La société au bord de la crise de nerf
Et comment pourrait-il en être
autrement quand se conjuguent exaspérations et expectative, rejet et désintérêt,
face à la réalité de l’atmosphère irrespirable remplie de miasmes perturbateurs
qui font suffoquer les plus endurcis : les paysans qui n’en peuvent plus
de libre-échange étouffés par les gros agrariens de la FNSEA, ces salariés qui
saluent la mobilisation contre la loi El-Khomri mais qui, dans leur grande
masse, sont tétanisés par l’ambiance délétère du chômage, de la précarité et
saturés de la peur du terrorisme jusque dans leurs habitations par TV
interposée. Ces Nuits debout où l’on
glose à satiété sur la démocratie réelle, la 6ème République, mais où
l’on hésite à soutenir le mouvement social et l’on reste sans réelles
perspectives… Et face aux exilés qui reconstruisent toujours des bidonvilles, ces
pauvres sur les trottoirs parisiens, se mêlent élan de solidarité et,
contradictoirement, xénophobie et « pauvrophobie ». Et puis vient la
jacquerie de la maison poulaga. Cette
basse-cour se révolte contre le surmenage de la base, les gardes statiques qui
délaissent les gros malfrats et les petits délinquants. Certes, parmi les
pandores beaucoup sont proches du FN mais leur ras-le-bol est surtout dirigé
contre leur hiérarchie, contre le syndicalisme clientéliste de collaboration
avec l’Etat. Ils n’ignorent pas que la Cour des comptes a dénoncé la gabegie de
cette cogestion qui représente 54 millions d’euros par an, soit 1 000
emplois à plein temps.
Et pratiquement toutes les franges de
la société de se lamenter, de rejeter la caste politicienne et en redemander,
car les choix électoraux ne peuvent être que des choix par défaut. On vire
Sarko pour Hollande à défaut de l’inénarrable Strauss Khann que les médias avaient
(en son temps) présenté comme le meilleur économiste. Puis le macho-libertin
ayant sombré dans les arcanes judiciaires, la construction médiatique du
bonasse Hollande présenté comme un habile tacticien ne promit finalement que de
la (dé)confiture. Et les primaires nous resservent les plats. Les éditocrates
font les yeux doux à Juppé. Sarko, le camelot de la droite extrême se démène
encore malgré toutes les casseroles qui l’entravent et le FN attend de récolter
la mise.
Overdose qui creuse toujours plus le
fossé entre les dirigeants autoproclamés et les dirigés médusés. C’est dans ces
conditions que le Président (a)normal se déboutonne et met la hollandie en charpie. Tous les solfériniens en conviennent, celui qui
bavasse pendant des heures avec les journalistes pour se trouver le meilleur en
son miroir, se déballonne pour rabaisser ses collaborateurs : leur « peu d’envergure », leur « manque de charisme » (Bartolone),
les « inaudibles »
(Ayrault), voire la « formatée à la
langue de bois » (Belkacem). Il s’en prend aux juges qui ne seraient
pas seulement des « petits pois »
(Sarko, sic) mais des « lâches ».
N’en jetez plus ! Les « ploucs »
(Sarko) ou les « sans dents »
que l’on méprise vont-ils réagir ? La crise de nerf n’annonce-t-elle pas
les pleurs à venir ? A en croire les sondages en effet, en dehors des
abstentions qui viennent, faudrait choisir contre la Hollandie en déroute, la droite Juppérienne
qui promet le report de 2 à 3 ans de l’âge de la retraite, 4 heures de travail
hebdomadaire supplémentaires, la suppression de l’impôt sur la fortune, la
hausse de la TVA, la dégressivité des allocations chômage, la suppression de
300 000 à 500 000 fonctionnaires(1). Cette purge thatchérienne,
annoncée en mode despotique à coups d’ordonnances, démontre, s’il en est
besoin, que les élections en l’absence d’une perspective de la gauche de gauche
et d’une mobilisation sociale d’ampleur sont inutiles. A l’heure où le
néolibéralisme est de plus en plus rejeté, où les classes moyennes croient
encore pouvoir s’en sortir, où les rancoeurs attisent la xénophobie, la
crise de nerf risque de durer…
(1) Lire l’édito
de Serge Halimi dans Le Monde
Diplomatique, novembre 2016