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lundi 4 juillet 2022

 

L’OTAN réanimée 

 

L’invasion russe en Ukraine a redonné vie à l’OTAN qu’un certain Macron en 2019 jugeait « en état de mort cérébrale ». C’est l’occasion, pour PES, de porter un regard critique sur cette institution née après 2ème guerre mondiale, sous leadership des Etats-Unis s’empressant d’apporter « leur » solution de protection sécuritaire aux pays du continent européen, pour endiguer « la menace communiste » et parallèlement, développant leur force économique avec le plan Marshall. Les années 1990, marquées par la dislocation de l’Union soviétique et par des guerres d’intervention dans le monde menées par les USA, ont marqué un tournant dans l’histoire de l’OTAN, passée d’une alliance défensive à une alliance offensive. La guerre en Ukraine permet, aujourd’hui aux Etats-Unis, de garder la main sur le vieux continent, qui, à leurs yeux, doit être le rempart contre la Russie et l’axe sino-russe. Faut-il sortir de cette Alliance pour échapper au leadership étatsunien, comme l’ont inscrit dans leur programme électoral certains partis politiques ?

 

L’OTAN : une alliance défensive contre le bloc communiste

 

En 1949, 12 pays signent le Traité d’Atlantique nord, pacte américano-européen de sécurité collective, se promettant mutuelle assistance en cas d’attaque armée contre l’un de leurs membres. En septembre 1951, naît officiellement l’OTAN – Organisation du Traité de l’Atlantique Nord  (Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays Bas, Portugal, Royaume Uni – rejoints en 1952 par la Turquie et la Grèce, en 1955 par la République fédérale d’Allemagne et en 1982 par l’Espagne).  « Garder les Russes en dehors, les Américains dedans et les Allemands à terre », tel fut le propos, on ne peut plus clair, du secrétaire général de l’OTAN en 1957.

 

Début des années 1950, l’URSS expérimente sa première bombe atomique égalant les Etats-Unis, la Corée du nord pénètre au sud de la Corée, sous contrôle US. On est en pleine guerre froide et il faut agiter le chiffon rouge communiste, faire contrepoids au Pacte de Varsovie créé par Khrouchtchev en 1955, entre 8 pays communistes (Albanie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie, Allemagne de l’Est, URSS). L’OTAN institue une force militaire intégrée pour protéger ses membres d’une agression extérieure et lutter contre la « subversion communiste »,  allant jusqu’à prêter  main forte, en 1967, à la dictature des colonels, pour renverser le pouvoir démocratique grec !  

 

Début des années 1960, l’OTAN a « réussi » à contenir « l’expansionnisme soviétique » mais l’URSS, dans le cadre des luttes de libération nationale qui se sont développées, a débordé le territoire de l’OTAN, développé son influence au Proche-Orient, en Afrique et en Asie. Son équipement en armes nucléaires et conventionnelles fait craindre aux Etats-Unis une agression atomique maintenant possible. Les Etats-Unis, les seuls, alors, à posséder l’arme nucléaire dans le camp occidental,  à pouvoir entretenir un énorme arsenal militaire et des dizaines de milliers de soldats sur le continent européen, obtiennent des membres de l’OTAN les pleins pouvoirs début des années 60 et s’opposent à toute prolifération des arsenaux atomiques nationaux au sein de l’OTAN. Selon Mc Namara (secrétaire à la défense de Kennedy), il est « dans la nature des choses qu’aucune nation occidentale n’échappe à l’ultime dépendance des Etats-Unis ». Cette volonté de soumettre les Etats souverains, et la France notamment,  fait réagir  De Gaulle refusant d’abandonner la souveraineté de la France en matière de défense. En mars 1966, la France quitte le commandement militaire intégré de l’OTAN, qui retire ses troupes de l’Hexagone en janvier 1967. La France réintègrera les instances militaires de l’OTAN à partir de 1995 (Chirac) et, définitivement, le commandement militaire intégré en 2009 (Sarkozy).  

 

La guerre froide prend fin début des années 1990, après la chute du mur de Berlin (1989) et la dissolution du Pacte de Varsovie (1991). L’OTAN avait-elle encore lieu d’exister ?

 

 

L’OTAN : une alliance militaire offensive

 

A partir de 1991, plutôt que disparaître, l’Alliance se renforce et étend son périmètre à la grande majorité des anciens pays du bloc de l’Est. Elle compte aujourd’hui 30 pays membres dont 14 ont intégré l’OTAN depuis la fin de l’URSS : Hongrie, Pologne et Tchéquie en 1999, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Estonie, Lettonie, Lituanie en 2004, Albanie et Croatie en 2009, Monténégro en 2017 et Macédoine du nord en 2020. Les Etats-Unis n’entendent pas lâcher cet instrument de prépondérance sur l’Europe, bien au contraire, l’OTAN se voit dotée de nouvelles compétences. L’Alliance entend assurer la sécurité sur le continent européen et réduire les forces nucléaires russes. Elle est passée, sans qu’il y ait eu discussion, de la volonté d’examiner les problèmes de sécurité à l’est de l’Europe, au traité sur la réduction des forces nucléaires entre USA et URSS et aboutit à la création du Conseil de Coopération Nord Atlantique (comptant 38 membres et de nombreux partenaires). Elle s’autorise ainsi à se mêler du traitement des crimes dans l’ex Yougoslavie, du conflit de l’Abkhazie en Géorgie, de la Moldavie…  Elle se dote d’une Force de réaction rapide en 1993 pour intervenir dans les crises où les Etats membres veulent s’impliquer. Et pour protéger son flanc Est, l’OTAN se dote de groupements tactiques multinationaux en Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et plus récemment en Roumanie et Slovaquie. Un grand nombre de navires, d’avions et de soldats sont positionnés  de la mer Baltique au nord à la mer Noire au sud. 

 

En renforçant les structures militaires de l’OTAN, les Etats-Unis rendent impossible toute perspective (si tenté qu’il y en ait une !) d’un système de défense européen distinct de l’Alliance ; ils s’autorisent, dans les faits, à intervenir militairement dans des pays non membres de l’Alliance.

 

Ce tournant offensif s’est concrétisé dans la guerre en ex-Yougoslavie. En 1999, l’OTAN s’est autorisée à bombarder la Serbie  -  non membre de l’Alliance -  et, de surcroit, s’est passée de l’avis du Conseil de Sécurité de l’ONU. Cette intervention  ne prévenait aucunement une catastrophe humanitaire, comme prétendu, et a laissé derrière elle un Kosovo dévasté, une économie serbe anéantie, sans qu’aucune condamnation des forces de l’Alliance n’ait été prononcée. Deux décennies plus tard,  la Russie se prévaudra de cet exemple pour justifier ses incursions en Ukraine en 2014. En 2003, en riposte aux attentats du 11 septembre, les Etats-Unis et les forces de l’OTAN envahissent l’Afghanistan, pour déloger les talibans, alors que ce pays n’avait agressé aucune autre  nation. L’invasion de l’Irak en 2003 (sans l’aval de l’ONU) a laissé entrevoir des divergences et des irritations de certains Etats membres (dont la France qui ne s’engagea pas en Irak), sans que cela remette en cause l’existence de l’OTAN.

 

L’Organisation a garanti sa longévité par une profonde institutionnalisation, s’appuyant sur une structure militaire intégrée, une chaîne de commandement permanente ainsi que sur une bureaucratie internationale autour du secrétariat général. Elle a constitué une force de réaction interarmées à très haut niveau de préparation, regroupant des forces terrestres, aériennes et maritimes et des forces d’opérations spéciales et de technologie de pointe, pouvant se déployer rapidement dans les domaines de la formation, de l’entraînement, d’un soutien aux secours en cas de catastrophe, etc. Il n’y a qu’une chaîne de commandement dans l’OTAN : le commandant suprême des forces alliées en Europe (Saceur) est américain. Est américain aussi le président du groupe de réflexion chargé de la prospective. Combinant  instruments militaires et non militaires, partenaires et acteurs multilatéraux, voire non gouvernementaux, elle s’est imposée comme une « organisation de politique globale » au-delà de la zone euro-atlantique. En février 2022, en soutenant l’Ukraine envahie par la Russie, elle entérine, de fait, les nouveaux contours de l’Alliance, pour soutenir, au nom de la légitime défense, l’Ukraine, non membre de l’OTAN. Au-delà du fait d’invasion  par la Russie – qui ne peut qu’être condamnée - force est de constater que les Etats-Unis  font la pluie et le beau temps dans les engagements de l’OTAN, désignant « l’ennemi » principal à combattre, en l’occurrence, ce qu’ils nomment « l’axe sino-russe ».      

 

Les Etats membres de l’OTAN  peuvent-ils échapper au leadership étasunien, les entraînant dans leurs luttes inter-impérialistes ? S’allier au plus fort est-elle la seule solution ?

 

Sortir de l’OTAN ?

 

Alors que la Finlande et la Suède frappent à la porte pour entrer dans l’OTAN et face à la perspective d’une guerre intra-européenne, initiée par la Russie, semant la panique dans ses pays voisins, quel pays aurait « l’audace » de proposer de quitter l’Alliance ? Depuis le refus de De Gaulle de se soumettre aux Etats-Unis, aucun autre pays n’a fait acte d’insoumission. Il y aurait pourtant matière à  dénoncer, voire à quitter, cette Alliance qui outrepasse l’objectif de sa charte initiale. « L’Alliance était atlantique, on la retrouve en Irak, dans le Golfe, au large de la Somalie, en Asie centrale, en Libye. Militaire au départ, elle est devenue politico-militaire. Elle était défensive, la voilà privée d’ennemi mais à l’offensive » s’indigne Régis Debray (1) en 2013.    

 

Si cela ne relevait que de la procédure réglementaire, ce serait simple puisque le Traité précise qu’après 20 ans d’entrée en vigueur (à savoir depuis 1991), toute partie peut mettre fin au Traité, un an après avoir avisé le gouvernement des Etats-Unis qui informe les gouvernements des autres parties. Mais, cela relève de la décision politique et de la souveraineté des Etats en matière de défense. En France, certains partis politiques (LFI, NPA, LO notamment) ont inscrit dans leurs programmes électoraux  la sortie de l’OTAN ou, au minimum, du commandement militaire intégré. Aucun débat national  n’a jamais été engagé sur ce sujet, pas même sur l’article 16 de la Constitution, donnant tous pouvoirs au Président, pour « prendre les mesures exigées par les circonstances lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate… », autrement dit déclarer la guerre !

 

Les informations relatives à l’OTAN et les positions de la France en son sein, sont relatées de manière très éparse et superficielle. Le prochain  grand sommet de l’OTAN,  a lieu les 29 et 30 juin à Madrid. Il doit accepter (ou non) l’adhésion de la Finlande et la Suède, qu’Erdogan assortit de concessions lourdes de conséquences pour les militants kurdes (PKK) que la Suède pourrait extrader. Le sommet  doit adopter le nouveau « concept stratégique » de l’OTAN et, sans aucun doute, approuvera son objectif principal : assurer la sécurité de l’Amérique du nord et de l’Union européenne face à la « menace russe » (Biden aurait annoncé le renforcement de la présence militaire US en Europe) et contenir  l’influence de la Chine. C’est la conviction du secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg qui affirme : « son (la Chine)  expansion est un défi pour nos intérêts, nos valeurs et notre sécurité ». Certains évoquent la création d’une OTAN asiatique, la nécessaire présence dans la zone Indopacifique (riche en pétrole, uranium, gaz, or, réserves halieutiques)… pour faire la guerre ? Soyons rassurés ( !), la France est déjà présente là-bas et accumule en Asie-Océanie 7 000 militaires, 15 navires de guerre et 38 avions et plusieurs bâtiments dont le porte-avions à propulsion nucléaire Charles de Gaulle, le sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire Emeraude… Un pognon de dingue ! 

 

Odile Mangeot, le 26.06.2022

 

(1)   écrivain et philosophe. Extraits d’une lettre « La France doit quitter l’OTAN » qu’il a adressée à Vedrine, ex-ministre de la Défense tirant un bilan positif du retour de Paris dans le commandement militaire de l’OTAN, dans un rapport à Hollande

 

Source : Le Monde Diplomatique. Manière de voir n° 183 (juin-juillet 2022) sur L’OTAN. Jusqu’où ? Jusqu’à quand ? Manière de voir est une édition bimestrielle du Monde Diplomatique. Pour connaître le Monde Diplomatique et s’abonner au mensuel le Monde Diplomatique et à Manière de voir : www.monde-diplomatique.fr/   

 

 

 

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Financement de l’OTAN

Les Etats membres participent de deux manières au budget de l’OTAN. Le financement direct s’élève à 2.5 milliards € pour les frais de fonctionnement de la structure de commandement militaire permanente,  les infrastructures militaires essentielles. Les ministres de la Défense des pays de l’OTAN se sont mis d’accord pour consacrer 2% au moins de leur PIB à la défense, sans obligation,  les Etats rechignant à financer la bureaucratie otanienne. Les contributions indirectes, les plus importantes, correspondent à l’affectation par les pays des capacités matérielles et/ou des forces aux opérations militaires de l’OTAN. Ces dépenses figurent dans les budgets nationaux. Impossible de connaître les financements affectés aux opérations. Contentons-nous de mesurer les dépenses de fonctionnement des Armées dans le budget prévisionnel 2022 de la France =  58.7 milliards, le 3ème poste du budget. La Solidarité et la santé = 15.9 milliards €.  www.budget.gouv.fr   

 

 

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Particularité islandaise

Bien que figurant parmi les 12 membres fondateurs, l’Islande est le seul pays de l’Organisation qui ne possède pas d’armée. L’île dispose cependant d’une Unité de réponse aux crises composée de quelques dizaines de personnels, principalement des policiers et des garde-côtes. Ils sont formés pour participer aux opérations de l’Alliance. (Manière de voir)

 

 

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Partage du fardeau

La question de la répartition des coûts et avantages est aussi vieille que l’Alliance. Depuis les années 1960, les sénateurs américains ont adopté presque chaque année une motion demandant aux pays européens, qui profitent des « dividendes de la paix » d’augmenter leurs budgets de défense, de prendre à leur charge une part des coûts supportés par les Etats-Unis, et d’acheter de l’armement américain, cessant ainsi de se comporter en « passagers clandestins ». Ces dernières années, les dépenses militaires de la plupart des Européens ont repris une courbe ascendante. Aujourd’hui encore, 70 % des « capacités critiques » de l’OTAN – dissuasion nucléaire, défense antimissile, renseignement, transport aérien – sont supportés par les Etats-Unis. Philippe Leymarie. Manière de Voir