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mercredi 28 mars 2018


La bataille du rail aura-t-elle lieu ?

C’est au moment de la révolution industrielle, que la loi du 11 juin 1842 définit le régime de gestion du chemin de fer : l’Etat construit et les compagnies privées exploitent les lignes. Ce compromis public/privé a toutes les faveurs des compagnies, le monopole d’Etat limitant la concurrence, les garantissant en cas de déficit et prenant en charge une partie de la dette. Ce régime mixte dure jusqu’au décret-loi du 31.08.1937, créant la SNCF Société Nationale du Chemin de Fer, société anonyme au capital mixte dans laquelle l’Etat détient 51% ; elle durera, comme prévu, 45 ans, la totalité du capital passant alors à l’Etat. Le 1er janvier 1983, la SNCF devient un EPIC – Etablissement public à caractère industriel et commercial. Ce statut ne modifie pas profondément la gestion, ni le déficit chronique, l’Etat n’ayant jamais cherché à équilibrer, par la fiscalité, la concurrence entre le rail et la route. A compter de 1974, l’Etat décide de ne plus combler les déficits des entreprises publiques. La SNCF doit donc recourir à l’emprunt sur le marché financier, ce qui enclenche une spirale d’endettement (1). La logique d’ouverture à la concurrence va alors s’inscrire dans un temps long pour aboutir à la privatisation totale. A l’heure macronienne qui considère que le service public et les statuts de la fonction publique sont des systèmes « archaïques », des reliquats du « vieux monde », on ne peut qu’espérer, et tout faire pour, le rejet de privatisation du dernier « paquet » ferroviaire, et « en même temps » du statut de cheminot.
   
Du monopole au démantèlement du service public ferroviaire…

Le néo-libéralisme européen introduit et définit le contenu de la réforme ferroviaire de 1997, séparant les activités ferroviaires en deux : à Réseau Ferré de France (RFF) la gestion des infrastructures (voies ferrées…) et la commercialisation des « sillons », à la SNCF la gestion des services et l’entretien des infrastructures pour le compte de RFF, dans le cadre d’une convention de gestion, RFF rémunérant SNCF et SNCF payant des péages à RFF. Dans ce « jeu » à intérêts contradictoires, chacun tente d’équilibrer son compte d’exploitation au détriment de l’autre.

Le ver est dans le fruit. La politique néo-libérale européenne se met en œuvre inexorablement, lentement pour éviter de provoquer des réactions vives dans ce secteur professionnel combatif et dans ce service défendu par ses usagers. La transposition des directives européennes rend possible l’ouverture à la concurrence du 1er « paquet ferroviaire », le fret international (2003), puis le 2ème « paquet », le fret national (2006). Enfin, le 3ème « paquet » ouvre à la concurrence le transport international des voyageurs (2010). La volonté de privatiser s’appliquera sous des gouvernements de droite et de « gauche ». La dynamique introduite en 1997 accélère le démantèlement du système ferroviaire national, la SNCF segmentant ses « clientèles » et gérant « par activité » (grandes lignes, fret, TER, etc…). Les intérêts privés s’approprient les morceaux rentables du transport par rail, bénéficient des investissements passés et laissent à l’Etat la gestion des secteurs déficitaires, ce qui, au bout du compte, « autorise » la SNCF à les abandonner d’autant que la péréquation tarifaire est interdite.

Le tour de passe-passe de l’UE a été de convaincre que le monopole « naturel » d’un système ferroviaire le cantonnait à gérer les voies ferrées, séparant ainsi la gestion des services et des infrastructures. Cela permet à des trains d’entreprises distinctes de rouler sur les mêmes lignes. Pour le système capitaliste, il s’agit de s’approprier les parties rentables de la sphère publique. C’est ce même principe qui a prévalu dans la privatisation de la distribution du gaz ou de l’électricité, ou encore des télécommunications.

Depuis janvier 2015, le groupe est divisé en 3 EPIC (Etablissement public à caractère industriel et commercial) : SNCF réseau gère les infrastructures (notamment les voies ferrées et la circulation des rames), SNCF mobilités fait rouler les trains transportant voyageurs et marchandises et SNCF Holding chapeaute l’ensemble. Chacun crée ses propres filiales, au gré de sa stratégie de développement et du transfert d’une partie de ses activités à des sociétés privées. Keolis, Geodis, Ouigo, Ouibus, Voyages-sncf, Effia, Altameris, Arep, Systra… sont des filiales de la SNCF. De 187 en 2007, elles sont passées à 1 250 en 2017. Ainsi, la SNCF est présente dans 120 pays et réalise 1/3 de son chiffre d’affaires à l’international (2016). Mais les filiales agissent aussi en France dans des domaines d’activité très variés : travaux et maintenance des voies (Sferis), aménagement et administration des gares (Gares et connexions), gestion de 115 000 places de parking (Effia). Les deux mastodontes Keolis et Geodis emploient plus de 50 000 salariés chacune et possèdent à leur tour leurs propres filiales… Keolis exploite  240 km de métro, 660 km de tramways et 5 800 trains dans 16 pays. Elle possède 23 000 bus et investit dans le vélo, le covoiturage ou les navettes maritimes et fluviales. Avec 58 300 salariés, elle est une filiale géante détenue à 70% par la SNCF, avec une participation de la Caisse des Dépôts du… Québec, à hauteur de 30%.

Ce système met en concurrence la maison mère avec ses propres filiales et permet de contourner la réglementation du travail. Par ailleurs, la SNCF s’est délestée de ses actifs : les wagons, les machines ou l’immobilier sont basculés sur des sociétés privées. Autrement dit, pour la maison mère : les coûts de la dette (46.6 milliards d’euros) et la rémunération du personnel et pour les sociétés privées : la conquête des marchés et des bénéfices !   

L’ouverture totale à la concurrence, proche, va faire encore des « victimes ». Les prédateurs lorgnent sur le marché intérieur français de 400 millions de voyages annuels. Ils se nomment : Transdev, filiale française du groupe Caisse des dépôts, principal rival de la Deutsche Bahn, présente aussi en Suède ; Arriva, filiale de la Deutsche Bahn, présente en République tchèque, Pologne, Suède, Danemark et Pays-Bas. Autre candidat sérieux Trenitalia avec sa filiale Thello qui propose déjà des voyages internationaux vers Venise et Milan ; la néerlandaise Abellio, l’écossaise Groupe First et le chinois MTR, opérateur du métro de Hongkong qui pourrait concourir sur des appels d’offres des nouveaux métros du Grand Paris.

… Jusqu’à la privatisation totale

Voici venir le 4ème « paquet » : le transport des passagers nationaux et régionaux. Le parlement européen du 16 décembre 2016, a décidé que les LGV pourront être commercialisées par de nouveaux opérateurs en 2020, puis en 2023, ce seront les lignes TER et Intercités.

Au-delà de quelques obstacles techniques relatifs, par exemple, aux systèmes de sécurité embarqués, obligatoires sur les LGV qui ne sont plus fabriqués pour l’instant, d’autres freins à la privatisation totale subsistent encore, notamment les syndicats de luttes pour le maintien du statut. Macron/Philippe souhaitent les torpiller par ordonnances.  

Le rapport Spinetta du 16 février dernier est la base des décisions à venir sur la SNCF. Il pose un diagnostic essentiellement financier, relatant l’état lamentable des lignes, dû au sous-investissement massif depuis fin des années 1970 ; les LGV ont été favorisées au détriment des « petites » lignes représentant près de 45% du réseau pour moins de 2% de voyageurs alors que 90% des voyageurs se concentrent sur un tiers du réseau. Il souligne que l’entreprise publique ne peut continuer sur le même modèle économique, dans le contexte d’ouverture totale à la concurrence. Certes, le transport de 5 millions de voyageurs par jour, dont 3.5 millions sur les lignes surchargées d’Ile-de-France, peuvent aiguiser les convoitises des sociétés privées à la recherche de marchés nouveaux.

S’appuyant sur une partie de ce rapport, E. Philippe présente, le 14 mars en conseil des ministres, le « projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire », autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnances.  En premier lieu, il suggère « d’améliorer le fonctionnement du groupe public dans le contexte de l’achèvement de l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire » et de transformer la SNCF en société anonyme à capitaux 100% publics. Ce 1er article  prévoit la disparition du statut de cheminot pour les nouveaux embauchés. Pour parer le feu qui couve, il annonce qu’aucun changement n’est prévu pour les 130 000 statutaires (sur 147 000 agents). Les craintes sont toutefois réelles en ce qui concerne les conditions de transferts vers les nouveaux opérateurs si l’employeur public perd le marché ! L’autre grand volet du projet de loi organise l’ouverture à la concurrence du 4ème « paquet » ferroviaire, le transport des voyageurs nationaux et régionaux, d’ici la fin 2020 et 2023. Autrement dit, la privatisation totale du système ferroviaire. Prudent, pour calmer, cette fois, la colère des élus territoriaux, il précise que le projet n’envisage pas de fermeture de petites lignes (9 000 km existantes) avant que cette question ne soit évoquée avec les régions notamment, même si l’ouverture à la concurrence concerne  les lignes TER conventionnées et subventionnées par les régions.    

N’est pas évoqué, par le 1er ministre, l’endettement de la SNCF. Il faudra pourtant bien aborder certaines  questions. Comment transformer en SA, SNCF Réseau, lesté de 46 milliards de dettes ? La dette sera-t-elle reprise par l’Etat ? SNCF Réseau ne changerait-il pas de statut ? 
Déjà en 1997, l’endettement « abyssal » de la SNCF a servi d’argument à la division de la SNCF en trois EPIC. Peut-on parler de dette de la SNCF alors même que c’est l’Etat qui décida, notamment de la construction des lignes TGV, dont les investissements ont largement contribué à accroître la dette ? L’Allemagne avait repris la dette ferroviaire dans son budget. La France, en 1997, a imaginé un tour de passe-passe pour faire disparaître cette dette publique, en créant RFF et en lui transférant la dette (de 36 milliards à cette époque). Ni vu ni connu, la part principale de la dette n’apparaissait plus dans le calcul des critères de Maastricht ! Elle passait sous le tapis RFF. Mais, quand le 17 mars 2003 l’agence européenne des statistiques Eurostat décida que les dotations en capital de l’Etat à RFF étaient des dépenses publiques à comptabiliser, la dette ressortit de dessous le tapis ! Bilan ? Cette gestion à trois semble incongrue : la SNCF verse à RFF des péages pour utiliser les voies ferrées  (2.40 milliards en 2006) alors que RFF rembourse les emprunts à la même  hauteur ! Une usine à gaz qui a surtout servi à démanteler le service public, par activités au moyen de la création de multiples filiales.

Dans ces montages financiers, il n’est pas question de discuter de la politique du transport, du choix du rail ou de la route, de l’impact écologique, de la satisfaction des besoins des usagers, de la lutte contre la désertification des zones rurales mal desservies. Il faut rappeler que jusqu’en 1996, la SNCF recevait de l’Etat une contribution à ses charges d’infrastructure, pour compenser les distorsions de concurrence avec le mode routier qui ne paie ni l’entretien des routes,  ni l’éclairage public, alors que la SNCF doit payer l’entretien des voies, l’éclairage des quais, etc… Bref, s’il y a endettement, cela ne provient pas du statut de cheminot.

Le statut de cheminot, agité comme un épouvantail pour faire oublier l’essentiel

Pour rendre la privatisation populaire et « en même temps » se débarrasser de cet « avatar du vieux monde » qu’est le statut de cheminot, Macron n’hésite pas à faire dans le mode populiste, dressant le paysan contre le cheminot, ce « nanti » protégé par un statut.

Non, les cheminots ne sont pas payés quand ils font grève. Oui, certains cheminots touchent le SMIC. Non ils n’ont pas 48, 60 ou 70 jours de congés par an, mais 28 jours. Oui, les roulants sont des professionnels qui transportent 800 personnes derrière eux. Oui, les primes servent à garantir un service du 1er janvier au 31 décembre, week-end compris, jour et nuit, vacances scolaires et jours fériés. Oui les contrôleurs travaillent 3 week-end sur 4 et dorment régulièrement loin de chez eux. Non les cheminots ne partent pas tous en retraite à 50 ans. Ce régime spécifique subit depuis une dizaine d’années des coupes sévères : les roulants nés à partir de 1972 peuvent partir à 52 ans (et non plus à 50 ans) ; les sédentaires nés à partir de 1967 peuvent partir à 57 ans (et non plus à 55) ; la durée de cotisation pour toucher une retraite à taux plein est progressivement relevée pour atteindre 172 trimestres pour tous, à terme. D’ailleurs, la SNCF a toutes les difficultés à recruter. Pire, en 2016, il y a eu 614 démissions, 135 ruptures conventionnelles et 640 départs volontaires. La place est-elle si bonne ? Car, comme à la Poste, la dégradation du service rendu, du fait du non remplacement des départs, la polyvalence des tâches, les salariés à statuts différents, créent des conditions de travail difficiles. Les effectifs des statutaires n’ont cessé de baisser depuis 15 ans passant de 178 000 en 2003 à 130 000 en 2017. Les filiales emploient environ 115 000 salariés hors statut. Le recours à des emplois précaires d’intérimaires et CDD se généralise.


La bataille du rail, nous devons la mener… et la gagner

Les médias parlent peu des enjeux sinon pour affoler les usagers. Quant au gouvernement, voulant faire sauter les verrous du statut pour en finir avec cette « anomalie » dans sa politique néolibérale, il stigmatise les cheminots « qui coûtent trop cher » et se garde bien d’annoncer ce qui va toucher les usagers. Le rapport Spinetta prévoit, en effet, une hausse des tarifs, en supprimant le dispositif de régulation tarifaire de la SNCF, la suppression des lignes non rentables, la réduction des dessertes TGV. On est loin d’un grand maillage du territoire pris en charge par l’Etat en grande partie, ce sont les collectivités, au contraire, qui vont être en première ligne.

Quant à la concurrence qui permettrait de diminuer les coûts, il suffit d’ouvrir les yeux sur l’exemple du fret français et du transport de voyageurs britannique.

En France, le transport de marchandises ouvert au privé a un bilan catastrophique : alors qu’en 1947, 75% des marchandises transitaient par le rail, ce taux n’est plus que de 10% en 2014. De 1990 à 2015, le transport routier de marchandises a crû de 40% alors que le transport ferroviaire baissait de 34%. Pour la SNCF, selon la Cour des comptes, la concurrence a multiplié plus que par deux la dette imputable au fret entre 2008 et 2014.

Et il suffit de traverser la Manche pour faire un saut dans un futur plutôt moche : 20 ans de privatisation de British Rail = hausse incontrôlée du prix des billets, trains supprimés, accidents répétés, réduction du personnel conduisant près de deux Britanniques sur trois à souhaiter une renationalisation complète. Ils déboursent chaque mois six fois plus que les Français simplement pour se rendre sur leur lieu de travail (14% de leur revenu mensuel, très exactement, contre 2% pour les usagers de l’Hexagone.

Les 4 syndicats représentatifs de la SNCF, CGT, UNSA, SUD Rail, CFDT ont décidé d’un calendrier de deux jours de grève sur 5 à partir du 3 avril jusqu’à la fin juin. Il ne faudrait pas que cette unité lâche au profit d’une négociation interprofessionnelle sur les conditions de travail dans le ferroviaire, via un accord de branche qui s’appliquerait à toutes les entreprises privées du secteur du transport.

Ils ferment des lignes ! Ouvrons nos bouches ! Un collectif de salariés, de syndicalistes et d’usagers de la SNCF ont lancé un appel « Avant qu’il ne soit trop tard » pour un plan B écolo et social à la SNCF sur une base anti-productiviste, exigeant un grand débat public sur le devenir du chemin de fer, affirmant que le statut des cheminots, loin d’être un obstacle à la transition écologique est la condition du développement d’un grand service public ferroviaire.

Il n’est jamais trop tard… mais il va falloir mettre les bouchées doubles… à moins que le statut du cheminot ne soit la goutte qui fait déborder le vase… pour que tous disent : Macron, un an ça suffit !

Odile Mangeot, le 20.03.2018

Sources pour cet article : Attac, Politis, bastamag, le Monde, mediapart, Alternatives économiques          

(1)   Pour plus de détails sur l’histoire de la SNCF, voir article paru dans PES n° 36, juillet/août 2017