Alerte !
Disparition des abeilles, des insectes…
« Il
y a 20 ans, il fallait s’arrêter toutes les deux heures pour nettoyer son
pare-brise tant les impacts des insectes étaient nombreux ; aujourd’hui ce
n’est plus du tout nécessaire » : en 27 ans, la masse des insectes
présente dans des zones protégées d’Allemagne a chuté des trois quarts. En
France, une étude (CNRS) sur une seule espèce, le carabe (un petit coléoptère
terrestre, prédateur des insectes, précieux auxiliaire des jardiniers), révèle
qu’en 23 ans, 85% d’entre eux ont disparu.
L’effondrement de l’entomofaune, c’est-à-dire la totalité de la population
d’insectes présents dans un milieu, révèle les graves déséquilibres sur les écosystèmes,
les insectes formant l’un des socles de la chaîne alimentaire, pierre angulaire
de la biodiversité.
Il
faut, bien sûr, ajouter à cette disparition, celle des abeilles, confirmée par
la chute des récoltes de miel, toujours plus catastrophiques d’année en
année : en 2017, comme en 2016, elle n’atteint pas 10 000 tonnes,
soit 3 fois moins que dans les années 90. Cela n’a pas empêché la France, courant
septembre, en catimini, d’autoriser la mise sur le marché, via l’Agence
nationale de Sécurité Sanitaire et de l’alimentation et du travail (ANSES)(1)
de deux nouveaux insecticides : le Closer et le Transform dont le principe
actif est le sulfoxaflor. Selon le ministère de l’agriculture ce n’est pas un
néonicotinoïde alors que l’Union nationale des Apiculteurs français,
scandalisée, affirme que la molécule a le même principe actif, une fois absorbée
par la plante, elle circule jusque dans ses parties florales et donc le pollen
et le nectar. Les ministres Hulot et Travert font fi de la loi sur la
biodiversité de 2016 interdisant les néonicotinoïdes à partir du 1er
septembre 2018 (certes, elle autorise des dérogations jusqu’en 2020 !)
dont le décret d’application promis pour début août 2017 n’est toujours pas
paru.
Une
étude récente d’un Suisse a révélé que des résidus de néonicotinoïdes sont
omniprésents dans 200 miels récoltés sur les 5 continents, ce qui confirme
l’imprégnation générale de l’environnement. En ligne de mire : les
pesticides et ceux qui les produisent, et, par conséquent, la politique
agricole productiviste.
Le
feuilleton du glyphosate
Les
pesticides sont des perturbateurs endocriniens (PE) ; il n’y a plus de
doute sur cette affirmation scientifiquement démontrée. Les perturbateurs
endocriniens agissent sur le système hormonal des êtres vivants, contaminent
l’environnement aussi bien que les êtres humains. Très présents dans les fruits
(mandarines, oranges, raisins et pêches, notamment), les PE participent à
l’augmentation des maladies comme l’infertilité, certains cancers, le diabète,
l’obésité, les troubles du développement du cerveau (autisme...) : l’INSERM,
en sept. 2017, confirmait le lien entre exposition à certains PE pendant la
grossesse et troubles du comportement chez les petits garçons.
Le
Parlement européen, en janvier 2009, a adopté un règlement « Pesticides »,
interdisant ou retirant tous ceux qui possèdent le caractère « perturbateur
endocrinien ». La commission européenne avait jusqu’à 2013 pour établir
les critères scientifiques pour la mise en œuvre de cette décision. Mais, il a
fallu une condamnation par la Cour de justice de l’UE pour que le projet soit, enfin, présenté au Parlement européen
le 4 octobre dernier, pour être rejeté : les eurodéputés ont refusé la
définition des critères d’identification des perturbateurs endocriniens visant
à les retirer du marché, car la Commission européenne y avait introduit une
dérogation pour ne pas interdire les pesticides conçus spécialement pour agir
sur le système endocrinien de leurs cibles ! On sent là ue poids du
lobbying des industries des pesticides et de la chimie. Mais, les retards dans
la décision ont aussi à voir avec les enjeux de stratégie économique, l’Allemagne,
par exemple, craignant pour son industrie chimique puissante. S’agit-il de
défendre l’agro-industrie et ses pesticides ou la santé des
consommateurs ?
Emblématique
en la matière est la bataille contre le glyphosate, molécule du Roundup, « le
champion du désherbant » ! Mis
sur le marché par Monsanto en 1975, ce premier herbicide à base de glyphosate,
a permis à la firme agro-chimique de dominer le marché mondial et de créer, pour
assurer son hégémonie commerciale, les
plantes dites Roundup Ready, celles qui sont tolérantes à son propre
herbicide ! Vendre un poison et son antidote, il fallait oser ! Mais
Monsanto le peut : 13.5 milliards de dollars de chiffre d’affaires (en
2012), 21 000 employés dans 166 pays, c’est cette même firme qui a fourni
l’armée américaine en agent Orange répandu au Vietnam pendant 10 ans (1961/1971) ;
Monsanto, c’est 90 % des semences transgéniques (soja, maïs, coton, colza)
vendues dans le monde… Difficile de s’attaquer à ce géant !
Pourtant,
dans les années 2000, les révélations notamment de scientifiques, de
journalistes apparaissent, puis celles des phyto-victimes (constitués en
association), qui, pour plus de 1 000 entament des poursuites contre la
puissante firme. Depuis, les résistances s’organisent pour former une coalition
internationale de citoyens et d’ONG. En octobre 2016, à la Haye, la société
civile a mis en scène un Tribunal (citoyen) International Monsanto, avec audition
de témoins, victimes, experts, pour conclure, et publier très largement, l’avis
suivant : « les activités de
Monsanto ont un impact négatif sur les droits humains fondamentaux ».
Ils ont lancé un appel pour que le crime d’écocide soit reconnu. Les marches
mondiales contre Monsanto, les actions des Faucheurs volontaires d’OGM (cf ils,
elles luttent), ces lanceurs d’alerte révèlent au grand jour la nocivité du
« monstre » commercialisé grâce aux collusions entre les décideurs
des gouvernements nationaux et l’Union Européenne, et les « experts »
ou « scientifiques », au service de la firme agrochimique. Et il y a
de quoi s’y perdre dans le maquis des agences et autres autorités émettant des
avis… favorables. Ainsi, l’EFSA – Autorité européenne de sécurité des aliments
et l’ECHA – Agence européenne des produits chimiques, ont affirmé la
non-nocivité du glyphosate dans le Roundup et pour cause : selon un
rapport de l’ONG Corporate Europe Observatory, sur les 211 experts de l’EFSA,
46% sont dans une situation de conflits d’intérêt direct et/ou indirect. Le
matériau de base de leur travail, ce sont les données fournies par les
fabricants et celles-ci sont confidentielles, ce qui fait dire à Michèle
Rivasi, eurodéputée EELV : « Nous
on veut avoir accès à ces données parce que la science secrète va toujours à
l’encontre de la santé des citoyens ».
Tous
ces mouvements, ces contestations, ces dénonciations font bouger les choses…
lentement. Quoique ! Depuis qu’en mars 2017, dans le cadre d’une action juridique
contre la firme, la justice états-unienne a déclassé des milliers de documents
internes à Monsanto, c’est le début des Monsanto
Papers. On y a trouvé des signes flagrants de collusion entre Monsanto et
l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA), chargée d’évaluer la
sureté du glyphosate et ceux qui soutiennent et facilitent l’agro-industrie
dévastatrice.
L’on
eût apprécié que l’un des gouvernements français, fort de toutes ces
révélations, ait le cran, au sein de l’UE, de protéger la santé de ses ressortissants,
à l’image du Sri Lanka qui en mars 2014 a interdit le glyphosate. Car,
aujourd’hui encore, la question reste entière : le glyphosate va-t-il être
interdit de commercialisation ou prolongé ? En mars 2015, le CIRC (Centre
International de Recherche sur le Cancer), rattaché à l’OMS, déclare que
« le glyphosate est un cancérogène
probable pour l’homme ». Cette affirmation tombait au moment où la
Commission européenne devait renouveler l’homologation du glyphosate pour 10
ans… Cela permit que la commission européenne… ne prenne pas de décision ! Repoussée
maintes fois, jusqu’à ce 25 octobre où elle doit décider, sachant qu’une
majorité qualifiée (55% des 28 représentants représentant 65% de la population)
est requise. Entre Hulot/Travert qui, pour la France proposent entre 5 et 7 ans
de prorogation pour laisser le temps de la réadaptation des agriculteurs et
Merkel qui, a besoin du soutien des Verts notamment pour gouverner, le projet
de renouvellement de Bruxelles pourrait-il échouer ? … le 25
octobre : le comité permanent de l’UE chargé des questions des plantes,
des animaux et de l’alimentation… a décidé à nouveau de ne pas décider… à
revoir, dit-il, avant la fin de
l’année ??
Lenteur
et longueur des procédures, complicités des décideurs, tout cela confirme que
ceux qui nous gouvernent ne choisissent ni la santé des populations, ni la
survie des agriculteurs. A Bruxelles, la vie des personnes est moins
prioritaire que la bonne santé de l’industrie chimique.
Remise en
cause du productivisme agricole
Les
agriculteurs disent ne pas être responsables de la nocivité du produit qu’on
leur vend. Certes. Un grand nombre ne connaît pas la teneur des produits que
leur fournissent les coopératives. ¾ des agriculteurs y adhèrent et achètent
70% des semences « garanties tous risques ». Mais, ces propos
aujourd’hui ne tiennent plus, la dangerosité du Roundup, par exemple, est
connue ainsi que celle des 750 produits contenant du glyphosate, commercialisés
par 90 fabricants. Sinon, pourquoi les agriculteurs stockeraient-ils ces
produits dangereux dans des locaux sécurisés ?
Cette
agriculture industrielle, dite conventionnelle, assure aux agriculteurs la
vente de leur production à prix fixé par la coopérative, en achetant les
semences recommandées et en appliquant les conseils des techniciens pour que la
terre, totalement morte à force d’arrosage en pesticides, herbicides, engrais,
raccourcisseurs de paille, etc. puisse servir de support aux cultures. Le
rendement à l’hectare doit être maximal afin de rembourser les énormes investissements
en matériels engagés grâce à des prêts consentis par le Crédit Agricole. C’est
pourquoi les champs avant d’être ensemencés doivent être propres : plus
une « mauvaise herbe ». Le désherbage mécanique n’est plus possible :
trop long, trop cher, seul le glyphosate « peut tout tuer d’un coup » !
Avec le glyphosate on peut faire 200 hectares en 1 jour, contre 20 hectares si
on utilise un outil mécanique. « On
nous fait passer pour des pollueurs alors qu’on nourrit les gens » !!!
C’est ce qu’exprimaient, mi-septembre, les quelque 200 agriculteurs de la FNSEA
manifestant sur les Champs Elysées. M. Macron a l’âme sensible (avec la FNSEA)
car cela suffit à ce qu’il envoie Hulot pour annoncer non plus une interdiction
du glyphosate mais une prolongation de l’habilitation pour 3 à 5 ans (le temps
de la mandature, en quelque sorte !).
L’agriculture
conventionnelle est une fuite en avant vers une impasse pour tous :
agriculteurs, consommateurs, environnement. C’est la politique productiviste de
l’UE et des multinationales qui en tirent profits. Finançant avec la PAC une
agriculture du gigantisme (1000 vaches, 4000 veaux, etc.) pour se placer sur le
marché international aux mains des grandes firmes agro-industrielles. Monsanto
et son Roundup en est un des acteurs. « Le glyphosate est le cheval de
Troie de tous les autres pesticides et produits chimiques parce que le milieu
étant fragilisé, il ouvre la voie à tout un cortège d’herbicides, fongicides et
insecticides et ensuite aux engrais azotés de synthèse pour fertiliser le
sol ».
Faire autrement est possible. En agriculture paysanne et en agriculture
biologique, sans une goutte de glyphosate, sans pesticide chimique, le
rendement atteint 80% de
l’agriculture conventionnelle grâce à la rotation de cultures très
variées (blé, orge, mais, sarrasin, épeautre, luzerne, petits pois,
pommes de terre, oignons...). La luzerne prend le dessus sur le chardon. Les
« mauvaises » herbes ne le sont pas ; les adventices servent à
fabriquer de l’engrais vert. Elles laissent les champs couverts et
restructurent le sol, une fois broyées. Les terres retrouvent une vie
microbienne riche, un bon cycle de l’azote, et accueillent de nombreux
insectes. Certes, il faut labourer plus,
il faut 3 fois plus de main d’oeuvre mais les produits sont vendus plus
chers : la coopérative achète le blé bio 400€ la tonne (au lieu de 120 à
160€ à l’agriculteur conventionnel). Simple bon sens paysan à l’écoute de la
nature.
Interdire
la vente de toute substance chimique dangereuse pour l’Homme, ça devrait aller
de soi ! Puis, à moyen terme, réorienter les aides à l’agriculture et la
PAC – politique agricole commune - (9.5 milliards d’euros) serait une première
exigence. Favoriser l’agro-écologie pour en finir avec les spécialisations (maïs,
blé dans le bassin parisien ou porc-lait dans l’Ouest), avec des
légumineuses pour alimenter les animaux et ne plus importer le soja OGM d’Argentine
ou du Brésil, serait une deuxième exigence. C’est techniquement faisable, mais
politiquement, c’est une bataille à entreprendre. Il suffit de rappeler la
promulgation du plan Ecophyto 2018 pour douter de la volonté politique. Promulgué
après le Grenelle de l’environnement, ce plan ambitieux promettait de réduire
l’usage des pesticides de 50% en 10 ans ! Trois ans après son lancement,
en 2011, le volume des pesticides consommés avait augmenté et l’absence de
contrôles sérieux et de moyens de coercition ont transformé les 41 millions
d’euros pour ce plan fantôme en outils de communication pour faire croire au
changement et continuer d’encourager les autres modes de culture comme
les agro-carburants, très consommateurs de pesticides ; ceux-là ont
bénéficié d’avantages fiscaux évalués en janvier 2016 à 1,8 milliard d’euros par
la Cour des comptes !
Favoriser
un comportement écologique, pour sauvegarder la nature et user de ses
productions sans la détruire. Utopie ? Certes, c’est s’attaquer à la politique
européenne, défendue entre autres par Macron. Celui-ci vient, par exemple, de supprimer
les aides au maintien de l’agriculture biologique. De la même manière, il ne
remet pas en cause le CETA, ce traité bilatéral d’échange entre l’UE et le
Canada, devenu effectif au 21 septembre dernier. Cet accord menace les filières
locales car les gros appels d’offre devront désormais s’ouvrir aux entreprises
canadiennes au-dessus d’un certain montant. Si les truites canadiennes sont
moins chères, elles seront préférées aux truites locales, même si elles
parcourent 6 000 kms. Macron affirme que les normes européennes sur la
santé et l’environnement empêcheront toute concurrence : le saumon transgénique
commercialisé au Canada ne devrait pas arriver en France ? Paroles… paroles…
Pendant
ce temps-là, les exportations de miel ont augmenté de 61% depuis 2007,
principalement en provenance de Chine, et les abeilles et les insectes
continuent de disparaître… du fait de l’épandage de 100 000 tonnes/an de
pesticides très toxiques et ce, en France, dans les champs, les vignes ou les
vergers
Pendant
ce temps-là, les agences d’expertise européennes continuent à s’en remettre aux
analyses des industriels pour rédiger leurs rapports d’évaluation des risques
et Bayer, cette pharmaco-industrie, voudrait concrétiser son alliance avec
Monsanto que la commission européenne doit examiner dans le cadre de son droit
de contrôle des concentrations (espérons qu’elle ouvre les deux yeux !)…
Pendant
ce temps-là, les consommateurs avalent tous les jours des quantités anormales
de pesticides et autres produits chimiques qui les rendent malades
Pendant
ce temps-là les paysans disparaissent tous les jours dans le monde.
Production,
consommation, croissance est le triptyque de la politique agricole
actuelle. Elle a besoin des bras des producteurs, des ventres des consommateurs
et si ces deux groupes s’aventuraient à demander : « mais, nous
produisons pour la croissance de quoi ? Pour qui ?», ils pourraient
être privés de cerveau…
La
grogne et la colère montent. Mais les mécontents ne doivent pas se contenter de
l’être, la seule solution est la manifestation publique du rejet de la
politique de destruction du vivant et de mise en danger de la santé de
tous ! Un vrai programme de société à construire qui peut s’unir en un
vrai front pour la nature, de ceux qui produisent à ceux qui consomment, contre un système qui a
perdu la tête.
Odile
Mangeot, le 23 octobre 2017
(1) établissement public placé sous la tutelle des
ministères de la Santé, de l’Agriculture, de l’Environnement du Travail et de
la Consommation, créé en 2010
Sources :
Politis, bastamag, l’Humanité dimanche, le Monde