Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 11 février 2014

Précarité sociale, effritement de la pensée progressiste ?

Dans un précédent article (1) relatif à la compréhension de la révolte bretonne, j’insistais, en conclusion, sur la gravité de la crise sociale qui affecte la société française : au cours des 12 derniers mois, 44 000 entreprises se sont déclarées en dépôt de bilan ou en liquidation  et 62 431 en procédure de sauvetage. Pour l’essentiel, ce sont des PME ou sous-traitants. Le sort des salariés est marqué par la montée du chômage (2) et la précarité : 3.7 millions de salariés en intérim et en CDD dont 1 million en contrat de moins de un mois. Cette tendance au délitement du tissu industriel et au précariat ne peut que s’accentuer : les politiques austéritaires y concourent.

Avant d’en souligner le caractère néfaste, il convient de tenter de cerner «l’état d’esprit» qui se propage dans toutes les couches de la société, attisé par une idéologie nauséabonde. Les dernières mesures annoncées par Hollande, les petits calculs politiciens des hollandistes sont dérisoires, non seulement par rapport à l’extrême droite, mais surtout vis-à-vis des attentes populaires qui frisent la névrose. Sur quelles bases pourrait donc se construire une unité populaire anticapitaliste au sens gramscien du terme, faite de tranchées à conquérir sans attendre le grand soir européen (3).

Classes populaires et couches moyennes déboussolées

L’enquête IPSOS réalisée en début d’année apparaît alarmante. Pessimistes, angoissés, hésitant entre colère et désespérance sociale, habités par le «rêve triste d’un grand chambardement», les Français rejetteraient «le système». Pour 56 %, la «préoccupation principale» serait le chômage car pour 61 % d’entre eux la mondialisation est une menace. Ils ne font plus confiance aux partis politiques institutionnels, de droite comme de «gauche», ni aux médias, ni aux élites. Pour 78 % d’entre eux, le système démocratique ne fonctionne pas et ne permet pas d’entendre la voix des 70 % estimant nécessaire de limiter les pouvoirs de l’Europe, voire pour 33 % de sortir de la zone euro. 52 % des ouvriers partagent cette conviction. Au vu de ces seuls chiffres l’on pourrait estimer que c’est pain béni pour la «gauche radicale». Eh non ! En effet 47 % des Français estiment que le FN est un «parti utile» pour provoquer la rupture avec le «système».

L’étude du Centre de Recherche de Sciences Po abonde en ce sens : morosité, lassitude, défiance, peur caractériseraient les sentiments du plus grand nombre : 66 % des Français seraient pessimistes vis-à-vis de leur avenir, 47 % demandent à être protégés de la mondialisation. Lucides, ils jugent que la démocratie ne fonctionne pas (69 %) car à 87 %, ils affirment que les politiques ne se préoccupent pas de ce qu’ils pensent. A la fois «fatalistes» et en «dépression collective», au bord de la crise de nerf, ils cherchent des boucs émissaires que le FN leur offre en pâture.

Au vu de ces deux enquêtes, il semble indéniable, même si elles sont à relativiser que ces appréciations se conjuguent avec la montée des sentiments xénophobes et des demandes d’ordre sécuritaire. Le FN, parti social-national, antimondialiste, contre l’Europe libérale, tout à sa tentative de dédiabolisation, est même dépassé sur ses marges. Manifestations de rue et diffusion d’un racisme d’épuration d’un type nouveau voient désormais le jour et inquiètent même certains éditorialistes.

Xénophobie. Identité française. L’appel à la purification ethnique

A la droite de l’extrême droite fascisante du FN, se développe tout un courant de pensée impulsée notamment par l’écrivaillon Renaud Camus et la mouvance Soral. Il est relayé par des Eric Zemmour et autres Beidbeger qui attisent la haine de l’étranger, reprennent, à nouveaux frais, le mythe de la 5ème colonne qui envahirait la «douce France».

Cette prétendue théorie inaugurée sous le label du «grand remplacement» en cours prétend à coup de chiffres truqués que le «peuple de souche» française serait submergé. L’on assisterait à un «changement de peuple». Nous, les «blancs de peau» serions victimes d’une «colonisation de peuplement maghrebo-africain». En panne, la fécondité blanche, désertant les maternités qui seraient désormais peuplées de «nourrissons arabes ou noirs et volontiers musulmans» (sic). En gonflant, trafiquant les chiffres, en additionnant Roms, Harkis, Antillais, illégaux, naturalisés, descendants de la 2ème et la 3ème génération, les Renaud Camus affirment que 20 % d’étrangers sont déjà parmi nous. Au-delà des fantasmes, il y a là comme un appel à la purification ethnique contre les envahisseurs que des «gens bien intentionnés», déboussolés, peuvent approuver en période de crise. Comme les arguments racistes à caractère biologique apparaissent tabous, les arguties culturalistes et religieuses sont censées les remplacer. Et les identitaires de tous poils, adeptes de la guerre des civilisations, d’invoquer la «grande déculturation» d’en appeler au sursaut de la culture occidentale qui s’effacerait au profit du multiculturalisme. (4)

Même si cette idéologie nauséabonde reste (encore !) marginale, il convient de ne pas en négliger l’impact dans la conjoncture actuelle d’autant qu’elle se diffuse dans l’ombre des réseaux internet. Les dernières manifestations de rue où se mélangeaient identitaires, nazillons, petits patrons, cathos intégristes, royalistes, pétainistes et gogos en tous genres sur fond de ras le bol du hollandisme ne peuvent que nous interroger. Le FN a-t-il la capacité de fédérer ces mouvements voire de constituer dans l’ombre, des passerelles pour former, en temps voulu, des milices ?(5).

En effet, à moins d’attendre une «Europe sociale (qui) n’aura pas lieu»(6), le FN, avec son programme national-social apparaît comme le seul recours à portée de main vis-à-vis de «l’échec social» des politiques austéritaires.


Les talibans de l’austérité maintiennent le cap

Malgré l’échec des politiques menées sous la férule de la Troïka, les classes dominantes n’en démordent pas : les dettes publiques, le chômage de masse (12 % en Europe) ont tendance à augmenter malgré les restrictions budgétaires, la casse des services publics déjà largement démantelés, la baisse du salaire réel, les cadeaux fiscaux aux entreprises visant à accroître leur compétitivité pour gagner des parts de marché sur leurs concurrents. Qu’importe si les inégalités et la pauvreté explosent, les peuples doivent trinquer pour accroître les profits et rentes des grandes entreprises innovantes et tant pis pour les «canards boiteux». Les systèmes sociaux et fiscaux doivent être laminés par la concurrence et les travailleurs européens s’adapter à la règle du moins disant.

La novlangue peut-elle encore occulter la réalité ? La «sécurisation de l’emploi» (Accord National Interprofessionnel signé par les syndicats sauf la CGT et SUD), c’est la possibilité de licencier à  moindre coût pour les patrons, tout en réduisant les salaires de ceux qui conservent leur emploi «sécurisé» à court terme. Le crédit d’impôt aux entreprises pour la compétitivité, c’est une usine à gaz pour rembourser, avec un an de retard, une partie des cotisations acquittées par les patrons. C’est un cadeau de 20 milliards au détriment de la sécurité sociale. La suppression (pour partie ?) des cotisations patronales relatives aux allocations familiales, c’est du vol du salaire des actifs qui en paieront le prix sous forme d’impôts et de taxes.

Et malgré cette purge sociale, les patrons ne sont pas pressés d’investir sur le territoire national, les banques ne prennent pas le risque de prêter aux PME vacillantes, la pauvreté touche 14.3 % de la population et la dette publique s’accroît (90.2 % du PIB en 2012, 92.7 % fin 2013 !). Pire, les recettes fiscales s’amoindrissent et le déficit de l’Etat s’accentue de 2.7 milliards pour atteindre 74.9 milliards en 2013.

Mais, tous les bien-pensants dominants d’applaudir le «recentrage social-démocrate» de Hollande. Olivier Bailly, porte-parole de la Commission européenne, assure que «les objectifs du pacte de responsabilité sont en ligne avec les recommandations que nous avons faites l’année dernière». Le Medef se déclare «prêt à jouer le jeu» comme l’assure le PdG de l’Oréal : «c’est un pas dans la bonne direction», «30 milliards, c’est un début». Mme Bettencourt et Nestlé principaux actionnaires sont rassurés, leurs dividendes prospèreront. Raffarin n’est pas en reste «ça correspond à mes convictions», «je n’exclue pas de voter la confiance au gouvernement». Copé, gêné, fait de la surenchère et Eric Woerth, grinçant, déclare «Hollande n’a plus qu’à adhérer à l’UMP». Quant à Borloo il est «prêt à soutenir ces réformes difficiles» à imposer au peuple. Plus machiavélien, un conseiller de l’Elysée susurre : «les UMP sont ennuyés. Ils voient que nous faisons ce qu’ils ont beaucoup annoncé mais jamais fait. C’est bien joué ».  
    
Dissidents, les Maurel et Lienneman à la gauche du parti solférinien ? Non, un brin circonspects pour leur place. Ils demandent que les «nouveaux avantages financiers accordés aux entreprises (soient assortis) de contreparties». Un observatoire pour voir défiler les cadeaux sans le moindre engagement leur suffira-t-il ? Et de se lamenter «le Président décide seul de tout. A quoi servent le PS et le Parlement ?» «Tout ça, c’est à cause de la droite et de l’extrême droite» (sic) «N’attendons pas les défaites électorales pour nous réveiller». On savait que les godillots traînaient les pieds, on ne les savait pas endormis !

Face aux petits calculs politiciens, quelle rupture ?

Bénéficiant de l’appui de sa majorité parlementaire euro-libérale, et des divisions de la droite qui ne sait comment s’opposer réellement à la politique qui est la sienne, à quelques bémols près, les ténors du gouvernement s’ingénient déjà à imaginer des petits calculs politiciens pour garder le pouvoir. L’ouverture au centre après les élections européennes, le changement de scrutin ensuite, afin de dépasser un clivage «gauche» droite désuet à l’image de la «grande coalition» allemande car il faudra bien cette union sacrée pour tenter de juguler légitimement «l’inquiétude vertigineuse» qui monte. Quant au Front de Gauche, il peine à faire entendre une autre musique et n’ose prôner une véritable rupture de peur d’être taxé d’anti européen, voire de rejoindre les thèmes avancés par le FN.

De fait, vis-à-vis du césarisme de l’oligarchie européenne qui entend instaurer la dictature soft du capitalisme financiarisé tous azimuts, y compris transatlantique (7), le devoir d’indépendance s’impose. Il convient de prôner la souveraineté populaire face aux diktats de la commission de Bruxelles, la protection des classes populaires face à la libre concurrence, la désobéissance vis-à-vis des traités européens, l’abandon de l’euro afin de mener des politiques monétaires indépendantes, y compris par la dévaluation, répudier la BCE et restaurer une banque nationale, examiner l’illégitimité de la dette publique… Prôner ces mesures de rupture avec l’ordre néolibéral, ce n’est pas la révolution, mais ce sont déjà autant de conditions amorçant la transformation sociale. L’Europe sociale ne peut se construire que sur la déconstruction de l’Europe du capitalisme libéral et du combat contre les oligarchies transnationales.

Les formations sociales nationales qui font partie de l’espace européen connaissent des rythmes de lutte de classes différentes. Imprégnées de cultures historiques spécifiques, elles ne peuvent connaître des ruptures qui soient concomitantes,  à moins de croire à un grand soir européen des luttes produisant les mêmes effets, le même jour à la même heure. Une telle vision partagée par nombre d’altermondialistes est inopérante. Elle consiste de fait à remettre aux calendes grecques l’espérance sociale. Ce serait là courir le risque, déjà bien réel, de nourrir la désespérance sociale et, objectivement, de border le lit de l’extrême droite.

Gérard Deneux le 28.01.2014   

(1)  «Le fond de l’air est gris» sur la mobilisation bretonne. ACC n° 250
(2)  Voir encadré (à faire)
(3)  Je reviendrai sur cette question dans un article ultérieur
(4)  Voir encadré. Citation du philosophe Jean-Luc Nancy
(5)  Voir précédent article sur le FN. «De l’extrême droite au parti fasciste». ACC n° 249
(6)  Titre du livre de François Denord et Antoine Schwartz – éditions Raisons d’agir                                          dont je recommande la lecture
(7)  Voir article  «le grand marché transatlantique» dans ce numéro


Encadré (4)

Eloge de la mêlée

«Le mélange qui s’opère en un lieu est une alchimie historique qui défie la notion de mélange… parce qu’il convient de répondre à l’ignoble mot d’ordre de purification ethnique, ce délire identitaire du racisme ordinaire, de la peur de l’autre… il faut réaffirmer le Savoir : le quelqu’un qu’il soit est toujours un sang mêlé…

La mêlée qui provoque le mélange n’est pas seulement riche de diversité. Les cultures ne s’additionnent pas, elles se rencontrent pour s’altérer, en s’altérant, elles se reconfigurent…

L’Occident si fier du miracle grec devrait méditer sur la diversité ethnique et culturelle, les mouvements de peuples, les transferts et les transformations des pratiques, les détournements de mœurs et de langues qui ont produit la configuration de la civilisation d’Athènes…

Toute culture est multiculturelle, le résultat provisoire d’une mêlée résultant d’affrontements, de confrontations, de transformations, de recompositions, de combinaisons, de bricolages, de développements…

Le mélange n’existe pas, pas plus que la pureté. Il n’y a ni mélange pur, ni pureté intacte».

Etre singulier pluriel (extraits) du philosophe Jean-Luc Nancy – édition Galilée.



Encadré (2)

Chômage. La réalité des chiffres. Les artifices de langage.

Les éléments de la langue de bois hollandiste ne peuvent modifier la réalité : «Baisse de la courbe», «Ralentissement du rythme d’augmentation», «Stabilisation», «Baisse de l’augmentation», «Tendance à l’inversion», «plafond», «paliers» et autres inepties.

2010 : + 117 000 chômeurs d’emplois de catégorie A
2011 : + 142 500
2012 : + 283 800
2013 : + 142 500
C’est ainsi que l’on parvient à 3 303 000 chômeurs de catégorie A et, avec les DOM-TOM «bien français» à 3 500 000.

Cette «réalité cruelle» l’est d’autant plus qu’elle est masquée par la signature de 100 000 emplois (sans) avenir, de 30 000 places de formation supplémentaires pour faire sortir des listes des chômeurs, les plus jeunes. Ainsi, parmi les 3 303 000 chômeurs, 4000 jeunes de moins de 25 ans auraient disparu de ce surnombre. Mais le taux de 24.5% de chômage de cette tranche d’âge n’est guère rassurant.
Lorsque l’on additionne les catégories A, B, C, l’on dépasse aisément les 5 millions de chômeurs qui comprennent plus de 1 million de personnes de plus de 50 ans.


Avec la poursuite des plans de licenciements notamment, il y a tout lieu de craindre que l’inversion de la courbe hollandaise ne soit que le pauvre artifice d’un échec patent.