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lundi 26 avril 2021

 

Faut-il commémorer Napoléon ?

 

Le barnum commémoriel d’Emmanuel Macron.

 Olivier Le Cour Grandmaison (1) (extraits)

 

Le 5 mai 2021, E. Macron célèbrera le bicentenaire de la mort de Napoléon. (…) Il est des honneurs accordés à certains personnages qui déshonorent celles et ceux qui les rendent. 

 

(…) Aux ignorants, aux oublieux comme aux démagogues de la majorité présidentielle qui, à l’instar de leur prétendu « Jupiter-maître-des-horloges », souffrent d’un strabisme politique particulièrement divergent vers les droites les plus réactionnaires, rappelons quelques dates et événements emblématiques. Dix ans après la Révolution française, c’est par un coup d’Etat (…), celui du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), que Bonaparte met fin au Directoire et assoit sa « dictature, née de la guerre ». Cette « guerre » qu’il n’a « pas maîtrisée plus de quelques mois » (…) et qu’il a portée à travers l’Europe en mettant de nombreux pays à feu et à sang. Admirable et digne d’un hommage national ?

 

Ennemi de la République, qu’il ruine en renforçant toujours plus ses pouvoirs avec l’instauration d’un consulat à vie, la Constitution du 4 août 1802 puis celle du 18 mai 1804 qui lui permet de se proclamer empereur, Napoléon l’est aussi des peuples du Vieux Continent comme du Nouveau monde. Aux colonies, il poursuit son œuvre de liquidation des conquis révolutionnaires en rétablissant, le 30 floréal an X (20 mai 1802), (…) l’esclavage et le terrible Code noir (1685). De même, « la traite des noirs et leur importation » dans lesdites colonies. Ajoutons que ce même Code qualifie juridiquement les esclaves de « biens meubles » susceptibles d’être partagés « également entre les cohéritiers sans préciput ni droit d’aînesse… » Délicate attention, n’est-ce pas ?

 

Pour les amateurs d’exception hexagonale, en voilà une remarquable mais sinistre : la France, qu’ils adorent d’un amour aussi aveugle qu’immature, est le seul pays à s’être engagé dans cette voie. Après l’abolition, tardivement accordée le 4 février 1794 suite à l’insurrection des esclaves de Saint-Domingue, le retour de la servitude dans les possessions françaises par la « grâce » de Napoléon. N’oublions pas la guerre conduite auparavant par le général Leclerc, sur ordre du même, contre Toussaint Louverture, sa capture le 6 mai 1802 puis sa déportation en France où les autorités l’ont incarcéré puis laissé mourir au fort de Joux. Esclavage, colonialisme et racisme d’Etat, c’est tout un mais c’est encore partiel.

 

A ceux qui s’ébahissent des beautés immarcescibles du très glorieux Code civil (21 mars 1804), que l’humanité « civilisée » (…) est réputée « nous » envier, rappelons que la femme mariée s’y trouve placée sous l’entière dépendance de son époux auquel elle doit obéissance. Conséquences de cette minorité juridique, qu’elle partage, entre autres, avec les « criminels et les débiles mentaux », elle est privée de toute autorité parentale sur ses enfants, de la gestion de ses biens, de la possibilité d’ester en justice sauf autorisation de son mari qui peut, en cas d’adultère, faire enfermer la fautive dans une maison de correction (…). Connu pour ses « bons mots » prétendus, Napoléon résume ainsi l’esprit de ce Code à nul autre pareil : « la femme et ses entrailles sont la propriété de l’homme ». Lumineuse et délicate conception.

 

Quant aux conditions requises pour obtenir le divorce, rendues libérales par la Révolution française, elles sont considérablement durcies avant que ce dernier ne soit finalement interdit le 8 mai 1816 sur proposition du très monarchiste et catholique Louis de Bonald qui vomit ce qu’il qualifie de « poison révolutionnaire ». Triomphe de la réaction, une fois encore. Au racisme d’Etat s’ajoute donc un sexisme d’Etat aux conséquences longtemps catastrophiques pour celles qui sont juridiquement assujetties.(…) Ajoutons que le père peut également, si son « enfant est âgé de moins de 16 ans commencés », le faire « détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois ». Admirable et digne d’un hommage national ? 

 

A ceux qui chantent les louanges de Napoléon et qui ne manqueront pas, comme à l’Elysée, au gouvernement et dans la majorité présidentielle, de hurler à l’anachronisme en prétendant incarner la rectitude méthodologique indispensable à l’écriture objective de l’histoire, rappelons quelques faits qu’ils ignorent ou qu’ils feignent d’ignorer pour mieux défendre leur sinistre champion, raciste, sexiste et promoteur d’un ordre patriarcal particulièrement rigoureux. Dès le 5 septembre 1791, Olympe de Gouges rédige une Déclaration des droits la femme et de la citoyenne destinée à établir l’égalité civile et politique des deux sexes (…). Deux ans plus tard, en avril 1793, le montagnard Gilbert Romme élabore une nouvelle Déclaration des droits dans laquelle, il écrit : « Tous les hommes ont un droit égal à la liberté, quels que soient leur âge, leur sexe et leur couleur ». Il en va de même pour l’exercice des prérogatives attachées à la condition de citoyen, laquelle s’ouvre enfin aux citoyennes. En vain puisque la première constitution républicaine de ce pays, celle du 24 juin 1793, reconduit la minorité politique des femmes.

 

Vivant, Napoléon a suscité la haine de beaucoup en France, plus encore en Europe et dans les colonies. Mort, il est honoré par une cohorte hétéroclite de nostalgiques d’une grandeur bâtie sur la dictature, les guerres, les conquêtes et la servitude, mais cela n’empêche pas ces dévots et ces opportunistes de se prendre pour de vaillants républicains. « Paul Ricœur, réveille-toi ! Ton élève et prétendu disciple piétine tes enseignements et ta philosophie ».

 

O. Le Cour Grandmaison, universitaire. Son dernier livre Racismes de France 

Article à lire en entier sur  https://blogs.mediapart.fr/o-le-cour-grandmaison/