D’où vient Syriza ? Jusqu’où peut-il
aller ?
Syriza est une formation hybride.
Avant de retracer à grands traits l’itinéraire de cette coalition qui épouse
les soubresauts provoqués par le néolibéralisme, son durcissement suscité par
la crise de 2007-2008 et l’hégémonie austéritaire de l’ordo-libéralisme
allemand, il convient d’abord d’évoquer sa composition.
Au sein de Syriza on trouve des
sociaux-démocrates issus du PASOK, des écologistes, l’organisation communiste
de Grèce (KOE), la gauche ouvrière internationaliste (DEA), Action Commune de
la Gauche, Citoyens Actifs, les éco-socialistes de Grèce, le groupe Rosa, les
Nouveaux Combattants, le groupe politique anticapitaliste… Un véritable
patchwork.
En fait, ce conglomérat qui a réussi à
s’unir sur le programme de Thessalonique rassemble un spectre large :
d’ex-maoïstes aux trotskistes, en passant par d’ex-communistes jusqu’aux
sociaux-démocrates. La majorité est très légaliste. Elle reste marquée par la
croyance que l’on peut faire évoluer l’Europe de l’intérieur. Les différentes
strates qui ont constitué Syriza, tout comme les différentes stratégies suivies
avant la crise financière et après, illustrent bien les difficultés
idéologiques et politiques que rencontre cette formation politique.
Son histoire trouve sa source dans la corruption
et l’effondrement du PASOK
Tout commence en 1974 par une rupture
au sein du KKE, le parti communiste grec, très stalinien, encore faut-il
préciser que la guerre civile, l’intervention britannique, le lâchage du Kremlin,
suite au « partage du monde » résultant des accords de Yalta, avaient
divisé les communistes entre ceux de l’intérieur et ceux de l’extérieur (1).
Mais 1974, c’est plutôt l’époque de l’eurocommunisme, l’amorce d’un
effondrement d’une conception de dépendance vis-à-vis de Moscou.
En 1988, revirement et alliance contre
nature pour battre le PASOK corrompu et pro-américain. Le KKE et ses dissidents
forment une coalition de gauche et de progrès et s’allient à Nouvelle Démocratie,
parti de droite classique. Résultat catastrophique, le KKE perd 40% de ses
cadres.
En 1992, est constitué Synaspismos, à
partir des scissionnistes du KKE, d’éléments de gauche du PASOK, d’écolos et
d’extra-parlementaires. C’est là que se trouve l’origine de Syriza qui,
à cette époque, se définit comme un parti pluraliste prônant l’économie mixte
dans le cadre du capitalisme (comme Mitterrand en 1979/1982). En 1993, les
scores aux législatives et aux européennes (respectivement 3 et 5%) démontrent
que cette formation politique reste marginale, ce qui la conduit à se
rapprocher des mouvements sociaux dès 2000 : le tournant néo-libéral
commence à faire des ravages. Les plus droitiers de ce rassemblement
scissionnent en 2010 pour former DIMAR, espérant certainement acquérir plus
rapidement des postes ministériels ou de députés en se rapprochant du PASOK.
Synasprismos y gagne en cohérence et en radicalité d’autant que d’autres formations
rejoignent ce parti. Qui plus est son organisation de jeunesse est une
véritable pépinière dynamisant ce parti de cadres qui dès 2012 intègre par
ailleurs, de nombreux syndicalistes. Malgré les divisons politiques et
l’absence de corpus théorique solide, le Congrès de juillet 2013 marque un
tournant dans l’organisation d’un Front social (dit) unifié (Syriza). Tsipras
est élu président mais la minorité, « la plateforme de gauche »,
recueille 30.18% des sièges au comité central. Cette évolution reflète celle de
l’effondrement du PASOK ainsi que le rejet croissant des partis dominants
(PASOK et ND). 2012 est en effet l’année de l’essor électoral de Syriza (16.78
puis 26.84%). Le KKE stagnant, (8.15 puis 8.48) Syriza, acteur dominant de la
« vraie » gauche, après la défaite du PASOK se présente désormais comme un parti de gouvernement. Les divisons et la faiblesse de la droite
(ND) au pouvoir, son incapacité à élire un président de la République et les
élections anticipées vont permettre à Syriza d’accéder au pouvoir en se
présentant comme le parti anti-austérité attrappe-tout. Avec 36.34% des voix
(8.5 de plus que la droite) malgré la prime au gagnant, Syriza, pour former une
majorité parlementaire s’allie avec les « grecs indépendants » (ANEL),
une formation de souverainistes de droite.
4 types de stratégies avant et après la crise
financière
Est prônée d’abord une participation
au gouvernement en alliance avec le PASOK, pour former une espèce de gauche
plurielle. La débâcle électorale qui suit cette première période provoque un
changement de stratégie : le parti se situe désormais en concurrence avec
le PASOK et en 2000 entre en dialogue-intégration avec d’autres composantes
plus radicales. L’approfondissement de la crise grecque, la mise en œuvre des 1er
et 2ème mémorandums
austéritaires sont un catalyseur. Syriza soutient les mouvements de jeunesse et
les mouvements sociaux. Toutefois cette troisième stratégie plus contestataire
reste marquée par l’ambiguïté.
La politique austéritaire du PASOK
fera évoluer la direction de Syriza : du mot d’ordre de « gouvernement
de toute la gauche » on passe au « gouvernement de tous les Grecs
autour de Syriza « et à une prise de distance par rapport à la lutte des
classes pour prôner l’unité du peuple résistant et opprimé et la lutte
nationale contre la colonisation par la finance.
Le programme de Thessalonique lui-même
reste marqué par un réformisme radical. La rupture avec le capitalisme et
l’eurocratrie en est absente.
L’éradication des mémorandums qui est
prônée est conditionnée à une négociation sur le modèle allemand de 1953, de
même la suppression unilatérale ( !) de la dette est suspendue à un accord
avec les créanciers. Certes, les revendications issues des luttes populaires ne
manquent pas : réembauche des fonctionnaires licenciés, baisse des taxes,
augmentation du salaire minimum, des pensions les plus faibles et de l’allocation
chômage et mesures immédiates à caractère humanitaire.
Peut-on dès lors s’étonner que ce
réformisme ait été mis en échec face à la « conscience de classe ahurissante » de la troïka pour reprendre
les termes employés par Varoufakis ? L’aveuglement de la majorité de
Syriza est peut-être plus profond. Varoufakis, lorsqu’il était ministre des
finances, découvre la base sociale
interne dont dispose la troïka, tous ces corrompus et tous ces hauts
fonctionnaires aux revenus mirobolants protégés, voire mis en place par
l’eurozone, et son incapacité à les déloger, voire à réduire leurs
rémunérations. Par ailleurs, le poids des USA dans l’armée, jouant sur les
sentiments nationalistes et anti-turcs, n’est pas à négliger. Pour preuve les
manœuvres militaires de l’armée israélienne en territoire grec pour
expérimenter l’utilisation des hélicoptères Apache… et ce, avec l’agrément
public du ministre de la défense Kamenost, suite à l’accord conclu en juillet
2015 ! (1)
Serge Victor le 16.08.2015
(1) Voir à ce
sujet l’article d’Ali Abonimah « Grèce-Israël.
Un type d’accord sans précédent » sur le site A l’encontre du 16.08.2015
Source pour cet article : la
contribution de Lamprini Rosi dans l’excellente revue Savoir Agir n° 32