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lundi 26 avril 2021

 

La crise économique qui s’annonce

 

Le pire n’est pas certain. Toutefois, tout dans le domaine économique et financier semble y concourir. Pour tenter d’en rendre compte, il faut d’abord revenir sur un certain nombre de décisions politiques préjudiciables vis-à-vis de la maîtrise d’un système qui, en Europe notamment, a dépossédé les Etats (volontairement) des moyens de réguler l’économie au profit d’une financiarisation délétère. 

 

L’abandon de la souveraineté financière et monétaire

 

Jusqu’en 1973-1975, les Etats empruntaient à leurs banques centrales à des taux très bas. Celles-ci détenaient seules le pouvoir de création monétaire. Avec l’inflation somme toute contenue, les Etats faisaient « rouler » la dette. C’est ce mécanisme qui a permis, entre autres, la reconstruction d’après-guerre et l’entrée dans la période dite des Trente Glorieuses. Le « dirigisme » d’Etat soutenait la production et induisait une certaine forme de redistribution sociale (sécurité sociale, retraites…) y compris sous forme d’accès aux services publics. Le capital productif et commercial était favorisé au détriment du capital financier.

 

La saturation des marchés nationaux a ouvert la voie à la nécessité de conquêtes concurrentielles extérieures. La mondialisation financière en fut l’instrument. Elle seulement permettait de mobiliser d’énormes capitaux pour investir dans les pays à bas salaires. Les Européens apparurent très vite comme des intégristes de la globalisation, abandonnant toute souveraineté monétaire, en s’alignant sur l’ordo-libéralisme allemand qui a été imposé en 1945-49. Il s’agissait de gouverner par des règles empêchant l’Allemagne de toutes initiatives intempestives, notamment, son réarmement. Sa banque centrale « indépendante » du pouvoir politique était de fait soumise aux Etats-Unis, aux alliés qui occupèrent le pays avant de relâcher leur emprise. La France de Mitterrand et l’Italie furent aveuglées par le « miracle allemand », dû pour l’essentiel à son tissu industriel, au choix de fabriquer des moyens de production (machines) et de développer l’industrie automobile puis, ensuite, de contenir, restreindre la masse salariale (gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder) et, enfin, de délocaliser dans les pays de l’Est « libérés » de la tutelle « soviétique ». Elles se résignèrent à larguer leur souveraineté monétaire au profit de la Banque Centrale Européenne organisée sur les mêmes principes que la Banque de Francfort. Entre temps, décision fut prise, en France, de déléguer le pouvoir de création monétaire aux banques privées. L’Etat, quant à lui, se devait d’emprunter sur les marchés financiers (banques privées, assurances, fonds d’investissement…). Les motifs invoqués afin d’abandonner la voie keynésienne-fordiste (1) furent la trop forte inflation qui pesait de fait sur les créanciers-rentiers et la soi-disant inclinaison des politiciens à augmenter les salaires et les prestations sociales. En fait, il s’agissait plutôt de donner tout pouvoir à la finance actionnariale. Aux Etats-Unis, la FED, banque centrale, ne versa pas dans cet extrémisme : elle n’est pas véritablement indépendante de la Maison Blanche…

 

Au bord du gouffre

 

L’abandon de la souveraineté monétaire fut, entre autres, l’entrée dans la mondialisation financière. Les Etats les plus fragiles s’endettèrent, privatisant leurs industries, leurs services publics, diminuant les prestations sociales pour se désendetter. Les crises financières réapparurent, jusqu’à celle de 2008-2009 touchant l’ensemble de la planète. Affolés, les Etats renflouèrent les banques, s’endettant encore plus et l’Union européenne entreprit, prétendument pour sauver l’euro, d’obtenir de la Grèce, jusqu’à l’étranglement de sa population, le remboursement de ses dettes en lui infligeant des programmes d’austérité draconiens. Il s’agissait, par ailleurs, d’éviter que les velléités de Syriza fassent tache d’huile dans d’autres pays de l’Union. Et, malgré un référendum désapprouvant à 75 % un mémorandum austéritaire, Tsipras céda… La BCE avait interrompu l’alimentation en liquidités des banques grecques et le gouvernement Hollande, sollicité, avait refusé l’impression des euros grecs qui étaient réalisés en France (2). Quant au Parlement européen, muet dans toute cette affaire, il n’a bien sûr pas été consulté.

 

Mais cette lapidation de la Grèce ne réglait en rien l’endettement explosif des Etats européens, en particulier de la France et de l’Italie. La BCE s’est donc résolue à un nouveau coup de force par rapport à son mandat initial, à savoir racheter de la dette publique puis privée sur le marché secondaire. Il s’agissait de faire baisser les taux d’emprunt souscrits par les Etats auprès des marchés financiers, ce qu’elle a réussi, et surtout, parce qu’il était impensable de faire subir à l’Italie, à la France… les remèdes de cheval imposés à la Grèce, qui n’a d’ailleurs servi à rien (la dette grecque représente toujours 180 % du PIB) sinon à obliger la Grèce à rembourser ses créanciers, de fait et surtout, les banques françaises et allemandes.

 

En effet, la dette publique française atteint 125 % du PIB et plus alarmant, la dette privée 150 %. De même, en Italie (sans parler des autres pays, sauf l’Allemagne) où la dette publique de 165 % devrait passer à 180 % du PIB en 2021.

 

Or, à la différence des banques privées, la BCE peut créer de la monnaie pour se sauver elle-même. Dans son bilan, elle accumule déjà 2 200 milliards de rachat de dettes européennes dont 400 milliards de dettes publiques pour la France. Elle possède, certes, un coussin de sécurité de pure forme, alimenté par les Etats, mais ces fonds propres pour protéger l’euro, non seulement, ne pèsent rien au regard du PIB européen de 10 000 milliards d’euros, mais surtout, ne servent à rien puisque la BCE peut se renflouer elle-même.

 

Tout ce mécano n’est guère susceptible de sauver l’UE : ce n’est pas un Etat fédéral, la concurrence exacerbée entre les Etats est la norme, les législations sociales et fiscales sont différentes, etc.

 

A quoi faut-il s’attendre pour le moins ?

 

L’épidémie de Covid 19, qui a surgi dans ce contexte, n’arrange rien : avec le premier confinement, 1/4  de la production s’est mis à l’arrêt, la croissance a rétrogradé d’environ 10 % en France. Malgré les garanties de l’Etat, les entreprises, craignant de s’endetter plus encore, rechignent, préférant la valorisation de l’actionnariat, avec son cortège de licenciements et les procédures de fusions-concentrations capitalistes. On assiste donc à une crise de l’offre (de produits) et de la demande (la fameuse épargne de précaution que le ministre de l’économie Bruno Lemaire vilipende !). 

 

Si la politique macronienne se poursuit dans le sens de l’austérité renforcée et la vente d’actifs (privatisations), la trappe déflationniste risque de s’ouvrir. Le million de chômeurs en plus attendus, les faillites d’entreprises, vont y concourir d’autant plus que le trio Bercy, Bruxelles, Berlin pousse toujours à la restriction de l’intervention de l’Etat dans l’économie. D’un côté, les entreprises endettées ne veulent plus s’endetter (3) provoquant la baisse des transactions dans le secteur productif, quand il n’est pas à l’arrêt, et la classe « moyenne » s’engage dans la voie du déclassement et, de l’autre, la Bourse et les profits financiers explosent.

 

Face au spectre des années 30, Merkel a fini par admettre, très timidement au demeurant, qu’il fallait faire de la dette communautaire pour tenter de s’en sortir. Cette mutualisation de la dette, réclamée par certains depuis des lustres, vise à éviter que les marchés financiers jouent la dette de certains pays contre d’autres et finissent par faire exploser l’UE inégalitaire.

 

C’est ainsi qu’est née l’idée d’un plan de relance européen, destiné toutefois, à la tentative de réparer les dégâts économiques provoqués par le Covid. Financé par un prêt de 750 milliards d’euros, abondé proportionnellement par chaque Etat de l’Union, il apparaît bien dérisoire. Bien qu’il ne soit pas encore approuvé par les pays concernés, Macron le fanfaron, s’est auto-congratulé en annonçant 100 milliards pour « France relance »… en 2 ans. Ce n’est là qu’une arnaque communicationnelle : aux 40 milliards d’euros de l’UE, qu’il faudra rembourser avec les intérêts, il prétend en ajouter 60 milliards, alors que 30 sont déjà budgétés. Or, les pertes accumulées en 2020 se chiffrent à 230 milliards. Bref, le pourcentage de la dette par rapport au PIB va encore progresser. Le « com-pédant » jupitérien va continuer de prêcher l’austérité comme l’invite le rapport Arthuis (4) qu’il a lui-même télécommandé.

 

Vers un krach boursier ?

 

Le découplage entre l’explosion des actifs financiers et l’économie réelle stagnante, voire récessive, pourrait bien provoquer un désastre planétaire, bien plus grand que la crise financière de 2008. D’autant que, depuis cette date, très peu de mesures ont été prises pour réguler la finance. La séparation des comptes de dépôts et des fonds spéculatifs est restée dans les tiroirs, et, face aux contraintes toutes relatives imposées aux banques privées pour restreindre leur appétit spéculatif (et les risques qu’elles prennent), elles se sont empressées de créer des banques de l’ombre qui, n’étant pas considérées comme des institutions financières ( !), échappent… aux radars des Etats. Ces objets financiers non identifiés font courir des risques colossaux, tout comme le trading à haute fréquence (spéculation par algorithmes) ainsi que le recours, dans la plus grande opacité, aux marchés de gré à gré. Ces derniers ne sont pas répertoriés par les Chambres de compensation internationales qui centralisent les transactions financières (comme Clearstream sur laquelle avait enquêté Denis Robert). Cerise sur le gâteau, l’UE a décidé de les privatiser pour les mettre en concurrence, ce qui a conduit ces institutions prétendant réguler et garantir les transactions, à réduire les garanties en cas de défaut des créanciers (baisse des commissions). Tout cela pour dire que tous les ingrédients sont réunis pour l’éclatement de bulles financières, conduisant au krach, en d’autres termes, à l’effondrement des prix des actifs financiers, leur validité n’étant plus soutenue par l’économie réelle.

 

L’UE semble en être consciente ( !), elle vient de créer un « fonds de résolution » en cas d’effondrement… de 55 milliards qui devrait être opérationnel en… 2023… dérisoire ! Bien qu’assurés qu’ils sont trop gros pour faire faillite et que, donc, les Etats viendront à leur secours, les mastodontes financiers (en France : Crédit Agricole, BNP Paribas, Société générale, BPCE Natixis) ont quelque frayeur, celle des retraits intempestifs aux guichets en cas de faillite. C’est la raison pour laquelle, ils exercent un lobbying intensif pour imposer le recours exclusif à la monnaie digitale et scripturale, espérant faire disparaître ainsi les billets de banques et la monnaie et, par conséquent, les queues émeutières en cas de krach.

 

Bifurcation possible, souhaitable ?

 

Dans l’immédiat, il faudrait annuler une grande partie des dettes : les rentiers se sont assez gavés depuis plus de 30 ans. Mais cela ne saurait suffire. La création monétaire et les prêts accordés devraient être ciblés de manière dirigiste pour opérer un virage écologique et social. Cette « monnaie active », dirigée vers des projets verts et la souveraineté alimentaire et industrielle de proximité, suppose une volonté politique dont ne sont pas porteuses les classes dominantes. Comme le propose Gaël Giraud (5), qui croit à la possibilité d’un capitalisme vert, on peut imaginer le développement des transports publics, la rénovation thermique des bâtiments, la polyculture, des circuits courts au sein des centres villes, les marchés à proximité des gares, la fermeture des supermarchés, la refondation du tissu urbain, ou imaginer que l’on puisse, en France, fabriquer de nouveau du tissage, des téléphones, des téléviseurs, des ordinateurs… Quelles forces sociales peuvent-elles imposer une bifurcation dans cette direction, alors même, qu’à l’orée des 30 prochaines années, avec la destruction de l’écosystème, elle est une nécessité vitale ? Comme le dit la chanson : « le monde doit changer de base », ceux qui ne sont rien (comme dit Macron) doivent aspirer à être tout. Encore faut-il qu’un nouvel imaginaire s’impose. Certes, l’on est plus ou moins sorti de la « mondialisation heureuse » qui tourne au cauchemar mais la prise de conscience d’un autre avenir désirable fait défaut. Faut-il se contenter du bidonnage de Biden, qui semble se détacher du néolibéralisme prédateur ?

 

Gérard Deneux, le 19 avril 2021

 

(1)   lire Une autre histoire des Trente Glorieuses. Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre sous la direction de Céline Pessis, Sezin Topçu, Christophe Bonneuil, ed. La Découverte

(2)   faut-il préciser que les prêts des banques peuvent être vertueux lorsqu’ils constituent une avance pour la production de la richesse à venir pour autant qu’ils satisfassent des besoins réels

(3)   sur les 300 milliards de prêts garantis par l’Etat, seuls 150 ont été appelés par les entreprises.

(4)   Rapport sur la dette, plaidant pour une meilleure maîtrise de la dépense publique, établi par la Commission pour l’avenir des finances publiques, présidée par J. Arthuis (ancien ministre de l’économie de Chirac)

(5)   Gaël Giraud, auteur de L’illusion financière, ed. l’Atelier

 

Sources pour cet article : Gaël Giraud, invité sur Blast media

« Cataclysme mondial et chômage de masse : ce qui nous attend en 2021 »

 

encart (si besoin)

 

Heureux comme un milliardaire en France

La France est le pays européen où les milliardaires sont les plus riches, « ce pays où les impôts sont beaucoup trop élevés et les freins à l’entreprise beaucoup trop forts, selon les médias détenus par ces mêmes milliardaires », ironise Lucas Chancel (économiste au Laboratoire sur les inégalités mondiales)

Celui-ci a agrégé, par nationalité, le patrimoine des milliardaires européens, à partir du classement des 500 plus grandes fortunes mondiales de Bloomberg. La France arrive grande 1ère,  avec 354 milliards € cumulés. L’Allemagne est 2ème avec 281 milliards, suivie du Royaume-Uni avec 147 milliards. Les autres pays retenus – Suède, Italie, Espagne - n’atteignent même pas la plus grosse fortune française, celle de Bernard Arnault, détenteur d’un gros matelas de plus de 100 milliards€.

Alternatives Economiques (8.04.2021)