Syrie. Irak. Afghanistan…
Vers l’extension du domaine de la guerre ?
2ème partie
L’article
qui suit (comme celui paru sur le même thème dans PES n° 18) a été rédigé le 8
novembre 2015. Les évènements qui se sont produits depuis, confirment bien que
nous sommes dans une séquence d’extension du domaine de la guerre. Ils
n’infirment pas non plus la pérennité des deux coalitions (russe et
états-unienne) qui ont contribué et favorisé la perpétuation des conflits dans
cette région du monde.
En
effet, malgré les tentatives de Hollande/Le Drian, la grande alliance contre
l’Etat Islamique, ennemi principal, semble un mirage. D’ailleurs, la
reconduction des sanctions contre la Russie tend à le prouver. Il n’en demeure
pas moins que l’objectif affiché par les Etats-Unis, de fracturer l’appareil
d’Etat syrien, pourrait ouvrir une brèche dans l’aléatoire possibilité de
sortir de la guerre menée contre le régime de Bachar Al Assad. Cette issue
semble, pour l’heure, inatteignable. En outre, dans cette perspective, des groupes
islamistes » pourraient rejoindre les rangs de l’EI.
Les
attentats meurtriers au Liban, au Sinaï, à Paris et les réponses liberticides
apportées, surtout en France, démontrent que le piège de Daech
fonctionne : diviser les populations occidentales selon leurs confessions,
répandre la peur, le racisme et la haine, acculer les puissances occidentales à
intervenir militairement encore plus massivement contre le califat en espérant
rallier ainsi d’autres populations sunnites dans le monde, y compris en Asie.
D’ailleurs, la situation est à cet égard des plus préoccupantes en Malaisie. Au
demeurant, c’est d’abord l’extension de l’EI en Libye et en Afrique qui
inquiète les puissances occidentales, leurs alliés et leurs subordonnés.
En
outre, la pénétration unilatérale de l’armée turque en Irak, aux côtés des
Kurdes irakiens et ce, sans autorisation
du gouvernement irakien, démontre bien que la coalition occidentale hétérogène
risque à tout moment d’éclater tout en aggravant les contradictions entre
l’Iran et la Turquie, et au sein même de l’OTAN dont fait partie la Turquie.
Enfin,
au Yémen, la guerre meurtrière, menée par l’Arabie Saoudite qui a envahi ce
pays et formé à cet effet une coalition avec les pays du Golfe, connaît un
tournant dramatique : des hôpitaux bombardés, une concurrence mortifère
entre Al Qaïda et les partisans de l’EI aboutissant à des attentats contre les
membres de la clique qui prétend revenir au pouvoir. Quant aux Houthistes et
d’autres, ils résistent toujours… Tant est si bien que les Emirats Arabes Unis
ont décidé de se désengager militairement de ce bourbier, obligeant les Saoudiens
à recourir à des mercenaires venus de nombreux pays. Bref, de recourir à la
diplomatie guerrière du carnet de chèques…
Sans
qu’il faille réviser en quoi que ce soit l’analyse qui suit, et comme souligné
par les discussions qui ont eu lieu au sein du comité de réalisation à ce
sujet, il conviendrait de revenir sur l’origine, la nature et l’exacerbation du
conflit à caractère confessionnel, entre chiites et sunnites, et sur les possibilités
de faire émerger un régime syrien sans Bachar Al Assad, même si cette hypothèse
n’est, pour l’heure, qu’un leurre.
La stratégie des Etats-Unis après les « missions »
guerrières dévastatrices
En Somalie, en Afghanistan et en Irak,
elle a consisté à « pivoter » vers l’Asie et à se confronter avec la
Chine. C’est le sens qu’il convient de donner à l’exploitation du pétrole et du
gaz de schiste pour ne plus dépendre de son allié encombrant qu’est l’Arabie Saoudite,
suivie des Etats du Golfe. Il en est de même des négociations poursuivies avec
succès du Traité Trans-Pacifique. Pour autant, la surpuissance américaine ne
pouvait pas totalement se désintéresser du sort chaotique du Moyen
Orient : tout en se tenant à distance du charnier syrien, Washington
entendit affaiblir suffisamment le régime de Bachar Al-Assad pour imposer un
pouvoir d’obédience sunnite avec l’accord d’une fraction de l’appareil d’Etat
syrien. Il s’agissait dans cette hypothèse de ménager les intérêts de l’Arabie
Saoudite et de la Turquie, tout en affirmant la rhétorique des « lignes
rouges », l’utilisation des armes chimiques. La reculade sur les
bombardements au gaz asphyxiant fut rendue acceptable avec l’accord du
démantèlement des armes chimiques proposé et organisé par les Russes. Pour
Obama, il n’était pas question d’envahir la Syrie avec des GIs, mais de
continuer à utiliser les différentes
fractions rebelles comme chair à
canons pour affaiblir Assad. La même stratégie prévalait en Irak contre
l’EI. A l’automne 2011, Obama, contre
Hillary Clinton, la CIA et le Pentagone avait, en effet, imposé cette ligne
dans son refus d’apporter un soutien militaire direct à la rébellion. Les
Saoudiens, les Turcs devaient s’en charger. La détérioration de la situation
militaire, suite à la progression de l’Etat Islamique, la détermination des
Kurdes syriens et surtout l’intervention russe allaient modifier quelque peu cette orientation, tout comme l’accord
nucléaire avec l’Iran. L’Armée Syrienne Libre fut dotée d’armes antitanks mais
toujours privée de missiles sol-air contre les avions et hélicoptères syriens. Ce pari cynique repose à la fois sur la
certitude supposée que les Russes vont s’embourber en Syrie et qu’en
définitive, l’économie russe en récession ne pourra pas supporter l’effort
militaire qui lui est imposé. Cette
vision à plus ou moins long terme qui espère la déstabilisation interne, tant
de la Russie que de l’Iran, semble négliger plusieurs facteurs. L’état de
guerre renforce pour l’heure les pouvoirs de Poutine et des mollahs. Il
sous-estime la virulence des affrontements qui renforce les forces de l’Etat
Islamique qui déstabilise tous les régimes d’obédience sunnite, soutenus vaille
que vaille par les USA. La récente prise de Kunduz par les Talibans, la
réaction démesurée de l’aviation américaine en sont la preuve (cf encart Kunduz).
La décision de renoncer le 15 octobre au retrait des troupes US d’Afghanistan,
prévu pour janvier 2017, augure-t-elle un changement de stratégie ? A quoi
servent les 9 800 GIs présents s’ils se voient interdire de patrouiller,
si 5 500 d’entre eux restent cantonnés sur quatre bases : Bagram,
Kaboul, Kandahar, Jalalabad ?
Le soft Power semble avoir atteint ses
limites d’autant que l’engagement russe risque de lui tailler des croupières.
D’où la deuxième décision d’engager, outre les 3 000 conseillers US en
Irak, des troupes spéciales sur le terrain. La voie de la confrontation-concurrence-arrangement avec l’impérialisme russe est ouverte. Pouvait-il en être autrement
alors même que la coalition hétéroclite dirigée par les Etats-Unis contre l’EI
ne permet aucun résultat tangible et ce, malgré 7 000
« frappes » qui n’ont permis aucune victoire sur le terrain. Les
millions de dollars engloutis ont suscité la corruption généralisée du régime
irakien et permis l’entrée en force des Iraniens encadrant des milices chiites.
Il est désormais probable, dans l’hypothèse d’une montée en puissance des Russes
et des Iraniens dans cette région, que les faucons US reprennent langue au Pentagone
et ce, avant même la présidentielle américaine prévue le 20 janvier 2017.
Les alliés encombrants d’Obama
Des voix s’élèvent, en Occident, pour
affirmer que l’Iran serait, de fait, une force stabilisatrice dans la région du
Golfe et, qu’en définitive, il conviendrait de transférer la responsabilité du
chaos sur l’Arabie Saoudite. Cette « petite
musique » qu’accompagnent les visites de députés français à Damas,
prêts à pactiser avec le tyran, la visite à Moscou du vibrionnant Sarkozy,
annoncent-elles un basculement géostratégique ? Pas si sûr. En fait, cette
agitation révèle plutôt la déception
occidentale vis-à-vis du
« grand frère » américain, incapable de maîtriser la situation
chaotique que son pays a provoquée au Moyen-Orient. C’est plutôt un sauve-qui-peut
impuissant face à la vague des migrants
qui fuient les guerres et aux menaces d’attentats djihadistes en Europe. Ceci
n’empêche nullement les dirigeants européens, France et Allemagne en premier
lieu, de vendre des armes à l’Arabie Saoudite, à l’Egypte… Quant à Hollande et
Cie, depuis qu’il s’est transformé en pleureuse du « lâchage américain un samedi soir de la fin août 2013 »,
alors qu’il espérait monter à l’assaut de la Libye, il semble en retard d’une
guerre. « Ni l’EI, ni Bachar »,
c’est dépassé. C’est avec Bachar contre l’EI qui a le vent en poupe. Ceci dit,
Obama comme l’OTAN ont des alliés bien encombrants. Mises à part l’Union
Européenne inexistante, l’Allemagne sur la réserve, la France, plus ou moins
sur la touche, entend toujours être de la partie.
La France de Hollande et autres Valls, Fabius, Le
Drian
Tout semble indiquer que la politique
suivie prône le retour des faucons à la Maison Blanche et mise sur la
perpétuation de la guerre au Moyen-Orient pour faire des affaires, tous azimuts. Hollande, le frustré d’une
guerre, celle qu’il s’apprêtait à faire en Syrie, s’est précipité pour
reconnaître la peu fiable «coalition
nationale syrienne » comme « seul
interlocuteur légitime » anticipant ainsi l’effondrement rapide du
régime de Bachar Al-Assad. Peine perdue ! Lorsque l’Arabie Saoudite a
envahi le Yémen, Hollande s’est ingénié à renforcer l’armement de ses amis les
wahhabites, ceux qui exportent la vision la plus régressive de l’islam et sont
les coproducteurs involontaires des terroristes de l’EI : 30 patrouilleurs
pour 600 millions d’euros, des missiles de courte portée, 4 satellites espions,
pour 3 milliards, plus des matériels militaires qui seront livrés à l’armée
libanaise. Ce va-t-en-guerre pour l’industrie de l’armement française en fut
chaleureusement remercié. Il fut le seul chef d’Etat occidental à participer au
Conseil de Coopération du Golfe, cette coalition qui met à feu et à sang le Yémen
(5 000 morts dont la moitié de civils, 25 000 blessés, des hôpitaux
bombardés). Ce nouveau Guy Mollet reste aveugle face aux exactions perpétrées
par ce régime : les tortures pratiquées, l’oppression de la minorité
chiite, les peines de mort précédées de flagellations et pratiquées par
décapitation et crucifixion en place publique, ne l’affligent pas. En
représentant de l’impérialisme français, il prétend tirer les marrons du feu de
ces guerres meurtrières. Les sanctions contre l’Iran à peine levées, en bon
VRP, il s’est précipité, avec sa suite, afin d’y faire du business. Les volte-face
incohérentes ne le perturbent pas : en première ligne derrière les USA
pour bombarder l’EI en Irak, affirmant « ni l’EI ni ASSAD » et puis prétendant à la « légitime défense » pour
frapper en Syrie, il perturbe « l’ami
américain » qui entend bien marginaliser ce prétendant à un nouveau
partage d’influence au Moyen-Orient.
Le royaume wahhabite a pu espérer
affaiblir l’Iran, le Hezbollah libanais et se débarrasser de Bachar El-Assad.
La fourniture d’armes aux « rebelles » syriens et leur unification
partielle dans « l’armée de la reconquête » pouvait lui assurer le
proche effondrement du régime syrien. L’intervention russe change la donne,
tout comme leur enlisement au Yémen. La perte
d’influence sur les populations
sunnites est indéniable. En Irak d’abord, où elles furent marginalisées par
les chiites sectaires au pouvoir et ensuite par la domination de l’EI sur toute
une partie de ce territoire. Après la répression des Frères musulmans en
Egypte, les tentatives de réconciliation avec le Qatar n’ont pas refermé les
plaies. La Turquie conteste également cette hégémonie « religieuse »
pour y substituer une vision ottomane plus « moderne ». Plus
fondamentalement, le pouvoir wahhabite est affaibli. Le prix bas du baril de
pétrole pour concurrencer le pétrole de schiste américain fut non seulement une
impasse mais a surtout provoqué des difficultés économiques que l’on pensait
hier improbables. Le pouvoir qui, pour la première fois de son histoire, accuse
un déficit budgétaire a dû rapatrier 70 milliards de dollars placés à
l’étranger. Qui plus est, des divisions internes entre princes saoudiens
fragilisent ce pouvoir despotique aux abois. La corruption de la famille des
Saoud laisse augurer des luttes de clans fratricides. Le cri d’alarme du petit-fils
du fondateur du régime est à cet égard significatif : « nous approchons de plus en plus de
l’effondrement de l’Etat et de la perte du pouvoir ». Comme signes
d’Allah, l’effondrement d’une grue sur
la mosquée de la Mecque (plus de 100 morts) puis la tragédie sur les lieux
saints à l’occasion du ramadan (1 849 morts) semblent donner raison à
Téhéran comme à tous les djihadistes d’Al Qaida à l’EI, le régime saoudien a
failli face aux mécréants.
Comment réagir à l’intervention russe
qui vise surtout « l’armée de la reconquête » et l’Armée syrienne
libre ? S’incliner c’est nourrir la légitimité de l’EI, s’en accommoder en
espérant que la Russie diluera l’influence de l’Iran en Syrie est un pari
douteux, justifiant les attentats en Arabie Saoudite et c’est se heurter aux
religieux qui prêchent le djihad au sein même du royaume. Et les pétrodollars
ne peuvent pas tout. A preuve le retournement d’Al Sissi l’Egyptien, malgré les
3 milliards de dollars fournis pour payer les commandes de matériels militaires
russes et l’acquisition des navires Mistral dont la France s’est débarrassée.
Reste le deal alléchant proposé à Poutine : la commande de 950 véhicules
de combat d’infanterie, la promesse d’investir 10 milliards en Russie pour
affaiblir les sanctions européennes contre le relèvement du prix du baril de
pétrole et un droit de regard sur les livraisons d’armes à l’Iran. Ce jeu de poker
menteur révèle surtout la fébrilité du roi Salman, traité par certains de ses
proches « d’incapable ». Plus généralement, ce sont toutes les
monarchies du Golfe qui sont désormais sur la sellette de l’Histoire.
Sa stratégie initiale a volé en
éclats. Se présentant comme l’influence substitutive à l’Arabie Saoudite pour
incarner l’aile à la fois conservatrice et moderniste de l’islam sunnite, la
Turquie a pu apparaître comme la puissance s’opposant à la fois aux Etats-Unis
et à Israël. Défenseur des Palestiniens et des Frères Musulmans, la conjoncture
dite du printemps arabe lui fut dans un premier temps favorable. A cet égard, l’utilisation cynique du conflit syrien
a mis le régime syrien en difficulté,
tout comme les Etats-Unis. D’un côté Erdogan et les pétro-monarques
s’entendaient pour aider les rebelles syriens, de l’autre, Erdogan laissait
l’Etat islamique recruter des djihadistes en Turquie et refusait aux Etats-Unis
la possibilité d’utiliser la base militaire installée dans son pays pour les
bombarder. Ce double jeu visait à anéantir au plus vite le régime de Bachar Al-Assad
et à stopper l’influence grandissante des Kurdes de Syrie.
C’était sous-estimer Bachar al-Assad
et ses alliés iraniens et russes. La guerre se prolongeant, l’accueil de 2.2
millions de réfugiés, la résistance des Kurdes à Kobané ont mis Erdogan en
difficulté alors même que l’économie turque et les rêves de grandeur
autocratique indisposaient de plus en plus nombre de Turcs. La révolte de la
jeunesse à Ankara sur la place Ghezi allait faire basculer le régime dans la
répression. Les élections qui devaient confirmer la volonté de présidentialisation
du régime furent un fiasco. Dès lors, dévoilant sa véritable nature, le régime
despotique de l’AKP lança ses troupes à l’assaut des permanences du Parti légal
kurde et jeta son pays dans la guerre civile. Se présentant comme le seul
rempart de l’unité de la Turquie, la guerre contre le PKK assimilé aux terroristes
de l’EI reprit de plus belle. Si les nouvelles élections provoquées par le
refus d’Erdogan de partager le pouvoir lui furent apparemment favorables, son
dessein de présidentialisation automatique n’est pas atteint. Entretemps, la
fourberie d’Erdogan s’est retournée contre lui. Les partisans du califat
islamique ont provoqué des attentats meurtriers en Turquie même, à Ankara (plus
de 100 morts), à Diyarbakir (4 morts), à Suruc… Ils sont bien décidés à se
venger de l’autorisation donnée aux forces US d’utiliser la base américaine et de
son retournement contre les cellules dormantes installées en Turquie. La police
turque s’attaque désormais aux 3 000 djihadistes qu’elle a laissé s’installer,
à cette « autoroute djihadiste » qu’était devenue la Turquie. Un
autre danger de démembrement de la Turquie apparaît. Outre la sécession kurde à
l’Est, le territoire situé de part et d’autre de la frontière avec la Syrie
fait resurgir la vieille revendication d’autonomie du Sandja d’Alexandrette. En
1939, la Turquie a incorporé unilatéralement ce territoire, avec l’accord de la
France coloniale occupant par mandat de la SDN la Syrie.
Eradiquer les forces kurdes en Syrie
semble désormais hors de portée d’autant que les dernières violations de
l’espace aérien turc par des avions de combat russes sonnent comme un
avertissement. Qui plus est, si, comme c’est possible, Alep tombait aux mains
de l’armée syrienne avec l’appui des Russes et des Iraniens, ce serait, comme
l’estiment certains experts, 2 à 3 millions de réfugiés qui s’achemineraient
notamment vers la Turquie. « L’acteur
le plus cynique et le plus manipulateur » comme le désigne le
journaliste Olivier Zajec(1), peut compter sur la pusillanimité des Européens
affolés. L’UE, Merkel en tête, lui a proposé 1 milliard d’euros pour contenir
les exilés contre des visas pour les travailleurs turcs. Elle semble toute
disposée à fermer les yeux sur les exactions du régime, sa presse muselée, sa
justice aux ordres et sa police répressive. Quant aux Russes, ils détiennent
une arme redoutable : la dépendance énergétique de ce pays vis-à-vis du
gaz russe (60% de son approvisionnement). Déjà les projets de gazoduc et de
construction d’une centrale nucléaire ont été repoussés.
Bref, l’autocratie turque vacille et
ce, malgré les succès de l’AKP aux dernières élections. La vision de reconquête
ottomane n’est plus de mise. Quelle va être l’attitude d’Obama vis-à-vis de ce
membre de l’OTAN alors que Russes et Américains sont en concurrence afin
d’aider les Kurdes syriens à combattre l’Etat islamique pour des motifs
différents ?
… et de quelques autres : Israël, Egypte, les
Kurdes, l’OTAN…
Netanyahou
semble tétanisé
par l’effacement régional des USA et l’apparente convergence
Washington-Téhéran. Tous ses efforts pour contrecarrer l’accord sur le
nucléaire iranien ont été vains. Qui plus est, la poursuite de la colonisation
de la Palestine, les provocations sur les lieux saints de Jérusalem, qui sont
sous administration jordanienne, ont suscité la révolte palestinienne ; elles ont aiguisé les
contradictions avec le roi de Jordanie. La dérive extrémiste et religieuse
(Etat juif) semble de plus en plus incontrôlable et ne peut que renforcer la
déterminations des rebelles salafistes et djihadistes dans le Golan occupé.
L’intervention russe provoque une grande
fébrilité d’autant que l’aviation israélienne a continué de bombarder
clandestinement les convois d’armement destinés au Hezbollah au Liban et que la
Russie entend livrer avant la fin de l’année ses missiles S300 à l’Iran. Le 21
septembre, Netanyahou s’est en effet précipité à Moscou pour tenter de négocier
avec Poutine « le futur ordre régional » dans cette région. Si la
Russie souhaite certainement éviter un clash avec Israël, elle n’est pas maître
de la situation explosive du Liban et de la capacité du Hezbollah à s’imposer au
Liban Sud, voire de menacer Israël en cas d’incursions.
Quant
à l’Egypte d’Al Sissi,
au grand dam de l’Arabie Saoudite, elle a applaudi l’intervention russe en
Syrie, tout comme les Emirats Arabes Unis et la Jordanie. Tous ces régimes
fragiles sont en effet menacés par l’hydre islamiste de l’EI qui conteste leur
légitimité. Al Sissi a fort à faire au Sinaï et à la frontière égypto-libyenne.
Un appui des Russes serait… bienvenu.
Bref, toutes ces dictatures et tous
ces pouvoirs réactionnaires rendent la coalition sous l’égide des Etats-Unis de
plus en plus équivoque.
Restent les Kurdes syriens, « jaloux » de leur autonomie,
efficaces dans le combat contre l’EI, que les USA soutiennent par des frappes
aériennes contre leurs ennemis et par la livraison d’armes (50 tonnes de
matériels auraient été livrés par parachutage). Le PYD, ce parti considéré comme une branche du PKK, est courtisé également par les Russes qui
prétendent le protéger de la vindicte d’Erdogan. Une délégation du PYD a
d’ailleurs été reçue dernièrement à Moscou.
Il semble donc que les USA ne
contrôlent plus grand-chose, même pas le gouvernement irakien qui s’est tourné
vers l’Iran, pas même les Kurdes irakiens dont les divisions et la corruption
freinent toute offensive au sol contre l’Etat Islamique et l’Irak, explosée en
trois partie distinctes, Kurdes au Nord, gouvernement chiite au centre et au
Sud-ouest, l’EI). Pour Obama, sortir de ce guêpier est un dilemne sans
solution !
Il semble même impensable de réitérer
une opération du type de celle mise en œuvre en Syrie où l’OTAN est intervenue
en alliance avec l’aviation du Qatar pour le résultat que l’on connaît :
deux gouvernements qui s’affrontent, un troisième nommé par le représentant de
l’ONU et l’apparition de l’EI sur toute une bande côtière…
Au
quartier général de l’OTAN on a d’autres chats à fouetter ou plutôt à caresser.
Ne pas accroître les divisions de l’Europe, rassurer les pays de l’Est, en
particulier la Hongrie et la Slovaquie effrayées par l’ours russe et la
partition de fait de l’Ukraine. De surcroît, la Turquie, membre de l’OTAN,
imprévisible tout comme la Russie poutinienne, inquiètent le quarteron des
généraux qui phosphorent sur ces nouvelles « guerres hybrides ».
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Tout ce qui précède tend à démontrer
que l’extension du domaine de la guerre dans les pays voisins de la Syrie,
n’est pas à exclure. Le maillon le plus faible qui pourrait céder, c’est le Liban.
Encore que d’autres affrontements en Turquie, en Jordanie, dans le Golfe
persique, sont potentiellement possibles. L’EI est ses « métastases »
sont loin d’avoir été vaincues. La Turquie, qui désormais entend bloquer l’autoroute
du recrutement de djihadistes qu’elle a laissé perdurer, est en passe de
connaître, outre la guérilla kurde, des attentats de représailles des
« fous d’Allah ». La délégitimation d’Erdogan prendra du temps mais
le processus est en marche.
Pour conserver son avantage, Poutine,
comme il l’a fait en Tchétchénie, pourrait à la fois faire preuve de la plus
grande brutalité guerrière, provoquant encore plus d’exilés fragilisant ainsi
la Turquie et les Etats de l’Union Européenne et, par ailleurs, exercer une
diplomatie qui le place en arbitre de la situation. N’a-t-il pas déclaré que
« le règlement politique en Syrie ne
peut se faire qu’avec la participation de toutes les forces politiques
ethniques et religieuses » excepté les terroristes qu’ils soient
« modérés » ou apocalyptiques.
En d’autres termes, la pétaudière du
Moyen-Orient qui ne ravit que les marchands de canons est encore loin d’aboutir
au grand marchandage à venir. Certes,
de grandes manœuvres souterraines sont déjà à l’œuvre, comme le lâchage d’Assad
contre le Donbass ukrainien qu’évoquent certains commentateurs. Restent deux
inconnues de taille. D’une part, la réaction des Etats-Unis qui ne peuvent rester
l’arme au pied, et, d’autre part, une absence de taille pour l’heure, celle
d’une nouvelle irruption des peuples, à l’instar de celle des printemps arabes,
qui bouleverserait les plans des puissants.
Gérard Deneux, le 8 novembre 2015