allaient prendre toute leur place dans le débat public, même si elles restaient sur une prudente réserve, quoiqu’à l’écoute, n’intervenant guère, la plupart découvrant la « politique ». Tout doucement, la présence de femmes « voilées » s’imposait aux autres et devenait « normale » car elles prenaient la parole.

C’était aussi l’époque de la naissance du forum social des quartiers populaires, là encore, brassant jeunes hommes et jeunes femmes, sans stigmatisation des différences d’appartenance religieuse ou de sexe. Ces rencontres étaient de véritables lieux d’expression de représentant(e)s des quartiers populaires où la parole libre s’exerçait. Malheureusement ils furent trop boudés par les associations ou encore les partis politiques. Aujourd’hui, ce mouvement s’essouffle et se divise[2], d’autant que certains de leurs leaders ont des blessures narcissiques profondes, voire de déchirements familiaux du fait de leurs itinéraires sociaux particulièrement éprouvants (échec scolaire, précarité, chômage). Leur conscience politique autodidacte par médias interposés ou sous influence initiale de Tarik Ramadan, pour certains, les poussent  à s’insurger mais leur engagement reste erratique. En l’occurrence, la non reconnaissance qu’ils subissent se transforme en attitude de surcompensation, tout particulièrement chez les jeunes hommes, ego surdéveloppé, décontraction affichée comme moyen d’exister… ; ce virilisme de démonstration tranchait avec l’attitude « disciplinée », beaucoup plus sereine des jeunes femmes sans que l’on sente à aucun moment une attitude de soumission chez celles-ci, au contraire. Leur émancipation se focalisant plutôt sur la poursuite d’études et ou dans l’engagement social.

Curieusement,  la loi contre le foulard, en exacerbant les débats, a libéré l’expression des jeunes hommes et des jeunes femmes et cela nous a semblé de très bon augure. Mais, il faut pourtant admettre, que cette période s’est refermée, cet essai ne s’est pas transformé. Il semble que la révolte des quartiers populaires en 2005 sur fond de pauvreté et de précarisation a fait resurgir un racisme latent amplifié par les médias, l’attitude des politiques et la répression policière, judiciaire qui s’en sont suivies, ont en quelque sorte bloqué les mouvements qui démarraient. Dès lors, les débats pour lesquels nous fumes sollicités, concernèrent les violences policières (3 victimes locales dont 2 morts et un jeune énucléé). Et, sur ces questions, nous n’avons pas réussi à élargir le soutien aux forces militantes politiques ou associatives, tant le rejet des populations « maghrébines et musulmanes » était prégnant. De surcroît, nous n’avons pas réussi à faire émerger des « leaders autonomes» issus des quartiers, parmi les jeunes refermés sur eux-mêmes, sur la défensive, dévalorisés à cause du chômage et la pauvreté ;  ils semblaient en retrait concernant la lutte contre les violences policières comme si la peur d’être encore plus stigmatisés les tenaillait. Certes, les femmes, jeunes et moins jeunes ont accompagné ces manifestations, mais nous étions plutôt dans le soutien affectif que dans la volonté de faire émerger une force collective pour la vérité et la justice.

Pour être plus complet, il faudrait pouvoir mesurer l’ampleur des déchirements familiaux, attisés par la stigmatisation raciste qui s’est développée, à la fois consentie par les plus âgés et rejetée par les plus jeunes. Pèsent également les séparations (les « vieux » retournant au bled périodiquement) laissant les grands frères vieillissants et les plus jeunes en France. Entre recherche de travail, travail précaire, débrouille et fumette, nombre de jeunes hommes « tiennent les murs » tout en développant, pour survivre, des affectations (attitudes) viriles en cercle fermé. Ceux qui sont les plus stables, sereins dans leur avenir, étudiants, peuvent faire preuve d’un engagement déterminé mais ils sont encore des exceptions. Cependant, des exemples existent de groupes de jeunes garçons et filles qui, s’organisant dans un centre social et culturel, partent en Palestine, bâtissent un documentaire, le diffusent, s’engagent, prennent la parole. Il reste, cependant, un travail très important de politisation, d’accompagnement dans la compréhension de ce qui se passe au Proche et Moyen-Orient, par exemple. Comment expliquer qu’un débat sur les révoltes arabes ou sur la Syrie ne mobilise que très peu celles et ceux qui hier venaient en nombre pour la Palestine ou contre la guerre en Irak ? En fait, la conscience autodidacte constituée à partir de sites internet ou de lectures rapides sur des médias soutenant pour certains des thèses complotistes circulant en boucles, ne leur permet pas de saisir les bouillonnements qui affectent l’ensemble du monde, y compris de la société dans laquelle ils ou elles sont inséré(e)s, qu’ils (elles) le veuillent ou non.

Cette modeste contribution fondée sur notre militantisme dans un quartier de Belfort et sur Delle n’offre pas un éclairage suffisant pour mesurer le degré d’indépendance, d’émancipation des femmes d’origine maghrébine. Toutefois, notre sentiment ne s’accorde pas avec les clichés largement répandus dans les médias. Il suffirait à notre sens de peu de choses pour qu’une prise de conscience plus large puisse s’opérer et qu’un réel déblocage se produise. Nous pensons que les « évènements », en Egypte particulièrement, pourraient constituer des révélateurs insoupçonnés pour autant que ne se répète pas la tragédie algérienne.

Le 6 juillet 2013     

Gérard Deneux et Odile Mangeot  



[1] Quartiers populaires et émancipation 16 juin 2013
[2] Sujet évoqué dans le texte précédent