Moyen-Orient,
le guêpier
Ce
guêpier meurtrier résulte de la combinaison de trois
phénomènes qui se
combinent pour mettre cette région à feu et à sang. Au-delà de
l’écume médiatique qui en présente les soubresauts sous la forme
d’une guerre de religions disloquant les sociétés, provoquant les
déplacements et l’exil de populations entières, les lames
de fond de ce
déchaînement sont bien :
1
– l’invasion de
l’armée états-unienne
en Irak qui, après la défaite de Saddam Hussein et la destruction
de l’appareil administratif et militaire du parti Baath, prétendit
installer un clan chiite à sa dévotion. L’éclatement du pays
entre les Kurdes au Nord et les Sunnites déchus et réprimés par le
clan chiite au pouvoir, fut la résultante de l’aveuglement
bushien.
Pire, le pouvoir à Bagdad, et son armée entretenue à coups de
millions de dollars, et donc corrompue, s’est très vite révélé
incapable de faire face à l’avancée de l’État
Islamique et a
poursuivi son rapprochement avec l’Iran. C’est, qu’entre temps,
Obama succédant à Bush qui avait mené une guerre de plus en plus
impopulaire contre Al Qaïda en Irak et autres rebelles sunnites,
avait décidé de rapatrier, pour l’essentiel, les troupes US, tout
en apportant un « surge » (des renforts) en Afghanistan
afin de soutenir l’homme de paille en difficultés que
l’impérialisme américain avait placé à la tête de ce pays. En
Irak et plus généralement au Moyen-Orient, le chef de la Maison
Blanche se promettait de « diriger
de l’arrière »,
refusait de s’engager directement en Syrie ; lorsque la
déferlante de l’État
Islamique prit
Mossoul et menaça Bagdad les bombardiers US entrèrent en action, y
compris en Syrie, aidés qu’ils furent par quelques Rafale
« hollandistes ». La « France » s’engageait
dans ce guêpier dont elle croyait être sortie après l’intervention
en Libye, alors même que ce pays devenu ingouvernable après
l’élimination du dictateur Kadhafi, propageait le terrorisme
« islamiste » jusqu’au cœur de l’Afrique…
2
– La grande révolte
arabe contre les
tyrans en Tunisie d’abord, puis en Égypte, au Yémen, au Bahreïn,
en Syrie, et son écrasement contre-révolutionnaire firent surgir
l’improbable coalition entre l’Égypte du nouveau dictateur Al
Sissi, l’Arabie Saoudite, les pétromonarchies des pays du Golfe y
compris le Qatar, et la Turquie d’Erdogan qui avaient soutenu les
Frères Musulmans. La contre-révolution se devait d’être menée à
son terme, notamment au Yémen où les Chiites rejoignant
l’insurrection de la jeunesse mettaient à mal la restauration d’un
pouvoir pro-saoudien aux abois… Pas question pour le nouveau roi
d’Arabie de laisser l’influence iranienne s’introduire au sud
du royaume sunnite.
3
– La révolte
d’abord pacifique en
Syrie, puis sa
répression féroce par le boucher Bachar Al Assad, décidé à
rester coûte que coûte au pouvoir d’autant qu’il avait le
soutien d’ l’Iran et de la Russie, modifia la nature de cette
guerre civile. L’intervention des différents acteurs extérieurs
la transforma, en effet, en guerre
par procuration dans
laquelle s’affrontent, en arrière-plan, les pays « sunnites »,
les pays occidentaux, contre l’Iran et la Russie. Dans cette
confrontation « policée » dans laquelle les grandes
puissances jouaient les médiateurs à Genève, tout en fournissant
des armes aux belligérants, s’est glissé l’État
Islamique,
protagoniste que les belligérants s’acharnent à réduire car il
complique le dépeçage à venir de la Syrie à l’Irak, voire
au-delà…
Les
révélations du Spiegel
sur la nature de
l’EI-Daech suite à la capture de documents, incitent à tempérer
la vision dominante d’une guerre de religion au sein des pays
islamistes. Elles permettent d’entrevoir la réelle fragilité des
régions qui manipulent l’islam, tentent de maintenir une
légitimité et une influence mises à mal par la fusion des trois
phénomènes évoqués ci-dessus. Au-delà de l’interprétation
réductrice « terroriste-islamiste » dominante, ce sont
en fait des régimes et des forces nationalistes qui s’affrontent,
tout en s’arcboutant sur les parrains occidentaux et russes,
l’islam dans ses différentes versions étant la seule
justification idéologique leur permettant de mobiliser les peuples
les uns contre les autres, y compris dans la composante sunnite de
l’Irak.
L’État
islamique, bâtard monstrueux du nationalisme Baath irakien
L’Irak,
apparemment conquis et soumis par les États-Unis, est en voie de
démantèlement. La « destruction
créatrice »
d’un nouvel ordre bushien
néo-conservateur a fait surgir la virulence des nationalismes
concurrents : Kurdes au nord, « Chiites » et
« Sunnites ». Ce processus de fragmentation de clans
rivaux, que tentent de contenir les USA, poursuit sa progression
souterraine et chaotique. Ce que révèle Christopher Reuter du
Spiegel,
outre la nature « surprenante » de l’EI, c’est que la
« victoire » de l’invasion américaine est un échec
patent : le nationalisme du Baath n’a pas été terrassé.
L’élimination
d’un ex-colonel des services secrets de Saddam Hussein, la
récupération des documents que détenait cet architecte de l’État
Islamique en Irak et au Levant
(EIIL) mettent en lumière le plan de construction de cette
organisation encadrée par des ex-officiers du Baath irakien. On
supposait déjà derrière la couverture moyenâgeuse d’un islam
archaïque que ceux-ci y jouaient un rôle d’encadrement. En fait,
ils en sont les machiavéliques maîtres d’œuvre.
Tout
s’est joué, d’abord, dans le creuset de l’Afghanistan,
suscitant l’apparition sanglante d’Al Qaïda en Irak, financée
entre autres par le trafic de drogue. Et la collaboration s’est
installée entre cette organisation terroriste, (affaiblie par les
coups de boutoir infligés par l’armée états-unienne) et les
professionnels de la guerre et du renseignement, issus de l’armée
de Saddam Hussein, et ce, y compris dans les geôles américaines.
Fut mise au point pour suppléer à l’amateurisme meurtrier d’Al
Qaïda, une organisation clandestine structurée d’espionnage, les
rapts permettant d’accumuler armes et dollars. Une partie à trois
bandes s’est dès lors instaurée avec les services secrets syriens
qui facilitèrent le transfert de milliers de « djihadistes »
en provenance d’Arabie Saoudite, de Tunisie, de Libye vers « Al
Qaïda réorganisée » en Irak. Pour Bachar Al Assad, il
s’agissait de rendre la vie infernale aux soldats américains, tout
en conservant ainsi un masque anti-impérialiste de circonstance
légitimant son fragile pouvoir tyrannique. Quant aux officiers de
l’ex parti Baath irakien, leur seule ressource idéologique de
mobilisation résidait dans la manipulation de l’islam en direction
des sunnites irakiens, exclus du pouvoir, réprimés par le pouvoir
chiite à Bagdad. Dans leur concurrence avec les autres groupes
islamistes de Syrie, ils recoururent à un maquillage fanatique de
surenchère et de terreur. A cet effet, ils créèrent des centres de
prédication, apparemment anodins, prônant la charia et une
bigoterie leur permettant d’infiltrer, d’espionner, de
surveiller, de recruter et de s’assujettir, y compris par des
alliances matrimoniales, chefs de tribus et clans familiaux, tout en
répartissant de nombreuses caches d’armes.
L’opportunité
d’une action de plus grande envergure leur fut offerte par la
guerre civile armée en Syrie et la prise de pouvoir, par les
rebelles, de la ville de Rakka. Dans un premier temps, en mars 2013,
ils laissèrent les « citoyens » anti-Bachar Al Assad
installer le nouveau conseil de la ville, comprenant des médecins,
des avocats, des journalistes. Puis, fortes de leur service
d’espionnage, sortant armées de la clandestinité, « les
brigades du prophète »
liquidèrent tous leurs opposants réels ou supposés. Maîtres de
Rakka, leur quartier général, ils étendirent leur influence sans
rencontrer de véritable résistance des autres forces rebelles.
Mais, en décembre 2013, la mise à mort d’un de leurs chefs des
plus appréciés, précédée de séances de tortures, amena les
brigades rebelles à faire front, en ordre dispersé, contre l’État
Islamique en gestation. D’autant qu’en 2014, un pacte est conclu
entre Bachar Al Assad et l’EI : l’armée syrienne ne
bombarde pas l’EI, qui, elle-même, ne tire pas sur l’armée
syrienne.
En
fait, tout change après l’offensive de l’EI en Irak et la prise
de Mossoul (2ème
ville d’Irak) et de son gigantesque arsenal sophistiqué, y compris
des tanks. L’instauration d’un califat de l’Irak et du
Levant défie tant Bachar Al Assa que la théocratie d’Arabie
Saoudite. L’EI attaque la division 17 de l’armée syrienne, la
détruit et massacre tous les soldats prisonniers. Conjuguant calcul
stratégique et foi fanatique, elle déporte, tue, chasse tous les
individus et groupes hostiles, s’en prenant ainsi aux minorités
chrétiennes, aux Yézidis, aux Druzes, Chiites et autres Alaouites.
Il s’agit de dominer et de contrôler sans contestation possible
les populations d’obédience sunnite. La progression de l’EI est
certes stoppée en Syrie par la détermination héroïque des
combattants kurdes du PYD, branche syrienne du PKK et, en Irak, par
les peshmergas kurdes. Ailleurs, la combativité des milices
pro-iraniennes, encadrées par des « gardiens de la
révolution » envoyés par Téhéran, tente de compenser la
déroute de l’armée irakienne… entraînée par des conseillers
américains mais gangrenée par la corruption. Sa pugnacité est une
denrée si rare qu’elle préfère la fuite avant de combattre,
laissant sur place un important arsenal. Et l’EI, malgré quelques
revers et les bombardements US qu’elle subit, continue sa
progression ; les régimes sunnites s’en alarment, et tout
particulièrement l’Arabie Saoudite, qui se prétend la seule
puissance légitime de l’islam et voit affluer sur le champ de
bataille irakien des candidats au djihad en provenance de nombreux
pays.
En
effet, pour contourner la difficulté de recruter des Syriens
attachés à leur coin de terre, pour accroître leur mobilité, les
chefs de l’armée terroriste de Daech, forte de la légitimité du
califat auto-proclamé, ont décidé de rassembler tous les candidats
au « djihad » venus de l’étranger, Saoudiens,
Tunisiens, Libyens, Européens… qui, solidement encadrés par des
Tchétchènes et Ouzbeks aguerris, leur permettent une grande
mobilité. En fait, cette stratégie pensée dès 2012 a vu naître
des camps militaires regroupant ces « volontaires »
instrumentalisés par voie d’internet qui furent disciplinés et
fanatisés au point d’obtenir d’eux une loyauté absolue. La
dangerosité de ce nouveau nationalisme masqué sous les oripeaux du
djihad est apparue aux émissaires d’Al Qaïda historique, qui
tentèrent une médiation-coordination avec l’EI. Reçus par des
ex-officiers de Saddam Hussein, ils eurent ce jugement sans appel :
« Ces
fallacieux serpents vont trahir le djihad ».
La
nouvelle avancée, jusqu’à la prise de Ramadi, au sud de l’Irak,
et de Palmyre en Syrie, démontre, s’il en est besoin, les
capacités de l’EI à déstabiliser ce guêpier dans lequel se sont
fourvoyés les soutiens occidentaux et russes. Les forces de Bachar
Al Assad ne se maintiennent que grâce aux milices libanaises du
Hezbollah, tout en étant profondément affectées par un épuisement
généralisé. Le régime syrien, objet d’épurations sordides,
tente vainement de se présenter comme le seul rempart aux
terroristes vis-à-vis des Occidentaux mais il se heurte à l’Arabie
Saoudite et ses alliés, y compris la Turquie, laquelle avait joué
un jeu des plus troubles favorisant les recrutements au profit
notamment de Daech pour contrer les Kurdes syriens. Une coalition
improbable s’est instaurée entre régimes concurrents. La donne a
récemment évolué. Les intenses bombardements américains pour
entamer l’EI ne suffisent pas pour bloquer sa progression, ni
commencer la reconquête des territoires occupés. Le Yémen, malgré
la tentative de Ryad de réconciliation pour maintenir son hégémonie
sur ce pays, est loin d’être assujetti ; enfin en Arabie
Saoudite, après la mort du roi, le nouveau pouvoir théocratique
s’est durci jusqu’à faire surgir de son apparente indolence, la
face agressive de la reconquête de son influence désormais
fracturée. Le nouveau roi a pris conscience, depuis la décision de
non-intervention d’Obama en Syrie et de sa volonté de réguler ses
relations avec l’Iran, avec la percée de Daech et celle des
Houthis au Yémen, que son assise pouvait être ébranlée dans ses
fondements théologiques et dans son emprise régionale.
L’Arabie
Saoudite, un colosse aux pieds d’argile
Les
cliques familiales de parvenus, d’archaïques féodaux qui règnent
sur l’Arabie Saoudite que cimente une interprétation des plus
réactionnaires de l’islam, le wahhabisme, ont pu se maintenir
jusqu’ici grâce au soutien sans faille des États-Unis et aux
pétrodollars dont elles se gavent. Les méga-travaux sont comme
l’emblème de leur mégalomanie qu’elles partagent avec les
pétromonarchies du Golfe. L’avènement de l’islam chiite après
la chute du Shah, les guerres américaines contre l’Irak de Saddam
Hussein, et surtout, la mise à disposition des troupes US sur la
terre sacrée de l’islam, ont fragilisé ce pouvoir. Puis les
« printemps » arabes, soutenus par le Qatar, promouvant
les Frères Musulmans, contestant la légitimité de ce pouvoir
théocratique, ont provoqué d’autres lézardes.
Régnant
sur une population de 28 millions d’habitants, dont 47% ont moins
de 25 ans, le pouvoir vieillissant s’est mis à vaciller. Le taux
de chômage des 25-35 ans dépasse les 30% et une forte minorité
chiite, concentrée près des champs pétroliers, se trouve privée
de nombreux « droits ». Pour contrer toute mobilisation
dans le sillage des « printemps » arabes, le pouvoir n’a
pas hésité, outre l’emploi de la police religieuse, à
subventionner le désoeuvrement à hauteur de 130 millions de dollars
en 2011, puis, à nouveau, en 2015 de 32 milliards (1).
Autre
faiblesse, plus conjoncturelle, la chute du prix du baril de pétrole
organisée pour contrer le pétrole US, issu de la fracturation du
schiste. Elle a déjà occasionné une baisse de revenus pétroliers
de 280 milliards de dollars. Certes, l’équilibre du budget de
cette royauté théocratique est mis à mal, mais, comme l’a révélé
le FMI rassurant, elle possède un matelas de réserves de 2 500
milliards de dollars (même si le prix du baril est à 60 dollars
alors qu’il faudrait un prix à 90 dollars pour revenir à
l’équilibre budgétaire) qui lui permet de voir venir…
Pour
le moment, le plus grand danger se trouve ailleurs : au sein de
cette nouvelle génération et des Chiites minoritaires. Ces
derniers, qui ont subi déjà moult répressions, ont vu ce qu’il
en coûtait aux Chiites majoritaires au Bahreïn, cette presqu’île
où règnent en maîtres un seigneur sunnite et sa cour d’affidés.
L’armée irakienne y est intervenue pour rétablir l’ordre et des
milliers d’opposants furent emprisonnés, torturés sans coup
férir, sans que cela n’émeuve outre mesure les régimes
occidentaux dits partisans des Droits de l’Homme.
Quant
à la nouvelle génération dont une fraction dispose de bourses bien
garnies pour faire des études aux USA et en Europe (à l’instar de
ceux qui ont provoqué, organisé l’attentat du 11 septembre),
pourra-t-elle encore longtemps accepter son désoeuvrement ou la
peine de mort infligée à coups de sabre en place publique, la
condamnation à 1 000 coups de fouet pour blasphème, l’absence
de « droits » pour les femmes… ? Jusqu’à
présent, nombre de désoeuvrés, à la suite de Ben Laden,
contestant sourdement l’immobilisme et l’alliance avec les
États-Unis impies, encouragés, « instruits », financés
par nombre de cheiks religieux, se sont lancés dans l’arène du
djihad international. Ils prétendaient, ici et ailleurs, que l’on
pouvait revenir à un prétendu rigorisme original de l’islam en
visant son extension. Le ministère de l’intérieur a récemment
avoué que 2 300 Saoudiens étaient présents rien qu’en
Syrie. L’avancée de l’EI l’inquiétant, il s’est promis de
ramener au bercail ces « égarés » qui s’y sont
enrôlés, en puisant… aux sources du wahhabisme : « L’islam
interdit la rébellion contre le souverain légitime »,
en l’occurrence, le roi d’Arabie Saoudite. Mais le message est
difficilement audible : revenez, votre réintégration possible
commencera par un emprisonnement de 3 ans.
A
la mort du roi, pleuré par les dirigeants occidentaux… Salman,
face aux différents clans familiaux, y compris les Saoud, s’impose
comme successeur. Il s’entoure d’une camarilla de jeunes prêts à
en découdre. Il a le soutien des religieux et des plus
réactionnaires. Les bourses d’études pour l’étranger sont
supprimées, la police des mœurs plus active, même les diplomates
occidentaux qui résident dans ce pays s’en plaignent : les
soirées culturelles les plus inoffensives sont interdites.
Le
nouveau pouvoir est décidé à agir plus directement en Syrie et au
Yémen pour restaurer son influence. En
Syrie, il est
déterminé à hâter le départ de Bachar Al Assad et à contenir
l’influence de l’EI. A cet effet, un pacte est conclu entre le
Royaume, le Qatar et la Turquie sous l’impulsion de Salam afin de
résorber le fractionnement des rebelles, entretenu par la fourniture
d’armes et de dollars par les différentes puissances régionales
sunnites. La coordination s’impose, la fusion des groupes rebelles
est requise, c’est la condition de l’aide accrue, y compris
d’armes antichars. D’ailleurs, les conditions sont favorables sur
le terrain : le 15 décembre 2014, Al Nosra et Ahrar Al Cham ont
uni leurs efforts pour s’emparer d’une base militaire au nord de
la Syrie et, à Alep, un groupe proche des Frères musulmans a cassé
l’offensive de l’armée légaliste. La fusion des groupes
djihadistes, salafistes et modérés s’opère, c’est « l’armée
de la reconquête ».
Elle s’empare de la province d’Idled au nord le 25 avril et
menace le port de Lattaquié dont elle n’est plus qu’à 40 kms.
Cette ville portuaire, bastion du régime, est également le point de
départ des sources de ravitaillement pour Damas, tant en produits
alimentaires qu’en armes. Ne resterait plus, si les rebelles s’en
emparaient, que Tartous où est stationnée la base navale et
militaire russe… Comment vont réagir la Russie et l’Iran ?
Et l’État Islamique à Palmyre menace Damas. Des guerres dans la
guerre sont en gestation.
Au
Yémen, le
remplacement du dictateur Saleh, chassé par la grande révolte n’a
rien changé. L’intronisation du président Hadi, sous l’égide
de l’Arabie Saoudite et avec le soutien des États-Unis, est un
fiasco. Ce scénario s’est heurté à l’influence des Houthistes,
ces Chiites du nord du Yémen. Ils ont prêté main forte à la
jeunesse du « printemps
yéménite »
et accru leur influence. Armés et aguerris par les différentes
répressions qu’ils ont subies sans jamais se soumettre, ils ont
pris le pouvoir à Sanaa, la capitale. Puis, ils ont déferlé vers
Aden au Sud. Le Président Hadi qui s’y était réfugié a été
exfiltré en Arabie Saoudite, qui prétend ramener ce fuyard
« légitime » à Sanaa. Ce ne sera guère une promenade
de santé : les Houthistes
bénéficient de ralliements de l’armée et du parti de l’ancien
président et, qui plus est, sont déterminés à mener une longue
guerre d’usure.
A
Ryad, le nouveau roi a suscité une large coalition autour de
l’Arabie Saoudite comprenant les pays du Golfe, l’Égypte d’Al
Sissi, le dictateur pire que Moubarak, et même le Pakistan. Ils se
sont engagés dans l’opération « Tempête
décisive »
rebaptisée quelques semaines plus tard en « Redonner
l’espoir » !!!
Pendant un mois, des bombardements massifs se sont succédé. Le 3
mai, Human Rights
Watch a dénoncé
l’utilisation d’armes américaines dites de « sous-munitions »
qui tuent et mutilent en grand nombre. Action
contre la faim, une
autre ONG qui à la différence de pratiquement tous les diplomates
est restée sur place pour aider les populations civiles
accuse : « la
France soutient la coalition armée menée par l’Arabie Saoudite »
et « donc les
violations du droit international humanitaire ».
Depuis le 26 mars, 1 400 morts dont 823 civils ont été
dénombrés. Mais l’armée houthiste est loin d’être stoppée et
encore moins désarticulée. Quant à Al Qaïda au Yémen qu’elle
combat, cette organisation terroriste s’est emparée de la ville
portuaire de Al Mukalla,
située sur la mer d’Oman.
Dans
ce pays surarmé des guerres dans la guerre se poursuivent à
laquelle s’ajouterait une invasion de l’armée de la coalition.
Une tête de pont, pour des initiatives de plus grande ampleur, a
assuré le débarquement de troupes terrestres. Une conquête au sol
serait des plus meurtrières. Mais si le nationalisme sunnite en
Arabie Saoudite se déchaîne afin d’assurer la cohésion de la
population contre les mécréants, le pouvoir hésite. Une défaite
serait catastrophique pour la monarchie théocratique. Elle en
appelle, par conséquent, aux puissances occidentales tout
particulièrement à Obama et à Hollande…
Reste,
dans ces conditions, à appréhender la ou les stratégies
occidentales vis-à-vis de cet imbroglio. Ce sera l’objet d’un
prochain article.
L’objet
de ce qui précède tente de montrer que, derrière les masques
concurrents des différentes facettes de l’islam se cachent les
ambitions nationales meurtrières de puissances régionales dont la
fragilité a été mise en lumière par les printemps arabes. Ces
sous-impérialismes régionaux ne sont sur le devant de la scène que
parce que « l’empire US » est lui-même sur le déclin.
Frappé par la crise de 2007-2008, ne parvenant pas à maîtriser des
processus qui lui échappent et dont il est largement responsable, il
prétend s’en désembourber afin de « pivoter » vers
l’Asie pour l’accaparement de marchés lucratifs où il se heurte
à la concurrence de la Chine, désormais 2ème
puissance mondiale. Il n’en demeure pas moins que ces guerres qui
s’étendent, si elles profitent à l’industrie de la mort et aux
marchands d’armes occidentaux, pourraient bien à terme faire
flamber le prix du pétrole et affecter, pour le moins, les économies
européennes. Enfin, si la grande révolte arabe contre les tyrans a
été matée, détournée (Tunisie) ou dévoyée par les fanatismes
religieux, ses aspirations demeurent comme autant de terreaux de
contestation sociale : l’absence de liberté, la pauvreté, la
précarisation caractérisant
ces sociétés.
Gérard
Deneux, le 25 mai 2015
-
Le régime algérien a agi de la même manière sans pour autant déployer les mêmes moyens financiers
Prochain
article : Les stratégies états-uniennes vis-à-vis de la
balkanisation du Moyen-Orient et le VRP Hollande