Assignez-moi !
Lettre ouverte
à envoyer à
Monsieur le
Ministre de l’Intérieur,
Je demande mon
assignation à résidence, dans les meilleurs délais.
Il se trouve
en effet que je partage l’essentiel des convictions de nombre de militants
écologistes, altermondialistes et autres squatteurs qui ont fait tout
récemment, par dizaines, l’objet de cette mesure administrative, dans le cadre
de l’état d’urgence mis en place à l’issue des attentats du 13 novembre
2015 :
Je suis l’adversaire déclaré des aventures
militaires néocoloniales actuellement conduites au nom de la France et d’un
« droit de légitime défense » parfaitement nébuleux.
Je trouve abject votre projet d’inscrire
dans la Constitution de notre pays la possibilité de déchoir de leur nationalité
des binationaux présumés coupables, mesure distinctement inspirée par le Front
National auquel, au demeurant, vous prétendez « faire barrage ».
Je trouve odieux que des musulmans fassent
l’objet d’une assignation à résidence du simple fait qu’ils tiennent une sandwicherie
halal ou fréquentent une mosquée estampillée comme suspecte – ou du simple fait
qu’ils sont musulmans ou étiquetés comme tels.
Je me refuse à me désolidariser des
réfugiés (aujourd’hui par vous assimilés à des terroristes) avec lesquels je me
bats pour qu’ils-elles puissent vivre là où bon leur semble.
Je ne renoncerai pas à manifester auprès
des collectifs des quartiers populaires qui, de Saint-Denis à Moellenbeek,
n’ont pas attendu le 13 novembre pour vivre en état d’urgence (et, depuis des
décennies, pour pleurer leurs morts des
suites de « bavures policières »).
Je m’oppose formellement au projet de construction
d’un nouvel aéroport dans la région de Nantes et, pour cette raison, me déclare
solidaire des Zadistes qui occupent la zone contestée.
Je suis scandalisé-e par le fait que
l’enquête concernant la mort de Rémi Fraisse, tué par un gendarme, ait été
confiée à la gendarmerie.
Je me suis délibérément abstenu-e de
pavoiser au jour dit, ceci au mépris des consignes expressément dispensées aux
citoyens par les services de l’Etat.
Je considère que l’état d’urgence rendant
possible, dans les conditions expéditives que vous savez, ma propre assignation
à résidence (comme celle de tant d’autres) constitue une atteinte caractérisée
aux droits des citoyens et aux libertés publiques – à commencer par l’interdiction
de manifester. J’y vois l’ébauche d’un régime policier du plus mauvais aloi. Ce
simple fait devrait suffire amplement à justifier l’exécution de la mesure
susmentionnée.
Je ne doute
pas un instant que vos services sauront utilement compléter ce tableau
attestant ma dangerosité et rendant nécessaire mon assignation à résidence –
ceci que mon nom figure ou non parmi ceux des suspects enregistrés sou la
lettre »S ».
Si ces messieurs-dames
de la police pouvaient, simplement, lorsqu’ils viendront me notifier cette
mesure de salubrité publique, se dispenser de faire voler en éclats ma porte
(que je suis tout-e disposé-e à leur ouvrir dès le premier coup de sonnette, à
toute heure du jour ou de la nuit) et de dévaster mon logement dans lequel les
livres, les ustensiles de cuisine et les kits de jardinage comptent en plus
grand nombre que les armes de guerre, je leur (et vous) en vouerais une
reconnaissance durable.
Dans l’espoir
que ma démarche saura retenir votre attention, je vous prie, Monsieur le
Ministre, etc., etc.
Lettre ouverte
à monsieur le ministre de l’Intérieur. Liste des premiers signataires
Olivier Le
Cour Grandmaison, Alain Brossat, Sidi Mohamed Barkat, Philippe Bazin,
Jean-Claude Amara, Jean-Cyril Vadi, Michèle Sibony, Laurent Cauwet, Sylvie
Tissot, Catherine Samary, Isabelle Bettinger-Théaud, Farid Bennaï, M’hamed
Kaki, André Rosevègue, Saïd Bouamama, Jacques et Françoise Salles, Orgest Azizaj,
Michelle Chadeisson, François Gèze, Sandrine Amy, Christiane Passevant, Norman
Ajari, Gilbert Achcar…