« Salauds
de pauvres !»
Pendant
la campagne électorale présidentielle, les discours anti-pauvres et
anti-immigrés ont fleuri. La « pauvrophobie » liée souvent à
« l’immigraphobie » prend diverses formes : de la
culpabilisation des chômeurs qui se complairaient dans l’assistanat sur le dos
de ceux qui travaillent, aux arrêts anti-mendicité édictés par plusieurs
villes, jusqu’aux incendies volontaires de centres d’hébergement. Pour
combattre les idées reçues… et répandues, ATD Quart Monde a publié « En finir avec les idées fausses sur les
pauvres et la pauvreté »(1), rappelant quelques évidences… trop
souvent oubliées par les colporteurs de préjugés.
Préjugé n° 1 : les pauvres
pourraient travailler s’ils le voulaient. Près des 2/3 des Français seraient convaincus que « si l’on veut travailler, on trouve ».
Les ex-ministres du Travail Rebsamen et El Khomri ont déclaré, pour le premier
que 400 000 postes, pour la seconde 300 000, étaient
« abandonnés » chaque année faute de candidats.
CQFD - Ce qu’il faut dire :
Ce qui freine la reprise d’emploi, c’est le manque de moyens de transport, de
formations adaptées, de modes de garde accessibles pour les enfants, les
problèmes de santé et surtout le manque d’emplois décents et suffisamment
rémunérés. Les personnes pauvres sont aussi victimes de discrimination à
l’embauche : à qualification égale, un Français perçu comme étant
« d’origine immigrée », postulant pour un emploi, a 5 fois moins de
chance qu’un autre d’obtenir un entretien. Une personne qui fait apparaître sur
son CV un emploi en insertion ou un domicile en foyer d’hébergement a également
moins de chance de décrocher un rendez-vous. Entre 2007 et 2011, un demi-million
de personnes ont renoncé à un poste en raison de problèmes de logement et du
surcoût de la mobilité exigée. Il y a enfin des offres d’emploi
farfelues : par ex. une heure de ménage par semaine, en pleine campagne,
le dimanche.
Préjugé n°2 : les pauvres ne paient
pas d’impôts alors que les classes
moyennes seraient matraquées par le fisc ?
CQFD : Oui, les personnes en situation de pauvreté échappent à l’impôt
sur le revenu. Elles paient cependant comme tout le monde le principal impôt, la TVA,
sur tous les produits et services qu’elles achètent, qui constitue 50% des
recettes fiscales de l’Etat. Les célibataires gagnant plus de 10 700 €/an
(plus de 892€/mois) paient aussi la CSG et la CRDS, contribuant au financement
de la sécurité sociale.
Résultat :
les 10% de la population française qui ont
les revenus les plus bas paient en moyenne 40% d’impôts quand les 0.1% les plus riches en paient
environ 35%. Une personne avec 1 000€ de revenu/mois contribue aux
cotisations sociales, aux impôts sur la consommation, à l’impôt sur le revenu
qui mobilisent une proportion beaucoup plus grande de ses maigres revenus que
les 0.1% les plus aisés (plus de 250 000€/an). Et ces données ne prennent
pas en compte les niches fiscales, permettant aux plus hauts revenus de diminuer
encore leur taux d’imposition.
Préjugé n° 3 : Les pauvres touchent
des aides indûment ou fraudent massivement.
CQFD : Si elle est bien réelle, la fraude aux prestations
sociales est très faible par rapport aux autres types de fraudes. En 2016, la fraude au RSA a coûté 100
millions€ à l’Etat, soit 30 fois
moins que la fraude fiscale qui a amputé le budget de la France de plus de 3 milliards€. Et 168 fois moins que la fraude patronale
aux cotisations sociales, estimées par la Cour des comptes à 16.8 milliards en 2012. La fraude
douanière coûte, elle, plus de 400 millions€.
Les
fraudes aux prestations familiales sont estimées à 1 milliard€. A ce chiffre, il faut les 11 milliards/an d’économies de l’Etat du fait des non-recours à ces
prestations, soit 5.3 milliards pour le RSA, 4.7 milliards pour les prestations
familiales et le logement, 828 millions pour l’allocation personnalisée d’autonomie ». Nombre de personnes renoncent à
leurs droits du fait de la complexité des démarches, de leur dématérialisation
croissante, de la volonté de ne pas dépendre de l’aide publique, du manque d’information…
Préjugé n° 4 : les pauvres
profitent des logements HLM et du RSA.
CQFD : 65% des
familles vivant dans la pauvreté sont logées dans le parc privé, souvent dans des logements dégradés et
surpeuplés et ce, du fait du coût sans cesse croissant des logements HLM. La
part du loyer et charges dans les revenus des locataires HLM est passé de 16%
en 1984 à 23% en 2011.
On ne peut pas gagner plus avec le RSA
qu’avec le Smic. Le montant du Smic
net mensuel est de 1 144€ (2016), celui du RSA de 525€ (461 en cas d’aide
au logement). Un couple avec 2 enfants de moins de 14 ans, percevant chacun le
RSA et une aide au logement vit avec 1 523€/mois. S’ils travaillaient
chacun payé au Smic, ils gagneraient 2 211€/mois soit une augmentation de
45%. Non, les pauvres ne font pas d’enfants pour s’enrichir. Le taux de fécondité
des familles ouvrières françaises est à peine plus élevé que celui des familles
cadres : 2,3 enfants contre 2,2 !
Préjugé sur les immigrés. Ils viennent
massivement en France pour l’aide
sociale.
CQFD : entre 1975 et 2013,
l’immigration a augmenté de 1,4 point. De 6.6% en 1931, la part de la
population immigrée est passée à 7,4% en 1975 à 8,8% en 2013. Nous sommes très
loin des 23% qu’imagine une partie des Français. La France a accueilli très peu
de réfugiés syriens, ils ont été seulement 10 000, entre 2011 et 2015, à
obtenir le statut de réfugié, soit 2 000 en moyenne/an alors que
l’Allemagne en a accueilli plus d’un million rien qu’en 2015 ! La France
n’attire guère : en 2014, elle a rejeté
83% des demandes d’asile, de plus, les demandeurs sont soumis à des
démarches complexes, opaques, sans droit
de travailler, sans autre aide que la faible allocation pour demandeur
l’asile (200 à 340€/mois) et l’aide médicale de l’Etat. Il n’y a pas d’accès
automatique aux aides sociales : pour prétendre au RSA, ils doivent être
titulaires depuis au moins 5 ans d’un titre de séjour les autorisant à travailler ;
pour le minimum vieillesse, il faut un titre de séjour depuis 10 ans avec
autorisation de travailler et résider régulièrement en France. Personne ne peut
donc débarquer en France et toucher le minimum vieillesse ou le RSA du jour au
lendemain.
Rien
de tel pour répondre à ceux qui répandent
la peur et la haine du pauvre et de l’immigré.
Signalé
par Alain Mouetaux
(1)
Edition 2017, de
Claire Hédon, Jean-Christophe Sarrot, Marie-France Zimmer, éd. l’Atelier