Qui va
battre en retraite ?
Le
projet Macron/Philippe s’inscrit dans la logique de ce que la droite a fait
insuffisamment et ce que ladite gauche a consenti (cf encart).
Macron,
le commis du capitalisme financiarisé, prétend mettre la grande majorité des
français au diapason des pays qui ont emprunté la voie de la régression
sociale afin de faire bénéficier la
finance et les multinationales de l’hexagone, d’une force de frappe suffisante
pour affronter la concurrence internationale. Le refrain, psalmodié, sur la
« nécessaire » compétitivité
n’a pas d’autre objet que de faire admettre qu’il ne peut en être
autrement ; cela est relativement vrai dans le cadre du système de la
mondialisation financière dérégulée : la levée des barrières douanières,
des « contraintes » réglementaires vise en effet à accélérer la
circulation du capital et sa concentration.
Le
salaire différé, assuré par le
système de retraite par répartition, assis sur la cotisation des travailleurs
et du patronat, constitue une conquête d’un autre âge, pour les dominants : celui
du capitalisme contraint de se limiter après la crise de 29-30 et la 2ème
guerre mondiale. Qui plus est, en France, il a trop longtemps échappé à l’Etat.
Enfin, la cogestion entre « partenaires sociaux » de cette manne
financière n’est plus de mise. Elle se doit d’être accaparée par les fonds de
pension, dits d’investissement. Ces derniers sont un formidable levier pour le
capital. Les fonds investis dans les firmes internationales (outre le recours à
l’emprunt) incitent non seulement à toujours plus de rendement pour les
dividendes des actionnaires, mais également à des fusions-acquisitions-concentrations
du capital, exacerbant les tensions-contradictions économiques et commerciales
entre les firmes et les Etats.
Cette
introduction vise à resituer le projet macronien. Macron n’est que l’homme de main
de ses commanditaires. Le contexte et la manière dont « sa réforme »
dite universelle a été concoctée en sont l’illustration. Les fourberies
propagandistes mises en œuvre révèlent en creux la difficulté rencontrée pour
faire admettre l’inadmissible. Enfin, dans cette offensive menée contre les
intérêts des classes ouvrières et populaires, force est de constater que la
défensive qui lui est opposée ne peut qu’aboutir au mieux à un statu quo, voire
à des reculs.
Les
superviseurs de Macron et son ordre de marche
Le contexte est significatif : depuis le 1er
janvier 2019, les dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 (les 40 plus
grandes entreprises cotées en Bourse) ont augmenté, en moyenne, de 20 %. LVMH,
cette industrie du luxe pour milliardaires, a battu tous les records : les
profits distribués ont bondi de 68 % ! Manifestement, ce n’est pas assez
et ce, malgré la suppression de l’ISF et les cadeaux versés sous forme de CICE
et autres exonérations de cotisations patronales.
Le
29 mai 2018, la Commission européenne
réclamait des « mesures fortes » visant à réduire de plus de 5
milliards les dépenses publiques à « l’horizon 2022 ». Macron s’y est
attelé en diminuant de 1,3 milliard le versement d’indemnités chômage. Cette
escroquerie sur la solidarité des sans-emplois renforce encore leur
appauvrissement, puisque seuls 42 % des 6,6 millions d’inscrits à Pôle Emploi
sont (encore !) indemnisés.
En
fait, à peine en place, le mal élu par défaut, s’est empressé d’inviter une poignée de financiers de haut vol, et
ce, en octobre 2017. Il s’agissait
de leur présenter son programme. Parmi ces hauts dignitaires, Fink, le PDG de BlackRock, le géant des fonds de
pension états-unien. Il pèse 6 000 milliards de dollars, dispose de
34 000 employés, couvre plus de 30 pays, est présent (et actionnaire) dans
17 000 Conseils d’administration dont Google, Apple, Facebook, Amazon,
Microsoft et, en France, il estime être encore insuffisamment propriétaire
d’actions de BNP Paribas, Axa, Renault, Bouygues, Total, Vivendi, Société
générale…
D’ailleurs,
peu de temps après ce tour d’horizon lucratif, Macron reçoit Jean-François Pirelli, PDG de Balckrock France, ce
grand serviteur de la voracité des actionnaires, celui qui avait réussi la
privatisation de GDF. Il l’invite à piloter les « réformes structurelles
prioritaires ». En juin 2019,
rendant son rapport dit « loi Pacte », il exulte : « nous
présentons nos recommandations permettant l’épargne capitalisée afin de la
rendre attractive. Elle s’inscrit dans le cadre du plan Juncker, le président
de la commission européenne, comme complémentaire de la retraite à points », pas
encore dévoilée ! A charge pour Macron et ses hommes de mains de la faire
accepter sans qu’il apparaisse trop crûment que les futurs retraités vont y
perdre. L’ordre de marche était tracé.
Puis
vint la concertation-bidon présidée
par l’entremetteur dévoyé, le triste sire Delevoye. Il se fait lui-même grassement
rémunéré (outre ses fonctions), en toute illégalité, par des assureurs privés.
Et ça a duré jusqu’au 5 octobre, l’intersyndicale CGT-FO-SUD-FSU n’était pas
dupe des couleuvres que l’on voulait leur faire ingurgiter malgré toute la démagogie
« explicative » déployée.
Les fourberies
macroniennes
D’abord
duper pour endormir afin de mieux se déjuger sans le dire. Macron, le 25 avril
2018, lors de sa conférence de presse, a clamé haut et fort que « tant que l’on n’a pas réglé le problème du
chômage, ce serait hypocrite (sic) de
décaler l’âge de la retraite. Passer à 64 ans… n’est pas possible ».
Puis vint l’air connu : les actifs se doivent de travailler plus
longtemps, ils vivent plus vieux, il faut assurer l’équilibre des comptes… sans
toucher au grisbi des employeurs, pas question d’augmenter les
« charges » des cotisations patronales. « Vous aurez le choix », l’âge légal du départ restera à 62
ans ! mais il faudra travailler jusqu’à 64 pour obtenir une retraite
(dévalorisée) à taux plein. Peu importe que le taux d’emploi des 60-64 ans ne
soit que de 31 %, que 900 000 actifs de plus de 55 ans soient demandeurs
d’emploi car pas assez productifs, trop coûteux pour les employeurs... Cette
réalité doit être occultée.
Et
l’on scanda sur toutes les ondes que la retraite à points, est lisible,
équitable, moderne, équilibrée, elle vise à réduire les inégalités en
supprimant les régimes spéciaux injustes. Les 3 % de salariés concernés,
surtout ceux de la SNCF et de la RATP, vont dès lors servir de boucs émissaires. La « justice »
macronienne, c’est tirer les revenus des classes moyennes et populaires vers le
bas tout en faisant croire que la régression sociale annoncée bénéficierait aux
précaires, ceux qui ont des
carrières en dents de scie, alternant chômage, intérim, CDD : 1 000€ leur seraient assurés… pour
une carrière pleine de 41 annuités jusqu’à 64 ans ? Quand ? Alors que
le minimum vieillesse est actuellement de 903 € ! Et pourquoi donc
Macron-Philippe ont-ils refusé le minimum de pension des non-salariés agricoles
à 860€ en 2018 ?
Et
les femmes seraient mieux loties ! Elles obtiendraient 5 % de bonus par
enfant et ce serait mieux que les 8 trimestres dont elles bénéficient actuellement.
Et le calcul de leur pension sur les 25 meilleures années ? Ce serait
mieux de travailler jusqu’à 64 ans avec une pension calculée sur l’ensemble de
la carrière à points, souvent hachée, dont on ne sait comment les points seront
obtenus et encore moins la valeur du point lors du calcul de la pension.
L’entourloupette
est une grosse ficelle pour idiots désinformés qui s’y laisseraient prendre.
Oui,
la pénibilité, on y pense, rien
n’est acté, chante le chœur macronien, après avoir exclu 4 critères de
pénibilité comme l’utilisation du marteau piqueur et les charges lourdes. Oui
mais la négociation se poursuit, certains pourraient partir 2 ans plus tôt que
64 ans ! 62 c’est mieux que 60 ans !
Avec
les fonctionnaires, en particulier
les enseignants, il paraît plus
difficile, même avec l’usage de la novlangue, de faire croire que la régression
est un progrès social. Leurs salaires sont bloqués depuis plusieurs années et
la suppression du calcul de leurs pensions sur les 10 dernières années les
effarouche. Pour rendre la potion moins amère, Blanquer a joué l’apaisement :
les primes, disparates, pour ceux qui les touchent, seront intégrées dans les
salaires et ceux-ci seront revalorisés, sous condition de
restructuration-modernisation de leurs métiers mais pas avant 2021 et échelonnés
jusqu’en 2037 ( ?). La concertation-bidon doit continuer : vous n’avez
donc aucune raison de rejoindre les grévistes.
La
tactique macronienne consiste, non
seulement à jouer la montre dans l’opacité jusqu’au pourrissement de la
mobilisation sociale, mais également la division
des corporations tout en exacerbant les égoïsmes.
Il y a bien eu quelques cacophonies entre la clause du grand père, l’âge pivot
et l’âge d’équilibre. Il n’en demeure pas moins, qu’à terme, l’usine à gaz
construite risque de nombreux grippages. La litanie assénée à cet effet, c’est « voyons !
dans votre grande majorité, vous ne serez pas concernés ou pas tout de suite ».
Le régime unique ne s’appliquera qu’en 2037. Seuls ceux nés après 1975 verront
leurs annuités converties en points. Seuls ceux qui commenceront à travailler
en 2022 seront sacrifiés sur l’autel à points… Parier sur les égoïsmes
générationnels, ça va marcher ? Pas sûr ! Le maintien des avantages
pour les militaires, les policiers, pour mater les « désordres » à
venir, tout comme ceux consentis plus ou moins pour les agents de compagnies
aériennes, les petits rats de l’Opéra… sont autant d’éléments de perte de
crédibilité d’un pouvoir qui n’en a guère. Renoncer à piquer dans les caisses
autonomes doit être un crève-cœur si certains persistent toujours, comme les
avocats, à se mobiliser et les dossiers à s’entasser dans les prétoires. A
terme, une pétaudière ? Et puis, il y a ces hospitaliers qui réclament
toujours plus de moyens, de lits, d’effectifs et nombre de médecins du public
menacent de démissionner.
La
résignation l’emportera-t-elle ?
Le
projet macronien consiste à universaliser
la précarité. La valeur du point révisable à la baisse sera la variable
d’ajustement. Pour les plus aisés, c’est l’incitation à souscrire une retraite
complémentaire auprès des fonds de pension. Une fois ouverte, cette porte
cassera la solidarité au profit des solutions individualistes. L’âge-pivot à 64
ans, pour l’heure, brandi pour des raisons dits d’équilibre financier, poussera
ceux qui le peuvent à retarder l’âge de départ.
Après
plus de 40 jours de grève de la locomotive de la mobilisation sociale, après nombre
de manifestations, le mouvement ne s’est guère élargi. Il y a plusieurs raisons
que l’on peut évoquer pour comprendre. Elles s’inscrivent dans les reculs
successifs produits par les délocalisations-licenciements, la sous-traitance,
le recul des droits des travailleurs. A terme, Macron l’a indiqué, l’activité
syndicale se devrait d’être cantonnée aux entreprises et établissements par la
suppression des conventions collectives et des statuts.
L’affaiblissement
des syndicats qui en a résulté, tout particulièrement dans le privé, leurs
divisions, leurs postures négociatrices faites de reculs successifs, face au
rouleau compresseur du néolibéralisme, rendent partiellement compte des difficultés
rencontrées pour mobiliser les salariés même si dans la dernière période, le
paysage syndical autour de la CGT, SUD, FO et FSU permet d’entrevoir des
possibilités de radicalisation.
Plus
fondamentalement, la montée de la précarité et de l’aquoibonisme s’est largement
répandue sur fond d’individualisation des rapports sociaux. L’on pouvait
espérer toutefois que les gros bataillons qui restent dans l’automobile, les
raffineries… la fonction publique, rejoignent en masse le mouvement. Ça ne
semble pas être le cas.
La
sympathie pour le mouvement gréviste existe toujours mais cette grève par
procuration n’est pas à même de modifier le rapport de forces. Qui plus est, la
jeunesse, les étudiants, les lycéens, comme d’autres, en perte de repères
historiques, semblent étonnamment passifs, à la différence de la génération
mobilisée contre le CPE (2006).
Le
mot d’ordre de convergence des luttes est donc resté incantatoire. Il ne peut
en être autrement tant qu’un effort d’implantation d’équipes syndicales
déterminées dans les boîtes ne sera pas entrepris. Telle ne semble pas être la
stratégie des directions syndicales empêtrées encore, pour la plupart, dans le
jeu de pressions et de négociations qui n’en sont pas. Rester sur la défensive, viser le simple retrait du plan-retraite de
Macron, c’est tenir la tranchée jusqu’à reculer encore. Or, ce sont les
tranchées adverses qu’il faut conquérir : augmentation des salaires,
abrogation des lois « travail », amélioration des conditions de travail...
Il ne s’agit pas seulement de stopper Macron mais, pour le moins, de lui
pourrir sa fin de mandat. Viser le pouvoir, les Gilets Jaunes l’avaient
compris, mais pas encore la masse des salariés, voire des partis politiques de
« gauche » qui font miroiter les élections à venir.
Pour
changer la donne, l’une des conditions réside dans l’auto-organisation
démocratique des noyaux militants luttant pour l’émancipation sociale du
travail. Certes, ce ne sera pas suffisant. Macron l’a compris, il évite
d’afficher son arrogance, sa morgue et son mépris, sujets à de brusques et
irrépressibles émotions populaires, accélératrices de prises de conscience. En
effet, désormais, la vie digne, la reconnaissance du travail accompli, la
retraite décente auxquels aspire l’immense majorité, semblent inatteignables
dans le cadre de la logique du système capitaliste. Faire croire le contraire
comme s’y acharne le mauvais berger de la CFDT ne créera que des illusions
momentanées.
Berger,
ignare ou complice ? Peut-il ignorer que la retraite à points, mise en œuvre
en Suède depuis 2011, a fait reculer les pensions versées de 20 à 30 % ?
A-t-il la mémoire courte, lui qui a signé les accords pour baisser les
retraites complémentaires capitalisées d’Agirc-Arrco, le taux de rendement du
point est passé de 16 % au milieu des années 60, à 7,15 % en 2000 et à 5,99 %
en 2018. N’a-t-il pas pris connaissance du projet de loi macronien, notamment
de son article 10 qui précise que « l’âge
d’équilibre augmentera avec l’espérance de vie » et, plus
généralement, que le « taux de service du point » (donc l’attribution
du nombre de points peut baisser) ainsi que la valeur du point, décisions
prises par l’Etat. Ignorant, non, mais
complice, assurément.
Contre
ces régressions, la lutte idéologique s’impose comme ont su le faire en leur
temps, les anarcho-syndicalistes ou la CGTU vis-à-vis de la CGT de Jouhaux
approuvant la répression contre les grévistes. Les prises de position de la
CFDT suivies par les cohortes de l’UNSA et de la CFTC n’ont d’autre objectif
que de cogérer les reculs sociaux. Berger l’a dit : sans nous, l’âge pivot
c’est trop brutal, avec nous, le gouvernement trouvera la solution d’une « gouvernance responsable permettant
d’établir (au coup par coup) l’équilibre financier (régressif) à court, moyen et long termes ».
L’amputation doit se réaliser en douceur. Comme Notat en son temps, le Berger
faut le virer. Macron et sa clique lui trouveront toujours des lots de
consolation. Mais cette possibilité ne peut résulter que d’une volonté de sa
base, soutenue par la critique de la stratégie de collaboration.
GD
le 16.01.2020
Encart
Des conquêtes sociales…
1945 – création de la Sécurité sociale. Système de retraites par
répartition, géré par les représentants des salariés (syndicats)
1956 – création du minimum vieillesse
1982 – abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans
… à la régression continue, de gauche et
de droite
1967 – introduction du système dit paritarisme : le loup patronal
entre dans la gestion de la SS et trouve des appuis syndicaux
1991 – création de la CSG, un impôt pour financer la SS, l’Etat s’introduit
dans la gestion
1993 – allongement de la durée de cotisations de 37,5 à 40 annuités –
calcul de la pension, pour le privé, à partir des 25 meilleures années au lieu
des 10 -organisation de la baisse du taux de remplacement
1998 – augmentation et généralisation de la CSG
2003 – augmentation de la durée de cotisation appliquée à la fonction
publique (40 annuités)
2008 – allongement « progressif » de la durée de cotisation (41
annuités en 2012) sauf militaires, policiers…
2009 – mise à la retraite d’office portée à 70 ans (au lieu de 65)
2010 – relèvement « progressif » de l’âge de la retraite à 62 et
67 ans pour ceux qui n’ont pas assez cotisé
2012 – à partir de 2017, âge légal de départ (possible) fixé à 62 ans
2014 – allongement « progressif » de la durée de cotisation
jusqu’à 43 annuités en 2035
2019 – vote de la loi de financement de la SS (art. 3) : l’Etat
s’exonère de toute compensation lorsqu’il impose la baisse des cotisations
sociales aux « partenaires sociaux » - projet de loi Macron sur les
retraites, dans son article 10, il est écrit : « l’âge d’équilibre augmentera avec l’espérance de vie »…