Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 26 avril 2021

 

USA. Bifurcation de Biden ?

(Editorial du PES n° 72) 

Avec les différents plans de relance annoncés, serait-ce la fin du néolibéralisme débridé ? L’effet d’optique peut être trompeur. Reste que la volonté proclamée est sans équivalent.

 

Premier plan de relance de 1 900 milliards de dollars, voté mi-mars, pour contrer les effets du Covid. Il comprend notamment une aide d’urgence de 1 400 dollars maxi, pour les Etats-uniens dont le salaire annuel est inférieur à 75 000 dollars. Puis, un deuxième et un troisième plans, respectivement de 2 250 milliards et de 1 000 milliards qui, eux, ne sont pas encore votés. Cette injection massive dans l’économie est censée réparer les tissus sociaux et industriels et créer des millions d’emplois. Les plus riches et les sociétés seraient mis à contribution. Le marché libre et l’austérité budgétaire ne seraient plus la panacée ? Imposer les bénéfices des entreprises américaines à l’étranger serait à l’ordre du jour, comme l’harmonisation fiscale mondiale ? Les multinationales, les 91 plus grosses qui ne paient pas d’impôt fédéral, les paradis fiscaux, vont-ils s’y plier ? Le néolibéralisme aurait-il vécu ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le poids des inégalités, de la précarité, de l’accumulation des richesses au profit du 1 % est devenu insupportable. Si l’aile gauche du parti démocrate taraude les néolibéraux et les lobbys qui les financent, leur percée n’est pas acquise. On apprendra demain comment les Etats européens réagiront à la volte-face du géant US dont les pieds d’argile s’effritent.

 

Biden et son équipe semblent bien vouloir tout faire face aux difficultés, pour que les Etats-Unis demeurent la première puissance mondiale, d’une part, en réparant les dégâts intérieurs et, d’autre part, en se désengageant du bourbier du Moyen-Orient : retrait d’Afghanistan, reprise des négociations avec l’Iran et de l’aide américaine à l’Autorité palestinienne. Faire baisser les tensions internationales ne serait-ce pas la marque de la volonté de se concentrer sur l’Europe afin qu’elle demeure dans le giron états-unien ? Moscou et la Chine sont en lignes de mire. Le soutien à l’Ukrainien Zelensky, affaibli, les pressions pour que ce pays entre dans l’OTAN, la présence de navires US en mer Noire, en attestent, tout comme l’obstination à l’obstruction du terminal de gazoduc NordStream2. Poutine ne s’y est pas trompé en montrant ses muscles ; il a concentré des troupes à la frontière ukrainienne. L'intrusion du trublion Erdogan dans le jeu, en affirmant son soutien à la clique mafieuse de l’Ukraine, pays à la dérive, tend à prouver que c’est bien la logique des blocs qui prévaut. Par ailleurs, les pressions de Biden sur le Portugal pour évincer la Chine de l’extension du site portuaire de Sines vont dans le même sens. Pour Biden, l’UE, quitte à la diviser, doit rester sous emprise états-unienne.

 

Bref, la logique d’affrontement des blocs de puissance se déplacerait sur le terrain européen avant qu’il ne soit possible d’envisager la reconfiguration de cette stratégie contre la Chine, comme l’axe indo-pacifique le laisse supposer.

 

A suivre

 

GD, le 22.04.2021  

 

 

Cupide et avare

Stupide et vantard

c’est cela être politicard

je ne suis ni un bout de lard

encore moins un cafard

je serai toujours là avec ma guitare

dans les champs ou bien dans un bar

par beau temps ou par blizzard

chantant criant au canular

Sortons de ce cauchemar

notre savoir c’est notre phare

et ce n’est pas dû au  hasard

il faut toujours rester hagard

sans limite sans radar

sans étendard sans bazar sans lézard

Tu travailles dare-dare

pour une retraite placard

avec moins de beurre dans les épinards

ce qui reste de notre part

ils l’ont volé ces renards

et ils paieront plus tard

Stoppons, amis, tous les chars

de tous ces politicards

ces nantis ces pantouflards

il faut combler notre retard

pour redonner au monde son étendard

tous unis avec le même foulard

pour la vie pour ce regard

de vivre dans un monde à part

 

Hassen

 

Malgré les harcèlements, menaces, sanctions…

 les militants plient mais ne rompent pas

 

SNCF : grève de l’infrapôle Paris Nord. « On travaille dans des tunnels avec de la poussière, des rats, des seringues. C’est nous qui entretenons les voies pour la sécurité des usagers, on mérite reconnaissance ». Agents de maintenance des voies ferrées du réseau RER et des grandes lignes, au 9 avril, ils en étaient à près de 80 jours de grève pour leurs conditions de travail, la revalorisation de leur salaire. La direction a cherché à casser la grève en tentant de réprimer les grévistes. SUD Rail assignait la SNCF devant le juge des référés pour atteinte au droit de grève = 1ère victoire, la SNCF est condamnée. Mais elle s’entête à poursuivre la répression, convoquant plusieurs agents à des entretiens disciplinaires. 5 avril = 2ème victoire des grévistes, la direction a reculé même si elle se réserve la possibilité de sanctionner d’avertissements les grévistes !

Campagne de soutien  https://www.revolutionpermanente.fr/  

 

RATP. Seine-Saint-Denis. Faire taire les syndicalistes. Ahmed, délégué CGT au dépôt RATP Flandre à Pantin, secrétaire CSSCT, référent harcèlement, fait l’objet d’une procédure disciplinaire, pour « harcèlement moral à l’encontre d’un agent de maîtrise ». Le syndicat affirme « depuis 4 à 5 ans, la direction de la RATP a décidé de couper toutes les têtes qui dérangent sur le réseau de surface dans le cadre de la mise en concurrence ».

 

A la Poste. Vincent (CGT FAPT) mais aussi Nourdine, postier à Asnières, représentant du personnel, Gaël, secrétaire départemental Sud Poste Hauts-de-Seine… et bien d’autres font tous face à la multiplication de procédures disciplinaires, judiciaires, de convocations au Commissariat… « De 2014 à 2017, sur la région parisienne et rien que pour les représentants SUD et CGT, il y a eu l’équivalent de 10 ans de mise à pied infligés par la direction. La répression a fait un bond avec la logique de privatisation, de suppression d’emplois. Le fait d’être une entreprise publique au statut privé permet à la Poste de jouer sur les deux tableaux et d’infliger des sanctions complètement délirantes…. Mais quelles que soient les procédures à notre encontre, nous ne lâcherons rien ». 

 

Victoire ! Violences policières. Tentatives d’intimidation de ceux qui les dénoncent. Jérôme Rodrigues – Gilet Jaune - relaxé dans le procès, intenté par Darmanin, pour un tweet dénonçant les forces de répression.

 

Déception mais le combat continue ! La Cour de Cassation confirme le « non-lieu » en faveur du gendarme auteur du tir de grenade tuant Rémi Fraisse à Sivens en 2014. La famille et l’avocat Patrice Spinosi vont saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

 

Fraternité avec les exilés. Estrosi s’acharne contre Pierre-Alain Mannoni.  Après sa relaxe définitive (cf PES n° 68) Pierre-Alain est jeté en pâture par le Maire de Nice : « il m’accuse publiquement d’être un trafiquant d’êtres humains, de mettre en danger les Français, et il fait un amalgame entre migrants et terroristes. J’ai décidé de porter plainte contre lui pour diffamation. C’est grave et depuis j’ai reçu des menace de mort ». Le procès a eu lieu le 12 avril, en délibéré. Pour l’aider à se défendre

gf.me/u/zn9nhu

https://www.gofundme.com/manage/pour-me-defendre-contre-lacharnement-judiciaire  

 

 

Evocation communarde

 

Certains ont pu regretter que Macron, le monarque républicain répressif, ne commémore pas la Commune de Paris, préférant l’ogre napoléonien et son arc de triomphe. Son fiel nous fut épargné, malgré les facéties d’Hidalgo, la bobo.

 

Jupiter s’en est néanmoins expliqué : les Communards ont mis en danger la République, celle de Thiers, celle des Républicains répugnants, capitulards devant les Prussiens, qui céda l’Alsace/Moselle et soutira de la poche des Français, des millions d’indemnités versées à Bismarck. Pire, Thiers et ses compères sabotèrent l’armée de la Loire, levée par Gambetta. Tout aussi ignoble, dans le pays occupé, ils s’empressèrent, à la demande du casque à pointes, d’organiser des élections, ramenant par la peur des « partageux », les ci-devant aristocrates. Piteux de n’avoir pu dérober les canons des Parisiens, outrés que les soldats envoyés pour commettre ce rapt, aient, crosses en l’air, fraternisé avec la foule amassée, ils se tournèrent vers Bismarck pour écraser Paris l’insurgée… Les Prussiens les renvoyèrent en leur disant de faire eux-mêmes le sale boulot. Rameutant dans le fond des campagnes de jeunes soldats fanatisés contre les rouges. Avec l’argent convoyé par Jules Ferry dans un chariot bâché, et les armes livrées par les Teutons, ils écrasèrent la Commune.

 

Ceux qui montaient à l’assaut du ciel de l’égalité sociale, ceux qui croyaient que sous les pavés arrachés, il y avait la plage, furent mitraillés, fusillés, égorgés, hommes, femmes et enfants. Ainsi est née la 3ème République dans le sang communeux qui ruisselait dans les rues de Paris. Quelques-uns échappèrent à cette tuerie. D’autres, comme « la vierge rouge », Louise Michel, furent déportés en Nouvelle-Calédonie pour y retrouver les Kanaks, ces colonisés parqués dans leur propre pays. Comme dit la chanson, Versaillais, vous avez égorgés la révolution mais il reste à Paris l’esprit des insurgés. Son spectre rode toujours sur la butte Montmartre, au mur des fédérés. Il a même revêtu, il y a peu, les Gilets Jaunes et Gilets Noirs des sans-papiers et autres racisés.

 

On a été épargné du fiel macronien, celui de la 3ème République flétrissant les pétroleuses et les prétendus tueurs d’otages. Bien nous en fasse. Il nous reste, pour transmettre la mémoire toujours vivante, la verve d’outre-tombe de Victor Hugo, les écrits de Lissagaray, de Louise Michel, de Karl Marx, les souvenirs d’une morte vivante et, plus récemment les conférences d’Henri Guillemin et les livres d’histoire de Jacques Rougerie, de Ludivine Bantigny…


La Commune n’est pas morte

 

GD

 

 

 

Faut-il commémorer Napoléon ?

 

Le barnum commémoriel d’Emmanuel Macron.

 Olivier Le Cour Grandmaison (1) (extraits)

 

Le 5 mai 2021, E. Macron célèbrera le bicentenaire de la mort de Napoléon. (…) Il est des honneurs accordés à certains personnages qui déshonorent celles et ceux qui les rendent. 

 

(…) Aux ignorants, aux oublieux comme aux démagogues de la majorité présidentielle qui, à l’instar de leur prétendu « Jupiter-maître-des-horloges », souffrent d’un strabisme politique particulièrement divergent vers les droites les plus réactionnaires, rappelons quelques dates et événements emblématiques. Dix ans après la Révolution française, c’est par un coup d’Etat (…), celui du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), que Bonaparte met fin au Directoire et assoit sa « dictature, née de la guerre ». Cette « guerre » qu’il n’a « pas maîtrisée plus de quelques mois » (…) et qu’il a portée à travers l’Europe en mettant de nombreux pays à feu et à sang. Admirable et digne d’un hommage national ?

 

Ennemi de la République, qu’il ruine en renforçant toujours plus ses pouvoirs avec l’instauration d’un consulat à vie, la Constitution du 4 août 1802 puis celle du 18 mai 1804 qui lui permet de se proclamer empereur, Napoléon l’est aussi des peuples du Vieux Continent comme du Nouveau monde. Aux colonies, il poursuit son œuvre de liquidation des conquis révolutionnaires en rétablissant, le 30 floréal an X (20 mai 1802), (…) l’esclavage et le terrible Code noir (1685). De même, « la traite des noirs et leur importation » dans lesdites colonies. Ajoutons que ce même Code qualifie juridiquement les esclaves de « biens meubles » susceptibles d’être partagés « également entre les cohéritiers sans préciput ni droit d’aînesse… » Délicate attention, n’est-ce pas ?

 

Pour les amateurs d’exception hexagonale, en voilà une remarquable mais sinistre : la France, qu’ils adorent d’un amour aussi aveugle qu’immature, est le seul pays à s’être engagé dans cette voie. Après l’abolition, tardivement accordée le 4 février 1794 suite à l’insurrection des esclaves de Saint-Domingue, le retour de la servitude dans les possessions françaises par la « grâce » de Napoléon. N’oublions pas la guerre conduite auparavant par le général Leclerc, sur ordre du même, contre Toussaint Louverture, sa capture le 6 mai 1802 puis sa déportation en France où les autorités l’ont incarcéré puis laissé mourir au fort de Joux. Esclavage, colonialisme et racisme d’Etat, c’est tout un mais c’est encore partiel.

 

A ceux qui s’ébahissent des beautés immarcescibles du très glorieux Code civil (21 mars 1804), que l’humanité « civilisée » (…) est réputée « nous » envier, rappelons que la femme mariée s’y trouve placée sous l’entière dépendance de son époux auquel elle doit obéissance. Conséquences de cette minorité juridique, qu’elle partage, entre autres, avec les « criminels et les débiles mentaux », elle est privée de toute autorité parentale sur ses enfants, de la gestion de ses biens, de la possibilité d’ester en justice sauf autorisation de son mari qui peut, en cas d’adultère, faire enfermer la fautive dans une maison de correction (…). Connu pour ses « bons mots » prétendus, Napoléon résume ainsi l’esprit de ce Code à nul autre pareil : « la femme et ses entrailles sont la propriété de l’homme ». Lumineuse et délicate conception.

 

Quant aux conditions requises pour obtenir le divorce, rendues libérales par la Révolution française, elles sont considérablement durcies avant que ce dernier ne soit finalement interdit le 8 mai 1816 sur proposition du très monarchiste et catholique Louis de Bonald qui vomit ce qu’il qualifie de « poison révolutionnaire ». Triomphe de la réaction, une fois encore. Au racisme d’Etat s’ajoute donc un sexisme d’Etat aux conséquences longtemps catastrophiques pour celles qui sont juridiquement assujetties.(…) Ajoutons que le père peut également, si son « enfant est âgé de moins de 16 ans commencés », le faire « détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois ». Admirable et digne d’un hommage national ? 

 

A ceux qui chantent les louanges de Napoléon et qui ne manqueront pas, comme à l’Elysée, au gouvernement et dans la majorité présidentielle, de hurler à l’anachronisme en prétendant incarner la rectitude méthodologique indispensable à l’écriture objective de l’histoire, rappelons quelques faits qu’ils ignorent ou qu’ils feignent d’ignorer pour mieux défendre leur sinistre champion, raciste, sexiste et promoteur d’un ordre patriarcal particulièrement rigoureux. Dès le 5 septembre 1791, Olympe de Gouges rédige une Déclaration des droits la femme et de la citoyenne destinée à établir l’égalité civile et politique des deux sexes (…). Deux ans plus tard, en avril 1793, le montagnard Gilbert Romme élabore une nouvelle Déclaration des droits dans laquelle, il écrit : « Tous les hommes ont un droit égal à la liberté, quels que soient leur âge, leur sexe et leur couleur ». Il en va de même pour l’exercice des prérogatives attachées à la condition de citoyen, laquelle s’ouvre enfin aux citoyennes. En vain puisque la première constitution républicaine de ce pays, celle du 24 juin 1793, reconduit la minorité politique des femmes.

 

Vivant, Napoléon a suscité la haine de beaucoup en France, plus encore en Europe et dans les colonies. Mort, il est honoré par une cohorte hétéroclite de nostalgiques d’une grandeur bâtie sur la dictature, les guerres, les conquêtes et la servitude, mais cela n’empêche pas ces dévots et ces opportunistes de se prendre pour de vaillants républicains. « Paul Ricœur, réveille-toi ! Ton élève et prétendu disciple piétine tes enseignements et ta philosophie ».

 

O. Le Cour Grandmaison, universitaire. Son dernier livre Racismes de France 

Article à lire en entier sur  https://blogs.mediapart.fr/o-le-cour-grandmaison/

 

 

 

La crise économique qui s’annonce

 

Le pire n’est pas certain. Toutefois, tout dans le domaine économique et financier semble y concourir. Pour tenter d’en rendre compte, il faut d’abord revenir sur un certain nombre de décisions politiques préjudiciables vis-à-vis de la maîtrise d’un système qui, en Europe notamment, a dépossédé les Etats (volontairement) des moyens de réguler l’économie au profit d’une financiarisation délétère. 

 

L’abandon de la souveraineté financière et monétaire

 

Jusqu’en 1973-1975, les Etats empruntaient à leurs banques centrales à des taux très bas. Celles-ci détenaient seules le pouvoir de création monétaire. Avec l’inflation somme toute contenue, les Etats faisaient « rouler » la dette. C’est ce mécanisme qui a permis, entre autres, la reconstruction d’après-guerre et l’entrée dans la période dite des Trente Glorieuses. Le « dirigisme » d’Etat soutenait la production et induisait une certaine forme de redistribution sociale (sécurité sociale, retraites…) y compris sous forme d’accès aux services publics. Le capital productif et commercial était favorisé au détriment du capital financier.

 

La saturation des marchés nationaux a ouvert la voie à la nécessité de conquêtes concurrentielles extérieures. La mondialisation financière en fut l’instrument. Elle seulement permettait de mobiliser d’énormes capitaux pour investir dans les pays à bas salaires. Les Européens apparurent très vite comme des intégristes de la globalisation, abandonnant toute souveraineté monétaire, en s’alignant sur l’ordo-libéralisme allemand qui a été imposé en 1945-49. Il s’agissait de gouverner par des règles empêchant l’Allemagne de toutes initiatives intempestives, notamment, son réarmement. Sa banque centrale « indépendante » du pouvoir politique était de fait soumise aux Etats-Unis, aux alliés qui occupèrent le pays avant de relâcher leur emprise. La France de Mitterrand et l’Italie furent aveuglées par le « miracle allemand », dû pour l’essentiel à son tissu industriel, au choix de fabriquer des moyens de production (machines) et de développer l’industrie automobile puis, ensuite, de contenir, restreindre la masse salariale (gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder) et, enfin, de délocaliser dans les pays de l’Est « libérés » de la tutelle « soviétique ». Elles se résignèrent à larguer leur souveraineté monétaire au profit de la Banque Centrale Européenne organisée sur les mêmes principes que la Banque de Francfort. Entre temps, décision fut prise, en France, de déléguer le pouvoir de création monétaire aux banques privées. L’Etat, quant à lui, se devait d’emprunter sur les marchés financiers (banques privées, assurances, fonds d’investissement…). Les motifs invoqués afin d’abandonner la voie keynésienne-fordiste (1) furent la trop forte inflation qui pesait de fait sur les créanciers-rentiers et la soi-disant inclinaison des politiciens à augmenter les salaires et les prestations sociales. En fait, il s’agissait plutôt de donner tout pouvoir à la finance actionnariale. Aux Etats-Unis, la FED, banque centrale, ne versa pas dans cet extrémisme : elle n’est pas véritablement indépendante de la Maison Blanche…

 

Au bord du gouffre

 

L’abandon de la souveraineté monétaire fut, entre autres, l’entrée dans la mondialisation financière. Les Etats les plus fragiles s’endettèrent, privatisant leurs industries, leurs services publics, diminuant les prestations sociales pour se désendetter. Les crises financières réapparurent, jusqu’à celle de 2008-2009 touchant l’ensemble de la planète. Affolés, les Etats renflouèrent les banques, s’endettant encore plus et l’Union européenne entreprit, prétendument pour sauver l’euro, d’obtenir de la Grèce, jusqu’à l’étranglement de sa population, le remboursement de ses dettes en lui infligeant des programmes d’austérité draconiens. Il s’agissait, par ailleurs, d’éviter que les velléités de Syriza fassent tache d’huile dans d’autres pays de l’Union. Et, malgré un référendum désapprouvant à 75 % un mémorandum austéritaire, Tsipras céda… La BCE avait interrompu l’alimentation en liquidités des banques grecques et le gouvernement Hollande, sollicité, avait refusé l’impression des euros grecs qui étaient réalisés en France (2). Quant au Parlement européen, muet dans toute cette affaire, il n’a bien sûr pas été consulté.

 

Mais cette lapidation de la Grèce ne réglait en rien l’endettement explosif des Etats européens, en particulier de la France et de l’Italie. La BCE s’est donc résolue à un nouveau coup de force par rapport à son mandat initial, à savoir racheter de la dette publique puis privée sur le marché secondaire. Il s’agissait de faire baisser les taux d’emprunt souscrits par les Etats auprès des marchés financiers, ce qu’elle a réussi, et surtout, parce qu’il était impensable de faire subir à l’Italie, à la France… les remèdes de cheval imposés à la Grèce, qui n’a d’ailleurs servi à rien (la dette grecque représente toujours 180 % du PIB) sinon à obliger la Grèce à rembourser ses créanciers, de fait et surtout, les banques françaises et allemandes.

 

En effet, la dette publique française atteint 125 % du PIB et plus alarmant, la dette privée 150 %. De même, en Italie (sans parler des autres pays, sauf l’Allemagne) où la dette publique de 165 % devrait passer à 180 % du PIB en 2021.

 

Or, à la différence des banques privées, la BCE peut créer de la monnaie pour se sauver elle-même. Dans son bilan, elle accumule déjà 2 200 milliards de rachat de dettes européennes dont 400 milliards de dettes publiques pour la France. Elle possède, certes, un coussin de sécurité de pure forme, alimenté par les Etats, mais ces fonds propres pour protéger l’euro, non seulement, ne pèsent rien au regard du PIB européen de 10 000 milliards d’euros, mais surtout, ne servent à rien puisque la BCE peut se renflouer elle-même.

 

Tout ce mécano n’est guère susceptible de sauver l’UE : ce n’est pas un Etat fédéral, la concurrence exacerbée entre les Etats est la norme, les législations sociales et fiscales sont différentes, etc.

 

A quoi faut-il s’attendre pour le moins ?

 

L’épidémie de Covid 19, qui a surgi dans ce contexte, n’arrange rien : avec le premier confinement, 1/4  de la production s’est mis à l’arrêt, la croissance a rétrogradé d’environ 10 % en France. Malgré les garanties de l’Etat, les entreprises, craignant de s’endetter plus encore, rechignent, préférant la valorisation de l’actionnariat, avec son cortège de licenciements et les procédures de fusions-concentrations capitalistes. On assiste donc à une crise de l’offre (de produits) et de la demande (la fameuse épargne de précaution que le ministre de l’économie Bruno Lemaire vilipende !). 

 

Si la politique macronienne se poursuit dans le sens de l’austérité renforcée et la vente d’actifs (privatisations), la trappe déflationniste risque de s’ouvrir. Le million de chômeurs en plus attendus, les faillites d’entreprises, vont y concourir d’autant plus que le trio Bercy, Bruxelles, Berlin pousse toujours à la restriction de l’intervention de l’Etat dans l’économie. D’un côté, les entreprises endettées ne veulent plus s’endetter (3) provoquant la baisse des transactions dans le secteur productif, quand il n’est pas à l’arrêt, et la classe « moyenne » s’engage dans la voie du déclassement et, de l’autre, la Bourse et les profits financiers explosent.

 

Face au spectre des années 30, Merkel a fini par admettre, très timidement au demeurant, qu’il fallait faire de la dette communautaire pour tenter de s’en sortir. Cette mutualisation de la dette, réclamée par certains depuis des lustres, vise à éviter que les marchés financiers jouent la dette de certains pays contre d’autres et finissent par faire exploser l’UE inégalitaire.

 

C’est ainsi qu’est née l’idée d’un plan de relance européen, destiné toutefois, à la tentative de réparer les dégâts économiques provoqués par le Covid. Financé par un prêt de 750 milliards d’euros, abondé proportionnellement par chaque Etat de l’Union, il apparaît bien dérisoire. Bien qu’il ne soit pas encore approuvé par les pays concernés, Macron le fanfaron, s’est auto-congratulé en annonçant 100 milliards pour « France relance »… en 2 ans. Ce n’est là qu’une arnaque communicationnelle : aux 40 milliards d’euros de l’UE, qu’il faudra rembourser avec les intérêts, il prétend en ajouter 60 milliards, alors que 30 sont déjà budgétés. Or, les pertes accumulées en 2020 se chiffrent à 230 milliards. Bref, le pourcentage de la dette par rapport au PIB va encore progresser. Le « com-pédant » jupitérien va continuer de prêcher l’austérité comme l’invite le rapport Arthuis (4) qu’il a lui-même télécommandé.

 

Vers un krach boursier ?

 

Le découplage entre l’explosion des actifs financiers et l’économie réelle stagnante, voire récessive, pourrait bien provoquer un désastre planétaire, bien plus grand que la crise financière de 2008. D’autant que, depuis cette date, très peu de mesures ont été prises pour réguler la finance. La séparation des comptes de dépôts et des fonds spéculatifs est restée dans les tiroirs, et, face aux contraintes toutes relatives imposées aux banques privées pour restreindre leur appétit spéculatif (et les risques qu’elles prennent), elles se sont empressées de créer des banques de l’ombre qui, n’étant pas considérées comme des institutions financières ( !), échappent… aux radars des Etats. Ces objets financiers non identifiés font courir des risques colossaux, tout comme le trading à haute fréquence (spéculation par algorithmes) ainsi que le recours, dans la plus grande opacité, aux marchés de gré à gré. Ces derniers ne sont pas répertoriés par les Chambres de compensation internationales qui centralisent les transactions financières (comme Clearstream sur laquelle avait enquêté Denis Robert). Cerise sur le gâteau, l’UE a décidé de les privatiser pour les mettre en concurrence, ce qui a conduit ces institutions prétendant réguler et garantir les transactions, à réduire les garanties en cas de défaut des créanciers (baisse des commissions). Tout cela pour dire que tous les ingrédients sont réunis pour l’éclatement de bulles financières, conduisant au krach, en d’autres termes, à l’effondrement des prix des actifs financiers, leur validité n’étant plus soutenue par l’économie réelle.

 

L’UE semble en être consciente ( !), elle vient de créer un « fonds de résolution » en cas d’effondrement… de 55 milliards qui devrait être opérationnel en… 2023… dérisoire ! Bien qu’assurés qu’ils sont trop gros pour faire faillite et que, donc, les Etats viendront à leur secours, les mastodontes financiers (en France : Crédit Agricole, BNP Paribas, Société générale, BPCE Natixis) ont quelque frayeur, celle des retraits intempestifs aux guichets en cas de faillite. C’est la raison pour laquelle, ils exercent un lobbying intensif pour imposer le recours exclusif à la monnaie digitale et scripturale, espérant faire disparaître ainsi les billets de banques et la monnaie et, par conséquent, les queues émeutières en cas de krach.

 

Bifurcation possible, souhaitable ?

 

Dans l’immédiat, il faudrait annuler une grande partie des dettes : les rentiers se sont assez gavés depuis plus de 30 ans. Mais cela ne saurait suffire. La création monétaire et les prêts accordés devraient être ciblés de manière dirigiste pour opérer un virage écologique et social. Cette « monnaie active », dirigée vers des projets verts et la souveraineté alimentaire et industrielle de proximité, suppose une volonté politique dont ne sont pas porteuses les classes dominantes. Comme le propose Gaël Giraud (5), qui croit à la possibilité d’un capitalisme vert, on peut imaginer le développement des transports publics, la rénovation thermique des bâtiments, la polyculture, des circuits courts au sein des centres villes, les marchés à proximité des gares, la fermeture des supermarchés, la refondation du tissu urbain, ou imaginer que l’on puisse, en France, fabriquer de nouveau du tissage, des téléphones, des téléviseurs, des ordinateurs… Quelles forces sociales peuvent-elles imposer une bifurcation dans cette direction, alors même, qu’à l’orée des 30 prochaines années, avec la destruction de l’écosystème, elle est une nécessité vitale ? Comme le dit la chanson : « le monde doit changer de base », ceux qui ne sont rien (comme dit Macron) doivent aspirer à être tout. Encore faut-il qu’un nouvel imaginaire s’impose. Certes, l’on est plus ou moins sorti de la « mondialisation heureuse » qui tourne au cauchemar mais la prise de conscience d’un autre avenir désirable fait défaut. Faut-il se contenter du bidonnage de Biden, qui semble se détacher du néolibéralisme prédateur ?

 

Gérard Deneux, le 19 avril 2021

 

(1)   lire Une autre histoire des Trente Glorieuses. Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre sous la direction de Céline Pessis, Sezin Topçu, Christophe Bonneuil, ed. La Découverte

(2)   faut-il préciser que les prêts des banques peuvent être vertueux lorsqu’ils constituent une avance pour la production de la richesse à venir pour autant qu’ils satisfassent des besoins réels

(3)   sur les 300 milliards de prêts garantis par l’Etat, seuls 150 ont été appelés par les entreprises.

(4)   Rapport sur la dette, plaidant pour une meilleure maîtrise de la dépense publique, établi par la Commission pour l’avenir des finances publiques, présidée par J. Arthuis (ancien ministre de l’économie de Chirac)

(5)   Gaël Giraud, auteur de L’illusion financière, ed. l’Atelier

 

Sources pour cet article : Gaël Giraud, invité sur Blast media

« Cataclysme mondial et chômage de masse : ce qui nous attend en 2021 »

 

encart (si besoin)

 

Heureux comme un milliardaire en France

La France est le pays européen où les milliardaires sont les plus riches, « ce pays où les impôts sont beaucoup trop élevés et les freins à l’entreprise beaucoup trop forts, selon les médias détenus par ces mêmes milliardaires », ironise Lucas Chancel (économiste au Laboratoire sur les inégalités mondiales)

Celui-ci a agrégé, par nationalité, le patrimoine des milliardaires européens, à partir du classement des 500 plus grandes fortunes mondiales de Bloomberg. La France arrive grande 1ère,  avec 354 milliards € cumulés. L’Allemagne est 2ème avec 281 milliards, suivie du Royaume-Uni avec 147 milliards. Les autres pays retenus – Suède, Italie, Espagne - n’atteignent même pas la plus grosse fortune française, celle de Bernard Arnault, détenteur d’un gros matelas de plus de 100 milliards€.

Alternatives Economiques (8.04.2021)

 

 

 

Nous avons vu sur youtube

 

Aude Lancelin et Alain Badiou (philosophe) ont invité Thomas Piketty (1h40)

sur son livre Capital et idéologie

Dévoiler les ressorts de la séquence néolibérale qui sévit depuis les années 80 et proposer des solutions, sans épargner les expériences communistes, tel est le fil conducteur du livre. Les inégalités n’ont pas de fondement naturel. Que faire ? Du réformisme radical, comme Thomas Piketty le suggère ou du communisme dont se revendique Alain Badiou ? GD.

(QG Quartier Général – Contre-Courant 18.11.2019)  

 

Qu’est-ce que la politique ?

Entretien avec Alain Badiou mené par Aude Lancelin (1h15)

La politique peut-elle être autre chose que la quête forcenée du pouvoir ? Il y a deux manières de voir : la politique est la prise du pouvoir, on se positionne alors du côté de l’Etat, ou la politique est une relation avec la justice, on se situe alors du côté de la collectivité. Aujourd’hui, dominent les maîtres économiques, les alternances politiques n’y changeant rien, c’est la voie capitaliste. L’autre orientation consiste à défendre l’idée de réappropriation par la collectivité de l’ensemble des moyens financiers et économiques, c’est la voie  de la mise en commun, du communisme. Notre tâche théorique est de faire qu’il y ait deux voies et non plus une seule. Nous avons, parallèlement, à être présents dans tous les mouvements populaires qui naissent afin d’entrer en discussion. L’âme de la politique, c’est la réunion. GD.  (contre-courant 30.03.2017)

 

Privatisation. A qui le tour ?

La RATP

 

Depuis 30 ans (traité de Maastricht), se succèdent législations européennes et nationales pour privatiser les services publics. Au tourniquet, cette fois : la RATP qui subit, depuis quelques années, à bas bruit, une prédécoupe, par secteurs, préparant son ouverture à la concurrence, selon les mêmes procédés qu’à France Télécom, Air France, SNCF (1), EDF (2), Aéroports de Paris, la Poste. La SNCF a été dépecée pour être livrée, par « paquets ferroviaires », aux prédateurs, qui s’arrachent les parts les plus goûteuses : fret, transport des voyageurs, gestion du réseau, jusqu’à sa mue définitive en société anonyme au 1er janvier 2020… Abandon du statut d’établissement public, « ouverture au capital », gestion calquée sur celle des groupes privés, fin du statut de cheminot, suppression des dessertes jugées non rentables : les gouvernements successifs ont tous appliqué cette ligne libérale.

30 ans de luttes syndicales contre ce processus que rien n’arrête, malgré les grèves massives, les coordinations avec les usagers, les résultats catastrophiques constatés dans certains pays, comme au Royaume Uni où l’on s’interroge sur le retour à une gestion publique des transports ferroviaires.

Ce mouvement libéral semble inéluctable. En tout cas, les forces politiques aux gouvernements (de droite et de « gauche ») l’ont fait leur, admettant l’idée qu’il n’y a pas d’alternative à la logique capitalo-financière de l’Union Européenne et des Etats qui la constituent.  Est-il possible de sortir de ce système destructeur de solidarité, d’égalité ?

 

Le désossement

 

La régie autonomie des transports parisiens (RATP) a 73 ans. Cette « vénérable » institution est un Etablissement Public à caractère industriel et commercial (EPIC) regroupant l’ensemble des activités en monopole, à savoir l’exploitation des réseaux franciliens RER/métro/tramway/bus à Paris et Petite Couronne, la gestion des infrastructures métro et RER, l’ingénierie, la maintenance industrielle et la gestion du patrimoine immobilier. Elle pèse lourd en notoriété sociale, en tradition militante, en services rendus aux usagers : l’Ile de France représente 3.3 milliards de voyages/an, 21 milliards d’euros en investissements pour la période 2021-2024… Il convient, en conséquence, d’être stratège dans son démantèlement.

 

Ça commence au détour du vote de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) en 2000. Le gouvernement y introduit un article additionnel, autorisant la RATP à développer des filiales pour concevoir et exploiter des réseaux de transport sur tout le territoire national et à l’international. Et, pour maintenir une totale étanchéité entre les contributions publiques de la RATP et les comptes de ses filiales privées, ce même article prévoit la séparation de la gestion financière et comptable entre la RATP-EPIC et ses filiales. Deux ans plus tard, RATP-Dev (développement) voit le jour sous forme d’une société anonyme détenue à 100 % par RATP-EPIC, rendant possible la vente en Bourse d’une partie du capital. Implantée dans 13 pays sur 4 continents : Royaume-Uni, Italie, Suisse, Etats-Unis, Canada, Arabie Saoudite, Qatar, Corée, Chine, Inde, Philippines et Maroc, Algérie, Afrique du Sud, elle affiche une politique accrue de la productivité par l’investissement et l’exploitation des réseaux (en 2018, elle compte 16 000 salariés, son chiffre d’affaires est de 1.2 milliard €).

 

S’éloigne, dès lors, la mission première du service public, à savoir, développer l’offre de transports au regard des besoins des usagers. Les marges bénéficiaires deviennent la boussole des dirigeants. Le mode de financement de la RATP a été modifié en conséquence : jusqu’en 2000, l’Etat versait chaque année une subvention d’équilibre. Ce système d’indemnité compensatrice a été remplacé par une contractualisation pluriannuelle avec l’autorité organisatrice (qui peut être une commune, une agglomération, une région, etc. En Ile-de-France, c’est le syndicat des transports d’Ile-de-France, dénommé IDFM  (Ile-de-France Mobilité), présidé par Mme Pécresse.

 

La brèche est ouverte et va s’élargir.  

 

Pour l’UE, le service public doit être l’exception, et celui de la RATP (comme la SNCF…) est une distorsion au principe de la concurrence libre et non faussée, les marchandises et services qu’ils produisent ne peuvent échapper à la loi du marché et au concept de rentabilité. Il « faut » donc privatiser les transports urbains : fin 2007, le règlement européen OSP (Obligations de service public) voit le jour et prévoit notamment l’obligation d’un contrat entre l’exploitant et l’autorité organisatrice des transports et l’obligation de l’ouverture à la concurrence pour l’attribution de la gestion de ces services.

 

Peaufinant la boîte à outils de la privatisation, le parlement français vote, en 2009, la loi relative à la régularisation des transports ferroviaires (ORTF) fixant les conditions d’application de l’OSP à l’Ile-de-France : toute nouvelle desserte devra passer par un appel d’offres et ne relèvera plus du monopole de la RATP. Dans cette loi, il fixe le calendrier de l’ouverture à la concurrence du réseau RATP-EPIC des lignes de bus au 1er janvier 2025, des lignes de tramway en 2030, des lignes de métro et de RER en 2040. La RATP perd son « cœur », son réseau historique sur lequel elle bénéficiait de droits de lignes à durée illimitée. La propriété du matériel roulant sera transférée à IDFM.

 

Pour préparer la vénérable dame à sa mue totale, les dirigeants de la RATP, la découpent en  « centres de profits » (ou business units - BU). Cette fois, c’est la loi LOM, loi d’orientation mobilité, en 2019, qui  en a décidé. Elle a créé trois BU : sûreté (police du métro), services urbains, réseau de surface (bus et tram) ; cette dernière est découpée en petites unités multiples (de 1 ou plusieurs dépôts) fonctionnant comme des mini-entreprises. Les comptabilités ont été séparées entre gestion du métro/RER et service de transports publics voyageurs en 2012. Et début 2021, la RATP a été évincée du processus de privatisation, remplacée, pour cette tâche par la société CAP Ile-de-France, support des appels d’offres pour les lignes de bus. C’est Ile-de-France Mobilités (IDFM) qui, avant fin 2024, attribuera des lots de lignes au plus offrant pour être opérationnel au 1er janvier 2025.

 

Ainsi se met en place la privatisation rampante. Dans 20 ans, l’incontournable RATP de 1948 sera totalement désossée. Elle va tout perdre, ses moyens d’agir, ses milliers de kilomètres de réseaux, stations de métro, matériels roulants, son ingénierie et ses compétences… et ses 45 000 salariés sous statut particulier (quelque 18 000 salariés sont déjà sous statut privé et notamment à RATP-Dev).

 

Préparer le terrain de la « libéralisation », les technocrates des gouvernements en accord avec la majorité des parlementaires, savent faire. Usagers et salariés ne la voient pas venir. Elle s’installe au fil du temps et quand ils en subissent directement les effets, il est trop tard pour renverser le processus. Et pourtant les expériences citées en introduction devraient servir de leçon !

 

Musellement des salariés

 

C’est que les dirigeants de la RATP, eux, se sont appuyés sur l’expérience et ont adopté une tactique différente de la SNCF qui avait fait le choix d’attaquer le personnel sédentaire et roulant en même temps. La RATP a décidé de diviser pour mieux régner, espérant ne pas mettre en grève le réseau ferré au côté du réseau Bus.

 

Depuis 2015, Elisabeth Borne PDG, puis Catherine Guillouard devenue PDG en 2017 (la première étant devenue ministre des transports) ont eu comme mission la remise en cause du caractère public de la RATP et le statut des personnels. Au 1er janvier 2025, 18 000 agents (conducteurs, mainteneurs et encadrement, des lignes de bus, ne travailleront plus dans l’Epic. Demain, la RATP sera une holding composée de multiples filiales à statut de société anonyme : RATP Paris-Région, avec des filiales d’exploitation pour chaque marché (un découpage se prépare par centres de dépôts), RATP infrastructures, RATP ingénierie, RATP maintenance, RATP-dev et autres filiales à l’étranger ou dans d’autres régions françaises. Au final, les 45 000 salariés de RATP-EPIC ne seront plus agents de la RATP, transférés chez un concurrent (Transdev, Keolis…) qui aura emporté le marché, ou à CAP Ile-de-France, ou encore « remerciés » « grâce » à une rupture conventionnelle collective, la première a été signée fin 2020 !

 

Un  «dialogue social » avec les syndicats et l’Union des Transports publics est mis en place pour parvenir à un accord pour l’ensemble des entreprises de transport urbain. Si ça passe pour les agents des lignes Bus, il s’appliquera à l’ensemble du groupe RATP et, dès 2021, à tous les salariés des filiales privées existantes. L’expérience de la SNCF et des deux grosses grèves de 2016 contre la réglementation du travail interne et celle de 2018 contre l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire, a décidé le ministère des transports, la RATP et l’union des Transports publics à combiner l’attaque contre les conditions de travail des agents RATP et l’ouverture à la concurrence. Ils négocient ce deal avec les représentants syndicaux (l’UNSA notamment favorable au « dialogue social ») qui prévoit des régressions sociales importantes pour les anciens agents « statutaires » comme la perte de 6 jours de repos/an, de 5 jours de congé, l’obligation de travailler 1 heure de plus par jour (7h30 au lieu de 6h30). L’objectif est de développer sans recruter, sans remplacer les départs alors que le service  public tourne 7 jours sur 7 avec de larges amplitudes horaires et une pénibilité au travail importante. « Les gens se moquent : RATP = ResteAssisT’esPayé,  mais qu’ils viennent faire 7h30 d’affilée de conduite en région parisienne » !

 

C’est un bouleversement total de culture qui est entrepris. La direction a préparé le terrain en créant un « accompagnement pour l’adaptation » : formation des « managers » sur l’individualisation des rémunérations et des déroulements de carrière. Des responsables de la transformation ont été nommés. Redéploiement des postes, arrêt des recrutements, reconversions externes et aide à la création d’entreprises, recours à des licenciements et à des méthodes de harcèlement contre les salariés militants. Un management très agressif est mis en place, la méthode est rôdée, les salariés d’Air France ou de France Télécom la connaissent, avec les phénomènes d’isolement, de fragilisation des individus, de perte de sens et de montée du mal-être au travail. Les agents sont pris de vertige. Les réorganisations se succèdent.

 

Ce vendredi 2 avril 2021, l’appel à mobilisation de la CGT pour soutenir un militant en procédure de licenciement n’a pas eu d’incidence sur le trafic RATP. Et pourtant, ce sont les mêmes salariés qui, le  13 septembre 2019, entamaient, avec d’autres, la grève la plus longue dans l’histoire du mouvement ouvrier, notamment à la RATP et SNCF : 60 jours de grève contre la contre-réforme des retraites, ayant permis de bloquer le projet. On pouvait espérer qu’un an plus tard, le 19 novembre 2020, les grévistes, à l’appel des syndicats, allaient remettre le couvert contre la privatisation, contre les régressions annoncées des  conditions de travail. Mais l’atmosphère a changé et la direction a choisi la répression pour effacer de la mémoire le blocage des dépôts de bus, etc… de 2019, pour ne garder que l’image des militants réprimés. L’UNSA RATP a tout fait pour isoler sa propre base, jouant le rôle d’accompagnement de la direction. Quant à la CGT, deuxième organisation dans l’entreprise, elle est au centre d’attaques d’ampleur contre certaines figures de la grève (procédure de licenciement, harcèlement de militants…).

 

Les reculs sociaux subis, malgré les mobilisations, ont marqué les « anciens militants » et les appels à la grève de novembre et décembre 2019 n’ont pas réussi à mobiliser largement. Malgré tout,  une nouvelle génération s’est levée et la grève de 2018 contre la « réforme » des retraites a permis de renouer avec la construction de l’auto-organisation, avec notamment l’émergence de la coordination RATP-SNCF. La base et donc capable de revenir sur le terrain des luttes coordonnées entre les agents SNCF et RATP mais aussi avec ceux qui relèvent des transports privés, et pourraient, comme les agents de Total Grandpuits l’on fait, élargir leur lutte au-delà même des salariés directement concernés, en expliquant, informant, les usagers, les citoyens, les défenseurs de l’environnement, les habitants des quartiers populaires qui ont besoin des services publics de transport franciliens… et qui verront les lignes « non rentables » fermer, des augmentations de tarifs s’appliquer, des emplois supprimés…

 

Alors, à qui le tour ou ça suffit ?

 

Il est plus qu’urgent de se mobiliser contre le « système » qui réussit à nous imposer la disparition des services publics, les uns après les autres. L’on ne peut se contenter de proposer des mesures plus « humaines » ou des aménagements du capitalisme. Sortir du modèle ultra-libéral est la seule solution pour revenir à des services publics répondant à l’intérêt général et non à la rémunération des actionnaires. Cela passe par la remise en cause des législations européennes, par l’instauration d’un contrôle des usagers et des salariés. Toutes les promesses affichées dans le « dialogue social » sont vaines : il n’y a rien à négocier ! Le transport en commun c’est comme l’hôpital  ou l’éducation, un service public à part entière, les logiques d’entreprise n’ont rien à y faire. Il suffit de regarder les conséquences de la privatisation de la SNCF (cf encart) pour être assurés que face à ces politiques, il est plus que nécessaire d’exiger un service public de transport en commun gratuit à même d’assurer les enjeux sociaux et écologiques sans que cela ne se fasse au détriment des salariés et des usagers. La période électorale qui s’annonce peut permettre de poser des exigences aux « prétendants »… sans illusion aucune sur leur capacité à décider mais pour dévoiler leur capacité à mentir.

 

Odile Mangeot, le 17.04.2021

 

 

(1)   PES mars 2018 (n° 42) « la bataille du rail aura-t-elle lieu ? »

(2)   PES janvier 2021 (n° 69) « Combattre Hercule »

 

sources : NPA RP, CGT RATP, SUD Rail

 

 

Zéro sur toute la (les) ligne (s)

Bilan de la casse de la SNCF

 

7 000 emplois en moins en 3 ans (2017-2019). Au prétexte d’être « plus attractif et engagé » la SA  SNCF a réalisé le principal plan de suppression d’emplois en France ! (selon SUD Rail).

 

Sur  le plan de la rentabilité ? Une catastrophe !

-        ouverture à la concurrence du fret = désastreux en raison de son manque de compétitivité, elle a réduit les coûts au détriment de salariés

-        ouverture à la concurrence des trains régionaux avec système de franchise, c’est-à-dire : mêmes trains, mêmes infrastructures – mêmes cheminots, mais logo différent et conditions de travail dégradées = désastreux

-        ouverture à la concurrence des LGV = échec, aucune autre compagnie n’a mis en circulation des LGV

 

Bilan social catastrophique : violences managériales – fin des embauches au statut – recherche de la productivité à tout prix – dégradation des conditions de travail – salaire figés depuis 7 ans…

 

Bilan économique  lamentable : le passage en SA a multiplié les entités autonomes, les frais de structure et le recrutement de personnels d’encadrement = la SNCF a dû faire un emprunt de 2 milliards supplémentaires sur 30 ans !

 

et tout ça pour un service aux usagers dégradé

 

https://www.revolutionpermanente.fr

 

 

Amazon. Une fissure dans le modèle du e-commerce ?

 

Les salariés de l’entrepôt Amazon de Bessener, en Alabama, ont voté contre la syndicalisation de leur site. Aux Etats-Unis (depuis la loi de 1935), les employés d’une même entreprise, pour être autorisés à créer un syndicat, doivent obtenir (par référendum dans l’entreprise) 30 % de votes favorables, leur donnant droit à solliciter une élection au bureau fédéral. Le syndicat qui obtient 50 % + 1 des suffrages exprimés devient le représentant légal des employés. Les salariés d’Amazon ont passé le premier obstacle, plus de 30 % des 5 900 salariés ont signé une pétition pour la syndicalisation, soutenus notamment par le mouvement antiraciste Black Lives Matter, dans une usine où près de 80 % des salariés sont afro-américains. Mais, lors du vote, le non à la syndicalisation l’a emporté avec 1 798 voix contre 738 en faveur du RWDSU (syndicat national de la distribution). Amazon a mené une campagne très agressive contre les syndicats, les salariés ont craint la fermeture de l’usine dans un Etat très pauvre et très conservateur. C’est une victoire pour Jeff Bezos, 2ème employeur des USA (derrière Walmart) avec 950 000 salariés, sans syndicat. Mais le géant n’en sort pas indemne. Ont été mises en lumière les cadences infernales, rappelant l’affaire du « pause pipi gate » prouvant que les employés sont obligés d’uriner dans une bouteille par manque de temps. Le géant du e-commerce a beau mettre en avant sa politique salariale (15 dollars/h, le double du salaire minimum), c’est loin de compenser des conditions de travail inacceptables : « la salle de pause est très loin et il faut manger comme un prisonnier pour être revenu à temps car si vous avez une minute de retard, on vous compte une heure non payée ». Le vote de Bessemer a dépassé les frontières de l’Alabama, montrant que la mobilisation est possible pour mettre en place un syndicat. Le mouvement résonne aussi avec d’autres actions syndicales dans le monde, comme la grève, fin mars, en Italie pour dénoncer les conditions de travail dans les entrepôts du pays, suivie par 75 % des salariés. Jeff, ton modèle se fissure ! 

 

Foot, fric et Qatar

 

Le football est le sport le plus pratiqué au monde. Tous les gamins du monde ont  tapé dans un ballon et découvert cette activité. La pratique de ce sport s’est rapidement développée, d’abord en Europe, puis en Amérique du Sud, en Afrique et aujourd’hui, en Asie. Cet engouement planétaire a débouché sur un le professionnalisme et le brassage de sommes d’argent faramineuses. En France, on compte 14 000 clubs, 2,2 millions pratiquants, 1 800 joueurs professionnels payés en moyenne 35 000 €/mois.

 

Fric et magouille

 

Ce sport génère des sommes colossales et a une fâcheuse tendance à attirer des individus peu scrupuleux, avides d’argent facile. Aujourd’hui, le joueur le mieux payé est un Argentin du FC Barcelone, Lionel Messi, avec 200 000€/jour et des contrats publicitaires, ses revenus sont de plus de 100 millions d’€/an.

 

Autre caractéristique de ce sport, les règles laissent une grande part à l’appréciation de l’arbitre. Influencer, intimider l’homme en noir, peut dérégler le jeu. Dans les clubs, on apprend aux joueurs à simuler une blessure faite par un adversaire ou un coup reçu de celui-ci. On peut donc dire que le football c’est la tricherie à tous les étages, sur le terrain et en dehors. Cette culture est largement répandue. Quelques exemples :

-        Lionel Messi a été condamné en 2017 à 21 mois de prison pour fraude fiscale. Il aurait grugé le fisc espagnol de plus de 4 millions €. Il n’a bien sûr pas fait de prison mais des travaux d’intérêt général dans les clubs de foot… Bel exemple pour de jeunes joueurs !

-        des joueurs de Valenciennes ont touché de l’argent du club de Marseille pour « les laisser gagner ». Tapie président du club fut condamné à 2 ans de prison dont 8 mois fermes. Le joueur qui a révélé l’affaire n’a jamais retrouvé de club.

-        en 1982, lors d’un match Koweït-France, un but litigieux fut accordé aux Français. Furieux, le frère de l’émir descendit sur le terrain pour s’en prendre à l’arbitre, le match fut interrompu, le but fut annulé. L’arbitre fut suspendu à vie et le frère de l’émir écopa d’un blâme

 

Cette culture footbalistique et l’argent présent en masse, attirent beaucoup de businessmen douteux : Tapie fut président de l’Olympique de Marseille, Berlusconi propriétaire du Milan AC pendant 30 ans, F. Pinault est propriétaire du club de Rennes. Un oligarque russe Abramovich possède le club anglais de Chelsea. Depuis quelque temps, de nouveaux investisseurs arrivent sur le marché : le Paris SG est propriété du Qatar, Manchester City des Emirats Arabes Unis, Leeds du Bahreïn, et Barcelone est sponsorisée par Rakuten, l’Amazon chinois. C’est pour eux, le moyen de s’offrir une vitrine, de se faire des relations, en plus de gagner de l’argent.

 

Le Qatar, le plus entreprenant

 

Le pays organise, accueille, sponsorise toutes les compétitions sportives qui le veulent. Championnats du monde de cyclisme en 2016, de  handball en 2015, d’athlétisme en 2019, grands prix moto, auto, etc… Quasiment chaque week-end, une compétition est organisée au Qatar (gymnastique, judo, golf…). Les participants sont convoyés par la compagnie aérienne nationale et reçus comme des princes. A quand les JO d’hiver au Qatar, sachant qu’il est l’un des plus chauds du monde et que son point culminant est à 103 m d’altitude ?

 

Pourquoi une telle débauche d’énergie, d’argent : pour tisser des relations. Parce que le Qatar est isolé au milieu des pays du Golfe et craint ses voisins. Il veut donc se faire le plus d’amis possible pour se protéger. Presqu’île rattachée à l’Arabie Saoudite, ses voisins maritimes sont le Bahreïn, l’Iran, les Emirats Arabes Unis. Etonnant que le Qatar sunnite ait de bonnes relations avec l’Iran chiite. Pourquoi ? Ces deux pays partagent un énorme gisement gazier en mer et l’exploitent ensemble. C’est la principale ressource du Qatar. Hors de question, donc, de se fâcher avec les Iraniens. Certes, Arabie, Bahreïn, EAU sont les « cousins » sunnites du Qatar. Ils descendent tous des tribus bédouines qui occupèrent la région. Mais de vieux contentieux créent une méfiance entre les différents membres de la « famille ». Les relations entretenues avec l’Iran et la richesse du Qatar, rendent ses voisins jaloux et ses cousins assez peu amicaux. Mais le péché capital du Qatar est son soutien aux Frères Musulmans. Khaled Meshaal, chef du Hamas, vit à Doha, des membres des Frères Musulmans ont des postes importants dans l’appareil d’Etat qatari. Le gouvernement de Mohamed Morsi était soutenu et financé par le Qatar. Certes, les Frères musulmans ne sont pas tous des anges, mais se voir reproché par l’Arabie Saoudite un soutien à un mouvement dont certains membres seraient impliqués dans des actions terroristes a de quoi faire sourire. Autre péché du Qatar, celui d’accueillir la radio Al Jazeera, première radio d’info continue du monde arabe, qui se veut pluraliste.

 

Le Qatar est très riche. Son PIB de 130 000 dollars/an/habitant est le plus élevé au monde (Bahreïn 50 000, EAU 70 000). Cette richesse due à la production de gaz permet aux 250 000 Qataris de vivre comme des rois, pardon, comme des émirs… Ils en usent et en abusent. Le Qatar est le pays qui rejette le plus de CO2/habitant au monde (45 tonnes - moyenne mondiale : 5 tonnes). Le jour du dépassement (jour où un pays a dépensé en énergie ce que la planète peut régénérer pour ses habitants) et le 11 février pour le Qatar, le 22 août pour la planète. C’est le pays qui dépense le plus d’argent dans l’armement /habitant. Il achète à tout le monde, il a des avions français, russes et étatsuniens. Il se considère comme un coffre-fort entouré d’ennemis, alors il se surprotège en s’achetant des amis.

 

Cette recherche de relations a un autre objectif. Les Qataris ne sont que 250 000 : hors femmes et enfants qui ne participent pas aux affaires, moins de 100 000 personnes font fonctionner le pays. Le Qatar manque de ressources humaines et cherche donc à attirer des jeunes cadres compétents pour participer à la gestion de sa fortune. Les nombreuses amitiés du Qatar à l’étranger ont failli lui être bien utiles en 2017 quand l’Arabie, l’Egypte, le Bahreïn et les EAU ont rompu leurs relations diplomatiques et lui ont imposé un blocus économique. Ces Etats, soutenus par les USA de Trump, lui demandaient de rompre ses relations avec l’Iran, de fermer Al Jazeera et de cesser de soutenir les Frères musulmans. On est passé tout près d’une invasion militaire réclamée par l’impulsif dirigeant d’Arabie Saoudite. Finalement, Trump s’est rappelé qu’il avait une base militaire et 11 000 hommes sur le territoire qatari et a calmé le jeu. Le blocus a été levé en 2021 sans que le Qatar n’ait cédé quoi que ce soit. Ce blocus n’a fait qu’encourager les Qataris dans leur volonté de se protéger par tous les moyens. Par exemple, pendant le blocus, ils ont manqué de lait de vache pour préparer leur fameux lait caillé. Pour éviter que cela ne se reproduise, ils ont construit une ferme de 200 000 vaches achetées aux USA, ferme climatisée, dirigée par des Irlandais. Au Qatar, quand on veut quelque chose on s’en donne les moyens !

 

Cette volonté de plaire aux étrangers a peut-être aussi une autre cause. Si le Qatar, économiquement, c’est le 21ème siècle, socialement et politiquement, c’est plutôt le Moyen-Age. Dans ce pays, pas d’élections, pas de partis politiques ; l’émir et sa famille décident de tout.

 

Le pays compte 2.5 millions d’habitants : 9 habitants sur 10 sont des travailleurs étrangers. Certains sont des cadres qualifiés vivant plutôt bien, mais la majorité vient des Philippines ou du Pakistan pour les tâches manuelles et sont quasiment traités comme des esclaves. Pour travailler au Qatar, il leur faut un parrain qui, après avoir pris leur passeport, décide de tout : type de travail, employeur et surtout, le moment où ils pourront repartir. Il empoche pour cela 30 % de leur salaire. Cette « charmante » coutume s’appelle le Kalafa. Officiellement supprimée en 2016, dans les faits, elle est toujours appliquée. Le rapport de forces entre employeurs et employés est tel qu’aucun travailleur n’ose se plaindre. De quoi faire rêver le Medef français ! Bien sûr, pas de syndicat au Qatar. Par ailleurs, la peine de mort y est toujours en vigueur et c’est, entre autres, la punition prévue pour les personnes homosexuelles.

 

Pour résumer, le Qatar est le pays le plus riche du monde/habitant et on y pratique encore l’esclavage. On peut donc en conclure que la croissance économique ne règle pas tous les problèmes.   

 

Le Qatar décroche l’organisation de la coupe du monde de foot 2022

 

L’investissement qatari en relations a porté ses fruits. Le pays n’avait aucune chance d’obtenir le championnat du monde. Parmi les 5 pays sur les rangs, il était classé 5ème par les experts de la FIFA (fédération internationale du football amateur). Mais tous les amis, tous les « obligés » du Qatar sont entrés en jeu. Au 1er plan, les Français : Nicolas Sarkozy et deux ex-gloires du foot français, Michel Platini, Zinedine Zidane, ont soutenu le Qatar et convaincu de nombreux votants. Les représentants des pays africains ont voté pour le Qatar, quelque temps après, leur niveau de vie a brusquement augmenté. Le fils de Platini a trouvé un emploi dans les relations publiques à Doha, le Qatar a acheté une quarantaine de Rafale à la France et la fondation Zidane a reçu un don de 11 millions €. Bref, le Qatar a acheté la coupe du monde, en corrompant des personnes qui l’ont bien voulu. Finalement, c’est fidèle à l’esprit du football : tricherie et magouille à tous les étages.

 

On pourrait se dire : laissons-les entre crapules et magouilleurs et ne regardons pas ce championnat. Mais le drame c’est la construction à marche forcée des infrastructures nécessaires à cet évènement : des routes, 8 nouveaux stades, une ville nouvelle Lusail. Quasiment tous les matériaux sont importés, les stades seront climatisés… pour passer à une température de 50° à l’extérieur à 24° sur la pelouse, le tout dans un stade découvert. Le bilan écologique est désastreux. Et, face à l’insuffisante efficacité de cette climatisation, la coupe du monde est décalée à l’hiver (30°). Au-delà de l’anecdote, c’est la preuve de la puissance de cet Etat, qui a réussi à changer la date du Coupe du Monde pour la 1ère fois de son histoire !

 

Beaucoup plus grave : toutes ces infrastructures sont construites par des travailleurs émigrés, soumis à la Kalafa ou esclavage moderne. Rassurez-vous, le fils Platini n’est pas concerné ! Ces travailleurs, contrairement aux stars du foot, travaillent 365 jours/an, même par 50° en été. Pour être juste, il faut préciser que le travail doit s’arrêter par une température supérieure à 40° mais celle-ci est prise à l’ombre, donc, ces esclaves travaillent bien par 50° au soleil. A ce jour, 6 500, au minimum, sont morts depuis le début des travaux, d’origine du Pakistan, de l’Inde ou du Bangladesh. Le chiffre réel est sans doute supérieur puisque les données d’autres pays (Philippines, Kenya) n’ont pas été prises en compte…

 

Cette coupe du monde, coupe de la magouille, de la corruption, de la honte, arrive en tête comparée aux autres éditions qui n’étaient déjà pas très glorieuses.  Des milliardaires vont jouer à la baballe sur des cimetières, applaudis par des dirigeants corrompus, par Sarkozy, Platini et Zidane, aux premières loges. Ce spectacle sera relayé par les médias bien-pensants, qui déverseront des flots d’images joyeuses, d’images de fraternité sportive ! On va peut-être même nous ressortir la phrase de Pierre de Coubertin, ce misogyne patent, ce colonial fanatique, ce fervent soutien des JO de Berlin en 1936, proposé au prix Nobel par Hitler lui-même, alors qu’à ce championnat du monde « l’important c’est de ne pas participer » mais de le dénoncer, le boycotter. Le minimum de décence consisterait, au début de chaque match, à respecter une minute de silence à la mémoire de chacun des 6 500 travailleurs morts.

 

Jean-Louis Lamboley, le 24.04.2021