Assurance
chômage : « cure de jouvence » ?
Macron
considère que le contexte politique lui est favorable. Il veut en profiter pour
pousser son avantage, après les ordonnances concernant le droit du travail, visant
à « libérer » les forces économiques, (par ex, en facilitant les
licenciements pour favoriser les embauches !), et à attaquer les
protections des salariés. Les oppositions politiques étant quasi nulles et un
front social et syndical incapable de s’organiser, il semble avoir une voie
royale devant lui. Pour baisser la dépense publique de 54.6% du PIB à 51% en
2022, il ouvre un autre chapitre, celui de la « rénovation du modèle social » qui « offrirait de nouvelles protections aux actifs et faciliterait les
parcours professionnels ». Après avoir flexibilisé le travail, voici
le temps de le sécuriser ! Il veut bâtir la flexisécurité à la française.
Le 11 janvier, étaient lancées les négociations sur les réformes de
l’assurance-chômage, la formation professionnelle et l’apprentissage, pour être
bouclées par une loi en mars. Chaque jeudi, jusqu’au 16 février, les
« partenaires » sociaux vont plancher sur la « cure de jouvence »
à appliquer. Qu’en est-il ? Qu’en sait-on ? Etendre et contrôler
semblent être les deux grands axes.
1 - Etendre
l’assurance-chômage
Macron
avait promis, dans sa campagne, d’étendre
l’assurance-chômage aux démissionnaires. « Je veux que tous les 5 ans, tous les salariés puissent avoir accès à ce
droit de chômage s’ils décident de démissionner ». Aujourd’hui, sur
plus de 1 million de démissions, 70 000 sont indemnisées. L’étendre
« généreusement » pourrait coûter entre 8 et 14 milliards € la 1ère
année, puis entre 3 à 5 milliards les années suivantes, chiffres dévoilés par les Echos. A peine annoncé qu’un pas en
arrière était fait et des limites posées : cette indemnisation ne
pourrait être accordée qu’une fois tous les 5 ans et l’indemnité serait
plafonnée. L’on s’oriente donc plutôt vers un toilettage de ce qui existe déjà,
puisque l’indemnisation des démissionnaires est possible, dans 15 cas légitimes,
comme suivre son conjoint exerçant un nouvel emploi dans une autre résidence,
suivre son enfant handicapé placé dans une structure d’accueil éloignée,
changer de résidence pour violences conjugales, etc.
L’autre
extension de l’assurance-chômage
concerne les indépendants : chefs d’entreprises non-salariés,
autoentrepreneurs, artisans, commerçants, professions libérales, sachant qu’un
certain nombre de ces indépendants n’y sont pas favorables et notamment l’Union
des entreprises de proximité. Ce pourrait être un système optionnel plus
avantageux que les assurances privées actuelles mais cela représente environ 3
millions de personnes avec des profils très variés. Il a déjà été annoncé qu’il
n’y aurait pas, pour ceux-là, de cotisation supplémentaire puisqu’ils financent
déjà le système par la CSG !
Tout
cela devrait se faire sans augmentation des cotisations alors que des diminutions
sont déjà engagées : depuis le 1er janvier, les cotisations
salariales maladie et chômage sont remplacées par une augmentation de 1.7 point de CSG. L’UNEDIC, qui perçoit les
cotisations chômage et les redistribue aux indemnisables, accuse un déficit
régulier : 4 milliards € en 2016 (35.5 milliards de recettes et 39.5
milliards de dépenses) alourdissant la dette et la faisant monter à plus de 33
milliards.
Alors,
inconséquence notoire des décideurs ?
L’on
peut surtout s’interroger sur ce qui se cache derrière ces propositions.
Le
système actuel contributif et assurantiel est assis sur des cotisations sociales
payées par les salariés et les employeurs, pour financer des allocations-chômage
à ceux qui en ont besoin quand ils sont licenciés, dont le montant varie en
fonction du dernier salaire perçu et de la durée de l’emploi perdu. La grosse
crainte de ses partisans est qu’il bascule dans un système de minimum social
d’un même niveau pour tous. Cette crainte n’est pas sans fondement ; elle
est concomitante des régressions inscrites dans la loi Travail. Il ne s’agit en
aucune manière de la part du gouvernement des ultra-riches de Macron, de
générosité vis-à-vis d’autres catégories sociales. Cette « cure de
jouvence » de l’assurance-chômage fait glisser le financement par
cotisations obligatoires des salariés et des employeurs à un financement par
l’impôt. Du même coup, et c’est le risque, elle pourrait modifier le mode de
gestion du système actuel. En effet, quelle légitimité auraient les
représentants des salariés et des employeurs à gérer paritairement l’UNEDIC,
dans un système où intervient un troisième partenaire ? Irait-on vers un
ménage à trois (patronat, syndicat, Etat), puisque l’impôt est mobilisé, pour
glisser vers un système totalement contrôlé par l’Etat ?
2 - Contrôler
les chômeurs
Pour
permettre l’accès à l’assurance-chômage à d’autres catégories sociales, à coûts constants, Macron propose de
renforcer le contrôle des chômeurs, c’est le deuxième axe de cette
« réforme ».
Les
gouvernants d’aujourd’hui, pas mieux que ceux d’hier, considèrent qu’il y a
deux catégories de chômeurs : les involontaires et les volontaires. Aussi, l’affirme Mme
Pénicaud, ministre du travail : « il
n’y a aucune raison qu’on laisse tranquilles les fraudeurs des
Assedic ! ». La chasse aux « fraudeurs » va s’ouvrir. Rien
de bien nouveau. La règlementation actuelle impose aux chômeurs d’effectuer
« une recherche d’emploi active, concrète et justifiable au moyen de
preuves ». Pôle Emploi peut radier celles et ceux qui rejettent à deux
reprises sans motif légitime une offre raisonnable ou ne se présentent pas,
sans motif valable, à des entretiens individuels, par exemple. Eh bien, il faut
mater tous ces « profiteurs » affirme la ministre, cette ex-DRH de
Danone qui, bien placée pour connaître le plan de licenciements qu’elle mettait
en œuvre, a vendu ses stock-options juste au bon moment pour empocher le
pactole de 1.13 million €, soit en une journée, ce que gagnent des millions de
smicards ! Profiteuse ? Non !!!!
Peu
importe d’ailleurs que les analyses conduites par Pôle Emploi démontrent que le
contrôle des demandeurs d’emploi ne donne pas de résultats concluants... parce que ceux-ci ne trichent pas. 215
agents de Pôle Emploi sont spécialement affectés aux contrôles : sur une
période de 18 mois (2015/2016), les 269 000 contrôles effectués révèlent
que 9 inscrits sur 10 sont actifs dans leur recherche d’emploi ; sur les 14%
sanctionnés et radiés, 60% ne percevaient plus d’allocation, on ne peut donc
les accuser de « profiter des allocations » ! On n’est donc pas
face à une «’armée de profiteurs » qui mettrait tout le système
d’assurance-chômage en péril. Mais pour ceux qui veulent réduire les dépenses
publiques, l’important est de désigner les «fainéants » pour les livrer à
la vindicte des « vertueux » et accroître les radiations pour ceux
qui n’accepteraient pas deux offres « raisonnables » ;
et pourtant la loi de 2008 qui prévoit déjà une disposition similaire est inapplicable
parce que la plupart des offres sont mal libellées, ne mentionnant pas la
rémunération ou concernent des contrats courts, très courts… Peu importe !
Le président annonce la multiplication par 5 des agents dédiés au contrôle
alors que la baisse des effectifs à Pôle Emploi est déjà réelle et que
l’objectif de réduire les dépenses publiques prévoit la suppression de 300
équivalents temps plein (1) alors que les agents de Pôle Emploi sont débordés
par les tâches de contrôle et de suivi (tableaux, données informatiques…) prouvant
que les objectifs sont atteints… personne n’est dupe.
Plutôt
que faire la chasse aux chômeurs, mieux
vaudrait faire la chasse aux contrats courts proposés par les employeurs, et
appliquer un bonus-malus sur les cotisations patronales, en fonction de la
propension ou non du patron à recourir aux contrats courts (moins de 1 mois).
Ces contrats coûtent très cher à l’UNEDIC en indemnisations-chômage, environ 6,2
milliards par an, sachant que les CDD très courts représentent 69% des
embauches, hors intérim. Entre 2000 et
2014, les embauches en CDD de moins de 1 mois ont augmenté de 140%. Mais, à peine
annoncé cet objectif gouvernemental ne semble déjà plus d’actualité :
« Le bonus-malus est une réponse
mais il n’a jamais été un objectif en soi » indique-t-on dans
l’entourage de Pénicaud alors même que Macron s’y était engagé pendant sa
campagne !
Agir ou réagir
Les
points-phares de cette « refonte » de l’assurance-chômage traduisent
une volonté de modifier profondément le système existant. Dans le contexte de
chômage actuel et, par conséquent, de dépenses importantes en indemnisations,
la volonté d’élargir l’assurance-chômage à des catégories sociales nouvelles, le
refus d’augmenter les recettes en cotisations de l’UNEDIC en préférant le
financement par l’impôt, devraient suffire à nous faire descendre dans la rue pour
protester fermement contre la chasse aux chômeurs qui va s’accentuer, la
précarité de l’emploi qui va augmenter, le droit de regard et de décision des
représentants des salariés (même s’il est largement imparfait) qui va
disparaître.
La
« cure de jouvence » risque de se transformer en amaigrissement fatal
pour l’assurance-chômage. La « réforme » simultanée de
l’apprentissage et de la formation professionnelle n’augure rien de moins que
la facilitation de la flexiblité, la précarisation de l’emploi. Alors, pourquoi
attendre la fin du cycle des négociations ? Il sera trop tard début mars,
lorsque la proposition arrivera à l’assemblée nationale. La colère gronde et
nos grognements sourds doivent se transformer en actes de résistance collective
pour bloquer demain les contre-réformes qui se poursuivent. Laisserons-nous
faire ou entonnerons-nous le chant des mineurs américains ? (2)
Dans quel camp tu es ? De quel côté ?
Vous restez là sans bouger, mais comment
pouvez-vous ?
Etes-vous un de ces mouchards ou êtes-vous avec
nous ?
Ne te vends pas aux patrons, n’écoute pas leurs
sottises
Nous, pauvres diables, notre seule chance, c’est qu’on
s’organise.
Dans quel camp tu es ? De quel côté ?
Odile
Mangeot, le 14 .01.2018
(1)
Source Politis du
16.11.2017
(2)
Extraits de Which side are you on ? de Florence
Reece, épouse d’un leader syndical, lors d’une grève des mineurs, en 1931, dans
le canton d’Harlan, Kentucky. Chanson interprétée par Olivier, dans sa
conférence gesticulée Chômeurs en miettes
à retrouver sur https://conferences-gesticulees.net/chômeurs