2020.
L’année du chaos ?
Il
est toujours hasardeux de discerner l’avenir immédiat, l’inattendu nous
surprend toujours comme des Gilets Jaunes qui semblent sortir de nulle part. Il
n’empêche. Des signes inquiétants surgis dans l’actualité récente confortent la
perception de trois processus mortifères à l’œuvre : les cycles de
mobilisations populaires suivis de répressions, de statu quo provisoire, voire
d’instauration de régimes néofascistes, xénophobes et nationalistes ; la
temporalité des guerres d’influence et des interventions militaires et ce, sur
fond de dérèglement climatique de plus en plus prononcé.
Du
Soudan, en passant par l’Algérie, l’Irak, le Liban et, en Amérique latine, l’Argentine
contre le milliardaire Macri, pour n’évoquer que ces pays, des soulèvements populaires, par vagues
successives, tentent d’effriter les pouvoirs en place. Ils s’insurgent contre
la misère, la dégradation des conditions de vie, l’austérité. Ils s’en prennent
aux tyrans, aux kleptocrates… Dans l’action, ils apprennent à se défaire,
difficilement, des représentations religieuses (Liban, Irak) qui les divisent
mais… restent toujours sans perspective. Leur seule boussole se limite au
dégagisme avant qu’il ne soit l’objet de répressions sanglantes (Egypte, Iran)
ou d’une lassitude momentanée avant un nouveau rebond. Comme disent certains
Algériens, les manifestations du vendredi ne suffisent plus. La construction
organisée d’une transformation révolutionnaire réelle ne semble pas encore être
à l’ordre du jour.
L’affaiblissement relatif de l’empire
états-unien provoque en retour la constitution
de blocs de puissances qui minent son hégémonie. La logique guerrière des
Etats-Unis en Afghanistan, en Irak… sont autant de défaites non assumées. « Ces guerres sans fin » qui ont attisé
les conflits religieux, semblent conduire le tigre blessé à se retirer dans sa
tanière, tout en devenant toujours plus agressif. Il s’enferme dans une
insoutenable spirale de représailles. Inaugurés par Obama, en particulier au
Yémen, les assassinats ciblés sont autant de réactions au sentiment
d’humiliation ressenti (manifestation contre l’ambassade US en Irak). Comme dit
le rugissant Trump « on manque de
respect pour les Etats-Unis ». La décision bravache, unilatérale, de
briser l’accord sur le nucléaire avec l’Iran pourrait transformer cette guerre
non déclarée (blocus, sanctions) en guerre réelle. Au bord du gouffre, chacun
des protagonistes retient son souffle… Mais des coalitions se tissent, des
ambitions s’engouffrent, profitent des faiblesses supposées des autres :
La Russie de Poutine derrière l’Iran, derrière la Turquie, soutenant mordicus
le boucher Assad en Syrie et envoyant désormais ses mercenaires en Libye pour
détrôner le gouvernement Sarraj, installé à Tripoli par ladite communauté
internationale.
Et
puis, derrière les Etats-Unis et leurs supplétifs européens, fournisseurs
d’armes de destruction massive, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis qui
supplicient la population du Yémen et prétendent faire rendre gorge aux chiites
houthistes du Yémen, soutenus par l’Iran éloigné. Derrière les masques
religieux de haines exacerbées et instrumentalisées, Mahomet ne reconnaît plus
les siens ! Surtout si l’on y rajoute le sultan Erdogan qui lorgne sur le
pétrole en mer de Chypre. Il conclut à cet effet un accord avec la Libye de Sarraj
et menace d’intervenir militairement comme il l’a fait en Syrie contre les
Kurdes. Les « somnambules »,
pour reprendre un titre d’un livre retraçant le processus de déclenchement de
la 1ère guerre mondiale (1), dansent au bord du volcan. Pour
l’heure, ils provoquent de multiples migrations des populations, leur exil ou
leur internement dans des camps de misère.
Pire,
ces guerres suscitent la dissémination, le regroupement de mercenaires et de
trafiquants qui, comme au Sahel, n’ont aucune difficulté à recruter des jeunes
miséreux. A ces djihadistes en herbe, plutôt que le Coran, on offre une moto,
une arme, voire une femme pour une « vie d’aventures » meurtrières.
Et les interventions militaires ne font qu’aggraver et répandre la tumeur.
Les
maffias constituées, soit de fous de dieu ou de gangs comme en Amérique latine,
sont les sous-produits délétères d’un système dérégulé où les profits et la
puissance qu’ils confèrent, impliquent une concurrence exacerbée et des alliances
versatiles.
Cette
évocation des blocs de puissance qui s’affrontent ne saurait occulter la
rivalité essentielle : celle de la guerre commerciale entre les Etats-Unis
et la Chine où les sanctions et la justice extraterritoriale des uns se heurtent
aux mesures de rétorsion de l’autre. L’impérialisme économique et commercial de
l’Empire du milieu continue sa trajectoire. « Le collier de perles » emprunte désormais, à coups de
brise-glace, la route du Pôle Nord très convoitée. Elle regorgerait de pétrole
et de terres rares ; la fonte des glaces serait une opportunité !
Quant à la montée des eaux des océans, leur acidité, leur pollution, le réchauffement et le dérèglement climatiques, ce n’est pas
le souci du business.
Quoique !
Trois mois de feux ravageurs en
Australie, de gigantesques murs de flammes qui projettent des pelletées de
braises, le bruit de la fournaise ronflante se mêlant aux hurlements des
animaux qui grillent, des populations affolées, évacuées, des villages et même
des villes détruites au milieu des forêts carbonisées (40 à 50 %) ne suffisent
pas à convaincre les lobbies du charbon et les climato-sceptiques, toujours
dans le déni. Va-ton assister à une vague de dégagisme des Australiens avant
que certains d’entre eux, en nombre, fassent partie des cohortes de réfugiés
climatiques à venir, de ces migrants que le gouvernement australien a refusé d’accueillir
!
Ceci
dit, si le pire n’est pas certain, il semble bien que les conditions
économiques et sociales permettant la coordination programmatique des actions
de mobilisations, continuent à faire défaut. A ceux qui se bercent d’illusions
en stigmatisant la croissance, faut-il rappeler qu’elle signifie croissance des
inégalités, de la précarisation et de la misère du plus en plus grand nombre.
Le repli individualiste ou nationaliste et xénophobe n’est que l’envers de la
mondialisation financiarisée et guerrière. De fait, le chaos est déjà là, la
seule question qui vaille, c’est comment en sortir collectivement.
GD
le 12.01.2020
(1)
Les somnambules. Eté 1914 : comment l’Europe a
marché vers la guerre. Christopher M.
Clark, Flammarion, 2013