Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mardi 11 février 2014

Les Amis de l’Emancipation sociale, les Amis du Monde Diplomatique
Nord Franche-Com vous proposent de découvrir le film

 Ne vivons plus comme des esclaves


Un grand bol d’air frais, d’enthousiasme et d’utopies en marche, venu de la mer Egée. Yannis Youlountas nous parle à nouveau de la « crise grecque » pour nous emmener dans un voyage émouvant fait de rencontres et de chansons au cœur de la résistance et des alternatives qui tentent de se renforcer. Venu des catacombes grecques de l’Europe, un murmure traverse le continent dévasté : Ne vivons plus comme des esclaves. Loin des sirènes médiatiques sur la Grèce qui taisent résistance et alternatives, bienvenue de l’autre côté pour répandre les antidotes au système qui distille résignation, égoïsme et peur : la persévérance même dans l’adversité, l’amour indéfectible de l’humanité et la dignité de résister au système qui la tyrannise et la rend méconnaissable.  

Suivi d’un débat en présence du réalisateur
Yannis Youlountas


au cinéma Méliès à LURE
 mardi 18 février 2014 à 20h15

au cinéma le Colisée à MONTBELIARD
mercredi 19 février à 20h15
en partenariat avec Cinéma et Rien d’autre

au cinéma le Bel Air à MULHOUSE
 jeudi 20 février à 20h
en partenariat avec les Amis du Monde Diplomatique de Mulhouse et ATTAC

Yannis Youlountas
animera une rencontre-débat sur le thème

« Démontage du discours dominant et des mots du pouvoir »

lundi 17 février  à  BELFORT - Maison du peuple – 20h30






Précarité sociale, effritement de la pensée progressiste ?

Dans un précédent article (1) relatif à la compréhension de la révolte bretonne, j’insistais, en conclusion, sur la gravité de la crise sociale qui affecte la société française : au cours des 12 derniers mois, 44 000 entreprises se sont déclarées en dépôt de bilan ou en liquidation  et 62 431 en procédure de sauvetage. Pour l’essentiel, ce sont des PME ou sous-traitants. Le sort des salariés est marqué par la montée du chômage (2) et la précarité : 3.7 millions de salariés en intérim et en CDD dont 1 million en contrat de moins de un mois. Cette tendance au délitement du tissu industriel et au précariat ne peut que s’accentuer : les politiques austéritaires y concourent.

Avant d’en souligner le caractère néfaste, il convient de tenter de cerner «l’état d’esprit» qui se propage dans toutes les couches de la société, attisé par une idéologie nauséabonde. Les dernières mesures annoncées par Hollande, les petits calculs politiciens des hollandistes sont dérisoires, non seulement par rapport à l’extrême droite, mais surtout vis-à-vis des attentes populaires qui frisent la névrose. Sur quelles bases pourrait donc se construire une unité populaire anticapitaliste au sens gramscien du terme, faite de tranchées à conquérir sans attendre le grand soir européen (3).

Classes populaires et couches moyennes déboussolées

L’enquête IPSOS réalisée en début d’année apparaît alarmante. Pessimistes, angoissés, hésitant entre colère et désespérance sociale, habités par le «rêve triste d’un grand chambardement», les Français rejetteraient «le système». Pour 56 %, la «préoccupation principale» serait le chômage car pour 61 % d’entre eux la mondialisation est une menace. Ils ne font plus confiance aux partis politiques institutionnels, de droite comme de «gauche», ni aux médias, ni aux élites. Pour 78 % d’entre eux, le système démocratique ne fonctionne pas et ne permet pas d’entendre la voix des 70 % estimant nécessaire de limiter les pouvoirs de l’Europe, voire pour 33 % de sortir de la zone euro. 52 % des ouvriers partagent cette conviction. Au vu de ces seuls chiffres l’on pourrait estimer que c’est pain béni pour la «gauche radicale». Eh non ! En effet 47 % des Français estiment que le FN est un «parti utile» pour provoquer la rupture avec le «système».

L’étude du Centre de Recherche de Sciences Po abonde en ce sens : morosité, lassitude, défiance, peur caractériseraient les sentiments du plus grand nombre : 66 % des Français seraient pessimistes vis-à-vis de leur avenir, 47 % demandent à être protégés de la mondialisation. Lucides, ils jugent que la démocratie ne fonctionne pas (69 %) car à 87 %, ils affirment que les politiques ne se préoccupent pas de ce qu’ils pensent. A la fois «fatalistes» et en «dépression collective», au bord de la crise de nerf, ils cherchent des boucs émissaires que le FN leur offre en pâture.

Au vu de ces deux enquêtes, il semble indéniable, même si elles sont à relativiser que ces appréciations se conjuguent avec la montée des sentiments xénophobes et des demandes d’ordre sécuritaire. Le FN, parti social-national, antimondialiste, contre l’Europe libérale, tout à sa tentative de dédiabolisation, est même dépassé sur ses marges. Manifestations de rue et diffusion d’un racisme d’épuration d’un type nouveau voient désormais le jour et inquiètent même certains éditorialistes.

Xénophobie. Identité française. L’appel à la purification ethnique

A la droite de l’extrême droite fascisante du FN, se développe tout un courant de pensée impulsée notamment par l’écrivaillon Renaud Camus et la mouvance Soral. Il est relayé par des Eric Zemmour et autres Beidbeger qui attisent la haine de l’étranger, reprennent, à nouveaux frais, le mythe de la 5ème colonne qui envahirait la «douce France».

Cette prétendue théorie inaugurée sous le label du «grand remplacement» en cours prétend à coup de chiffres truqués que le «peuple de souche» française serait submergé. L’on assisterait à un «changement de peuple». Nous, les «blancs de peau» serions victimes d’une «colonisation de peuplement maghrebo-africain». En panne, la fécondité blanche, désertant les maternités qui seraient désormais peuplées de «nourrissons arabes ou noirs et volontiers musulmans» (sic). En gonflant, trafiquant les chiffres, en additionnant Roms, Harkis, Antillais, illégaux, naturalisés, descendants de la 2ème et la 3ème génération, les Renaud Camus affirment que 20 % d’étrangers sont déjà parmi nous. Au-delà des fantasmes, il y a là comme un appel à la purification ethnique contre les envahisseurs que des «gens bien intentionnés», déboussolés, peuvent approuver en période de crise. Comme les arguments racistes à caractère biologique apparaissent tabous, les arguties culturalistes et religieuses sont censées les remplacer. Et les identitaires de tous poils, adeptes de la guerre des civilisations, d’invoquer la «grande déculturation» d’en appeler au sursaut de la culture occidentale qui s’effacerait au profit du multiculturalisme. (4)

Même si cette idéologie nauséabonde reste (encore !) marginale, il convient de ne pas en négliger l’impact dans la conjoncture actuelle d’autant qu’elle se diffuse dans l’ombre des réseaux internet. Les dernières manifestations de rue où se mélangeaient identitaires, nazillons, petits patrons, cathos intégristes, royalistes, pétainistes et gogos en tous genres sur fond de ras le bol du hollandisme ne peuvent que nous interroger. Le FN a-t-il la capacité de fédérer ces mouvements voire de constituer dans l’ombre, des passerelles pour former, en temps voulu, des milices ?(5).

En effet, à moins d’attendre une «Europe sociale (qui) n’aura pas lieu»(6), le FN, avec son programme national-social apparaît comme le seul recours à portée de main vis-à-vis de «l’échec social» des politiques austéritaires.


Les talibans de l’austérité maintiennent le cap

Malgré l’échec des politiques menées sous la férule de la Troïka, les classes dominantes n’en démordent pas : les dettes publiques, le chômage de masse (12 % en Europe) ont tendance à augmenter malgré les restrictions budgétaires, la casse des services publics déjà largement démantelés, la baisse du salaire réel, les cadeaux fiscaux aux entreprises visant à accroître leur compétitivité pour gagner des parts de marché sur leurs concurrents. Qu’importe si les inégalités et la pauvreté explosent, les peuples doivent trinquer pour accroître les profits et rentes des grandes entreprises innovantes et tant pis pour les «canards boiteux». Les systèmes sociaux et fiscaux doivent être laminés par la concurrence et les travailleurs européens s’adapter à la règle du moins disant.

La novlangue peut-elle encore occulter la réalité ? La «sécurisation de l’emploi» (Accord National Interprofessionnel signé par les syndicats sauf la CGT et SUD), c’est la possibilité de licencier à  moindre coût pour les patrons, tout en réduisant les salaires de ceux qui conservent leur emploi «sécurisé» à court terme. Le crédit d’impôt aux entreprises pour la compétitivité, c’est une usine à gaz pour rembourser, avec un an de retard, une partie des cotisations acquittées par les patrons. C’est un cadeau de 20 milliards au détriment de la sécurité sociale. La suppression (pour partie ?) des cotisations patronales relatives aux allocations familiales, c’est du vol du salaire des actifs qui en paieront le prix sous forme d’impôts et de taxes.

Et malgré cette purge sociale, les patrons ne sont pas pressés d’investir sur le territoire national, les banques ne prennent pas le risque de prêter aux PME vacillantes, la pauvreté touche 14.3 % de la population et la dette publique s’accroît (90.2 % du PIB en 2012, 92.7 % fin 2013 !). Pire, les recettes fiscales s’amoindrissent et le déficit de l’Etat s’accentue de 2.7 milliards pour atteindre 74.9 milliards en 2013.

Mais, tous les bien-pensants dominants d’applaudir le «recentrage social-démocrate» de Hollande. Olivier Bailly, porte-parole de la Commission européenne, assure que «les objectifs du pacte de responsabilité sont en ligne avec les recommandations que nous avons faites l’année dernière». Le Medef se déclare «prêt à jouer le jeu» comme l’assure le PdG de l’Oréal : «c’est un pas dans la bonne direction», «30 milliards, c’est un début». Mme Bettencourt et Nestlé principaux actionnaires sont rassurés, leurs dividendes prospèreront. Raffarin n’est pas en reste «ça correspond à mes convictions», «je n’exclue pas de voter la confiance au gouvernement». Copé, gêné, fait de la surenchère et Eric Woerth, grinçant, déclare «Hollande n’a plus qu’à adhérer à l’UMP». Quant à Borloo il est «prêt à soutenir ces réformes difficiles» à imposer au peuple. Plus machiavélien, un conseiller de l’Elysée susurre : «les UMP sont ennuyés. Ils voient que nous faisons ce qu’ils ont beaucoup annoncé mais jamais fait. C’est bien joué ».  
    
Dissidents, les Maurel et Lienneman à la gauche du parti solférinien ? Non, un brin circonspects pour leur place. Ils demandent que les «nouveaux avantages financiers accordés aux entreprises (soient assortis) de contreparties». Un observatoire pour voir défiler les cadeaux sans le moindre engagement leur suffira-t-il ? Et de se lamenter «le Président décide seul de tout. A quoi servent le PS et le Parlement ?» «Tout ça, c’est à cause de la droite et de l’extrême droite» (sic) «N’attendons pas les défaites électorales pour nous réveiller». On savait que les godillots traînaient les pieds, on ne les savait pas endormis !

Face aux petits calculs politiciens, quelle rupture ?

Bénéficiant de l’appui de sa majorité parlementaire euro-libérale, et des divisions de la droite qui ne sait comment s’opposer réellement à la politique qui est la sienne, à quelques bémols près, les ténors du gouvernement s’ingénient déjà à imaginer des petits calculs politiciens pour garder le pouvoir. L’ouverture au centre après les élections européennes, le changement de scrutin ensuite, afin de dépasser un clivage «gauche» droite désuet à l’image de la «grande coalition» allemande car il faudra bien cette union sacrée pour tenter de juguler légitimement «l’inquiétude vertigineuse» qui monte. Quant au Front de Gauche, il peine à faire entendre une autre musique et n’ose prôner une véritable rupture de peur d’être taxé d’anti européen, voire de rejoindre les thèmes avancés par le FN.

De fait, vis-à-vis du césarisme de l’oligarchie européenne qui entend instaurer la dictature soft du capitalisme financiarisé tous azimuts, y compris transatlantique (7), le devoir d’indépendance s’impose. Il convient de prôner la souveraineté populaire face aux diktats de la commission de Bruxelles, la protection des classes populaires face à la libre concurrence, la désobéissance vis-à-vis des traités européens, l’abandon de l’euro afin de mener des politiques monétaires indépendantes, y compris par la dévaluation, répudier la BCE et restaurer une banque nationale, examiner l’illégitimité de la dette publique… Prôner ces mesures de rupture avec l’ordre néolibéral, ce n’est pas la révolution, mais ce sont déjà autant de conditions amorçant la transformation sociale. L’Europe sociale ne peut se construire que sur la déconstruction de l’Europe du capitalisme libéral et du combat contre les oligarchies transnationales.

Les formations sociales nationales qui font partie de l’espace européen connaissent des rythmes de lutte de classes différentes. Imprégnées de cultures historiques spécifiques, elles ne peuvent connaître des ruptures qui soient concomitantes,  à moins de croire à un grand soir européen des luttes produisant les mêmes effets, le même jour à la même heure. Une telle vision partagée par nombre d’altermondialistes est inopérante. Elle consiste de fait à remettre aux calendes grecques l’espérance sociale. Ce serait là courir le risque, déjà bien réel, de nourrir la désespérance sociale et, objectivement, de border le lit de l’extrême droite.

Gérard Deneux le 28.01.2014   

(1)  «Le fond de l’air est gris» sur la mobilisation bretonne. ACC n° 250
(2)  Voir encadré (à faire)
(3)  Je reviendrai sur cette question dans un article ultérieur
(4)  Voir encadré. Citation du philosophe Jean-Luc Nancy
(5)  Voir précédent article sur le FN. «De l’extrême droite au parti fasciste». ACC n° 249
(6)  Titre du livre de François Denord et Antoine Schwartz – éditions Raisons d’agir                                          dont je recommande la lecture
(7)  Voir article  «le grand marché transatlantique» dans ce numéro


Encadré (4)

Eloge de la mêlée

«Le mélange qui s’opère en un lieu est une alchimie historique qui défie la notion de mélange… parce qu’il convient de répondre à l’ignoble mot d’ordre de purification ethnique, ce délire identitaire du racisme ordinaire, de la peur de l’autre… il faut réaffirmer le Savoir : le quelqu’un qu’il soit est toujours un sang mêlé…

La mêlée qui provoque le mélange n’est pas seulement riche de diversité. Les cultures ne s’additionnent pas, elles se rencontrent pour s’altérer, en s’altérant, elles se reconfigurent…

L’Occident si fier du miracle grec devrait méditer sur la diversité ethnique et culturelle, les mouvements de peuples, les transferts et les transformations des pratiques, les détournements de mœurs et de langues qui ont produit la configuration de la civilisation d’Athènes…

Toute culture est multiculturelle, le résultat provisoire d’une mêlée résultant d’affrontements, de confrontations, de transformations, de recompositions, de combinaisons, de bricolages, de développements…

Le mélange n’existe pas, pas plus que la pureté. Il n’y a ni mélange pur, ni pureté intacte».

Etre singulier pluriel (extraits) du philosophe Jean-Luc Nancy – édition Galilée.



Encadré (2)

Chômage. La réalité des chiffres. Les artifices de langage.

Les éléments de la langue de bois hollandiste ne peuvent modifier la réalité : «Baisse de la courbe», «Ralentissement du rythme d’augmentation», «Stabilisation», «Baisse de l’augmentation», «Tendance à l’inversion», «plafond», «paliers» et autres inepties.

2010 : + 117 000 chômeurs d’emplois de catégorie A
2011 : + 142 500
2012 : + 283 800
2013 : + 142 500
C’est ainsi que l’on parvient à 3 303 000 chômeurs de catégorie A et, avec les DOM-TOM «bien français» à 3 500 000.

Cette «réalité cruelle» l’est d’autant plus qu’elle est masquée par la signature de 100 000 emplois (sans) avenir, de 30 000 places de formation supplémentaires pour faire sortir des listes des chômeurs, les plus jeunes. Ainsi, parmi les 3 303 000 chômeurs, 4000 jeunes de moins de 25 ans auraient disparu de ce surnombre. Mais le taux de 24.5% de chômage de cette tranche d’âge n’est guère rassurant.
Lorsque l’on additionne les catégories A, B, C, l’on dépasse aisément les 5 millions de chômeurs qui comprennent plus de 1 million de personnes de plus de 50 ans.


Avec la poursuite des plans de licenciements notamment, il y a tout lieu de craindre que l’inversion de la courbe hollandaise ne soit que le pauvre artifice d’un échec patent.  
En France, comme aux USA, nous empoisonner, ça rapporte

Fin 2012, un appel signé par 1 200 médecins à l’attention des autorités contre les risques sanitaires provoqués par l’usage intensif des pesticides a été rendu public. De médecins de Guadeloupe et de Martinique ont rejoint le combat de ces praticiens. Printemps 2013, l’INSERM (institut national de la santé publique) mène une vaste enquête corroborant les expertises de médecins : les risques de cancers, troubles de la fertilité, maladies neuro-végétatives (Parkinson, Alzheimer) sont avérés en particulier à proximité des zones d’épandage comme en Limousin où a été lancée l’alerte.

Quelques parlementaires réunis récemment se sont penchés sur ce problème : en toute bonne conscience, l’un d’eux, écologiste (!) déclare que les honorables assemblées avaient déjà légiféré pour interdire l’utilisation des pesticides de synthèse dans les espaces publics pour 2020… et dans les jardins potagers des particuliers en 2022. Tant d’empressement laisse pantois !

Le 27 janvier dernier, à l’initiative d’une ONG états-unienne, des documents secrets (!) furent dévoilés. Ils font état du recours incontrôlé aux médicaments et, en particulier, à des dizaines d’antibiotiques dans l’alimentation du bétail propre à la consommation humaine. Trente additifs alimentaires à base d’antibiotiques sont relevés, notamment pour stimuler la croissance du bétail… productivité oblige. Il s’agit là d’une production d’autant plus lucrative lorsque l’on sait que 70 % des antibiotiques US sont destinés à l’élevage et que cette pratique industrielle remonte aux années 1950. L’agence sanitaire FDA avait pourtant proposé le retrait d’autorisation de ces additifs en … 1977 !

Depuis, rien… sinon que les virus mutent, sont de plus en plus résistants. Deux millions d’Américains tombent malades par an et ces viandes consommées provoquent, rien qu’aux USA, 23 000 décès… Tant que ça rapporte !



D’après deux articles parus dan le Monde des 31 janvier et 1er février    
Le Grand marché transatlantique 

Lors du G8 en Irlande du Nord, entre soi, Obama et les dirigeants européens ont donné, le 17 juin 2013, le coup d’envoi solennel au Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI) entre l’Union Européenne et les Etats-Unis. En anglais, on le nomme le TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) et pour nous ce sera, plus communément, le Grand marché transatlantique (GMT).

Le 23 mai 2013, le Parlement européen a donné son feu vert à l’ouverture des négociations ; le 14 juin, les 27 gouvernements ont approuvé le mandat donné à la Commission Européenne, sans que les Parlements nationaux aient été consultés, pour que le 8 juillet 2013, les négociations commencent à Washington. Elles se poursuivront au rythme d’une session tous les trois mois pour aboutir en 2015. La Commission européenne, négociateur unique, est assistée d’un comité spécial, le comité 207 dans lequel tous les gouvernements de l’UE sont représentés. Ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas puisqu’ils sont associés en permanence à la négociation (dont Nicole Bricq ministre du commerce extérieur).

Tel l’AMI  - Accord multilatéral sur l’investissement – négocié secrètement entre 1995 et 1997 par les 29 pays de l’OCDE, divulgué in extremis notamment par le Monde Diplomatique, 15 ans plus tard… voici l’Accord de Partenariat Transatlantique conçu, lui aussi, dans le plus grand secret. Heureusement, il y a eu fuite. Il est donc urgent d’en connaître les objectifs et les moyens avant de pouvoir en divulguer les dangers pour la démocratie et la souveraineté des Etats mais aussi pour les enjeux sociaux et environnementaux.


Le GMT, un nouveau stade de la marchandisation du monde.

C’est un accord de libre échange (ALE) comme il en existe déjà de nombreux dans le monde (500). Celui-ci est particulièrement inquiétant car il concerne les Etats-Unis et l’Union Européenne qui représentent la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges. Les USA y voient un moyen pour faire face à la concurrence des pays émergents et principalement de la Chine. Ils considèrent, tout comme un certain nombre d’Etats qu’il est nécessaire de poursuivre la libéralisation commerciale dans le monde, sans attendre l’aboutissement du cycle de Doha de l’OMC, trop lent, empêtré dans les négociations multilatérales du fait des résistances nombreuses des pays émergents en son sein. Se multiplient donc, parallèlement, dans la logique du libre échange, des accords entre deux Etats ou plus, comme l’Accord économique et commercial global entre l’UE et le Canada,  le Partenariat transpacifique (PTP) avec 11 pays riverains du Pacifique (hors la chine) ou encore l’ALENA – Accord de libre échange Nord Américain (Canada/Etats-Unis/Mexique). 

L’initiative de grand marché entre les deux continents américain et européen est l’aboutissement d’un processus long. L’engagement de Van Rompuy/ Barroso et d’Obama le 13 février 2013 d’entamer la négociation du GMT est le résultat de multiples  rencontres officielles, appuyées par une intense activité de lobbying de la part des multinationales américaines et européennes auprès des dirigeants politiques et des membres de la Commission Européenne. Ce qui est à l’œuvre est la poursuite de la volonté de domination du marché mondial, par la libéralisation et la dérégulation, portée par des think tanks puissants : le Dialogue économique transatlantique (Trans-Atlantic Business Dialogue, TABD), créé en 1995 sous le patronage de la commission européenne et du ministère du commerce américain, rassemble de riches entrepreneurs qui militent pour un « dialogue » constructif entre les élites économiques des deux continents, l’administration de Washington et les commissaires de Bruxelles.

Pour rendre plus «sympathique» ce nouveau grand marché, le commissaire européen au commerce Karel de Gucht n’hésite pas à affirmer des retombées en termes de croissance de l’ordre de 1% du PIB, la création de «centaines de milliers d’emplois», même si une étude d’impact réalisée par la Commission elle-même démontre qu’il conviendrait plutôt de parler de 0.1 % de croissance sur 10 ans !

Les objectifs de l’Accord. La dictature des multinationales

«L’objectif de l’Accord est d’accroître le commerce et l’investissement entre l’UE et les USA en réalisant le potentiel inexploité d’un véritable marché transatlantique, générant de nouvelles opportunités économiques pour la création d’emplois et la croissance grâce à un accès accru aux marchés, une plus grande compatibilité de la réglementation et la définition de normes mondiales».
Il s’agit donc d’opérer sur les deux continents, selon les mêmes règles, pour ouvrir les marchés publics et privés à tous les niveaux de pouvoir (national, régional et local) et dans tous les domaines. Les termes sont limpides «L’accord prévoira la libéralisation réciproque du commerce des biens et des services ainsi que des règles sur les questions en rapport avec le commerce avec un haut niveau d’ambition d’aller au-delà des engagements actuels de l’OMC».

L’accord affirme qu’il faut limiter les «discordances commerciales» en matière de commerce des marchandises. En termes clairs, il faut éliminer toutes les obligations comme les droits de douane et les taxes sur les importations. Dans le domaine agricole, où les mesures de protection sont  encore importantes, les conséquences seraient catastrophiques ruinant les modèles d’agriculture paysanne ou encore de circuits courts du fait de la concurrence industrielle américaine inondant les marchés de produits à bas coûts de production. La deuxième exigence est la limitation, voire la suppression des «barrières non tarifaires», c’est-à-dire les législations, les réglementations, les normes sociales, les normes sanitaires et phytosanitaires, environnementales ou techniques considérées comme des «obstacles inutiles au commerce et à l’investissement».

En matière de commerce des services, c’est l’application de  l’AGCS (accord général du commerce des services) et des contraintes de l’OMC dont les deux principes suivants : celui de la nation la plus favorisée (TNPF) qui contraint un Etat accordant à un fournisseur une faveur spéciale, à l’appliquer à tous les autres membres de l’OMC et celui du Traitement National (TN) consistant à accorder aux étrangers le même traitement que celui qui s’applique aux nationaux. Par exemple, si l’Etat subventionne une école française, il devra subventionner l’école américaine qui vient s’installer en France. C’est la suppression de tout ce qui entrave la libre concurrence d’activités des services, encore «protégées» en Europe : santé, éducation, eau, énergie, recherche, sécurité sociale… Les législations devront s’aligner sur la norme la moins disante. Tous les territoires sont concernés : du sommet de l’Etat aux conseils municipaux, les élus devront redéfinir leurs politiques publiques pour satisfaire les appétits du privé qui lui échapperaient encore, dans tous les domaines : sécurité des aliments, normes de toxicité, assurance maladie, prix des médicaments, liberté du net, protection de la vie privée, énergie, culture, droits d’auteur, ressources naturelles, formation professionnelle, équipements publics, immigration…   Si cet Accord aboutit, les multinationales auront pouvoir de faire ou défaire la loi.

Enfin, l’accord prévoit la protection de l’investissement (retour de l’AMI). Là encore les contraintes cumulées de l’OMC (TNPF et TN) rendront impossible toute politique industrielle en faveur d’une région défavorisée ou d’un type d’entreprise (PME) à moins de fournir aux investisseurs étrangers les mêmes aides. L’accord comprendra des dispositions concernant l’énergie et les matières premières : «Les négociations devraient viser à assurer un environnement commercial ouvert, transparent et prévisible en matière d’énergie et à garantir un accès libre et durables aux matières premières».  Les Etats ne seront plus maîtres de leur sol ni de leur pouvoir de fixer les prix des produits énergétiques sur le marché national.

Pour contraindre les Etats à appliquer ces mesures, une justice commerciale oligarchique.

La philosophie de  l’OMC ou de l’ALENA s’applique au GMT, autorisant une multinationale à poursuivre en justice un pays signataire qui n’abrogerait pas, par exemple, des mesures sociales considérées comme des distorsions au libre échange. En conséquence, un investisseur privé pourrait contrecarrer les politiques de santé, d’environnement… d’un Etat s’il estime ses profits menacés du fait de réglementations contraignantes, de projets «déraisonnables, arbitraires ou discriminatoires» qui «annulent ou compromettent les avantages découlant de l’accord». C’est l’application du mécanisme de règlement des différends investisseur-Etats ; les «litiges» sont soumis à la décision de cours spéciales (composées de quelques avocats d’affaires) autorisées à condamner les Etats à réparation.

Sont déjà recensés dans le monde 518 plaintes de ce type très dommageables pour les Etats et leurs populations. La CNUCED relève que le nombre d’affaires soumises aux tribunaux spéciaux a été multiplié par 10 depuis 2000. Les affaires juteuses risquent d’aller bon train pour les avocats d’affaires !

Les exemples de condamnations financières se multiplieront, endetteront encore plus les Etats qui préfèreront annuler des règlementations protectrices des travailleurs ou de l’environnement plutôt que devoir débourser des sommes énormes.  A titre d’exemples : les Philippines ont déboursé à l’opérateur allemand Fraiport, 58 millions de dollars, correspondants au salaire annuel de 12 500 professeurs ou à la vaccination de 3.8 millions d’enfants. Dans le cadre de l’ALENA, la firme nord-américaine Métaclade a réclamé au Mexique 15.6 milliards de dollars pour son refus de rouvrir une décharge de produits toxiques qui contaminait les eaux et le Canada a déjà été poursuivi 30 fois par des firmes nord-américaines pour ses réglementations en matière de santé et d’environnement avec des pénalités de 226 millions de dollars au total. De la même manière, des sociétés européennes ont récemment engagé des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Egypte ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou. Le géant de la cigarette Philipp Morris a assigné l’Uruguay et l’Australie devant un tribunal spécial, incommodé par leurs législations antitabac. Le groupe pharmaceutique US Eli Lilly veut se faire justice au Canada, coupable d’avoir créé un système de brevets rendant certains médicaments plus abordables. Le fournisseur d’électricité suédois Vattenfall réclame plusieurs milliards d’euros à l’Allemagne pour son « tournant énergétique » qui encadre sévèrement les centrales à charbon.

L’on peut s’inquiéter, si cet accord aboutissait, sur le maintien de l’interdiction d’exploitation des gaz de schiste !  Les multinationales comme Chevron ou Total pourraient engager des poursuites contre l’Etat français.

Comment combattre la mise en place d’un système aussi antidémocratique ?

Les négociations de libéralisation globale étant bloquées, du fait des réticences de nombreux pays, l’OMC n’est plus l’instrument adéquat pour les oligarchies mondialisées. Sous l’impulsion des gouvernements les plus libéraux et d’abord de celui des Etats-Unis, des accords bilatéraux entre pays ou groupes de pays permettent de libérer la rapacité des firmes multinationales. La crise financière de 2007-2008, les surcapacités de production, le tassement de la croissance dans les pays émergents sont autant de facteurs conduisant les grands requins à contourner tous les obstacles à leur frénésie d’accumulation des profits : les normes de protection sociale et environnementale sont, pour eux, autant de contraintes réglementaires inacceptables. La démocratie, c’est pas moderne, l’espace des délibérations doit être restreint aux maîtres du monde assistés de leurs experts. La souveraineté alimentaire dans ce monde globalisé, c’est ringard. Le tissu industriel des petites et moyennes entreprises non soumises aux grands groupes, c’est archaïque… Tout ça doit disparaître pour laisser le champ libre aux transnationales.

Le GMT est donc à la fois une menace inacceptable face à ses conséquences sur les populations et une  usurpation des pouvoirs démocratiques au profit du «marché», c’est-à-dire des firmes multinationales. C’est un projet scandaleux qui considère que tout est marchandisable : la vie, la nature, l’Homme.

L’engagement des négociations est approuvé par tous les gouvernements européens, qui se taisent lorsqu’ils nous représentent dans les instances européennes et plus particulièrement au Conseil des ministres. Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, par la voix de sa conseillère (Mme Claude Revel) n’a pas un mot de résistance, encore moins de dénonciation. Au contraire, elle affirme qu’il faut «prendre acte et tirer parti de la tendance de la délégation de la règle au privé» !

Il est grand temps de faire connaître et de dénoncer ce projet (déjà bien engagé) niant la primauté des droits humains, sociaux, économiques, culturels et environnementaux, niant la conception alternative et solidaires des échanges internationaux fondée sur la coopération.

Des mouvements se constituent en Europe : le collectif «Stop Tafta» en France, en Belgique… Il est nécessaire de construire des solidarités avec les mouvements de résistance aux USA et de ne pas tomber dans un anti-américanisme global. Enfin, la solidarité doit s’étendre aux pays du Sud qui subissent déjà les ALE existants, portés par l’UE et les USA.

Deux échéances électorales proches (municipales et européennes) doivent nous permettre de prendre la parole pour informer ceux qui, candidats, sont dans l’ignorance de ce grand marché transatlantique, pour dénoncer ce «typhon qui menace les Européens»(1) et les classes populaires américaines.

Odile Mangeot

Sources :

(1)Le Monde Diplomatique   novembre 2013 «Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens»   

Agora Vox 26 décembre 2013 «Un partenariat transatlantique pour le meilleur des mondes»

«Stop au grand marché transatlantique» CADTM  23 janvier 2014 www.cadtm.org

«Le projet de grand marché transatlantique» par Raoul Marc Jennar http://www.jennar.fr