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Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 28 mars 2018


Après les élections, l’Italie encore plus sinistrée

La longue détérioration de la situation économique et sociale de l’Italie, accentuée par le « fardeau de la crise migratoire » qu’elle supporte pratiquement seule face aux égoïsmes nationaux des autres pays européens, fait de cette péninsule le bateau ivre de la mondialisation financière. La crise de 2007-2008 et les politiques austéritaires visant à sauver les banques, à rembourser une dette publique astronomique et, par conséquent, à accroître le taux d’exploitation des travailleurs, tout en réduisant les dépenses sociales, sont autant de facteurs la livrant aux pires démagogues. Cette déliquescence est le fruit amer des politiques européennes, y compris s’agissant de l’accueil des migrants. Les politiques madrés qui se sont agités sur la scène électorale sont prêts à toutes les roueries. Si aucune majorité ne s’est dessinée parmi ce marigot de coalitions en apparence improbables, les margoulins tentés par la combinazione et le « transformisme » pourraient rejoindre soit la droite extrême, soit les 5 Etoiles recentrées. Dans l’immédiat, la crise institutionnelle va durer, même si les néolibéraux européens de Bruxelles vont vouloir rapidement y mettre un terme. Reste que, plus qu’hier, l’Italie semble vouée à être dirigée par les plus retors ou les plus roués et livrée à l’accentuation de la haine vis-à-vis des étrangers.

1 – Déliquescence économique et sociale

L’Italie, l’un des pays fondateurs de l’Union européenne, en est la 3ème économie. Sa situation actuelle ne sera pas sans conséquence sur le délitement de l’Europe. Elle a été particulièrement affectée par la crise économique mondiale de 2007-2008 et la cure d’austérité imposée par la Troïka européenne, sous la férule de Mario Monti, après l’éjection de Berlusconi par Sarko et Merkel. Le chantage au recours au FMI et la terrible récession de juillet 2011 à juin 2014 ont permis, pour l’essentiel, le sauvetage des banques, par l’injection de crédits d’Etat. Résultat : la dette publique a bondi à 2 300 milliards d’euros, soit 130% du PIB. Pour tenter de la réduire, les politiques d’austérité ont été draconiennes, sans susciter de mobilisations salariales massives : la contre-réforme des retraites, particulièrement douloureuse, (1) est emblématique à cet égard. Elle ne fut suivie que d’une grève de 2 heures, Mario Monti se vanta dans une récente interview qu’il n’y ait eu aucune concertation avec les syndicats, sauf une réunion de 1h30 ! L’union sacrée prévalant entre tous les partis, sauf la Ligue du Nord, était assumée par les directions syndicales. Résultat : la récession fut suivie par la stagnation économique et le marasme social. Précarité, Job Act et chômage massif consécutif à la désindustrialisation. Chômage à 11%, à 34% pour les jeunes de 18 à 25 ans, à 17% pour les moins de 35 ans, encore qu’il faille introduire dans ces moyennes la fracture Nord-Sud. En Calabre, au sud de la péninsule, le taux de chômage est de 33%. Qui plus est, en 2016, plus de 50 000 Italiens ont émigré dans un autre pays européen.

Reste que le système bancaire est loin d’être sauvé. Sur les 900 milliards de créances douteuses, 1/3 d’entre elles est toujours présent dans les banques, particulièrement dans les petites qui représentent 15 à 20% du réseau. Il est envisagé de les fusionner avec des licenciements à la clé. A titre d’exemple, la grosse banque UNI-Crédit a supprimé 14 000 emplois et 682 agences.

S’ajoutent à ce marasme régressif, l’afflux des migrants et l’indifférence des pays européens (voir plus loin). Malgré tout, l’Italie dans un premier temps, a créé 180 000 places d’accueil pour les exilés dont ¼ est géré par les mairies, le reste est sous contrôle des préfectures. Elles ont externalisé cette mission, par des contrats privés lucratifs, à des sociétés privées. D’où le scandale romain dénoncé comme un business de migrants. Et le problème ne fait que s’intensifier : en 2017, 120 000 exilés ont échoué en Italie sauf les 2 873 qui ont péri en mer. Depuis le début d’année, 50 000 sont encore arrivés.

De fait, ce pays, touché par 30 ans de politiques néo-libérales et l’accélération austéritaire, n’a pas connu de contestation significative et supporte l’essentiel des flux migratoires.

2 – L’Italie face à ceux qui fuient la guerre et la misère

La politique européenne se caractérise par le refus d’aider les pays en première ligne pour faire face aux flux migratoires. Vis-à-vis de la Grèce, la solution trouvée fut l’instauration de murs et l’octroi à Erdogan de deux fois 3 milliards d’euros pour contenir et parquer les exilés syriens, irakiens, afghans…
Dans la péninsule italienne, l’abandon de l’Italie est une histoire effroyable encore plus ancienne. Dès les années 1990, ce sont de jeunes hommes qui viennent d’Afrique du nord, puis en 1991, des dizaines de milliers d’Albanais ruinés par la pyramide de Ponzi (2) et la kleptocratie maffieuse qui y règne. Enfin, à partir de l’an 2000, ce sont des hommes seuls, pour la plupart, qui accostent dans des conditions dramatiques. Les accords conclus entre les gouvernements européens avec les Etats africains provoquent la criminalisation des passeurs ; en 2008, le gouvernement italien verse 5 milliards d’euros à Kadhafi qui s’engage à empêcher les départs à partir des côtes de la Libye. En 2011, suite aux printemps arabes, les armées française, anglaise soutenues par les Etats-Unis, interviennent en Libye ; le dictateur mégalomane est lynché, le chaos s’installe, des armes se dispersent dans tout le Sahel. Les trafiquants d’êtres humains prospèrent, les migrants fuient par la mer, beaucoup se noient dans le cimetière marin qu’est devenue la Méditerranée.

2012, l’opération Mare Nostra porte secours, en moins d’un an, à plus de 100 000 migrants. Aux suppliques de l’Italie, l’Union européenne répond par la suppression de ce secours humanitaire trop généreux à son goût, lui substituant l’opération Triton. Elle est coordonnée par Frontex, pour tenter de dissuader le flot des réfugiés qui ne faiblit pas : 150 000 en 2015, 181 000 en 2016. Des navires affrétés par des ONG sont accusés de faciliter le « travail » des trafiquants. On apprend qu’en Libye, les milices et le gouvernement fantoche de Tripoli, avec lesquels le ministre de l’intérieur italien a conclu des accords, en livrant notamment des vedettes maritimes, pratiquent le travail forcé et l’esclavage des candidats à l’exil. Fin 2013, l’Italie est piégée. La France et l’Autriche rétablissent des contrôles à leurs frontières et expulsent sans ménagement, y compris des mineurs. Les structures d’accueil italiennes sont engorgées. A Rome, des « coopératives d’accueil» ( !), gérées par la maffia, développent un business lucratif avec cette main d’œuvre corvéable. 2014, l’Union européenne impose des cartes d’enregistrement des migrants en Sicile et au sud de l’Italie, c’est l’application concrète du refoulement administratif suite au règlement Dublin 3.

Actuellement, 300 000 à 700 000 exilés sont bloqués en Libye, dans des conditions effroyables. L’ONU vient de déclarer que, depuis 2014, 135 000 d’entre eux ont trouvé la mort en Méditerranée, ce décompte ne prenant pas en compte… ceux dont on n’a pas retrouvé la trace. Le scandale continue. La caste politicienne italienne surfe désormais sur la xénophobie répandue par les médias qui ignorent les raisons profondes pour lesquelles les candidats à l’exil fuient la guerre et la misère.

3 - La sinistrose politicienne

La caste politicienne qui a dirigé l’Italie depuis des décennies est particulièrement corrompue, toujours prête à vendre son âme sournoise pour conserver sa pérennité. Avant la survenue de la crise de 2007-2008, elle était à la fois acquise au néolibéralisme, tout en étant réticente à le mettre en œuvre. Ce fut d’abord, à l’époque de la prétendue mondialisation heureuse, la flamboyance de Berlusconi, ce satrape milliardaire des médias bling-bling, suscitant un engouement transgressif pour l’enrichissement sans cause. A l’autre pôle de l’alternance, la gauche factice avait fait le deuil de ses valeurs. Les ex-communistes convertis au capitalisme débridé, s’acoquinèrent avec les débris d’un parti socialiste corrompu jusqu’à l’os, ainsi qu’avec des démocrates chrétiens à la façade sociale. Ce nouveau Parti Démocrate (PD) sentit son heure venue après les déconfitures successives de Berlusconi, puis du commissaire européen Mario Monti qui lui succéda, sous les auspices de la Troïka. L’Italie ne devait pas sombrer comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, sous la férule des eurocrates et du FMI. Mario Monti fit l’affaire comme chef d’un gouvernement d’union nationale. Cette grande coalition sombra et le fringuant Matteo Renzi du PD fut proclamé par tous les philistins socio-modernisateurs européens. Il allait sortir l’Italie du marasme, ce fut pire. Effrayé par les sondages qui lui promettaient pire que pendre, il tenta une dernière carambouille en modifiant le scrutin électoral : subtil dosage de choix uninominal et de proportionnelle qui pourrait lui sauver la mise.

Entre temps, la récession, l’envolée du chômage, la crise migratoire, avaient provoqué le surgissement d’un mouvement hybride autant que baroque, Mouvement 5 Etoiles. Beppe Grillo, le clown antisystème pestait contre le « vol de l’avenir des Italiens », recrutait par internet et désignait des candidats sans autre vision politique que celle de l’indignation. Le clic sur internet valait réseau démocratique, sans programme ni stratégie, sinon celle de se substituer à la classe régnante. A la droite de la droite, la Ligue du Nord, devenue nationale, surfait sur la haine xénophobe et parvenait à remettre en selle, pour la circonstance, le corrompu Berlusconi qui, après ses ravalements de façade, se voyait déjà rajeuni pour revenir sur la scène politique. Ce théâtre grotesque où démagogues et imposteurs rivalisaient, allait caractériser les élections de 2018.

S’affrontaient, d’un côté, la droite extrême composée de Forza Italia de Berlusconi, alliée à la Ligue de Salvini (fédérée au FN au Parlement européen), le tout flanqué d’une part de Fratelli Italia qui encensait le nationaliste hongrois Orban et d’autre part, de Casa Pound se réclamant ouvertement du fascisme mussolinien.

A gauche de cette droite, le PD de Renzi jouait sa survie. Il était accompagné de dissidents « Libres et égaux » et de la « gauche ensemble », tout aussi discrédités par leur gestion avec le PD, notamment dans les régions.

Venus de nulle part, les 5 Etoiles de Beppe Grillo et de Luigi di Maio, l’un de ses jeunes apôtres, prétendaient au pouvoir. Leur antisystème s’accordait du système capitaliste…

La Gauche de transformation sociale, éparpillée, laminée après le mai rampant et les années de plomb marquées par le terrorisme d’extrême droite puis d’extrême gauche, survivait dans les marges en s’étrillant copieusement (Pouvoir du peuple, Parti communiste dogmatique, gauche anticapitaliste…).

Quant aux grandes confédérations syndicales, leurs appareils avaient sombré corps et bien dans la collaboration de classe.

La campagne électorale fut donc, dans cette conjoncture, marquée par un déferlement de haine raciste et xénophobe, suscitant la peur, flattant les mauvais instincts de la crédulité publique, tout en avançant des promesses plus ou moins mirifiques : « les bateaux des migrants bloqués », « l’invasion stoppée » pour la droite extrême. Et Berlusconi d’en rajouter : « L’immigration, c’est le chaos, la rage ( !), les vols et le trafic de drogue ». Le 5 Etoiles ajoutait un couplet : « zéro débarquement ». Renzi n’était pas en reste, tout en promettant : « l’exonération fiscale des retraités ayant besoin d’aide sociale à domicile ». Dans le même sens de surenchère, Beppe Grillo assurait « le salaire universel pour tous » ; la majorité des « sudistes » le crut.

Le 4 mars, les résultats sont tombés. 27% d’abstention. Défaite du PD de Matteo Renzi, 18% ; le 5 Etoiles à 32% et 229 sièges apparaît comme le grand gagnant, surtout au sud (plus de 50% à Naples). La droite extrême totalise moins de 40% et 267 sièges (Forza Italia avec 14% et, devant, 17.39% pour la Ligue de Salvini).

Ces élections révèlent deux rejets : celui des politiques néolibérales suivies depuis 15 ans et celui des migrants. Par ailleurs, elles accentuent la fracture entre le Nord et le Sud. Désarroi, détresse, misère au Sud, chômage au Nord et manque de perspectives, sont sources de toutes les dérives possibles. Fascistes et antifascistes s’affrontent, les crimes et attaques racistes peuvent se multiplier.

Une Italie sans issue à court terme

La crise institutionnelle va s’installer. Aucune majorité ne se dégage. La formation d’un nouveau gouvernement va se faire attendre. Le record de la Belgique sera-t-il battu ? Peut-être pas. Le patronat et l’Union européenne ont déjà envoyé leurs émissaires auprès de chaque parti, tout en brandissant la possibilité d’une attaque des marchés financiers, faisant monter les intérêts des prêts. La déconstruction de l’Europe austéritaire va se poursuivre, n’en déplaise à Macron, le chantre d’un fédéralisme tombé en désuétude. La répression et le refoulement des exilés risquent de s’intensifier, le Heimat allemand l’annonce. Reste la tradition de la combinazione italienne et ce qui s’appelle, dans ce pays, le « transformisme ». Les 5 Etoiles lorgnent déjà sur les orphelins du PD en quête de repositionnement, d’autant que ce mouvement hétéroclite a opéré un recentrage européen. Ce parti virtuel y survivra-t-il ? La Droite extrême est prête à tous les coups fourrés pour accroître la tension et la répression policière. Renzi, l’ancêtre de Macron, en son temps encensé, va disparaître. L’Union européenne, comme elle l’a fait avec Berlusconi, va-t-elle pouvoir imposer un gouvernement technique, dans l’attente de nouvelles élections ? Si les castes politiciennes désunies ne peuvent plus gouverner comme avant, ceux d’en bas semblent prêts à promouvoir toutes les aventures. Charlatans et démagogues de tous poils ont un boulevard devant eux. Les classes ouvrières et populaires, désunies, désabusées, n’ont, pour l‘heure, guère les moyens de les repousser.

Gérard Deneux, le 19.03.2018  
(1)    Age de la retraite : 67 ans ; mode de calcul des pensions organisant leur baisse ; droit du travail modifié : les licenciements abusifs ne donnent plus droit à réintégration, les emplois y compris publics sont précarisés et les « salaires étranglés »
(2)    Pyramide de Ponzi : arnaque consistant à proposer des actions à des rendements mirobolants (40, 50%). Les premiers souscripteurs sont servis en fonction de l’argent déposé par les suivants. Lorsque, faute de nouveaux souscripteurs, la confiance s’écroule, les placements fondent comme neige au soleil. De 1995 à 1997, le système bancaire albanais était une énorme pyramide de Ponzi. Sur 3.5 millions d’habitants, 2 millions furent escroqués, provoquant la misère et l’exode. Pour plus d’explications, voire le n° 28 PES, novembre 2016