Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 9 novembre 2016

Le Brexit et après… (suite)
Vers une nouvelle crise financière ?

Comme annoncé dans le précédent numéro, le Brexit n’est que l’une des formes que prend la crise du capitalisme financiarisé. Il n’est pas question, dans le contenu limité de cet article, de rendre compte de toutes les fragmentations, contradictions qui accompagnent le processus de délitement actuel qui parcourt le monde. Certes, ce qui occupe le devant de la scène, la fièvre nationaliste et xénophobe, les guerres et ce que l’on dénomme sous le vocable de terrorisme, sont dramatiques. Mais, de façon plus souterraine, l’état de l’économie financiarisée après la crise de 2007-2008 est tout aussi alarmant. Quoiqu‘on en dise, la crise est toujours là, les banques privées toujours malades ; quant aux banques centrales, tout comme les Etats, elles n’arrivent pas à la maîtriser, pire, elles aggravent pour partie le mal endémique du système, accentuant l’exacerbation des contradictions sociales. Les éléments d’analyse qui suivent se limiteront pour l’essentiel à la situation européenne.

1 – Des banques prives toujours malades

Dans sa dernière estimation - les fameux stress-tests - l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) déclarait à son issue que 51 banques sur 130, représentant  70% des actifs bancaires, sont défaillantes. 30% de leurs crédits sont « pourris », « le scénario catastrophe est toujours à l’ordre du jour ». Ce rapport n’a toutefois pas rendu publics les prêts défaillants. La Banque Centrale Européenne (BCE), échaudée peut-être par l’échec de cette institution l’ABE n’ayant pas détecté en 2010-2011 les failles des établissements bancaires irlandais et grecs au bord de l’implosion, a estimé, pour sa part, que 56 banques étaient défaillantes, dont 25 complètement « vérolées ». Les exemples qui suivent, en mettant sous le boisseau les plus connus (Grèce, Portugal, Chypre, Irlande(1), Autriche(2), indiquent l’ampleur du phénomène et les tentatives désespérées, voire désespérantes, pour y faire face.

Au Royaume Uni
On sait que la City est pratiquement la première place financière mondiale. Sans examiner l’état d’une banque particulière, mise à part la suppression de 3 000 postes à la Lloyds ainsi que la fermeture de 200 agences dans le pays, force est de constater l’effort (démesuré ?) de la banque centrale, la Banque d’Angleterre, pour sauver les banques privées(3) : injection massive de liquidités et, dernièrement, 70 milliards de livres en plus (82 milliards d’euros), ce qui porte la manne à 445 milliards de livres ; soutien aux banques en difficultés de 100 milliards de livres pour qu’elles puissent continuer à accorder des crédits notamment dans le bâtiment, l’industrie et les services ; rachat d’obligations (emprunts) d’entreprises pour un montant de 10 milliards. Et ça n’a pas l’air de suffire puisqu’il a été question d’imposer un taux  négatif pour les comptes d’épargne. Ce véritable racket des épargnants n’a pas eu lieu… sous prétexte euphémisant de la « peur d’effets pervers ». Le taux d’emprunt à la banque centrale, dit taux directeur, a été quant à lui baissé de 0,50 à 0,20%.

En Italie
360 milliards d’euros de créances douteuses accumulées dans ce pays. Le cas le plus emblématique, c’est Monte dei Paschi (MDP). Cette banque la plus vieille du monde créée en 1472, possèderait 27,7 milliards de crédits irrécouvrables, la BCE lui ordonnant de se débarrasser au plus vite de 9,2 milliards de crédits pourris. Pour ce faire (comme dans le cas de Daxia en France et en Belgique), une banque pourrie appelée « véhicule spécial »… accumulerait tous ces « déchets », en espérant à l’avenir pouvoir les recycler par la revente et… la spéculation(4). Pour avoir prêté à des PME désormais en faillite et de manière inconsidérée, cette banque chute dans un trou noir. Ses actions ont perdu 80% de leur valeur entre janvier et juillet de cette année et, au troisième trimestre, ses pertes nettes représentent 1,15 milliard d’euros. Le plan de sauvetage prévoit 5 milliards d’euros à trouver pour la renflouer, la suppression de 2 600 postes et la fermeture de 500 agences. Malgré tout, et au-delà de cet exemple, les classes dirigeantes européennes craignent la contagion de la crise bancaire italienne au reste de la zone euro. Mais « ça va mieux » comme dirait Hollande ! 

En Allemagne
La célèbre Deutsche Bank est au bord du gouffre. Cette banque mondialisée (plus de 100 000 salariés dont 4 000 en Allemagne) dont le bilan représenterait (virtuellement !) 58% du PIB du pays, est non seulement menacée d’une amende de 14 milliards d’euros par l’administration états-unienne et ce, pour « fraude » au sub-primes, mais elle est devenue, aux dires des commentateurs, « un énorme fonds spéculatif » dirigé par un « club d’arrogants », un « repaire de parieurs ». En fait, tout a commencé dans les années 80 de dérégulation financière, cette banque, fierté nationale, adoptant la culture anglo-saxonne néo-libérale, s’est lancée à la conquête de la bancocratie mondiale par les moyens de fusions-acquisitions (Morgan Grenfell anglaise, les Bankers Trust US), tout en se dotant de traders aux bonus mirobolants et afin de spéculer sur des produits financiers à risques. Avant même la crise trop d’investissements spéculatifs et de crédits hypothécaires US ont été revendus à prix d’or ; et puis ce processus s’est accumulé sous forme de manipulations sur les marchés des devises, du carbone et sur le taux interbancaire Libor. La rigueur allemande, cette illusion propagandiste, masquait la grande fraude systémique de la première banque allemande qui est l’objet de 7 000 litiges. L’abcès purulent du rapace a été crevé, des milliards d’euros dépréciés et des milliers d’emplois vont être supprimés. Mais, à vrai dire, la Commerce Bank n’est guère dans un meilleur état. Malgré l’entêtement rigoriste affiché par Merkel, on voit difficilement le gouvernement allemand rester passif face à l’insolvabilité potentielle de ses plus grandes banques. Quoique, élections obligent, il semble temps d’attendre… la catastrophe annoncée. 

2 – Mais que fait la BCE… tout ce qu’elle peut ?

Cette institution qui fait partie et doit soutenir la bancocratie européenne connaît une situation ambigüe. Les banques privées redoutent les exigences nouvelles, lui imposant la détention de fonds propres qui les bride, refusent la séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement. Elles entendent continuer à utiliser l’argent des déposants pour spéculer. Elles s’opposent par ailleurs à la suppression des paradis fiscaux qui leur permettent, par l’intermédiaire de leurs filiales, de s’exonérer d’une imposition qu’elles jugent trop lourde. Elles réclament des liquidités pour se recapitaliser face aux pertes qu’elles ont subies à cause de leur propre cupidité. Elles s’effraient de voir leurs actionnaires les déserter au profit d’emprunts d’Etat peu rémunérateurs mais… plus sûrs.

La BCE, elle, fait tout ce qu’elle peut pour tenter de relancer les affaires, la fameuse croissance. Son taux directeur, les prêts qu’elle consent aux banques privées, a été ramené à 0%, comme pour dire aux banques privées, avec cet argent scriptural vous pouvez prêter à des taux bien plus avantageux. Las, les banques n’osent plus d’où leurs excédents qu’elles replacent à la BCE pour les faire fructifier. Las, la BCE s’est fâchée, désormais ces placements seraient inscrits à des taux négatifs pour les inciter à prêter plutôt qu’à thésauriser. Mais, hélas, ça ne marche pas ! Alors la BCE s’est lancée dans un programme dit ambitieux de rachat de dettes privées détenues par les banques puis par les grandes entreprises, et ce, excusez du peu, à raison de 80 milliards d’euros par… mois. Mais ce jusque mars 2017… enfin décembre, et puis, après, ce sera une réduction progressive de ces rachats. Elle a entrepris de fixer la liste de 175 multinationales qui peuvent en profiter dont AXA, TOTAL, LVMH, SANOFI, BMW, BASM, Daimler, La Poste, EDF… JC Decaux… Et pourtant, ceux-ci n’ont aucune difficulté à se financer auprès des marchés mais on espère, en haut lieu de l’expertocratie, que ce coup de pouce lucratif pourrait se diffuser sur les PME et sous-traitants qui se financent auprès des banques. L’objectif affiché est d’arriver à faire baisser le coût de financement des grandes entreprises, en espérant que cet effet dopant leur permettra d’accroître leur production et de gagner de nouveaux marchés… au détriment d’autres concurrents. Mais toutes les banques centrales mettent en œuvre cette même politique à somme nulle, sauf dégâts collatéraux de faillites et de concentration capitaliste. Objection ! Cette politique en Europe va faire baisser l’euro par rapport au dollar et donc diminuer le coût des produits importés… mais augmenter le prix des produits exportés : concurrence vous dis-je ! En tout état de cause, l’addiction à ces mesures et à l’argent facile rend la tâche de retrait difficile. Ces béquilles, si elles étaient ôtées, feraient remonter le coût des emprunts et mettraient encore plus en difficultés des pays comme le Portugal.  

Bref, face à la stagnation, la crainte de la récession, la mévente et la baisse des prix qui pourrait s’enclencher, il faut bien faire quelque chose monétairement parlant et même se réjouir d’une remontée du prix du pétrole pour augmenter un peu l’inflation et éviter la déflation catastrophique. Et Draghi, le monseigneur de la BCE, de tempêter : la BCE ne peut pas tout, c’est aux gouvernements de faire des réformes structurelles pour baisser le prix de la force des travailleurs, ces manants coûtent trop cher. Pas si simple pour les gouvernants !

3 – D’autres moyens pour tenter de juguler l’apparition d’une nouvelle crise ?

Certes, la BCE n’est pas responsable de tous les maux, même si ses interventions risquent d’aggraver le mal en provoquant l’éclatement de bulles financières au sein de cette institution. Face à la gravité de la situation on entend même des néo-libéraux entonner des chants keynésiens, les grands travaux, la hausse des rémunérations en Allemagne… mais l’appel aux Etats surendettés ne rencontre pour l’heure aucun écho. Pour la plupart, sauver une nouvelle fois les banques semble impensable au regard de leurs opinions publiques ou impossible vu leur situation financière. De nouvelles nationalisations temporaires ou des garanties d’Etat sont improbables pour l’heure. En France, pour ne prendre que cet exemple, la dette publique s’élève à 2 137,6 milliards d’euros, elle a doublé depuis 2002 pour atteindre 97,5% du PIB. Malgré la baisse du taux d’emprunt, les intérêts de la dette sont passés de 37 à 42 milliards d’euros.

Reste l’accentuation de la déréglementation pour relancer le commerce mondial. Les faillites récentes de sociétés de tankers et la concentration-absorption dans ce secteur inquiètent tout autant que le ralentissement chinois. Alors plus que jamais, pour l’Europe et l’Amérique, le Grand Marché Transatlantique (TAFTA), le CETA (Canada/UE) semblent la solution pour l’oligarchie occidentale. L’épisode wallon et l’espoir qu’il a fait naître, furent de courte durée. Pour Jean Claude Junker, président de la commission européenne, « il n’y a rien de changé, tout est affaire d’interprétation » comme l’assurance que la protection sociale ne serait pas affectée ou la possible clause de retrait si les produits agricoles européens venaient à en souffrir. Quant aux tribunaux d’arbitrage, ils ne seraient mis en place qu’après la période dite d’application transitoire ; Charles Michel, le premier ministre belge, a été encore plus catégorique « pas une ligne du traité n’a été modifiée ». Mais la messe n’est pas dite. Le Parlement européen donnera certainement son feu vert. La ratification des 28 parlements nationaux semble plus problématique car la mobilisation va s’amplifier. Le néo-libéralisme a désormais du plomb dans l’aile et nombreux sont convaincus que le CETA est le cheval de Troie du TAFTA étatsunien. D’autant que l’Union européenne a d’autres traités bilatéraux en instance.

Demeure également pour le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE, la baisse drastique de la masse salariale : réduction du nombre de fonctionnaires, baisse des prestations sociales et des salaires. Tous s’y essaient en rencontrant plus ou moins des résistances défensives. Le recours aux mini-jobs, aux contrats courts, bref, à la précarité, semble une voie plus assurée car elle ne rencontre pas la même vivacité d’opposition syndicale dans un milieu atomisé. Quoique l’exemple des travailleurs détachés, cette concurrence entre nationaux et étrangers est venu buter sur les protestations syndicales. Cette forme de surexploitation occasionnant la baisse des salaires a profité aux capitalistes allemands (400 000 travailleurs détachés), français (229 000), belges (160 000). Le recours à des sociétés boîtes aux lettres loueurs de bras venus d’ailleurs provoquant de la sous-traitance en cascades, ce dumping social est devenu trop scandaleux. La vertu outragée de la Commission, face aux prétendus abus sur lesquels elle se voilait la face, l’a amenée à réagir. Un projet de révision de la directive de 1996 prévoit que ces travailleurs détachés, outre qu’ils devraient être payés au SMIC, pourraient prétendre à un treizième mois, à des anciennetés de carrière… voire à la prime de Noël. Tollé des  gouvernements croate, roumain, lituanien, lettonien, slovaque. Contre cette pudique avancée sociale annoncée, ils invoquent la subsidiarité (c’est à nous seuls de décider), prétendent que « leurs » nationaux sont stigmatisés. Ces nationalistes n’entendent pas que s’installent, à l’ouest, ces expatriés, y fassent venir leurs familles ce qui priverait ces pays et leurs dirigeants de précieuses devises qu’ils envoient à leurs familles. La paix sociale nationale est à ce prix. La Hongrie d'Orban compte 400 000 détachés expatriés ! C’est pas la veille que la directive de 1996 va être réformée.

Entretemps, les licenciements et la précarité s’amplifieront. Certains pensent que c’est la seule solution, il suffit de mettre au rencart définitivement les inaptes, les déclassés, les surnuméraires en leur laissant un revenu minimum, baptisé universel. Ainsi les prestations sociales et les administrations qui les servent seraient « dégraissées ». Ces libertariens gagnent du terrain idéologique (5), ils appuient d’ailleurs leurs propos sur le développement des nouvelles technologies.

Modernisation, vous dis-je ! Il y a bien sûr le recours à cette nouvelle économie dite collaborative où ceux qui gèrent les plateformes encaissent les dividendes des ordres qu’ils donnent à ceux qu’ils emploient sans aucune couverture sociale. Mais des autoentrepreneurs fictifs ont porté plainte. La condamnation de ces sociétés en Grande-Bretagne pourrait être un sérieux coup de frein à l’expansion de cette nouvelle forme d’exploitation(6). On envisagera peut-être demain que ces bricoleurs informatiques avaient un train de retard. Le mieux n’est-il pas de remplacer l’homme toujours rétif par la machine passive. Et c’est bien ce processus qui semble en marche aux USA. Remplacer l’homme par des algorithmes a d’abord frappé les cols bleus, désormais sont touchés les avocats, les comptables, les analystes financiers. Les camions sans conducteur sont apparus sur les routes du Nevada en 2015. Or, les sociétés de chauffeurs de camions sont les premiers pourvoyeurs d’emplois dans 29 Etats. D’après Andrew Stern, ex-président du syndicat des employés de services, 3,9 millions d’emplois sont menacés ainsi que plusieurs milliers dans les assurances, la réparation mécanique, la restauration… Autrement dit, la crise financière pourrait se conjuguer avec une crise sociale d’ampleur, voire une crise économique déstabilisant l’industrie. Des effets de déséquilibre entre le secteur de construction des moyens de production et de transport d’un côté et le secteur de production des biens de consommation de l’autre sont susceptibles d’affecter toute l’économie. Mais le pire n’est jamais certain.

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Les éléments financiers et économiques relatés ci-dessus suggèrent qu’une crise financière de plus grande ampleur que celle de 2007-2008 pourrait survenir à tout moment. Le Brexit, dès qu’il sera mis en œuvre, sera-t-il une accélération ; la bulle immobilière dans ce pays ou en Chine sera-t-elle l’élément déclencheur ou s’agira-t-il des prêts-étudiants aux USA, voire l’effondrement des valeurs technologiques boostées jusqu’à la déraison dans leur mise en Bourse ? Il est pour l’heure impossible de répondre à ces questions d’autant que le système peut trouver des solutions provisoires pour différer, restreindre le cataclysme à venir. L’un des remèdes majeurs que nous avons évoqué consiste à surexploiter la force de travail employée qui appelle, contradictoirement, la résistance, la mobilisation des salariés. Toutefois, au-delà de cette lutte de classe, les surcapacités productives bridées par la difficulté à écouler les marchandises produites demeureront. En tout état de cause en effet, le fait d’injecter un tombereau de liquidités (de capital « fictif », ce que font les banques centrales et les banques privées avant la crise) repose sur une hypothèse des plus fragile. La finance introduite ainsi n’est en effet qu’un à valoir sur la richesse produite en fin de course. Le cycle emprunt-production-vente s’il n’est pas poursuivi jusqu’à son terme, produit inévitablement des dérèglements du système même si, en aval, la finance a pu de manière illusoire, ponctionner le capital industriel et le capital commercial.

D’autres phénomènes propres à ces dérèglements sont tout aussi inquiétants. Les résistances quant aux effets sur les corps sociaux, comme on le sait, peuvent prendre la forme de replis égoïstes, nationalistes et xénophobes, plutôt que de se concentrer, notamment, sur la réduction du temps de travail et la contestation radicale des castes politiciennes qui prétendent continuer à prôner des solutions contre le Bien commun. Crises financière, économique, sociale sont intimement liées. Encore faut-il y ajouter la crise écologique dont, d’ailleurs, nous ne parlons pas assez dans notre périodique.

Gérard Deneux, le 31 octobre 2016


(1)   Sont particulièrement sur le grill, Allied Irish Bank, Bank of Ireland 
(2)   En Espagne, Banco Popular et en Autriche, Raiffeisen
(3)   N’ayant pas accepté l’euro, le Royaume « Uni » dispose toujours de sa banque centrale et de banques privées émettant des livres.
(4)   Pour illustrer ce mode de recyclage, il suffit d’évoquer le cas de l’Espagne. Des villes vides, voire inachevées, ont pu être vendues à des résidents étrangers, Russes, Français… sans pouvoir éponger toutes ces créances.
(5)   Lire l’article d’Odile Mangeot sur ce thème, dans ce numéro
(6)   Cf encart L’économie « collaborative » sanctionnée



Encarts



La 5ème bulle dans la Silicon Valley ?

C’est ce que prévoit Stuart Graaler(1). Les plateformes numériques de services, Facebook, Twiter, Uber, Airbus ont des valorisations boursières hors de toute proportion raisonnée. Twiter, par exemple, déficitaire de 470 millions de dollars en 2014, a creusé ce trou à 1,27 milliard au 1er trimestre 2016. Uber Chine, quant à lui, s’est effondré après une perte d’un milliard par an. Ce système de valorisation repose sur l’espoir de profits mirobolants à venir, mais, désormais, les « investisseurs » boudent devant la poule qui ne pond pas les oeufs d’or attendus. Serait-ce une bulle comme celle d’internet en 2000 à la puissance démultipliée ? L’indice Nasdaq qui relatait cette montée en puissance de ces valeurs a également mesuré leur effondrement : 78% de perte en 30 mois ! Pour l’auteur, le monde numérique porté par des start-up, valorisé jusqu’à la démesure par des stock-options n’est qu’une pyramide de Ponzi d’un nouveau genre.
(1)   Le Monde du 27.10.2016  


L’économie « collaborative » sanctionnée !

Sous cette appellation se dissimulent des plateformes numériques, loueuses de bras, en l’occurrence des chauffeurs dits autoentrepreneurs. Sauf qu’à l’issue d’une plainte de deux chauffeurs londoniens, le tribunal en a jugé autrement. L’entreprise californienne qui sévit au Royaume-Uni, elle qui est valorisée en Bourse à hauteur de 62 millions de dollars, emploie 30 000 chauffeurs Uber, rien qu’à Londres. Elle devrait, au terme du jugement, payer salaire minimum, prendre en charge les cotisations patronales, les congés, instituer des pauses régulières. Et régler le fisc. La firme a fait appel, prétextant que « ses » chauffeurs ne sont pas ses employés mais des clients auxquels elle vend des services. Qui plus est, elle n’est pas britannique, son entreprise est enregistrée aux Pays-Bas et ne doit rien au trésor britannique… Le juge a pourtant démonté cette fiction juridique : ces soi- disants autoentrepreneurs rémunérés 5,60 livres par heure, loin du salaire minimal fixé à 7,20 livres, ne peuvent développer « leur » entreprise. Les contrats qu’ils signent avec Uber, outre leur caractère ésotérique propre à la novlangue, sont des contrats de louage de main d’oeuvre. Ainsi, le licenciement, détourné de son sens, devient une « désactivation », ou une « déconnection » si le « client-chauffeur » refuse 3 courses prescrites. Quant à l’embauche, elle n’est qu’un enrôlement volontaire. Ces autoentrepreneurs à qui on dicte des ordres ne connaissent ni leurs clients, ni le prix de la course et comme de « vulgaires » exécutants doivent suivre l’itinéraire prescrit.
Pour les syndicats qui ont soutenu les deux chauffeurs londoniens, l’affaire est d’importance pour les 450 000 chauffeurs qui, à travers le Royaume-Uni, dépendent de 9 entreprises du même type qu’Uber. Ils s‘attendent toutefois à une longue bataille judiciaire dans ce pays jusqu’ici, champion du  néolibéralisme.