Démystifications (1)
Les médias et
formations politiques dominantes emploient des expressions destinées à rendre
impossible le doute, voire à étouffer toute critique ou contestation. Celles-ci
procèdent souvent à une inversion de sens qui, par répétition, ont un effet
performatif. Ainsi, dernièrement, l’accord de « sécurisation de l’emploi » n’est en fait qu’une procédure
d’acceptation de l’insécurité, sous prétexte d’accroître la rentabilité de
l’entreprise afin de regagner des parts de marché sur ses concurrents. Elle
occulte la baisse des salaires, l’accroissement du temps de travail et les
suppressions de poste qui sont requises pour « sécuriser » un certain nombre d’emplois au détriment d’autres
(mutations d’office, licenciements…).
Si le recours à cette
novlangue est possible sans répudiation massive, c’est que les conditions de
l’hégémonie de la pensée dominante le permettent. Il n’existe pas de
contre-discours suffisamment puissant ou de failles dans le discours des
gouvernants qui puissent opérer des brèches. La faillite du capitalisme d’Etat
à l’Est, ou du « socialisme réel »
ainsi que de la social-démocratie y sont pour beaucoup, tout comme l’apparente
« mondialisation heureuse »
avant la crise de 2007-2008 et les politiques « d’austérité » qui ont suivi.
Ce qui suit
voudrait démystifier, à titre d’illustration, certaines expressions passées
dans le langage courant qui, rabâchées, sont plus ou moins incorporées dans les
consciences car « les pensées de la
classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes ».
(Karl Marx)
« Le capital humain »
Est employé comme
son équivalent plus euphèmisé, la notion de « ressources humaines ». Dans sa mise en discours, cette
expression entend faire croire que chacun serait pourvu de « capital humain », la responsabilité
des individus, indépendamment de leurs positions sociales, consisterait à le
faire prospérer. Chacun serait donc un « entrepreneur de lui-même ». Notons d’abord que « capital humain » est une
contradiction dans les termes. Le capital est une accumulation de
« travail mort », de marchandises et d’argent. L’humain, au
contraire, c’est la force de travail mise en vente sur le marché du travail qui
s’oppose et permet l’accumulation du capital.
Cette expression
s’est opposée jusqu’à la faire disparaître à celles de « relations humaines » dans les
années 1970. Son émergence puis sa prépondérance dans le discours dominant
renvoient à la fin des « Trente Glorieuses », à un rapport de forces
devenu défavorable au monde du travail et à la suprématie du néo-libéralisme.
Le recours à cette
expression consiste
-
à faire croire, à répandre l’illusion que chacun pourrait
revaloriser, gérer sa propre personne comme un capitaliste, à devenir un bon
produit valorisé dans un monde concurrentiel,
-
à culpabiliser ceux qui galèrent et par conséquent à les
persuader qu’ils sont responsables de leurs échecs dans la mesure où la
mobilisation de leur capital humain serait insuffisante. Il y a là, évidemment,
de la part de ceux qui diffusent un tel discours, un profond cynisme vis-à-vis
de ceux qui vivent la précarité, le chômage, la pauvreté. Mais également une
part d’instrumentalisation des masses. Que l’on pense à tous les discours qui,
dans le même sens, désignent à la vindicte les « assistés »,
-
à occulter les inégalités sociales et, par conséquent,
l’appropriation inégale des ressources matérielles, sociales, culturelles et
symboliques. Il s’ensuit que les « mécanismes » de l’exploitation
capitaliste sont ignorés, voire niés. Le capital produirait par lui-même du
capital, cette illusion entretenue s’articule avec l’expression de « coût
du travail » et inverse la réalité : lors de la vente de la force de
travail, ce « coût » n’est que le salaire à diminuer pour accroitre
l’extorsion de la plus value, le surtravail qui n’est pas payé et qui, par son
accumulation, se constitue en profit et donc en capital. Dans le même mouvement
le « coût » de la « force de travail » renvoie à la
marchandisation du « capital » humain sur le marché du travail et donc
ce que Marx appelle le fétichisme de la marchandise qui renvoie aux rapports
sociaux caractérisant le système capitaliste.
Dettes publiques
Lorsque les
néolibéraux y font référence, ils l’enrobent d’un discours qui lui donne un sens tout en occultant son origine. En effet, si les dettes
publiques sont un « gouffre sans
fond », « une mauvaise
graisse de l’Etat », s’il y aurait « trop de fonctionnaires » et trop de « dépenses d’assistance », la réponse
tombe sous le sens : il conviendrait de mettre l’Etat au régime sec…. De
même, si « les impôts dissuadent de
travailler et d’entreprendre » la solution toute trouvée est de les
diminuer. Ainsi seraient résorbées les dettes publiques. CQFD.
La réalité est tout
autre. Les dettes publiques résultent de la différence entre recettes et
dépenses de l’Etat. Les recettes sont des impôts et des taxes, et les dépenses
permettent le fonctionnement de services publics et d’équipements publics. Les
routes, le rail, les télécommunications accélèrent la circulation des marchandises
et du capital, tout en étant financés par la collectivité. Démanteler les
services publics c’set en extraire les secteurs qui, pour le capital, seraient
source de rentabilité et donc d’accumulation.
L’endettement
public provient fondamentalement de décisions politiques consistant à
restreindre les impôts sur les plus riches, sur le capital industriel, commercial
et financier. Ce manque de recettes est compensé par le recours à l’emprunt
auprès de ceux qui possèdent des revenus excédentaires, c’est-à-dire les
catégories les plus fortunées, qui les placent en obligations d’Etat, en
capital porteur d’intérêts. Cette rente financière, sous forme de créances
publiques, est un à valoir sur le revenu futur de l’ensemble de la société qui
se concrétisera (si la « croissance » est au rendez-vous) sous forme
d’impôts et taxes. Ce sont les grandes banques, les compagnies d’assurances,
les fonds dits d’investissement qui servent d’intermédiaires pour ces
catégories les plus aisées, leur permettant ainsi de diversifier leurs
placements financiers et d’en réduire les risques.
L’Etat, déjà
investi par les classes dominantes dans les hauteurs de son appareil, devenu
client obligé du capital financier est donc mis sous pression, instrumentalisé
pour mieux servir les intérêts de cette fraction parasitaire du capital.
Du point de vue des
classes ouvrières et populaires, l’extinction des créances publiques ne peut
résulter que de l’annulation des dettes publiques tout en excluant les petits
porteurs. Un audit de la dette est donc nécessaire. Dans cette optique radicale
qui prend les choses à la racine, les banques privées ne se justifient pas,
l’expropriation n’est qu’un moyen de recouvrer les impôts que l’on était en
droit d’exiger des catégories les plus fortunées, tout en leur faisant grâce des
pénalités de retard.
La réforme
L’idéologie
dominante, celle qui s’est imposée depuis la fin des années 1970, inverse le
sens du mot réforme. Proclamer que « la France est irréformable », « archaïque »,
« rétive », qu’elle n’accepterait
pas le changement et, par conséquent, les « réformes » néolibérales,
consiste, sous le masque de la modernité, voire du progrès, à prôner des
mesures de régression sociale contraires au contenu initial inscrit dans
l’expression réforme.
En effet, originellement,
on trouve l’opposition entre réforme et révolution, entre ceux qui entendent
imposer la transformation progressive du capitalisme pour en sortir et ceux qui
prônent une transformation radicale.
Sous la 3ème
République, les premiers socialistes prônent des réformes de structure radicales : la municipalisation des sols
vise à éviter la spéculation et à annihiler la rente foncière. L’encadrement du
crédit et la nationalisation des grands secteurs industriels et financiers
poursuivent le même but, provoquer la sortie du capitalisme.
Avant 1914, un
premier glissement de sens s’opère. Pour la social-démocratie, il s’agit de
rechercher un compromis entre le capital et le travail, de s’installer dans un
système capitaliste à visage humain. La réforme est réduite à la conquête et à
la préservation d’acquis sociaux par les travailleurs. Ce
« gradualisme » s’oppose à la rupture dont étaient porteuses les
réformes de structure. Cette compromission avec le capital conduit à l’union
sacrée au cours de la 1ère guerre mondiale et à la rupture de 1920,
au congrès de Tours, entre sociaux-démocrates et communistes.
Après la 2ème
guerre mondiale, le compromis entre le capital et le travail trouve une
nouvelle assise dans le modèle keynésien-fordiste de la reconstruction et le
partage du monde en deux blocs. Pour Thorez, il ne s’agit plus de faire la
révolution, ou de prôner la rupture, mais « de retrousser ses manches » pour relancer la production
capitaliste tout en espérant une redistribution des richesses concédées par le
système. Là s’arrête la réforme issue du programme national de la Résistance.
A la fin des années
1970, la classe dominante face à la crise et dans le souci de la surmonter,
entend casser le modèle keynésien-fordiste à bout de souffle afin de développer
le capital financier permettant de gagner, en dehors de la sphère nationale,
des parts de marchés. Ce processus, entamé avec la construction européenne et
par les multinationales, va connaître une accélération sans précédent. Briser
les protections sociales suppose le recours à l’idéologie pour produire une
nouvelle forme de consentement. La réforme prend dès lors un autre sens. Elle
consiste, en effet, dans la destruction des acquis du compromis fordiste, dans
le démantèlement de la réglementation légale et conventionnelle qui seraient
autant d’entraves, de lourdeurs plombant la compétitivité. Autrement dit, la
flexibilisation du travail est requise, tout comme le démantèlement du système
de protection sociale.
Par l’emploi du mot
réforme, il s’agit, en fait, de
convaincre les victimes de la régression sociale qu’il s’agit aujourd’hui de
consentir à des efforts, des sacrifices qui, demain, permettront le retour de
la croissance. Il s’agit là, sous le couvert de progressisme apparent, d’une
entreprise fondamentalement réactionnaire inaugurée par la «contre- révolution »
néoconservatrice de Reagan et Thatcher, impulsée dès 1983 par Mitterrand. La
gauche social-démocrate convertie au néo-libéralisme (Blair, Schroeder) va
participer à ce marché de dupes et nier son réformisme antérieur.
Cette gauche de
droite ne peut que s’aliéner le monde salarial qui constitue sa base
électorale. La crise s’approfondissant laisse augurer d’un retour de la lutte
des classes, de l’émergence de revendications porteuses de réformes de
structure, voire d’un nouveau projet révolutionnaire.
L’égalité des chances
Alors même que les
inégalités explosent, le discours dominant consiste en une charge contre
« l’égalitarisme »
conduisant au totalitarisme pour mieux faire accepter l’ordre social réellement
existant. Il se conjugue avec la diffusion de la croyance à « l’égalité des chances » que le
système permettrait à tout un chacun.
« L’égalitarisme » conduirait à
l’uniformité et à la négation de la différence des talents. Ce « nivellement par le bas »
serait, non seulement stérilisant, mais inefficace. En effet, contraire à
l’émulation des individus, il démotiverait et briserait, par conséquent,
l’esprit d’entreprise. Par le recours à ce terme (l’égalitarisme), il s’agit
de confondre l’égalité avec l’identité, à faire croire que l’égalité de condition
conduit à l’uniformité (tous pareils) et à occulter par là-même les inégalités
sociales et de pouvoir, sous prétexte d’efficacité économique ; c’est la
guerre de tous contre tous qui est prônée. Cette inégalité, ressort de la
concurrence d’où surgiraient les meilleurs, occulte les pesanteurs de la
hiérarchie bureaucratique et le despotisme d’usine qui aliènent l’autonomie des
sujets. Cette oppression pour ceux qui la subissent, comme l’actualité ne
manque pas de la faire sourdre, peut conduire à une perte de sens, à une vie
sans issue et au désespoir individuel d’autant que « l’ascenseur
social » (je progresse et mes enfants vivront mieux que leurs parents),
induit par le modèle keynésien fordiste, disparaît de l’horizon générationnel.
Pour compenser
cette réalité confondante, cette explosion des inégalités réelles, la pensée
dominante a recours à une autre locution : « l’égalité des chances ». Egaux formellement, nous aurions
les mêmes chances d’accéder dans le haut de la hiérarchie sociale par le
recours à l’école qui distinguerait les meilleurs. Bien que l’on sache, depuis
Bourdieu, que l’école ne fait que reproduire les inégalités sociales, le
recours à l’expression « égalité des
chances » consiste à entretenir l’illusion que chacun, quelle que soit
sa position sociale, peut accéder aux meilleurs places dans la société, les
exceptions confirmant la règle. Il s’agit, de fait, de cautionner la hiérarchie
sociale et la concurrence qui la régulent. L’inégalité aussi profonde soit-elle
serait donc un fait de nature, une essence de la condition humaine que l’on ne
pourrait modifier. Les individus, quelle que soit leur position de départ,
pourraient tenter individuellement contre tous les autres leurs chances.
L’égalité dans cette acception devient une question de chances, se confond avec
la roue de la fortune, le destin, le hasard. Cette vision est la négation de
l’action solidaire et collective, visant à réduire les inégalités.
En fait, là où il y
a égalité, il n’y a pas besoin de chance. Elle réduit les possibilités de
domination et d’oppression en favorisant la coopération d’égal à égal. Les
possibilités d’action en sont décuplées : parler, agir d’égal à égal,
c’est exercer sa liberté, les conditions matérielles n’étant plus un frein, la
créativité, le développement des personnalités dans leur singularité pourraient
se déployer dans de bien meilleures conditions. Reste qu’il ne peut y avoir
d’égalité réelle sans remise en cause de la propriété des moyens de production
et de l’accumulation des moyens monétaires. La République égalitaire ou sociale
ne peut coexister avec les privilèges de l’appropriation des moyens de domination
réservés à une classe, une caste, qu’elle soit privée ou étatique.
Liberté, libéralisme,
libéralisation.
Confondre la
liberté et le libéralisme, le libéralisme politique et le libéralisme
économique est propre au système capitaliste. La liberté politique serait
fondée sur l’existence de plusieurs partis concurrents sans que l’on
s’interroge sur le contenu de leurs programmes et sur la place dévolue aux
travailleurs dans le système parlementaire d’alternance. Quant à la liberté
économique, elle renverrait également à la libre concurrence, sans que l’on s’interroge
sur la place prédominante, voire écrasante, des grands groupes cotés au CAC 40,
sur leurs sous-traitants, les petits commerçants et artisans. Dans le contexte
de la mondialisation financière, le discours dominant s’est emparé de la notion
de libéralisation pour faire le procès de l’Etat keynésien, pour réduire ses
capacités interventionnistes et contraignantes.
L’Etat serait
inefficace en se mêlant d’économie. Il s’agit donc de rendre, dans cette
perspective, la liberté aux entreprises. La liberté des échanges sans entraves,
sans taxes douanières, serait la garantie de la baisse des prix et de l’accès
pour tous à la consommation. Tout le monde y gagnerait. Inversement, le protectionnisme,
ce serait la pénurie voire le goulag.
Derrière cette
charge idéologique, ce qui est visé, c’est le compromis qui s’est tissé après
la 2ème guerre mondiale entre le capital et le travail qui était
censé garantir la reconstruction, le plein emploi, la hausse du niveau de vie
et la baisse tendancielle du temps de travail, permises par le développement de
la productivité, l’intensification du travail sous forme de taylorisation
généralisée, la prolétarisation des paysans et le recours massif à
l’immigration. Ce compromis possédait plusieurs caractéristiques qui sont désormais
remises en cause, à savoir
-
l’Etat interventionniste qui a permis une socialisation
accrue des conditions générales de la production capitaliste
-
la politique d’encadrement du crédit, de création
monétaire, de régulation du taux de change visant à juguler dans la perspective
keynésienne l’expansion du capitalisme financier.
-
l’encadrement de la concurrence par des monopoles d’Etat
et une volonté de planification de l’essor industriel.
Ce modèle, vite
contrecarré par le marché commun européen, répondait à une configuration
historique particulière, l’existence d’un système hiérarchisé d’Etats sous
domination états-unienne à l’ouest, et à l’est, sous domination du système dit
soviétique. C’est ce cadre qui s’est effrité puis à éclaté à la fin des années
1970 sous les effets conjugués de la crise de surproduction et de
l’effondrement des pays de l’Est.
Dans le périmètre
des Etats-nations, à l’ouest, les marchés de renouvellement sont saturés et
l’insuffisance des salaires (tout comme les conditions de travail des OS) ne
permettent plus d’absorber les marchandises produites. Pour contrecarrer cette
crise de surproduction ainsi que la baisse tendancielle du taux de profit et le
restaurer, les pays capitalistes se lancent à la conquête de nouveaux marchés, là où la force de travail à
bas coût permet l’extraction d’un surplus de plus value. Cette extension-mondialisation
nécessite le recours massif à des capitaux ; la déréglementation
financière et la domination du capital financier qui s’en suivent vont le permettre.
Dans le même mouvement, le système de protection sociale est progressivement
démantelé tout en rencontrant de fortes résistances.
Bien que les deux
phénomènes soient liés, il y a lieu de distinguer la
« libéralisation » interne de l’externe pour en saisir les
spécificités.
La « libéralisation » interne se caractérise par l’abandon de la souveraineté monétaire au profit des
banques privées. Décision politique fut prise d’obliger les Etats à ne plus
emprunter auprès de leur banque nationale mais auprès des marchés, donc, pour
l’essentiel, les banques privées. Au niveau européen, la Banque Centrale
Européenne « indépendante » des pouvoirs politiques est devenue le
prêteur des banques privées, favorisant ainsi, au détriment des Etats, le
capital financier détenu dans les institutions financières privées (banques,
assurances, fonds d’investissement). Dans le même esprit, la BCE et les
institutions européennes, en accord avec les gouvernements, ont institué une
politique anti-inflationniste favorisant la rente financière qui, en
définitive, n’est qu’un prélèvement sur la richesse produite.
Quant à la
privatisation des services publics ou leur démantèlement, en délimitant les
secteurs rentables, ouvraient à la fois de nouvelles opportunités de valorisation
du capital dans des secteurs lui échappant tout en rassurant par la vente de
ces actifs, aux créanciers de l’Etat qu’ils seraient effectivement remboursés
malgré l’importance des emprunts souscrits.
Cette
« libéralisation », notion à multiples sens, s’est ensuite attaquée
au salaire socialisé (les retraites, les prestations sociales), tout en
précarisant le travail (recours à l’intérim, aux CDD). Ce qui est visé c’est la
baisse de la masse salariale et, consécutivement, la déréglementation du droit
du travail, qu’elle soit légale ou conventionnelle. La restauration des marges
de profitabilité qui en résultent se doit dans la même foulée de restreindre
les capacités de riposte des travailleurs. En ce sens, la substitution de la
négociation collective par branche à la négociation par entreprise, voire
l’individualisation du rapport salarial, prétend enrayer toute mobilisation
collective d’ampleur. Toutes ces mesures, indépendamment des conséquences
désastreuses pour les travailleurs, impulsent une concurrence exacerbée entre
les travailleurs eux-mêmes, mais également entre les entreprises, et on a
assisté à des concentrations-éliminations gigantesques qui, sous le terme de
« fusions-acquisitions » nécessitaient de lever des capitaux considérables.
La « libéralisation » externe. Elle est toujours en cours et menée par l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) même si elle rencontre désormais, du fait de la crise, du
surgissement des pays émergents et du déclin relatif des Etats-Unis, des
difficultés réelles. Lors des accords de Marrakech en 1995, il s’agissait
d’abaisser les barrières douanières afin de permettre aux transnationales,
délocalisant dans les pays à bas salaires, de vendre dans les pays centraux
leurs marchandises sans être ponctionnés. Inversement, les profits nationaux
pouvaient, dans la même optique, être réinvestis à l’étranger. L’Accord Général
du Commerce et des Services allait dans le même sens et concernait les produits
immatériels. Quant à la libéralisation du capital, elle a donné lieu à des
« innovations » financières favorisant l’envolée de la spéculation et
donc l’accroissement de la rente financière et, au cours des crises, à une
concentration bancaire sans précédent. Les pays du sud de l’Europe, au bord du
gouffre (Espagne, Grèce…) voient leur système bancaire restructuré sous la
houlette de la Troïka.
Quelles en sont aujourd’hui les conséquences ?
Indépendamment des
effets de la crise de 2007-2008 qui nécessiteraient des développements
particuliers (2), on a assisté à une modification de l’appareil productif,
concentré jusque dans les années 1970 dans les pays capitalistes centraux. Les
délocalisations sont des transferts de
pans entiers de secteurs industriels qui ont favorisé le procès de production
dans les formations périphériques puis les capitalismes nationaux dans les pays
dits émergents (Chine, Inde, Brésil). Il s’en est suivi une prolétarisation au
niveau mondial qui se poursuit et qui touche également les Etats centraux, sous
la forme des externalisations. Les grandes usines, quand elles ne fermaient
pas, furent restructurées, délestées des tâches et services qui ne
constituaient pas le « cœur de métier » de leur production. Se sont
développées les usines de sous-traitance ou les phénomènes de filialisation
dans le but inavoué de se débarrasser des travailleurs en les confiant à des
entreprises où les conventions collectives sont inexistantes. Globalement,
l’exploitation du travail en est sortie renforcée d’autant que délocalisations
et externalisations se conjuguaient avec chômage et précarisation du travail,
créant une pression à la baisse des salaires.
Les décisions
politiques favorisant les transnationales et le capital financier, interdisant
toute intervention de l’Etat sur le développement économique, les Etats et les
politiques se trouvent bien démunis pour rendre attractifs leurs territoires
nationaux. Il ne leur reste que la course au moins-disant social, fiscal et
écologique qui les livre à la merci d’institutions mondiales au service du
capitalisme financiarisé.
C’est le rôle que
jouent, sous l’appellation de « gouvernance mondiale » le FMI, la
Banque Mondiale, la BCE et les rencontres des gouvernements (G8, G20) dont
l’objectif, peu ou prou, compte tenu des contradictions qui s’exacerbent entre
pays dominants, consiste à accroître la mise en concurrence mondiale des
travailleurs.
Si le libéralisme
économique classique (qu’il ne faut pas confondre avec le libéralisme
politique, liberté concurrentielle des partis et des opinions) a permis de
démanteler les structures précapitalistes (artisans, petits paysans), le
néolibéralisme entend démanteler les structures mises en place dans le cadre du
compromis fordiste dont la parenthèse ouverte après guerre s’est refermée. Pour
reprendre la formule de Michel Husson, nous sommes revenus au « pur
capitalisme » (titre de son livre paru aux éditions Page 2).
Gérard Deneux, le
30.04.2013
(1)
Il s’agit d’une reprise de notes prises dans le cadre de
la préparation du débat initié par l’assemblée citoyenne de
Lure/Ronchamp/Champagney. Pour l’essentiel, elles sont issues de la lecture de
l’ouvrage d’Alain Bihr « La novlangue néolibérale »
éditions Page Deux
(2)
Voir en particulier les articles sur la crise parus sur
le blog des Amis de l’Emancipation
Sociale http://les-amis-emancipation-sociale.blogspot.fr/
ou dans la revue A Contre Courant http://www.acontrecourant.org