Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 4 juillet 2022

 

Macron bloqué, et après ?

 

(édito du PES n° 84 – pour s’abonner, voir plus loin)

 

Dans le n° 82 de PES, au vu des résultats du 1er tour des présidentielles, l’on faisait le constat du paysage électoral chamboulé. Les partis traditionnels PS et LR étaient en voie de disparition, face à l’apparition de trois blocs pratiquement équivalents, les Mélenchonistes, les Macroniens et les Lepenistes. En fait, il y en avait quatre, en comptant ceux qui ne comptent pas,  les abstentionnistes, les votes nuls et blancs.

 

Macron, comptant, quant à lui, sur les mécanismes de la 5ème République amendée par Jospin (1),  semblait assuré de sa victoire, même si elle devait être moins flamboyante qu’en 2017 : aux législatives qui suivent l’élection présidentielle, avec ce scrutin majoritaire à deux tours et l’importance des abstentionnistes, une majorité suffisante devait lui être accordée. Jouer les hommes d’Etat sur la scène internationale et cacher le programme libéral devaient suffire. Ainsi, après avoir annoncé qu’il comptait porter la retraite à 65 ans, transformer le RSA en service obligatoire… et autres sinistres réformes, directive fut donnée de se taire, d’anesthésier cette campagne, de congeler le débat à des invectives contre la LFI, car contre toute attente, l’union des gauches se réalisait autour de la NUPES. Pas prévue, celle-là par le maître des horloges ! Et ça produisit une dynamique inattendue en termes de quantité de sièges à l’assemblée nationale. Le chamboulement s’est poursuivi jusqu’à priver Macron d’une majorité : il lui manquait 41 élus pour la conforter. Qui plus est, la dédiabolisation du RN produisait l’entrée en masse (89 sièges) des Lepénistes, pratiquement absents de la scène parlementaire jusqu’ici. La « trop molle » Le Pen, selon Darmanin, pouvait pavoiser et se présenter en respectable républicaine qu’il fallait désormais courtiser. Le terrain avait en fait été largement préparé par toute la logomachie répandue contre les « islamo-gauchistes » dans les médias complaisants, et même de connivence, pour certains, avec le pire éructant Zemmour.

 

Après un moment de sidération, Macron, en grand seigneur, convoqua les chefs des Partis pour formuler un ultimatum : à mon retour de l’étranger, vous devez me dire si vous soutenez ma politique, avec ou sans pacte, au coup par coup. Borne, sans cap ni frontière, réitéra les rencontres… Peine perdue, pas moyen de débaucher massivement. Elle n’avait d’ailleurs guère de marge de manœuvre : les compromis jupitériens imposaient la règle du ni, ni : ni augmentation des impôts des plus riches, ni dépenses budgétaires alourdissant la dette, y compris pour des motifs idéologiques.

 

Meurtri dans son ego, se persuadant que l’expression de son verbe pouvait rallier à son panache nombre d’indécis,  à la TV, crispé, il lâcha un aveu non maîtrisé : « Je ne peux pas davantage ignorer les fractures et les divisons profondes que traverse le pays ». Autrement dit, il les avait ignorées jusqu’ici : « Je m’impose malgré vous ». L’illusionniste en perdit sa faconde et les souhaits proférés avec candeur nous promettant écoute, dialogue, méthode, ce n’est qu’un nouvel enfumage usé depuis le bla-bla du grand débat. Affirmer son « projet clair » caché et nous offrir un « élargissement » qui répondrait à une « aspiration (qu’il n’a pas vu venir…) de nombre d’entre nous » est du même acabit. Il révèle surtout que le mandat de Macron est en suspens. Entravé dans sa démarche du en même temps, il en est réduit à s’engager dans des marchandages de combinards jusqu’à draguer les RN, à défaut de remplir sa besace de LR qui résistent à ses avances.    

 

Alors, bloqué, Macron ? Pour un temps seulement ?

 

Certes, l’absence de majorité bride son élan de régressions sociales promises à la Commission Européenne : la retraite à 65 ans, les coupes budgétaires pour parvenir à 3 % de déficit et restreindre le montant de la dette publique. Certes, il va devoir jouer les maquignons avec des E. Woerth, JF Copé,  toper là pour des postes ministériels ; il devra compter avec les ambitions de ses affidés, prêts à le supplanter, tels Edouard Philippe et François le Béarnais et tous ceux qui dans son camp piaffent d’impatience et se font ses zélateurs. Ainsi, ces quelques macroniens qui, de godillots craignant d’être réduits à des macron-riens, sont prêts à débaucher des élus RN, avec les dents : « On va (désormais) chercher ces voix-là » dit Céline Calvez et Dupont-Moretti lui répond : « On pourrait avancer ensemble (avec eux) ». La recherche des « constructifs » est sans frontière, ni barrage… Reste à Borne à former un nouveau gouvernement après la perte des lieutenants fidèles, les Castaner et Ferrand. Pense-t-elle trouver des perles rares à gauche, elle qui en porte encore l’étiquette dans les médias après avoir baissé adroitement les allocations d’un million de chômeurs, fourni 10 milliards de subvention aux patrons dans l’opération dite « un jeune, une solution » à bas coût, ces apprentissages qui font penser au contrat première embauche (CPE), rejeté en son temps par le mouvement social. Faut dire que les illusions médiatiquement semées ont la vie dure… Et puis, viennent les miettes à dispenser, avec force condescendance, à « nos compatriotes dans le besoin ». Ce sera l’objet des premières séances de la nouvelle Assemblée. Nous aurons droit au chèque alimentaire d’inflation, à la suppression de la redevance TV et autres petites gâteries pour la galerie. Avec l’inflation, l’augmentation des taux d’emprunt, l’équation va être difficile à trouver mais il faut bien calmer le populo…

 

Alors, Macron serait-il condamné à macroner, comme le disent Ukrainiens et Russes qui, sur ce seul point sont d’accord, pour moquer le président français qui « parle pour ne rien dire et s’inquiète pour ne rien faire ».

 

En fait, il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire. La crise institutionnelle réelle peut très bien être passagère. Mise à part l’occupation des postes gouvernementaux, rien ne distingue sur le fond les Républicains (LR) des macroniens ; ils sont tous néolibéraux et peuvent se retrouver demain sur le programme élaboré par le locataire de l’Elysée : adopter d’ici 2027, de nouvelles baisses d’impôts pour un montant de 15 milliards€ (après les 50 milliards du précédent quinquennat), alléger la fiscalité sur les successions patrimoniales, soit 3 milliards de recettes budgétaires en moins, réduire les impôts de production des entreprises à hauteur de 7 milliards. C’est dire que l’hôpital, les services publics…ne seront pas à l’ordre du jour. Pas d’illusion surtout que le RN, qui n’a jamais mis en cause le capitalisme, les grandes fortunes, n’hésitera guère à approuver de telles mesures.

 

La paralysie institutionnelle probable, même si elle s’avère de courte durée, manifestera certainement les rancoeurs recuites contre ce Président qui méprise les politiciens et veut décider de tout en techno-impérial. Le changement de méthode avancé vise, de fait, à câliner les barons de la République libérale, ce qui risque d’être difficile voire impossible, avec les Insoumis anti-libéraux. La guérilla parlementaire faite d’interventions et d’amendements résonnant dans l’hémicycle, peut trouver un écho dans la rue et la mobilisation sociale. Il y a toutefois des obstacles à cette articulation positive. Les luttes sociales, y compris les amendements parlementaires, peuvent rester défensifs : l’espérance de transformation sociale et politique réelle peut être diluée dans la nostalgie du c’était mieux avant. Autrement dit, il suffirait d’abroger un certain nombre de lois sur le travail, les libertés bafouées, pour restaurer un système qu’avant l’on déplorait… S’il convient de ne pas négliger le fait que les reculs imposés au pouvoir constitueraient de fait des victoires, force est de constater qu’elles ne modifieraient en rien les structures du système capitaliste.

 

Le deuxième obstacle réside dans la composition de la NUPES. Sans négliger la performance réussie par Mélenchon et son équipe de coaliser les « résidus » de la Gauche de gouvernement, contrainte par ses piètres performances aux présidentielles de rallier les Insoumis, il convient néanmoins de s’arrêter sur ses faiblesses. Certes, les mesures sur lesquelles les différentes formations se sont mises d’accord bon gré mal gré  existent. Mais l’union s’imposera-t-elle face aux sollicitations intéressées des macroniens ? Par ailleurs, les Insoumis sont un mouvement en formation, gazeux, dont la construction démocratique et l’enracinement sont loin d’être réalisés. Les autres partis sont le plus souvent des coquilles vides dans lesquelles régnaient surtout au PS des barons et autres éléphants éloignés de toute construction d’un mouvement de masse. Ils sont déterminés à contester le leadership de la LFI ; leur alliance électorale dans le cadre des législatives était de fait le seul moyen dont ils disposaient pour continuer d’exister. Pour la LFI, il s’agissait d’élargir l’audience de toutes ces composantes auprès de l’électorat, d’éviter un émiettement qui, dans le cadre du scrutin uninominal à deux tours, aurait été catastrophique. Plus fondamentalement, des divergences de fond vont réapparaître. Ainsi, le PS et EELV refusent la suppression des stock-options des PdG, la remise en cause du soutien financier des bailleurs quels qu’ils soient à l’occasion de la suppression des procédures d’expulsion des locataires ; ils s’opposent à la nationalisation des banques et des grandes entreprises, y compris celles qui sont productrices d’énergie ; ils sont attachés aux mécanismes du marché qui serait susceptible de réguler le Capital… Quant au PC et à son candidat Roussel, il ne sait plus où il habite pour sauvegarder sa chapelle, « je crains, affirme-t-il, une explosion socialeJe ne la souhaite pas »…

 

Troisième obstacle qui évoque la situation de juin 1968, celui de la dissolution qui survient dans une conjoncture indécise de « chaos » dont peut se prévaloir le pouvoir pour dissoudre l’Assemblée nationale afin d’obtenir une majorité bleu horizon. L’inflation générant des grèves pour maintenir à flot le salariat, la peur diffusée au sein des classes moyennes supérieures, l’agitation désignant les « musulmans », les étrangers, comme les causes suprêmes des problèmes engendrés par la crise multiforme (climatique, migratoire, financière…), les manifestations massives peuvent amener la classe dirigeante à recourir à la dissolution pour restaurer son apparence légitime. Les blocs, libéral autoritaire et national-autoritaire fascisant, peuvent dans ces conditions trouver matière à s’entendre pour réprimer et manipuler. Ce spectre de la dissolution est d’ores et déjà agité sous la forme d’un « débat » autour de l’interprétation de l’article 12 de la Constitution. Derrière cette fausse controverse se profile la question réelle : quand est-il opportun de dissoudre face à la contestation de l’ordre institutionnel établi ?

 

Quatrième obstacle, le plus essentiel, celui du rapport de forces réel. Même si les élections ne sont qu’un thermomètre déformant, force est de constater que l’illégitimité est le « bien commun » de toutes les forces politiques. Par rapport aux inscrits, au 2ème tour, les abstentionnistes (53.77 %), les blancs et nuls (3.54 %) représentent 57.31 % du corps électoral. La NUPES représente 13.49 %, les Macroniens Ensemble 16.47 %, le RN 7.39, les LR/UDI 3.11 %, les autres formations cumulées 2.23 % (2). C’est dire que tous les élus sont de fait illégitimes pour représenter le corps électoral.  Même s’il est incontestable que les Insoumis ont progressé et réveillé les quartiers populaires, fait émerger une nouvelle génération militante, l’on ne saurait mettre sous le tapis la réalité de l’abstention de 66.39 % en Seine-St-Denis, pour ne prendre que cet exemple. D’ailleurs, globalement, le nombre de suffrages obtenus par la coalition de gauche, nationalement, n’a pas véritablement progressé par rapport au total des voix obtenues en 2017. De même, il n’y a pas lieu de surestimer l’enracinement du RN dans les régions désindustrialisées et les campagnes. Certes, une majorité d’ouvriers et d’employés qui votent, soutiennent ce parti d’extrême-droite mais précisément parce qu’ils sont les victimes des politiques néolibérales de droite et de gauche, impulsées par l’Union européenne. En fait, il s’agit de concevoir que ces territoires sont à reconquérir.      

 

Alors, le déblocage, où peut-il se produire ?

 

A coup sûr, le terrain décisif n’est pas le terrain électoral pour débloquer les aspirations populaires. Ce qui ne signifie pas qu’il n’est pas sans effet lorsqu’un programme progressiste est présenté au corps électoral. Il est évident, en effet, qu’il faut arrêter le massacre des services publics, des hôpitaux, des universités, de la SNCF, réindustrialiser le pays, bloquer la mondialisation financière et la précarisation du travail qu’elle génère, la désertification des campagnes… Lorsqu’une force politique prône de tels changements, lorsque les syndicats mobilisent sur de tels thèmes, lorsqu’ils vont au-delà et posent les questions des structures institutionnelles néolibérales, européennes, qui entravent la libération sociale, alors, la combativité peut renaître sur des bases solides, celles d’une union populaire réelle. Est-ce que nous en sommes là ? Pas encore. Les moments de crise peuvent accélérer le mouvement mais dans quel sens ? La voie nationaliste, autoritaire, n’est pas bouchée. La bataille pour l’hégémonie culturelle, prônant et partageant l’idée d’autres rapports sociaux de production et d’échange, est à peine entamée. L’offensive à mener doit certes reprendre le programme de la NUPES de suite pour desserrer l’étau (smic à 1 500€, hausse de 10% du point d’indice de la fonction publique, blocage des prix sur les produits de première nécessité… pour faire céder le pouvoir et expulser les locataires de l’Elysée et de Matignon. Il s’agit de prouver que ceux d’en bas refusent désormais d’être gouvernés comme avant pour, en définitive, se persuader qu’ils peuvent prendre le pouvoir pour eux-mêmes. Ce qui semble le plus difficile, après les trahisons de la gauche libérale, c’est de vaincre l’apathie, la passivité qui  hantent les cerveaux démunis de perspectives par rapport à l’ampleur des tâches à accomplir.

 

Gérard Deneux, le 27.06.2022

 

(1)   la réforme constitutionnelle a consisté à ramener le mandat présidentiel à 5 ans, les élections législatives succédant à l’élection du Président

(2)   chiffres publiés sur www.vie-publique.fr/

 

 

Encadré

 

Evasion fiscale = 80 à 100 milliards€

13 milliards, seulement, récupérés par Bercy

Fraudes à la CAF (bien médiatisées pour stigmatiser les pauvres et les étrangers = 2 à 3 milliards/an

 

Le poème de Pedro

 

saluons celui qui

malgré les pressions

refuse de saluer le drapeau

taché de sang

hissé au nom du profit

 

applaudissons celui qui

malgré les pressions

refuse d’applaudir le flic

engoncé dans son armure moderne

dressé au nom de la répression

 

glorifions celui qui

malgré les pressions

refuse de glorifier le grand homme

mythifié par la fausse histoire

foudre de guerre aux causes inavouables

 

honorons celui qui

malgré les pressions

refuse d’honorer le chefaillon de service

pantin des détenteurs des cordons de la bourse

larbin mielleux des seigneurs de sa pseudo-pensée

 

acclamons celui qui

malgré les pressions

refuse d’acclamer les soi-disant chefs d’état

marchands de mort enhardis par l’argent

colporteurs de chasseurs bombardiers affolés

 

saluons applaudissons glorifions honorons acclamons

celui qui malgré les pressions

sait encore résister

quel que soit le prix à payer

mais surtout faisons comme lui

 

Pedro Vianna, le 25.VI.2016

in Décalages http://poesiepourtous.free.fr

 

 

 

L’OTAN réanimée 

 

L’invasion russe en Ukraine a redonné vie à l’OTAN qu’un certain Macron en 2019 jugeait « en état de mort cérébrale ». C’est l’occasion, pour PES, de porter un regard critique sur cette institution née après 2ème guerre mondiale, sous leadership des Etats-Unis s’empressant d’apporter « leur » solution de protection sécuritaire aux pays du continent européen, pour endiguer « la menace communiste » et parallèlement, développant leur force économique avec le plan Marshall. Les années 1990, marquées par la dislocation de l’Union soviétique et par des guerres d’intervention dans le monde menées par les USA, ont marqué un tournant dans l’histoire de l’OTAN, passée d’une alliance défensive à une alliance offensive. La guerre en Ukraine permet, aujourd’hui aux Etats-Unis, de garder la main sur le vieux continent, qui, à leurs yeux, doit être le rempart contre la Russie et l’axe sino-russe. Faut-il sortir de cette Alliance pour échapper au leadership étatsunien, comme l’ont inscrit dans leur programme électoral certains partis politiques ?

 

L’OTAN : une alliance défensive contre le bloc communiste

 

En 1949, 12 pays signent le Traité d’Atlantique nord, pacte américano-européen de sécurité collective, se promettant mutuelle assistance en cas d’attaque armée contre l’un de leurs membres. En septembre 1951, naît officiellement l’OTAN – Organisation du Traité de l’Atlantique Nord  (Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays Bas, Portugal, Royaume Uni – rejoints en 1952 par la Turquie et la Grèce, en 1955 par la République fédérale d’Allemagne et en 1982 par l’Espagne).  « Garder les Russes en dehors, les Américains dedans et les Allemands à terre », tel fut le propos, on ne peut plus clair, du secrétaire général de l’OTAN en 1957.

 

Début des années 1950, l’URSS expérimente sa première bombe atomique égalant les Etats-Unis, la Corée du nord pénètre au sud de la Corée, sous contrôle US. On est en pleine guerre froide et il faut agiter le chiffon rouge communiste, faire contrepoids au Pacte de Varsovie créé par Khrouchtchev en 1955, entre 8 pays communistes (Albanie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie, Allemagne de l’Est, URSS). L’OTAN institue une force militaire intégrée pour protéger ses membres d’une agression extérieure et lutter contre la « subversion communiste »,  allant jusqu’à prêter  main forte, en 1967, à la dictature des colonels, pour renverser le pouvoir démocratique grec !  

 

Début des années 1960, l’OTAN a « réussi » à contenir « l’expansionnisme soviétique » mais l’URSS, dans le cadre des luttes de libération nationale qui se sont développées, a débordé le territoire de l’OTAN, développé son influence au Proche-Orient, en Afrique et en Asie. Son équipement en armes nucléaires et conventionnelles fait craindre aux Etats-Unis une agression atomique maintenant possible. Les Etats-Unis, les seuls, alors, à posséder l’arme nucléaire dans le camp occidental,  à pouvoir entretenir un énorme arsenal militaire et des dizaines de milliers de soldats sur le continent européen, obtiennent des membres de l’OTAN les pleins pouvoirs début des années 60 et s’opposent à toute prolifération des arsenaux atomiques nationaux au sein de l’OTAN. Selon Mc Namara (secrétaire à la défense de Kennedy), il est « dans la nature des choses qu’aucune nation occidentale n’échappe à l’ultime dépendance des Etats-Unis ». Cette volonté de soumettre les Etats souverains, et la France notamment,  fait réagir  De Gaulle refusant d’abandonner la souveraineté de la France en matière de défense. En mars 1966, la France quitte le commandement militaire intégré de l’OTAN, qui retire ses troupes de l’Hexagone en janvier 1967. La France réintègrera les instances militaires de l’OTAN à partir de 1995 (Chirac) et, définitivement, le commandement militaire intégré en 2009 (Sarkozy).  

 

La guerre froide prend fin début des années 1990, après la chute du mur de Berlin (1989) et la dissolution du Pacte de Varsovie (1991). L’OTAN avait-elle encore lieu d’exister ?

 

 

L’OTAN : une alliance militaire offensive

 

A partir de 1991, plutôt que disparaître, l’Alliance se renforce et étend son périmètre à la grande majorité des anciens pays du bloc de l’Est. Elle compte aujourd’hui 30 pays membres dont 14 ont intégré l’OTAN depuis la fin de l’URSS : Hongrie, Pologne et Tchéquie en 1999, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Estonie, Lettonie, Lituanie en 2004, Albanie et Croatie en 2009, Monténégro en 2017 et Macédoine du nord en 2020. Les Etats-Unis n’entendent pas lâcher cet instrument de prépondérance sur l’Europe, bien au contraire, l’OTAN se voit dotée de nouvelles compétences. L’Alliance entend assurer la sécurité sur le continent européen et réduire les forces nucléaires russes. Elle est passée, sans qu’il y ait eu discussion, de la volonté d’examiner les problèmes de sécurité à l’est de l’Europe, au traité sur la réduction des forces nucléaires entre USA et URSS et aboutit à la création du Conseil de Coopération Nord Atlantique (comptant 38 membres et de nombreux partenaires). Elle s’autorise ainsi à se mêler du traitement des crimes dans l’ex Yougoslavie, du conflit de l’Abkhazie en Géorgie, de la Moldavie…  Elle se dote d’une Force de réaction rapide en 1993 pour intervenir dans les crises où les Etats membres veulent s’impliquer. Et pour protéger son flanc Est, l’OTAN se dote de groupements tactiques multinationaux en Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et plus récemment en Roumanie et Slovaquie. Un grand nombre de navires, d’avions et de soldats sont positionnés  de la mer Baltique au nord à la mer Noire au sud. 

 

En renforçant les structures militaires de l’OTAN, les Etats-Unis rendent impossible toute perspective (si tenté qu’il y en ait une !) d’un système de défense européen distinct de l’Alliance ; ils s’autorisent, dans les faits, à intervenir militairement dans des pays non membres de l’Alliance.

 

Ce tournant offensif s’est concrétisé dans la guerre en ex-Yougoslavie. En 1999, l’OTAN s’est autorisée à bombarder la Serbie  -  non membre de l’Alliance -  et, de surcroit, s’est passée de l’avis du Conseil de Sécurité de l’ONU. Cette intervention  ne prévenait aucunement une catastrophe humanitaire, comme prétendu, et a laissé derrière elle un Kosovo dévasté, une économie serbe anéantie, sans qu’aucune condamnation des forces de l’Alliance n’ait été prononcée. Deux décennies plus tard,  la Russie se prévaudra de cet exemple pour justifier ses incursions en Ukraine en 2014. En 2003, en riposte aux attentats du 11 septembre, les Etats-Unis et les forces de l’OTAN envahissent l’Afghanistan, pour déloger les talibans, alors que ce pays n’avait agressé aucune autre  nation. L’invasion de l’Irak en 2003 (sans l’aval de l’ONU) a laissé entrevoir des divergences et des irritations de certains Etats membres (dont la France qui ne s’engagea pas en Irak), sans que cela remette en cause l’existence de l’OTAN.

 

L’Organisation a garanti sa longévité par une profonde institutionnalisation, s’appuyant sur une structure militaire intégrée, une chaîne de commandement permanente ainsi que sur une bureaucratie internationale autour du secrétariat général. Elle a constitué une force de réaction interarmées à très haut niveau de préparation, regroupant des forces terrestres, aériennes et maritimes et des forces d’opérations spéciales et de technologie de pointe, pouvant se déployer rapidement dans les domaines de la formation, de l’entraînement, d’un soutien aux secours en cas de catastrophe, etc. Il n’y a qu’une chaîne de commandement dans l’OTAN : le commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur) est américain. Est américain aussi le président du groupe de réflexion chargé de la prospective. Combinant  instruments militaires et non militaires, partenaires et acteurs multilatéraux, voire non gouvernementaux, elle s’est imposée comme une « organisation de politique globale » au-delà de la zone euro-atlantique. En février 2022, en soutenant l’Ukraine envahie par la Russie, elle entérine, de fait, les nouveaux contours de l’Alliance, pour soutenir, au nom de la légitime défense, l’Ukraine, non membre de l’OTAN. Au-delà du fait d’invasion  par la Russie – qui ne peut qu’être condamnée - force est de constater que les Etats-Unis  font la pluie et le beau temps dans les engagements de l’OTAN, désignant « l’ennemi » principal à combattre, en l’occurrence, ce qu’ils nomment « l’axe sino-russe ».      

 

Les Etats membres de l’OTAN  peuvent-ils échapper au leadership étasunien, les entraînant dans leurs luttes inter-impérialistes ? S’allier au plus fort est-elle la seule solution ?

 

Sortir de l’OTAN ?

 

Alors que la Finlande et la Suède frappent à la porte pour entrer dans l’OTAN et face à la perspective d’une guerre intra-européenne, initiée par la Russie, semant la panique dans ses pays voisins, quel pays aurait « l’audace » de proposer de quitter l’Alliance ? Depuis le refus de De Gaulle de se soumettre aux Etats-Unis, aucun autre pays n’a fait acte d’insoumission. Il y aurait pourtant matière à  dénoncer, voire à quitter, cette Alliance qui outrepasse l’objectif de sa charte initiale. « L’Alliance était atlantique, on la retrouve en Irak, dans le Golfe, au large de la Somalie, en Asie centrale, en Libye. Militaire au départ, elle est devenue politico-militaire. Elle était défensive, la voilà privée d’ennemi mais à l’offensive » s’indigne Régis Debray (1) en 2013.    

 

Si cela ne relevait que de la procédure réglementaire, ce serait simple puisque le Traité précise qu’après 20 ans d’entrée en vigueur (à savoir depuis 1991), toute partie peut mettre fin au Traité, un an après avoir avisé le gouvernement des Etats-Unis qui informe les gouvernements des autres parties. Mais, cela relève de la décision politique et de la souveraineté des Etats en matière de défense. En France, certains partis politiques (LFI, NPA, LO notamment) ont inscrit dans leurs programmes électoraux  la sortie de l’OTAN ou, au minimum, du commandement militaire intégré. Aucun débat national  n’a jamais été engagé sur ce sujet, pas même sur l’article 16 de la Constitution, donnant tous pouvoirs au Président, pour « prendre les mesures exigées par les circonstances lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate… », autrement dit déclarer la guerre !

 

Les informations relatives à l’OTAN et les positions de la France en son sein, sont relatées de manière très éparse et superficielle. Le prochain  grand sommet de l’OTAN,  a lieu les 29 et 30 juin à Madrid. Il doit accepter (ou non) l’adhésion de la Finlande et la Suède, qu’Erdogan assortit de concessions lourdes de conséquences pour les militants kurdes (PKK) que la Suède pourrait extrader. Le sommet  doit adopter le nouveau « concept stratégique » de l’OTAN et, sans aucun doute, approuvera son objectif principal : assurer la sécurité de l’Amérique du nord et de l’Union européenne face à la « menace russe » (Biden aurait annoncé le renforcement de la présence militaire US en Europe) et contenir  l’influence de la Chine. C’est la conviction du secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg qui affirme : « son (la Chine)  expansion est un défi pour nos intérêts, nos valeurs et notre sécurité ». Certains évoquent la création d’une OTAN asiatique, la nécessaire présence dans la zone Indopacifique (riche en pétrole, uranium, gaz, or, réserves halieutiques)… pour faire la guerre ? Soyons rassurés ( !), la France est déjà présente là-bas et accumule en Asie-Océanie 7 000 militaires, 15 navires de guerre et 38 avions et plusieurs bâtiments dont le porte-avions à propulsion nucléaire Charles de Gaulle, le sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire Emeraude… Un pognon de dingue ! 

 

Odile Mangeot, le 26.06.2022

 

(1)   écrivain et philosophe. Extraits d’une lettre « La France doit quitter l’OTAN » qu’il a adressée à Vedrine, ex-ministre de la Défense tirant un bilan positif du retour de Paris dans le commandement militaire de l’OTAN, dans un rapport à Hollande

 

Source : Le Monde Diplomatique. Manière de voir n° 183 (juin-juillet 2022) sur L’OTAN. Jusqu’où ? Jusqu’à quand ? Manière de voir est une édition bimestrielle du Monde Diplomatique. Pour connaître le Monde Diplomatique et s’abonner au mensuel le Monde Diplomatique et à Manière de voir : www.monde-diplomatique.fr/   

 

 

 

encart

Financement de l’OTAN

Les Etats membres participent de deux manières au budget de l’OTAN. Le financement direct s’élève à 2.5 milliards € pour les frais de fonctionnement de la structure de commandement militaire permanente,  les infrastructures militaires essentielles. Les ministres de la Défense des pays de l’OTAN se sont mis d’accord pour consacrer 2% au moins de leur PIB à la défense, sans obligation,  les Etats rechignant à financer la bureaucratie otanienne. Les contributions indirectes, les plus importantes, correspondent à l’affectation par les pays des capacités matérielles et/ou des forces aux opérations militaires de l’OTAN. Ces dépenses figurent dans les budgets nationaux. Impossible de connaître les financements affectés aux opérations. Contentons-nous de mesurer les dépenses de fonctionnement des Armées dans le budget prévisionnel 2022 de la France =  58.7 milliards, le 3ème poste du budget. La Solidarité et la santé = 15.9 milliards €.  www.budget.gouv.fr   

 

 

Encart

Particularité islandaise

Bien que figurant parmi les 12 membres fondateurs, l’Islande est le seul pays de l’Organisation qui ne possède pas d’armée. L’île dispose cependant d’une Unité de réponse aux crises composée de quelques dizaines de personnels, principalement des policiers et des garde-côtes. Ils sont formés pour participer aux opérations de l’Alliance. (Manière de voir)

 

 

Encart

Partage du fardeau

La question de la répartition des coûts et avantages est aussi vieille que l’Alliance. Depuis les années 1960, les sénateurs américains ont adopté presque chaque année une motion demandant aux pays européens, qui profitent des « dividendes de la paix » d’augmenter leurs budgets de défense, de prendre à leur charge une part des coûts supportés par les Etats-Unis, et d’acheter de l’armement américain, cessant ainsi de se comporter en « passagers clandestins ». Ces dernières années, les dépenses militaires de la plupart des Européens ont repris une courbe ascendante. Aujourd’hui encore, 70 % des « capacités critiques » de l’OTAN – dissuasion nucléaire, défense antimissile, renseignement, transport aérien – sont supportés par les Etats-Unis. Philippe Leymarie. Manière de Voir

 

 

 

Algérie

 

Le 5 juillet 1962, la France quittait l’Algérie après plus d’un siècle de domination coloniale. 60 ans après, les nostalgiques de l’Algérie française sont toujours actifs, à Perpignan notamment. Nous publions ci-dessous l’article d’Olivier Le Cour Grandmaison qui appelle à prendre une initiative unitaire, anticoloniale et antiraciste le 17 octobre prochain, jour du massacre des Algériens à Paris en 1961.

 

Glorification de la colonisation de l’Algérie et révisionnisme historique : le scandale continue… à Perpignan !

 

Louis Aliot, dirigeant bien connu du Rassemblement national et maire de Perpignan, a décidé de soutenir politiquement et financièrement, à hauteur de 100 000 euros, la 43ème réunion hexagonale du Cercle algérianiste [1], et d’accueillir ses membres et les participants au Palais des congrès de cette ville, du 24 au 26 juin 2022. Il se confirme que la loi scélérate du 23 février 2005, jamais abrogée faut-il le rappeler, qui établit une interprétation officielle et apologétique de la colonisation française en Algérie et dans le reste de l’empire, n’était pas l’épilogue d’une entreprise de réhabilitation de ce passé mais le prologue bien plutôt. Le discours du candidat Nicolas Sarkozy affirmant, à la veille des élections présidentielles de 2007, que le « rêve de la colonisation » n’était pas un « rêve de conquête » mais « un rêve de civilisation », celui de François Fillon quelques années plus tard et, plus généralement, les positions de la direction des Républicains en témoignent. Fustigeant une prétendue « repentance » et vantant les aspects supposément « positifs » de la colonisation de l’Algérie, les responsabilités de ces derniers sont majeures, établies et accablantes [2]. De même celles de certains intellectuels, chroniqueurs et bateleurs médiatiques qui, au nom de la lutte contre « la pensée unique » hier, contre le « décolonialisme » aujourd’hui, redécouvrent les « beautés » de la colonisation aux couleurs de la France.

 

N’oublions pas l’un des pionniers de cette réhabilitation, A. Finkielkraut, qui déclarait doctement que l’entreprise coloniale « avait aussi pour but d’éduquer » et « d’apporter la civilisation aux sauvages » (Haaretz, 18 novembre 2005). Indigne philosophe et vrai idéologue qui, sur ce sujet entre autres, débite des opinions rebattues en les prenant pour de fortes pensées. A l’instar des personnalités politiques précitées, il ressasse les trivialités mensongères de Malet et Isaac, ces historiens officiels qui, de l’entre-deux-guerres au début des années soixante, n’ont cessé de contribuer à l’élaboration et à la diffusion de la mythologie impériale-républicaine ; celle-là même qui, depuis plus d’une décennie, est désormais reprise par les différentes forces que l’on sait à des fins partisanes et électoralistes. En ces matières, les uns et les autres ne sont que les piteux ventriloques de discours élaborés par les élites politiques – mention spéciale à Jules Ferry, cet ardent promoteur de l’empire et du racisme élitaire de saison – et académiques de la Troisième République pour légitimer « la course à l’Afrique » et les guerres de conquête menées en Cochinchine et à Madagascar.

 

Sur ces sujets en particulier, il y a longtemps que le prétendu « front républicain » a disparu au profit de convergences et de compromissions toujours plus graves et toujours plus assumées avec l’extrême-droite, les partisans de l’Algérie française et les soutiens des généraux putschistes. Dans ce contexte, auquel s’ajoute la spectaculaire progression politique du Rassemblement national, sinistrement confirmée par les résultats des élections présidentielles et législatives qui viennent d’avoir lieu, la tenue du Congrès du Cercle algérianiste dans la ville de Perpignan ne saurait surprendre. Le soutien apporté par le maire à cette initiative est parfaitement conforme aux orientations défendues depuis toujours par le Front national et le Rassemblement qui lui a succédé. Apologie de la colonisation, révisionnisme historique, mensonges par omission, minorisation et dénégation des massacres, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par les armées françaises entre 1830 et le 19 mars 1962, tels sont quelques-uns des piliers idéologiques de cette extrême-droite qui demeure fidèle à ses traditions.

Il faut y ajouter la glorification des généraux qui, pour défendre l’Algérie française, ont pris les armes contre la République, le 21 avril 1961. En élevant « au rang de citoyens d’honneur de la ville des représentants des familles d’Hélie Denoix de Saint-Marc, des généraux Edmond Jouhaud et André Zeller… [3] », Louis Alliot persévère dans cette voie, ce qui jette une lumière pour le moins singulière sur la conversion des dirigeants du RN aux « valeurs républicaines ». Commandant par intérim du 1er régiment étranger de parachutistes, Denoix de Saint-Marc a joué un rôle de premier plan lors de la tentative de coup d’Etat à Alger, ce qui lui a valu d’être condamné à dix ans de réclusion criminelle par le Haut tribunal militaire. Ayant réussi à s’échapper, Jouhaud a poursuivi son combat au sein de l’organisation terroriste, OAS, laquelle est responsable de l’assassinat de 2360 personnes, auxquelles s’ajoutent 5419 blessés, majoritairement algériens [4]. Arrêté le 24 mars 1962, Jouhaud est condamné à mort puis gracié par le général de Gaulle, et sa peine commuée en détention à perpétuité. Zeller, qui a rejoint le « quarteron de généraux » putschistes, écope lui de quinze ans d’emprisonnement. Signalons enfin que le programme officiel des journées perpignanaises du Cercle algérianiste prévoit que l’ancien membre d’un commando de l’OAS à Oran, Gérard Rosenzweig, impliqué dans plusieurs attentats, remette le « Prix universitaire algérianiste » en tant que président du jury. Tels sont quelques-uns des multiples honneurs qui seront rendus à des hommes, anciens criminels lourdement condamnés par la justice, décédés ou vivants, dont le point commun est d’avoir défendu l’Algérie française, par tous les moyens, y compris les pires.

 

Un scandale, assurément. Nonobstant l’initiative locale et courageuse du « Collectif 66 pour une histoire franco-algérienne non falsifiée », ce scandale ne semble pas, à l’heure où ces lignes sont écrites, susciter l’indignation et la mobilisation nationales que l’on serait en droit d’attendre des gauches partisanes, syndicales et associatives pour s’opposer à cette nouvelle offensive de l’extrême-droite. Non seulement, cette dernière ne désarme pas mais, plus grave encore, elle se sent pousser des ailes en raison de la conjoncture politique que l’on sait. Une telle situation devrait obliger celles et ceux qui ne se résignent pas à cette progression, jusqu’à présent irrésistible, et à ses conséquences depuis longtemps désastreuses sur tous les plans. Eu égard à l’importance politique et stratégique que le RN accorde à ce 43ème Congrès du Cercle algérianiste, une riposte d’ampleur s’impose. Organisons-là lors des prochaines commémorations des massacres du 17 octobre 1961 en en faisant une initiative unitaire, anticoloniale et antiraciste, pour la vérité historique, la justice et la reconnaissance des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité commis par la France en Algérie et dans les autres territoires de l’empire.

 

O. Le Cour Grandmaison, le 23.06.2022

 

Derniers ouvrages parus : Ennemis mortels. Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, La Découverte, 2019 et avec O. Slaouti (dirs), Racismes de France, La Découverte, 2020.

 

[1]. Créé le 1er novembre 1973 pour réhabiliter les combats des partisans de l’Algérie française et la colonisation de ce territoire, ce Cercle, qui se présente comme une « association culturelle des Français d’Afrique du Nord », n’a cessé de rendre hommage aux anciens terroristes de l’OAS et aux généraux putschistes, entre autres.

[2] Avec la finesse qui le caractérise, L. Wauquiez livre aux Français ébahis cette analyse dont la profondeur et la rigueur laissent pantois : « Ajoutez (…) une repentance systématique et vous comprendrez pourquoi des jeunes issus de [ l’] école en viennent à prendre les armes contre leur propre pays. » Le Figaro, 14 février 2016. 

[3]. Cf. le programme : 43ème Congrès national du cercle

[4]. Y. Benot, « La décolonisation de l’Afrique française (1943-1962) », in Le Livre noir du colonialisme, XVIe-XXIe siècle. De l’extermination à la repentance, sous la dir. de L Ferro, Paris, R. Laffont, 2003, pp. 517-556.

 

 

Nous avons lu…

 

L’enfer numérique

Voyage au bout d’un like

 

Le 2 octobre 1971, l’humanité est soudainement projetée dans l’ère de l’immédiateté : le premier e-mail est envoyé sur Arpanet. Aujourd’hui, tout s’échange à la vitesse de la lumière ou presque. Après les routes pavées de l’Antiquité et les chemins ferrés de l’ère industrielle, quels chemins prennent nos actions numériques quotidiennes ? Que se passe-t-il lorsque nous envoyons un e-mail ou un Like ? Quelle est la géographie de ces milliards de clics ? Quels défis écologiques et géopolitiques charrient-ils à notre insu ? L’auteur a suivi sur 4 continents la route de nos e-mails… Il nous mène dans les steppes de la Chine septentrionale à la recherche d’un métal qui fait fonctionner nos smartphones, dans les vastes plaines du cercle arctique où refroidissent nos comptes Facebook, dans l’un des Etats les plus arides des USA, pour enquêter sur la consommation d’eau de l’un des plus grands centres de données de la planète, celui de la National Security Agency (NSA). Une dizaine de pays visités plus tard, il affirme : la pollution digitale est colossale, d’abord due aux milliards d’interfaces (tablettes, ordinateurs, smartphones) nos portes d’entrée sur Internet. Elle provient des données produites,  transportées, stockées, traitées dans de vastes infrastructures consommatrices d’énergie. L’industrie numérique mondiale consomme tant d’eau, de matériaux et d’énergie, que son empreinte est le triple de celle de la France. Ces technologies mobilisent 10 % de l’électricité produite dans le monde et rejetteraient près de 4 % des émissions de CO2, le double du secteur civil aérien mondial. La pollution digitale sera l’un des grands défis des 30 prochaines années. L’auteur interpelle la Génération climat : que ferez-vous des fabuleux pouvoirs dont vous serez les dépositaires ? Saurez-vous dompter l’hubris que ces technologies excitent en vous ou serez-vous tels des Icare, consumés par les radiations de ce soleil synthétique ? Les technologies digitales sont porteuses de progrès pour l’humanité mais « ne soyons pas candides au moment de nous engager dans la mère des batailles de ce siècle : le numérique tel qu’il se déploie sous nos yeux ne s’est pas mis au service de la planète et du climat ». L’auteur révèle la face sombre d’une industrie qui ne veut pas prendre la lumière et met au jour cette évidence : envoyer un e-mail ou un Like charrie de vertigineux défis jusqu’alors soustraits à nos sens.

C’est imagé, voire poétique, écrit pour que l’on comprenne et on comprend. OM

Guillaume Pitron, Les liens qui libèrent, sept. 2021, 21€

 

 

 

Du soja brésilien au cochon espagnol

 

Le soja est une plante annuelle de la famille des légumineuses, originaire d’Asie centrale. Il et cultivé depuis près de 5 000 ans pour ses graines très riches en huile et en protéines. Il est resté longtemps inconnu ailleurs qu’en Asie. Ses fruits sont des gousses velues contenant entre 4 et 6 graines.

 

Cette plante a accompagné l’homme pendant très longtemps pour le meilleur en lui fournissant une alimentation riche et, depuis le 20ème siècle, peut-être pour le pire. En effet, au cours du siècle dernier, sa culture se développa hors de l’Asie, en particulier aux USA, surtout pour l’alimentation animale. D’une culture relativement aisée, elle permet d’obtenir de l’huile puis, avec le résidu, de produire des tourteaux de soja très riches en protéines et très appréciés des animaux.

 

Entre 1968 et 1977, sa production augmente de près de 800 %. Le Brésil et l’Argentine qui possèdent d’immenses territoires « inutiles », selon les productivistes et extractivistes, vont défricher la forêt équatoriale, brûler la savane à tour de bras pour y planter du soja. Actuellement, le Brésil produit 40 % et l’Argentine 30 % du soja mondial.

 

Et c’est là que commence le pire

 

Ce soja, réservé à la nourriture animale, nécessite de grandes surfaces de plantation gagnées sur la forêt, sur des zones de savanes très riches écologiquement. Des millions d’hectares disparaissent au profit de cette monoculture. Difficile de connaître précisément les chiffres car de nombreux déboisements se font illégalement. Les Indiens et les petits paysans locaux sont « priés » manu militari de dégager le terrain et de laisser la place aux multinationales étatsuniennes (Cargill…).

 

Depuis la fin du 20ème siècle, le soja planté est génétiquement modifié par la firme Monsanto. Le gène modifié permet de résister au Roundup, herbicide fabriqué par… Monsanto. Fini le désherbage mécanique ou manuel, il suffit de pulvériser du Roundup par avion : les mauvaises herbes meurent, le soja résiste. On retrouve donc cet herbicide dans les cours d’eau, les nappes phréatiques, la nourriture locale. La culture du soja, de plus, détruit un des principaux puits de carbone mondiaux.

 

Le pire du pire est atteint quand on sait que ce soja OGM, bien néfaste à la nature et donc aux habitants de ces pays, va rejoindre les ports de la côte atlantique, être chargé dans des bateaux bien polluants pour rejoindre l’Europe, pour l’essentiel, et servir de nourriture à des animaux élevés industriellement.

 

Une partie de ce soja arrive en France où il va permettre de nourrir une grande part des animaux abattus pour la boucherie. Et les besoins sont énormes. En effet, si l’on pense que la France a réussi à préserver un élevage local de petite taille. Depuis des années, ce n’est plus tout à fait le cas. Jugez plutôt. En France, sont abattus chaque année : 1 milliard de volailles, 40 millions de lapins, 26 millions de porcs, 7 millions d’ovins, 6.5 millions de bovins, 2 millions de veaux, 1 million de chèvres et 20 000 chevaux. Environ 8 animaux sur 10 sont issus de l’élevage industriel intensif.

 

Et cela ne va pas en s’arrangeant. Les fermes, ou plutôt les exploitations agricoles, diminuent en nombre et augmentent en taille. Et les pouvoirs publics, bien compréhensifs avec les membres de la très productiviste FNSEA ne font rien pour freiner le mouvement. En 2014, les élevages porcins qui comptaient plus de 450 animaux étaient répertoriés dans la catégorie Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (ICPE), c’est-à-dire qu’elles sont, théoriquement, contrôlées très régulièrement mais, dans les faits, ces contrôles ne sont pas systématiques, les contrôleurs étant en nombre insuffisant. La situation n’était donc déjà pas très brillante, mais depuis 2014, seules les exploitations agricoles comptant plus de 2 000 animaux sont désormais classées ICPE…

 

Et on s’étonne, ensuite, de retrouver des nitrates, des antibiotiques dans les cours d’eau, dans les nappes phréatiques et des algues vertes tueuses en Bretagne. A noter que la France qui interdit la culture de plantes OGM sur son territoire, en autorise l’importation pour la nourriture animale. Les animaux que nous mangeons, en France, issus de l’élevage intensif, sont nourris avec des céréales génétiquement modifiées.

 

De plus, la production de viande est très gourmande en eau. On entend souvent dire que pour « fabriquer » 1 kg de viande bovine, il faut 500 litres d’eau. Ce chiffre peut paraître exagéré mais si l’on ajoute l’eau bue par l’animal, l’eau utilisée pour faire pousser les céréales qu’il a mangées, l’eau utilisée à la ferme, à l’abattoir, on n’est pas très loin. L’élevage est donc une « industrie » très polluante et très gourmande en eau.

 

Il semblerait que, depuis quelques années, la consommation de viande baisse en France, ce qui nous évitera de connaître la situation de certaines régions espagnoles.

 

Le cochon, c’est bon pour le PIB

 

Dans la province de Ségovie, dans la région de Castille et Leon, on compte 250 communes et… 750 fermes de cochons, 150 000 habitants « humains » et… 1.3 million de porcs. L’odeur y est terrible et l’eau, même pompée à 120 mètres sous terre, est imbuvable. Cette région pauvre devient une gigantesque usine à viande.

 

Les pays nordiques (Pays-Bas, Belgique notamment), ainsi que l’Allemagne, baissent leur production locale, lassés de gérer, de subir les inconvénients de cette production (déjections, odeurs, pollutions) et préfèrent récupérer les jambons, les saucisses, sous emballage plastique. D’autant plus que les décideurs économiques espagnols, qui ne vivent pas à côté des élevages sont demandeurs. En 10 ans, la production de cochons a bondi de 40 %. Avec 58.5 millions de cochons conduits aux abattoirs en 2020, l’Espagne est devenue le premier producteur d’Europe devant l’Allemagne (seulement 56 millions) qui compte pourtant deux fois plus d’habitants.

 

La plus grande de ces usines à viande se trouve près de Grenade ; elle produit 650 000 cochons par an. Résultat (entre autres) : 25 % de l’Espagne est considérée comme zone vulnérable aux nitrates.

 

Heureusement, des citoyens opposés à ce développement commencent à s’organiser et à revendiquer – comme en Catalogne - l’interdiction de construire de nouvelles usines à viande. Dans les années 1980, avec leur dynamisme habituel, les Catalans se sont lancés dans l’industrie du cochon. Certes, à court terme, financièrement, ça a été positif mais ils ont vite déchanté, lassés de respirer les effluves des élevages et désireux de pouvoir à nouveau boire de l’eau du robinet.

 

Mais le voyage de notre pauvre pousse de soja OGM, cultivée en Amérique du Sud, engloutie par des animaux incarcérés en Europe, n’est pas fini car depuis quelques années (2018), la fièvre porcine africaine sévit en Asie et 60 % de la production espagnole part en Chine. A l’instar du taureau dans la chanson de Francis Cabrel, attendant dans son box d’être massacré dans l’arène, on peut se demander si ce monde est sérieux.

 

Détruire la forêt amazonienne, chasser les Indiens, les paysans locaux, y polluer les sols, les cours d’eau, afin d’y faire pousser du soja,

Polluer l’air et l’océan avec des cargos fumant pour le transporter en Europe,

Le faire ingurgiter par des animaux maltraités, bourrés d’antibiotiques pour fabriquer un aliment de mauvaise qualité, quasiment néfaste à la santé,

Faire faire encore un demi-tour du monde à cette viande pour intoxiquer les Chinois,

 

Est-ce bien sérieux ?

 

Cet élevage industriel est une catastrophe écologique, une catastrophe humaine. Travailler toute une vie au milieu d’animaux maltraités laisse des traces physiques et aussi psychologiques. Les exploitants agricoles, surtout dans le domaine de l’élevage, sont devenus des exploités agricoles, pris à la gorge par les crédits et la nécessité de s’agrandir pour survivre. En France, l’endettement moyen d’un éleveur de cochons est de 430 000 €. Ils ont le sentiment réel de ne plus être maîtres de leur destin, d’être des esclaves au service des banquiers, des actionnaires et également des décideurs et des profiteurs de la PAC (politique agricole commune). En échange de subventions, les agriculteurs ont le sentiment d’être le jouet des tractations commerciales internationales et d’avoir peu de prise sur l’essence même de leur travail.

 

En France, depuis 2016, près de 600 agriculteurs(trices) se sont donné la mort.

 

Jean-Louis Lamboley

 

sources : Greenpeace, Reporterre, le Monde

 

Encart 1

 

Les agriculteurs, pris à la gorge par les emprunts contractés auprès du Crédit Agricole, pourront se consoler au mois de juillet en regardant les fringants cadres du LCL (ex-Crédit Lyonnais racheté en 2003 par le Crédit Agricole) remettre le maillot jaune au premier du Tour de France, se sentir fiers de participer à la dotation du LCL à ASO (organisateur du Tour de France) = 10 millions d’euros !

Cela leur mettra du baume au cœur pour aller s’occuper des bêtes dans la soirée, pendant que ces « pauvres » coureurs se reposeront dans de luxueux  hôtels climatisés !  

 

Encart 2

 

Peut-on manger des OGM en France sans le savoir ?

Oui, nous en consommons par le biais des produits animaux : viande, œufs, fromages, lait. Les animaux peuvent être nourris par des aliments comportant potentiellement des OGM… et rien n’oblige légalement les industriels à en faire mention sur les emballages, alors qu’aujourd’hui rien ne permet de prouver que les OGM sont sans danger. (Ceci ne concerne évidemment pas la filière biologique).

 

Encart 3

 

Pourquoi entend-on si peu parler de Monsanto ?

Tout simplement parce que cette entreprise impliquée dans de nombreux scandales sanitaires et écocides (agent orange, hormones de croissance, Roundup…) a été rachetée en 2016 par la firme allemande Bayer (pour 66 milliards €). Le 4 juin 2018, Bayer annonçait la disparition pure et simple de la marque Monsanto pour « des raisons d’image de marque défavorable ».

 

Nous avons lu…

 

Une brève histoire mondiale de la gauche

Pour l’auteur qui fait oeuvre de pédagogie en revisitant toute l’histoire des gauches, l’effacement de « l’imaginaire de l’égalité » l’amène à nous faire partager sa vision pessimiste. Avec la mondialisation et ses délocalisations industrielles, « le véritable prolétariat a déménagé en Asie » et avec lui, l’utopie dont il était porteur. C’est celle-ci que l’on revisite, des Jacobins de l’égalité à la conjuration des Egaux, aux mouvements qui ont marqué le printemps des peuples (1848) et aux théories des penseurs socialistes de Bakounine à Lénine en passant par Marx et Engels. Le brouillage de l’esprit d’émancipation s’est produit lors de la confrontation coloniale, de la montée du fascisme suite à la 1ère guerre mondiale et de la crise des années 30. Paradoxalement, le poids de l’Histoire longue fait resurgir des modalités de domination que l’on pensait enfouies dans les poubelles de l’Humanité. Ainsi, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes s’est heurté à l’emprise grand russe de l’Empire tsariste faisant retour sous Staline puis Poutine. Le communisme chinois s’est englué dans le despotisme oriental. L’Etat providence ne fut qu’une parenthèse dans l’histoire du capitalisme. Aujourd’hui, depuis les mouvements des Afro-américains jusqu’à mai 68, puis les révoltes des printemps arabes, l’occupation des places ou encore le mouvement des Gilets jaunes, le « prolétariat rouillé » d’Occident, les classes salariées, les peuples, cherchent dans l’obscurité la lumière d’un projet d’émancipation individuelle et collective. « Un nouveau bloc historique entre classes sociales est la condition du changement. Pour l’instant, je ne le vois pas. C’est ce combat qui m’a poussé à écrire ce livre mélancolique ». A s’en imprégner l’on y trouvera des raisons d’espérer. GD

Shlomo Sand, Seuil, 2022, 25€