Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 27 février 2017



Le collectif d'Aide et de Défense des Migrants 70
organise le

FORUM DES MIGRANTS
« itin’errances »

Journées d’échanges et de rencontres

Vendredi 17 mars au cinéma Méliès à LURE
20h30 - Photoreportage « EXODE » avec Saer Saïd

Samedi 18 mars salle des fêtes à Fontaine-les-Luxeuil

A partir de 10h : atelier cuisine - ateliers enfants
animations (jeux avec la Cimade, vidéos flash…)
expositions (le Monde Diplomatique et AAMI70)

11h : accueil du Président
12h/13h : soupe et repas partagé de nos paniers

13h/14h : Nada (chants du Moyen-Orient)

14h/15h30 : échanges avec Saer Saïd
Photoreportage «Exode»

15h30/17h : conférence-débat
Les migrations aujourd’hui
Gérard Deneux et Claude Vermot-Desroches

18h/22h30 : rencontre musicale, concerts
Ceux d’la Mouff (chansons rumba)
Les saucissons de malfaiteurs
(ska punk)

19h : buffet et soupe

Toute la journée : buvette, petite restauration et stands associatifs

Entrée gratuite cadm70@laposte.net
En partenariat avec le Centre Socioculturel de Saint-Loup-sur-Semouse
ils sont des millions à pleurer sous la lune
qui n’éclaire plus que leur misère

ils sont des millions à hurler sous le soleil
qui n’étouffe plus que leur pas incertain

ils sont des millions à danser sur les lames
qui brûlantes s’enfoncent dans leurs plaies

ils sont des millions à regarder dans des miroirs
qui moroses renvoient leur absence d’image

ils sont des millions à quémander une place
qui leur permettra de se tuer au travail

ils sont des millions à verser des larmes
qui leur prouvent qu’ils sont vivants

ils sont des millions de millions qui rêvent
de rejoindre la petite bande
qui parle en chuchotant
pendant qu’elle observe passer
sur les doux bandeaux de leurs écrans
le défilé des milliards
des milliards de milliards
des milliards de milliards de milliards
de cet argent sublimé enflé gonflé dégonflé
virtuellement incréé
superbement inventé
concrètement volé
à ceux qui ont créé tout ce qui permet
de les manipuler


Pedro Vianna
Paris, 31.X.2013 in Coerrances





Pour l'Emancipation Sociale - PES n° 31 est paru

Vous pouvez lire quelques-uns des articles ci-dessous
- l'édito "Après Aulnay-sous-Bois... Les temps changent ?"
- Le chamboule-tout des présidentiables
- La police gangrenée par le racisme ?
- contre le délit d'informer
La Sécu, elle est à nous
- Espagne. Podemos. Le mouvement social et les élections

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à Gérard Deneux
76 avenue Carnot
70200 LURE

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Les temps changent ? Après Aulnay-sous-Bois…

Le 2 février, lorsque 4 flics tentent d’interpeller un groupe de jeunes, Théo et Siron ne s’enfuient pas. Une baffe à pleine volée pour Siron et l’interposition de Théo qui lui vaut la bastonnade et la pénétration anale. Ce viol barbare aurait été étouffé s’il n’avait pas été filmé, si des certificats médicaux n’avaient pas prouvé l’intolérable agression, si la situation vécue par les jeunes des quartiers n’avaient pas été à ce point explosive.

Paupérisés, ghettoïsés, quadrillés, la plupart sans avenir, ils sont en danger permanent : contrôles d’identité répétés, tutoyés, fouillés au corps, rabaissés, insultés, racisés et, lorsqu’ils sont interpelés, l’outrage à agent recherché, ils sont tabassés, leur intégrité niée, voire incarcérés. Leur prétendue arrogance n’est que résistance et tentative de réaffirmation de leur dignité. La recherche de petits fumeurs et dealers de cannabis occulte la volonté des gouvernants. Il s’agit d’étouffer toute contestation d’un système inique à l’égard des quartiers populaires ; la politique du chiffre d’interpellations sert à mobiliser une police largement gangrenée par le racisme, le Pen se vantant de recueillir 60% de leurs voix. Récemment, la preuve en a encore été administrée : d’abord ignorée, la vérité exprimée par Assa Traoré, la sœur d’Adama celui qui est mort étouffé, a été bâillonnée par des plaintes en diffamation, la révolte de ses deux frères les a conduits en détention.

Mais, les temps changent. Depuis la mort de Zyed et Bouna, en 2005, comme l’a exprimé le rappeur Fianso : face à la machine alimentant le ressentiment et la rage « on a appris à s’unir ».

Ce qu’il faudra peut-être retenir d’Aulnay-sous-Bois, c’est d’abord cette « marche des mamans ». « Si on ne les avait pas écoutées, la cité se serait enflammée ». Les « daronnes », tout en « calmant les petits » se sont dirigées en masse vers le commissariat. Les 4 déléguées reçues ont exigé que les « voyous de la police soient identifiés » et réclamé qu’il soit mis fin au dispositif policier envahissant le quartier. Sur le dernier point, elles ont été entendues, les CRS se sont déplacés à l’extérieur de la cité.
Ensuite, c’est à l’initiative des jeunes Issa et Yannis, lançant un appel au rassemblement sur les réseaux sociaux, que, devant le tribunal le 11 février, plus de 2 000 personnes ont assisté à de nombreuses prises de paroles, réclamant justice malgré l’énorme dispositif policier. Les médias n’ont retenu que les échauffourées provoquées par une petite minorité en fin d’après-midi.
Et encore, les manifestations de colère et de soutien dans les quartiers de Bondy, Epinay, Goussainville, dans une trentaine de villes dont Villeurbanne, Chambéry, Rodez. Elles furent largement occultées par les tentatives d’apaisement démagogique, dont Hollande au chevet de Théo ou encore les manipulations ourdies par la préfecture, présentant les flics comme des sauveurs contre les casseurs, avec l’exemple de cette petite fille extraite d’une voiture (non pas en flamme comme annoncé par les médias) par Emmanuel (et non par les policiers).
Et puis, ces douilles de 9 mm sur le bitume, photographiées et diffusées sur les réseaux sociaux, ces tirs à balles réelles dans une zone d’habitation, la justification éhontée de la préfecture des tirs en l’air au motif que la police était encerclée !


Enfin, le 23 février, les 16 lycées bloqués, la manif (réprimée) de plus de 1000 jeunes par solidarité avec Théo. Et ils étaient nombreux ces lycéens à se rassembler parce qu’ils avaient subi les violences policières à l’occasion des protestations contre la loi El Khomri. Cette extension du domaine de la lutte, les condamnations qui se succèdent depuis le 8 février, nourrissent les mouvements de solidarité qui se poursuivent. Dans cette Ripoublique marquée par les mascarades présidentielles, force et de constater qu’aucun des candidats ne demande l’amnistie des condamnés, la suppression de la comparution immédiate, la qualification d’outrage à agent…
Le chamboule-tout des présidentiables

Ce à quoi nous assistons, médusés par les rebondissements en cascade des liaisons incestueuses des deniers publics avec des politiciens sans scrupule qui, toute arrogance affichée, se prétendent les hommes les plus vertueux, voire exemplaires. Cette piètre comédie révèle, au-delà des frasques d’une caste politique aux abois, une réelle crise de régime. Si les scandales en constituent la trame, c’est l’effondrement perceptible d’une alternance réglée, se devant de reconduire la droite libérale conservatrice au détriment d’une gauche de droite plus libérale en matière sociétale, qui transparaît. Toutes les deux acquises à la poursuite de l’austérité commanditée par le césarisme européen sont désormais pour le moins bien embarrassées.

En effet, outre l’impossibilité de trouver un homme présidentiel qui fasse consensus, ce qui depuis belle lurette ne se trouve plus sur le marché bien faisandé de la caste politicienne, le scénario propagandiste d’une Europe salvatrice a bien du plomb dans l’aile. Le consensus n’est plus de mise : l’Europe du libre marché, de la domination de la finance et des multinationales se décompose. Le poisson pourrit par la tête. La montée des nationalismes xénophobes, la purge administrée aux peuples grec, espagnol, portugais… puis le Brexit, la victoire électorale de Trump aux Etats-Unis, sont autant d’ingrédients d’une tragi-comédie qui n’a pas fini de nous surprendre. En ajoutant à cela l’émigration et les traitements infligés aux exilés de la guerre et de la misère (largement provoquées par les Etats-Unis, l’Otan et des chefs d’Etat européens soumis), toutes les incertitudes sur des lendemains qui déchantent sont réunies. Encore qu’il faille pour nous surprendre encore, compter sur des mobilisations inattendues des peuples qui n’en peuvent plus de la corruption, des forfaitures, des impostures de ceux qui prétendent les gouverner à coups de régressions sociales. Les derniers exemples en date sont les femmes en noir qui, en Pologne, se sont dressées contre les restrictions d’un droit à l’avortement déjà bien restrictif et en Roumanie où tout un peuple urbain s’est levé contre les friponneries lucratives de ses dirigeants prétendument socialistes.

C’est dans ce contexte que s’inscrit, avec des spécificités, l’élection présidentielle en France.

Des partis dominants à l’OVNI Macron

A droite, sur un socle catho-réac, l’affirmation d’une volonté de serrer la ceinture des classes populaires, y compris en démantelant la Sécurité Sociale, Fillon le preux, le collaborateur fidèle de Sarko est apparu comme le successeur possible d’un Hollande à bout de souffle renonçant à se présenter. L’homme qui se prétendait exemplaire fut vite rattrapé par les révélations. Non seulement ce petit châtelain de la Sarthe fit rémunérer femme et enfants mais sa société de conseil lui verse des émoluments faramineux pour des prestations tout aussi virtuelles. L’arrogante hypocrisie dont il fait preuve suggère un homme aux abois, entêté, dans sa fuite en avant pour échapper à la justice. Ses réseaux ne parviennent pas à fléchir les « petits pois », ces magistrats que lui et Sarko avaient tant méprisés. L’ex-PDG de l’assureur Axa qui l’avait conseillé dans son programme de casse des prestations sociales doit en rabattre. Le parti, LR, fait pression pour qu’il abandonne. Des félons prétendent changer de cheval au milieu du gué. Le filou Fillon pratique le chantage : c’est moi ou le chaos, j’irai s’il le faut en justice. Les laquais baissent le nez, l’œil sur les sondages et se répandent en assurant : nous sommes plombés mais nous n’avons pas de plan B. D’excuses en reniements, Fillon adopte une posture sécuritaire, sarkozienne, pour tenter d’élargir aux franges de l’extrême droite son socle électoral qui s’effrite. La soubrette d’Axa se montre désormais économe de ses apparitions publiques tant monte l’exaspération contre sa vénalité insolente.

Pour la gauche de droite, après les couteaux plantés dans le dos de Hollande perclus de sondages catastrophiques, les Macron et Valls se sont « émancipés ». Ils prétendent tous deux incarner la continuité sous des nuances différentes. A la primaire de la fausse Belle Alliance, c’est la surprise consternante pour les apparatchiks néo-libéraux. L’électorat socialo en choisissant le petit Benoît prétend revenir à des valeurs plus à gauche. Des rats quittent ou s’apprêtent à quitter le navire solférinien pour rejoindre Macron. Les propositions (comme le revenu universel), quoique restreintes dans un premier temps… de la revalorisation du RSA à des émoluments circonscrits pour les jeunes, suggèrent que l’état de précarité sociale est de moins en moins accepté. Partis de très bas, les espoirs d’Hamon sont ragaillardis par le probable retrait des Verts de gouvernement ensablés dans un environnementalisme compatible avec le système. Leur recherche effrénée de strapontins ministériels dans une gauche plus rien à réanimer semble bien futile. Il n’empêche, les pressions sur l’insoumis Mélenchon s’accroissent, les Hamonistes, au vu des sondages, répandent les illusions auxquelles ils semblent croire. D’autant plus qu’une fraction de l’état-major dudit parti communiste entame des tractations avec l’équipe Hamon. Ce parti qui a viré à la social-démocratie impuissante espère se rabibocher avec un PS en déconfiture avancée. Hamon en visite au Portugal tente de rallumer la flamme, là-bas la gauche plurielle vit encore… mais les sondages restent décevants !

Macron semble accaparer toute la lumière face au trou noir que nous promet Le Pen. L’ex-banquier de chez Rothschild, l’enfant gâté du hollandisme, ce jeune fringant postulant à la magistrature suprême joue sur l’ambiguïté : de droite et de gauche, il mise sur le rejet des partis d’alternance pour récupérer la donne. Les médias entretiennent cette bulle de secours qui à la manière de Ciudadanos en Espagne prétend coaliser la moyenne bourgeoisie et les ubéristes écartelés. L’homme marketing, sans véritable programme déclaré, vocifère à la lecture du prompteur, sourit à qui mieux mieux, s’évertue à enthousiasmer et à séduire les bobos inquiets mais qui jusqu’ici s’en sont bien tirés. Des ralliements venus d’horizons différents le rassurent dans la posture adaptée jusqu’à ce que l’équivoque levée fasse naître les mécontents rassemblés. Ainsi à vouloir récupérer la beurgeoisie des quartiers il annonce « la colonisation, un crime contre l’humanité ». A caresser dans le sens du poil les cathos fondamentalistes déçus de Fillon, il s’exclame qu’on n’a pas tenu compte, voire réprimé les gentils de la manif pour tous, ceux qui veulent restreindre les droits des homosexuels…

La caste politicienne est bien marrie de constater que la machine attrape-nigaud s’enraye. On assiste au chamboule-tout des pronostics. Les avanies subies par la grande prêtresse du FN  laissent augurer d’autres rebondissements. Quand la horde des poulagas vient en son absence (elle est au Liban pour tenter de se doter d’une stature internationale) de pénétrer dans l’opacité du château Montretout ne lui reste que la posture de la vierge outragée. Mais comme les autres dont elle aspire à faire partie, elle est à la recherche de privilèges indus et guère à l’abri d’une mise en examen (pour de détournement de fonds publics en bande organisée). Reste cependant son socle électoral nationaliste et xénophobe bien plus solide que ses adversaires…

Les joutes électorales se succédent face à un corps social qui semble largement tétanisé par ces coups de théâtre. En dehors de la scène, après l’agression sauvage s’apparentant à de la torture dont a été victime Théo, la banlieue s’embrase, se mobilise : la police sarko-vallsienne est stipendiée. Qui plus est, la tournure de cette présidentielle désuète prend le contrepied des aspirations démocratiques qui ont éclaté dans le mouvement contre la loi El Khomry et Nuit debout. La conviction qui prend corps, c’est qu’il n’y a pas de sauveur suprême et que la 5ème République est périmée. Et à l’encontre de cette alternative démocratique, de meetings réglés par les stars en rencontres médiatiques, aucune place n’est laissée au débat sinon aux questions convenues de soi-disant experts triés sur le volet.

Contester sans modération

Ces joutes hors sol ignorent la réalité des mouvements sociaux massifs qui se sont succédé dans la dernière période : 1995, défense de la sécurité sociale - 1996, les sans-papiers - 1997/98, les chômeurs - 2000/2003, l’activisme altermondialiste - 2003, les retraites – 2005, la révolte des quartiers populaires et le rejet du Traité constitutionnel européen. 2010, les retraites - 2016 la loi El Khomry et depuis 2012, le rejet des grands projets inutiles. Certes, ces batailles défensives ont acté des reculs significatifs (1). Il y a peut-être une lassitude qui se fait jour, celle de toujours réclamer des miettes pour ne récolter que du vent car de fait solliciter l’acceptable face à l’inacceptable, c’est se résigner à ne plus convoiter l’impossible : plutôt que secourir charitablement les pauvres, supprimer la misère. Le contrôle collectif de l’économie plutôt que la lutte contre les licenciements. L’émancipation sociale des peuples plutôt que se satisfaire d’un humanitarisme néocolonial. En effet, la démonstration est faite : l’ordre néolibéral du capitalisme financiarisé refuse tout aménagement même modique pour soulager les classes précarisées et paupérisées, c’est donc qu’il est irréformable par le seul jeu des institutions dont il est doté. Les partisans de l’insoumission, si leurs convictions étaient sans équivoque, devraient appeler à soutenir les manifestations de protestations des banlieues, appeler à l’occupation des usines qui ferment… Les indignations morales ne suffisent pas : les scandales se succèdent et ces anormalités se banalisent…
Un sursaut qualitatif est nécessaire. Le changement de régime est à l’ordre du jour. Les puissances dominantes soit feront du replâtrage, soit durciront encore la machine répressive. Dans les brèches des escroqueries, des forfaitures et autres vilénies d’une caste politicienne qui aspire à ressembler aux maîtres qu’elle sert, le mouvement social de démocratie politique doit s’engouffrer.  L’auto-émancipation ne peut être qu’une praxis sociale de masse se conjuguant avec des utopies concrètes. Reste que pour un temps encore trop long les palabres politiciennes risquent de saturer l’atmosphère déjà irrespirable des miasmes délétères des aspirants pontifes.           

Le chamboule-tout continue : c’est au tour de Jadot et Bayrou… sans compter les « petits » candidats… en attendant de savoir qui va tenir jusqu’au bout…    

Gérard Deneux, le 23.02.2017   


(1)    Voir à ce sujet, l’article de Pierre Rimbert auquel j’emprunte certaines expressions : « Contester sans modération » le Monde Diplomatique juin 2016
Une police gangrenée par le racisme ? 

Avec le tabassage et le viol de Théo par des policiers, la limite du supportable est dépassée. Rien ne pourra rétablir la paix dans les quartiers et la confiance dans les institutions de la police et de la justice, si les violences perpétrées par certains policiers n’aboutissent pas à des sanctions à l’encontre de professionnels qui usent de méthodes « dignes » d’une dictature.

Est-il encore temps ? En tout cas, les « daronnes »(1) d’Aulnay-sous-Bois, toutes celles et ceux qui marchent pour la dignité, pour la vérité, ne cessent d’appeler à la justice. S’ils n’étaient pas entendus, les conséquences seraient sans aucun doute d’autres violences. Et si justice est faite pour Théo, tant d’autres humiliations, blessures voire morts restent non condamnées que cela ne suffira pas. Car les tensions sociales sont profondes, faites de discriminations subies par celles et ceux qui sont considérés comme de la « racaille », des « rien du tout » ou des « dangereux » du fait de leur origine (supposée), de leur couleur de peau ou de leur lieu d’habitation.       

Alors, nous en sommes là ! Après plus de 30 ans de « politique de la Ville » pour réduire les inégalités territoriales au profit des habitants des quartiers ? Poudre aux yeux que tous ces moyens promis, en éducateurs et polices de proximité, en formation pour « l’égalité des chances » !  Qui y croit encore ? Sûrement plus les habitants et encore moins les ministres successifs aux méthodes de plus en plus policières. C’est Sarkozy qui crée (en 2003) les BST (Brigades spécialisées de terrain) auxquelles appartiennent les 4 policiers qui ont tabassé et violé Théo. Cette police musclée intervient dans les ZSP (Zones de Sécurité Prioritaires) comme la cité des 3000 à Aulnay. « Ce ne sont pas des policiers d’ambiance ou des éducateurs sociaux », ni des « grands frères inopérants en chemisette qui font partie du paysage » affirmait Hortefeux. Ces patrouilles, munies de matraques télescopiques, LBD40, flash-ball, grenades lacrymogènes, armes de services, gilets pare-balle, jambières et manchettes, interviennent pour rétablir l’ordre. Incorporés sur la base du volontariat, ils sont souvent inexpérimentés et peu aguerris à la réalité des quartiers sensibles(2). Les jeunes les appellent : « les tabasseurs ». Et malgré sa promesse (en 2012) du retour à la police de proximité, Hollande n’en fit rien. Valls sut se montrer « ferme », et même « mieux », grâce à l’état d’urgence, il élargit ces méthodes contre des militants écolos, syndicaux. Le changement, ce n’est vraiment pas pour maintenant !

Si cette séquence (du 2 février à Aulnay) n’est hélas que le dernier épisode d’une très vieille série, c’est parce que, depuis 27 ans, aucun gouvernement n’a modifié les éléments du scénario (3). La terminologie utilisée, au fil des politiques gouvernementales, en dit long : de développement social des quartiers, on est passé aux Zones Urbaines Sensibles pour finir par en classer un grand nombre en  Zones de Sécurité Prioritaire.      

Mais les quartiers pauvres et dégradés le sont toujours. Des milliards ont pourtant été engloutis dans la rénovation urbaine sans rien changer au chômage, qui dans les ZUS(4), dépasse les 50% chez les jeunes de moins de 30 ans. Rien n’a changé non plus sur le terrain des discriminations qui compliquent toujours l’accès d’une partie de nos concitoyens à l’emploi, au logement et à quantité de biens et services. Les discriminations « ethno-raciales » se sont muées en discriminations religieuses, notamment islamophobes, et les femmes en sont les principales victimes quand elles décident de porter le « voile ». Les inégalités scolaires sont flagrantes : le taux de réussite au brevet est de 95% pour les enfants de collège d’un quartier aisé, de moins de 50% pour ceux d’un quartier ZUS. En 27 ans, rien n’a changé malgré les innombrables alertes, rapports et livres publiés à ce sujet.   

Tant que les thèmes de la sécurité, des banlieues, de la violence, etc., serviront avant tout aux politiciens à faire carrière, tant que la nécessité de l’ordre fera taire celle de l’analyse, tant que l’institution policière continuera à former et envoyer sur le terrain le même type de policiers et tant que les habitants des quartiers pauvres seront enfermés dans les mêmes problèmes, l’on peut déjà prédire sans risque qu’il y aura beaucoup d’autres Aulnay-sous-Bois.

Qu’est-ce qu’un Etat qui use de la force et de la violence face à des populations précarisées, sans espoir en l’avenir ? Qu’est-ce qu’un Etat «démocratique» qui pratique la justice à deux vitesses, condamnant en comparution immédiate ceux que la police « attrape parce qu’ils courent moins vite » à de la prison ferme et  qui, par ailleurs, permet que l’IGPN tente de requalifier le « viol délibéré » de Théo en « violences volontaires » ? Qu’en sera-t-il de la condamnation des auteurs de ces actes ? Et pour répondre à ceux qui répètent à chaque incident dans les quartiers populaires : « la République et la police doivent être respectées », il faut dire « Qu’elles commencent par être respectables ! ».

Les commentateurs médiatico-politiques ont vite fait de présenter les violences policières comme des actes individuels, qu’il suffirait donc d’extirper les brebis galeuses du troupeau pour que tout rentre dans l’ordre républicain. Mais les « bavures » ne sont pas des dérapages individuels, il faut y dénoncer l’humiliation pratiquée comme système de domination. Le discrédit participe de l’arsenal répressif. Les habitants des quartiers subissent l’injonction de docilité et de soumission qu’ont combattue les ouvriers immigrés par des grèves dans l’automobile en région parisienne (1982-1984). De l’exploitation ouvrière à l’asservissement des banlieues, les procédés sont les mêmes : les assignations sans motif, les insultes racistes dénoncées par les ouvriers de l’époque sont les mêmes mécanismes qui opèrent maintenant dans les quartiers. Leurs revendications et nos solidarités doivent résonner de la même façon aujourd’hui, pour refuser l’humiliation comme support privilégié de la domination de classe, méprisant le droit de l’individu. 

Odile Mangeot

(1)    Les mères
(2)    Selon Unité SGP Police FO
(3)    en italique, extraits d’un article de Laurent Mucchielli https://www.laurent-mucchielli.org
(4)    Zone Urbaine Sensible
  




Contre le délit d’informer

L’arrestation le 15 février dernier d’Haydée Sabéran, journaliste à Libération, n’est pas un cas isolé. Qu’il s’agisse de la destruction du bidonville de Calais ou de la répression de la solidarité à la frontière franco-italienne, les arrestations de journalistes couvrant les évènements se multiplient, là où le gouvernement ne veut pas de témoins.
Le 20 octobre dernier : quatre journalistes britanniques travaillant pour The Independent et leur traducteur tunisien, qui couvraient les préparatifs de la destruction du bidonville, ont été arrêtés et placés en garde à vue, dans des conditions particulièrement dégradantes. Les quatre journalistes ont été expulsés vers le Royaume-Uni et le traducteur enfermé en centre de rétention, puis libéré.
Le 26 octobre : Gaspar Glanz, journaliste du site Taranis News, a été arrêté et gardé à vue pendant 33h, puis placé en contrôle judiciaire dans l’attente de son procès, contrôle judiciaire entravant son activité de journaliste.
5 août 2016 : à la frontière franco-italienne, Ben Art’core, photographe indépendant, est arrêté pour incitation à la rébellion, se transformant en outrage envers 4 officiers de police qui ne se présenteront pas à l’audience. Le procès a eu lieu mi-février, verdict attendu le 3 mars
Dans la nuit du 19 au 20 janvier 2017 : Lisa Giachino, directrice de l’Age de faire, est arrêtée alors qu’elle suivait un groupe d’exilés dans le cadre de son travail…libérée sans poursuites.
Au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, la France est au 45ème rang sur 181 pays. Elle a régressé de 7 places entre 2015 et 2016, témoignage des pratiques du gouvernement actuel. Sur une durée plus longue, en 2002, elle était au 11ème rang sur 134 pays.

Qu’est-ce qu’un régime qui arrête des journalistes ? Une démocratie ?





La Sécu elle est à nous !

« On s’est battu pour la gagner » : la protection sociale n’est pas née du seul Conseil National de la Résistance. Elle a été un long combat, au cours du siècle précédent. Elle fut et est toujours un compromis entre les salariés et le patronat. « On se battra pour la garder !», encore faut-il s’entendre sur ce que l’on veut défendre ou reconquérir. Les éléments ci-dessous sont extraits d’un texte de Pascal Franchet dans AVP - Les Autres Voix de la planète -  du CADTM(1)


La Sécu, on s’est battu pour la gagner !

La protection sociale universelle (chômage/maladie/retraite), avec celles du salaire et du temps de travail, est la revendication la plus ancienne du mouvement ouvrier. Depuis la lutte des Canuts (1831) à celle des ouvriers du Creusot (1899) en passant par la Commune (1871), il y a plus d’un siècle de luttes sociales avant l’ordonnance d’octobre 1945 qui crée la Sécurité Sociale. La revendication d’une protection sociale universelle a commencé avec l’instauration du capitalisme industriel au 19ème siècle. La première loi visant à mutualiser les coûts liés à un risque est votée le 8 avril 1898, assurant la protection de salariés de l’industrie contre les accidents du travail. Elle contraint l’employeur à s’assurer contre ce risque auquel il doit faire face. Dans la foulée, au début des années 1900, deux députés socialistes, revendiquèrent la même protection contre le chômage et la misère, inhérents au capitalisme ; pour eux, il n’est pas question de faire porter les risques de chômage, de maladie ou de misère par une cotisation des salariés. Au même titre que l’employeur doit les salaires aux salariés, il doit la cotisation qui protège la force de travail.  Cette revendication n’aboutit pas en 1900 mais servit de base à la construction de la protection des salariés. C’est en 1928 qu’est instauré le premier système complet et obligatoire d’assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès) au bénéfice des salariés de l’industrie et du commerce, instituant la cotisation sociale. Qui doit la payer ? Cette question a imprégné tout le mouvement ouvrier du 20ème siècle et est toujours présente au 21ème siècle.

La Sécurité sociale, inscrite dans le programme du Conseil National de la Résistance « Les jours heureux », naît des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945. En 1945, toutefois, il n’y eut ni grèves, ni manifestations pour imposer cette avancée sociale. La bourgeoisie patronale-collabo sortait très affaiblie de la 2ème guerre mondiale et le puissant mouvement ouvrier du siècle précédent s’était encore renforcé par son engagement dans la Résistance. Dans ce contexte, le programme du CNR fut un compromis accepté par le gouvernement et le patronat pour consolider cette « entente » face au bloc soviétique ; ce ne fut pas un projet partagé de transformation radicale de la société. Bien entendu, ce progrès social est une avancée indiscutable et doit être conservé à tout prix le principe suivant : « la cotisation sociale est un prélèvement sur la richesse créée par le travail dans l’entreprise, qui n’est affectée ni aux salaires ni aux profits, mais mutualisé pour répondre aux besoins sociaux des travailleurs résultant des aléas de la vie, indépendamment de l’Etat et de la négociation collective et dont le montant est calculé à partir des salaires versés ». Autrement dit, la richesse créée par le travail contraint l’employeur à verser du salaire différé (la cotisation) ; il ne peut être question de fiscaliser ce risque. On le verra plus loin, la création de la CSG et de la CRDS ont ouvert une brèche contraire à l’esprit des ordonnances de 1945. Dans la conception initiale, Etat et syndicats (par la négociation collective) ne peuvent influer ou modifier les principes de fonctionnement de la Sécurité Sociale. L’Etat intervient en tant que garant de ce droit humain fondamental, inscrit dans le préambule de la Constitution en 1946. La Sécurité Sociale fut conçue comme un service public original et indépendant de l’Etat, directement géré par les assurés eux-mêmes, par l’intermédiaire de leurs élus.

Ce rappel historique doit nous servir à renforcer notre détermination à garder (voire reconquérir) le système de protection sociale, tel qu’imaginé par ses fondateurs, qui subit régulièrement des attaques et des régressions.

On se battra pour la garder !

Oui, mais sous quelle forme ?

La Sécurité Sociale, issue de ce « compromis » contraignant pour la bourgeoisie subit depuis 40 ans des remises en cause, concernant notamment son financement. Même si les ordonnances affirment que la cotisation sociale est un prélèvement sur la richesse produite par le travail, les textes fondateurs, écrits par des hauts fonctionnaires et non par les organisations ouvrières, maintiennent le flou sur la double cotisation patronale et salariale. De cette confusion entretenue par le patronat qui n’a comme objectif que de reprendre aux salariés ce « cadeau » qu’il ne veut pas payer, ont émergé des modifications profondes, et ce, malgré les luttes sociales importantes ; toucher à la Sécu, c’est mettre dans la rue toutes celles et ceux qui ne veulent pas voir ce conquis disparaître.

Ces « reprises en main » de l’Etat et du patronat se manifestent dans trois domaines principaux :

1 - De la caisse unique aux caisses par types de risques. En 1945, l’ordonnance crée un régime général ayant vocation universelle pour rassembler les protections à toute la population et étendre les risques couverts. Ce projet ne sera pas réalisé du fait de l’opposition des régimes spéciaux et des travailleurs indépendants. Plusieurs caisses sont donc créées : régime général, agriculteurs, non-salariés et régimes spéciaux, formant un réseau de caisses uniques départementales, cogérées majoritairement (75%) par les représentants des salariés.
Le 21 août 1967, les ordonnances Pompidou/Jeanneney séparent financièrement les risques en créant 4 caisses nationales autonomes : CNAM (assurance maladie), CNAV (assurance vieillesse), CNAF (allocations familiales) et ATMP (Accidents du travail/maladies professionnelles) ; la gestion de l’ensemble de la trésorerie est confiée à l’Agence Centrale des Organismes de SS (ACOSS), tous ces organismes relèvent du droit privé. Signalons qu’une 5ème branche avait vu le jour en 1958 : l’UNEDIC (assurance chômage), hors Sécurité Sociale et paritaire, suite à un « coup » de De Gaulle s’appuyant sur FO  pour contrer l’influence de la CGT qui, elle, revendiquait l’intégration dans la Sécurité Sociale.     
La CGT s’opposa aux ordonnances de 1967 qui effaçaient la lisibilité et remettaient la gestion financière aux mains d’organismes dont les directions étaient nommées par l’Etat, ne laissant guère de place aux administrateurs attachés au principe du « chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ».

2 - De la gestion majoritaire par les assurés à un paritarisme bien arrangeant pour le patronat. Depuis 1945, la gestion de la SS a été modifiée à plusieurs reprises. Au départ, les syndicats, seuls (sans le patronat), désignaient les membres des conseils d’administration puis ce sont les assurés qui élurent leurs représentants parmi ceux proposés par les syndicats. Mais les ordonnances de 1967 séparant les caisses, supprimèrent aussi l’élection des administrateurs et instaurèrent un mode de gestion paritaire entre représentants des assurés et des employeurs. En 1982, le principe de l’élection fut rétabli et la majorité des sièges réservés aux syndicats. Des élections eurent lieu en 1983 (pour 6 ans) puis furent constamment repoussées. En juin 1996 (ordonnances Juppé), la parité entre représentants des employeurs et représentants des salariés désignés (et non plus élus) par les organisations syndicales est rétablie. C’est un arrêté de 1966 ( !) qui établit la liste des syndicats dits représentatifs, sans prendre en compte l’existant et encore moins les mouvements de chômeurs. Pour les salariés : CGT – CFDT – CGC – FO – CFTC et pour les employeurs : Medef – CGPME – UPA -UNPAL/CNPL). De fait, de par la division entre les syndicats de salariés, c’est le patronat qui dirige la Sécurité Sociale. L’Etat, quant à lui, joue un rôle de tutelle et de contrôle nettement renforcé depuis 1996, avec l’institution par le Parlement de la loi de financement de la Sécurité Sociale. Ainsi fut mis fin à la démocratie sociale.

3 - La fiscalisation et la financiarisation de la protection sociale.
Les fondateurs l’avaient décidé : ce n’est pas aux salariés de payer pour être en bonne santé. Ce n’est pas aux contribuables de payer à la place des patrons. La Sécurité Sociale sera financée grâce aux richesses produites par le travail des salariés. Ce « compromis », nous l’avons vu, imposé au patronat, n’a cessé d’être attaqué.
C’est au début des années 1980 que les portes de la fiscalisation et de la financiarisation s’ouvrent, comme signal de la politique de rigueur de Mitterrand. L’idée d’étendre l’assiette des cotisations à tous les revenus disponibles aboutit à la création de la CSG – Contribution Sociale Généralisée – (Rocard, décembre 1990). Cet  impôt proportionnel par types de revenus, est prélevé aujourd’hui à un taux entre 3.8% et 8.2%. Juppé, en 1996, crée la CRDS – contribution pour le Remboursement de la Dette Sociale (0.5%) (qui devait être provisoire !) et, parallèlement, la Cades(2) pour financer la dette sociale via les prêteur privés.  La fiscalisation est en marche.
Dès lors la logique comptable l’emporte sur le choix politique ; l’on a assisté, depuis, au démantèlement progressif de la protection sociale par les gouvernements de droite et de « gauche ». Le capital a pris le pas sur le travail.
Les contre-réformes se sont succédé sur les retraites, sur l’assurance maladie (forfaits, déremboursements, financement des hôpitaux à l’activité, création des ARS (Agences Régionales de Santé) émanations directes de l’Etat, tout en justifiant les régressions sociales par le poids de la dette (le trou de la Sécu !).
Parallèlement, début des années 1980, s’est mise en place la financiarisation de la protection sociale. Des conventions d’objectifs et de Gestion (COG) introduisent la facturation croisée des excédents et des besoins de financement, entre les caisses, avec productions d’intérêts ! On assiste également au financement de la dette sociale par les banques privées : à plusieurs reprises, l’UNEDIC emprunte auprès des assurances et des mutuelles et souscrit des emprunts obligataires à des taux de plus de 5%. Ce recours à l’emprunt garanti par l’Etat marque l’ouverture définitive de la Sécurité sociale à la financiarisation. Il s’agit de « maîtriser les dépenses de santé » et d’accroître le pouvoir de l’Etat et du Parlement : l’ordonnance Juppé (22.02.1996) lui redonne le pouvoir par le vote annuel d’une Loi de Financement de la Sécurité Sociale, l’Etat fixant un ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance-maladie)  à ne pas dépasser. Pire, la LFSS en 2007, autorise l’ACOSS à avoir recours à des billets de trésorerie pour ses besoins de financement à court terme : ainsi, en 2007, l’UNEDIC faisait apparaître dans son bilan, 9.17 milliards d’euros empruntés, répartis en obligations, billets de trésorerie et titrisation, cette technique qui consiste à transformer en titres négociables sur les marchés financiers des créances : les cotisations sociales servent à la spéculation !  En 2016, le site de l’UNEDIC ne rend public que 11 des 31 milliards d’euros souscrits. Elle vante par ailleurs la fiabilité de ses capacités à rembourser et présente les économies à réaliser sur le dos des chômeurs (1.6 milliard en 2 ans) en 2014 !

La Sécu, elle doit être à nouveau à nous !

Si « la Sécu, elle est à nous ! », nous devons nous la réapproprier en la débarrassant du fardeau de la dette sociale qui n’incombe pas à la Sécu  quand, au nom des politiques de l’emploi, les gouvernements de droite et de « gauche » accordent de larges exonérations de cotisations, en particulier sur les bas salaires, au patronat : elles se montent à près de 30 milliards d’euros.
Il nous faut exiger un audit citoyen de cette dette, au nom de laquelle les contre-réformes néolibérales sont appliquées. Il faut intégrer comme une dette du patronat le financement de la misère (RSA, etc.) aujourd’hui (mal) financés par le budget de l’Etat et des collectivités territoriales, c’est-à-dire par les contribuables que nous sommes.
Enfin, l’on doit ré-affirmer que l’accès à la protection sociale est un droit humain fondamental ; sa gestion doit appartenir à ceux qui créent la richesse par leur force de travail. L’Etat a obligation de garantir l’exercice de ce droit. Le patronat n’y a pas sa place ; le paritarisme doit être remplacé par une gestion directe et transparente par et pour les salariés, les privés d’emploi et les retraités.

Telles sont les revendications minimales que nous devrions trouver dans un programme électoral qui se veut résolument de « gauche », afin de nous mobiliser dans les luttes, à l’image des ouvriers du 19ème siècle car « … tout être humain qui (…) se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

Odile Mangeot, le 23.02.2017

(1)   Les Autres Voix de la Planète (AVP) dernier trimestre 2016 « Dette sociale. Qui doit à qui ? ». Revue produite par le CADTM : Comité pour l’annulation des Dettes illégitimes 
(2)   Caisse d’amortissement de la dette sociale


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Un petit tour dans les programmes de quelques présidentiables en matière d’assurance maladie

Après son annonce fracassante de remboursement des « gros » risques mais pas des « petits » risques, Fillon a rétropédalé, mais le ripolinage n’est que de surface ! Quant à Macron, il commence à parler programme, qui se révèle déjà bien libéral de droite. Hamon, lui, a déjà oublié son revenu universel ambitieux. Il s’agit de ne pas effrayer ceux qui sont tentés par Macron ou par une gauche de gauche. En y regardant de plus près, les volontés de ces trois présidentiables, se ressemblent  et n’annoncent rien de bien enthousiasmant : pas de diminution du niveau de prise en charge par l’assurance-maladie et une meilleure prise en charge des lunettes, prothèses auditives ou soins dentaires, mais nécessité de maîtriser les dépenses et de faire des économies (Fillon :20 milliards sur 5 ans, Macron : 15 milliards) en annonçant la volonté de rendre les hôpitaux plus autonomes (pour Fillon : retour progressif aux 39h, pour Macron : développer la médecine ambulatoire, vendre les médicaments à l’unité, ne rembourser que les soins « utiles »… Quant à Hamon, il annonce une modification du mode de financement de l’hôpital sans s’engager à l’annulation de la loi Bachelot, base de la concurrence forcenée entre les établissements publics et privés… Pour Mélenchon, la santé publique doit redevenir une exigence de premier ordre : rembourser à 100% tous les soins prescrits, combler les déserts médicaux par la création d’un corps de médecins généralistes fonctionnaires rémunérés pendant leurs études (dommage qu’il ne propose pas l’affectation obligatoire des médecins dans les territoires où il en manque, sur le modèle de l’Education nationale !). Il propose d’abolir les dépassements d’honoraires et de créer un pôle public du médicament pour faciliter l’égal accès aux traitements et revenir sur le financement actuel des hôpitaux, tout en stoppant les suppressions de lits et de personnels, et en engageant un plan de recrutement pour reconstruire le service public hospitalier.

Comme aurait dit Chirac : « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».

Comme l’affirment les Amis de l’Emancipation Sociale : Voter ne suffit pas ! La démocratie c’est définir ensemble les mesures de progrès social et d’égalité et contrôler leur mise en œuvre. 
Espagne. Podemos
Le mouvement social et les élections

Dans le numéro précédent, l’illustration a été faite sur les difficultés rencontrées par la « fabrique du consentement », pour faire admettre les politiques d’austérité. Le mouvement d’occupation des places a grippé la « machine » diffusant la pensée résignée « il n’y a pas d’autre alternative », celle de la purge imposée par les institutions européennes, relayées par les partis dominants : le PSOE et le Parti conservateur de droite (PP).

L’émergence d’un mouvement social inédit (le 15 mai 2011), suivi de nombreuses manifestations (les marées), de grèves, d’oppositions aux expulsions de logements posent, sans la résoudre, la question de la nature du capitalisme financiarisé. La rupture avec ce système doit se concevoir comme un processus emmagasinant, au-delà des échecs, des avancées soulageant pour partie la paupérisation et la précarité subies par les classes ouvrières et populaires, voire les couches moyennes appauvries. Bref, une véritable guerre de tranchées où tout recul est une défaite pour le mouvement populaire. Or, force est de constater que rien de significatif ne s’est produit en ce sens en Espagne. Toutefois, les mobilisations massives puis les scores électoraux de Podemos et des plateformes citoyennes (aux municipales) ont entamé la légitimité des partis dominants, ceux de l’alternance sans alternative. Peut-il se poursuivre et à quelles conditions ?

Pour répondre à cette question, s’interroger sur la nature de Podemos peut pointer, pour partie, des éléments de réponses. Il convient de souligner d’abord comment le mouvement populaire a pu être fragilisé et ce, avant de rendre compte des conditions qui ont permis le lancement de Podemos. Son essor s’est ensuite heurté à la contre-offensive des classes dominantes et du PP de Aznar. Le programme « électoral » de Podemos mis à part, la diffusion des mesures d’urgence sociale qu’il faudrait mettre en œuvre ne peut se concrétiser par la voie électorale, du moins dans la conjoncture présente. Certes, comme le souligne ce qui suit, il a abouti à une crise de gouvernementalité susceptible de rebondir en crise politique pour autant que reprenne le mouvement « d’insurrection citoyenne ». Reste une autre voie cul-de-sac, celle de l’institutionnalisation de Podemos et son engluement dans de nouvelles séquences électorales avec de possibles alliances avec le PSOE. Podemos, un nouveau Syriza ?

Les séquences électorales percutent le mouvement « d’indignation »

Rappel : le mouvement d’occupation des places a démarré le 15 mai 2011. Il a duré un mois pour se transformer en opposition aux expulsions et en une grève générale le 14 novembre 2012 (9 millions de grévistes) ainsi qu’en marées successives de manifestations.

La période qui suit va détourner le mouvement de protestation vers plusieurs séquences électorales, accaparant l’attention par l’émergence d’une nouvelle force politique. Mai 2014 : élections européennes, Podemos, parti de rien, obtient 8% des voix. Mai 2015 : élections municipales et régionales, il bondit à 14%. Décembre 2015 : aux élections législatives, il obtient 20.7% et 71 députés. Juin 2016 : nouvelles élections législatives, il régresse à 20% mais conserve le nombre de députés. Son ascension a fait croire que le changement par la seule voie électorale était possible, d’autant que le mouvement de protestation ne parvenait pas à faire fléchir le gouvernement, ne serait-ce que sur des questions de survie (logement, minimum de ressources pour les plus démunis).

En novembre 2010, naît un nouveau média, la Tuerka et ce, à l’initiative d’intellectuels : Juan Carlos Monedero, Pablo Iglesias et Inigo Errejon ainsi que deux membres d’Izquierda Unida anticapitaliste, Miguel Urban et Teresa Rodriguez. Face au poids de la presse et de la TV, le mot d’ordre est « Si tu ne peux atteindre les médias, transforme-toi en média ! ». Cette petite équipe qui entend effriter l’hégémonie dominante va impulser des débats sur des sujets tabous (l’Eglise, la monarchie, les origines de la crise de 2008…) et agiter de nombreux thèmes culturels et historiques. Plus fondamentalement, elle devient la caisse de résonnance du mouvement du 15 mai. Diffusée d’abord sur Youtube, elle dispose ensuite de son média TV, Sexta Noche. 900 000 spectateurs puis 2 millions suivent ces émissions de débats au cours desquels Pablo Iglesias apparaît de fait comme le porte-parole symbolique du mouvement d’indignation.

Le 14 janvier 2014, face au relatif épuisement de la « lutte de rues » et à l’approche des élections européennes, un collectif d’intellectuels et d’activistes se réunit dans un théâtre alternatif. Le manifeste présenté par Juan Carlos Monedero est approuvé. Il s’agit de participer au scrutin électoral, de « convertir l’indignation en changement politique », « L’Europe juste », Nous Pouvons, Podemos, est né. Le projet se veut participatif : une pétition est lancée, elle recueille 50 000 signatures en 24 heures. Des candidats sont désignés par les citoyens inscrits sur internet, ce que refuse Izquierda Unida, attachée à la nomination de ses propres prétendants à la candidature. Cette défection n’affecte pas ce processus de mobilisation électorale. Après 4 mois d’existence, Podemos recueille 1 250 000 voix et 5 eurodéputés sont élus.

Ce nouveau parti « attrape-tout » se définit comme « ni droite, ni gauche » car il prétend dépasser ce clivage et se démarquer du parti social-libéral austéritaire, voire rénover le langage marxiste. Les classes sociales disparaissent au profit d’un « nous » le peuple, s’opposant à la caste politicienne, cette « bande de voyous ». En surfant sur les scandales et les « maffieux qui nous gouvernent », les politiques, les banquiers véreux et les patrons des grandes entreprises, Podemos vise à se doter d’une large majorité d’adhérents. La lutte à mener serait celle de « ceux d’en bas » contre « ceux d’en haut ». Malgré les apparences ce « nous » est difficile à construire particulièrement en Espagne, nation de nations (Catalogne, Pays basque, Galicie…) et sous-estime la longue durée pour construire une nouvelle hégémonie (poids de l’Eglise par exemple). Il n’empêche, la déconstruction idéologique à l’œuvre a tendance à souder une fraction des classes populaires et moyennes qui rejettent le système bipartisan. Ainsi, à l’accusation d’avoir importé une théorie latino-américaine populiste, donc de n’être pas des patriotes, Pablo Iglesias rétorquera : la patrie, c’est un pays fait de gens attachés à la sécurité sociale, à l’école publique… rien de commun avec la « caste corrompue », à cette «élite de traitres », à cette « monarchie répugnante » soumise à la finance internationale. Reste nombre d’ambiguïtés comme celle de « transformer une Europe injuste en Europe juste ».

Après les élections européennes, ce parti en gestation va se doter de structures qui se veulent démocratiques. 

Podemos, entre l’ancien et le nouveau

Suite aux élections européennes, le parti embryonnaire se structure. Le 5 juin 2014, une discussion sur ses statuts est lancée. 55 882 personnes y participent. Pablo Iglesias l’emporte à 86% des voix. 400 cercles de base font vivre le débat sur l’organisation de Podemos ainsi que les échanges via internet. Ce document éthique approuvé tranche avec les pratiques douteuses des partis dominants : interdiction de faire partie de conseils d’administration d’entreprises, la mise en examen vaut renoncement à tout mandat, les indemnités de mandat sont limitées à 3 fois le Smic… Mais, derrière les apparences de démocratisme du parti « propre », la structure organisationnelle en débat laisse entrevoir une verticalité présentée comme nécessaire pour conquérir le pouvoir par les législatives prévues à l’automne 2015. C’est cette « priorité à l’efficacité électorale » qui va l’emporter lors de l’assemblée de Vistalegre, les 18 et 19 octobre 2014. 7 000 personnes y participent. Cette agora est suivie sur internet par 2 000 personnes : le débat oppose les partisans d’un parti mouvement (Teresa Rodriguez) et ceux largement majoritaires qui visent l’irruption sur la scène électorale. De fait, l’initiative va être  retirée aux militants des cercles. Le succès de la percée médiatique de l’évènement Vistalegre se traduit immédiatement dans le nombre d’inscriptions. En une semaine, il passe de 136 000 à 206 000 puis atteint 307 000. La culture d’activisme numérique l’a emporté sur l’articulation prolongée avec les mouvements sociaux.

L’essor électoral de Podemos et sa volonté d’occuper « la centralité de l’échiquier électoral » paraissent assurés lors des élections municipales et régionales. Sa dénonciation des scandales, son opposition de la caste aux gens ordinaires, la corruption qui atteint la monarchie, en particulier la fille du roi Juan Carlos, sa démission suite à la révélation de son accident de chasse à l’éléphant au Botswana…. sont autant d’éléments qui favorisent la captation de l’énergie populaire tout en mobilisant les classes moyennes. La présentation médiatique de Podemos, parti contre les abus du système, « caméléon » dans sa volonté de n’être ni de droite ni de gauche lui assure un essor fulgurant dans les intentions de vote (20% en septembre 2014). Si dans un premier temps, le PP et la classe dominante ne s’en offusquent guère (le parti de droite tablant sur un effritement du PSOE), leurs inquiétudes face à un bouleversement possible du bipartisme vont les amener à réagir.

La contre-offensive des forces dominantes

Elle va se dérouler en 4 phases successives : une guerre d’usure puis de diffamation, se transformant ensuite en stratégie diffusant la peur du chaos, pour aboutir à la création d’un nouveau parti « propre » censé récupérer au profit de la droite les classes moyennes.

La guerre d’usure consiste, dans un premier temps, à présenter l’équipe dirigeante de Podemos comme une caste irresponsable ( !). Ce retour à l’envoyeur des élites s’accompagne de pressions intimant aux médias, en particulier les grandes chaînes de TV, de leur en interdire l’accès (menaces sur la publicité, éjection d’un directeur de chaîne récalcitrant).

La diffamation prit la forme d’une campagne contre certains des leaders afin de faire douter de l’honnêteté des cadres de Podemos : Monedero qui avait été conseiller économique pour la mise en place de la Banque Alba afin de faire contrepoids en Amérique latine à la domination des USA, fut l’objet d’un acharnement, d’un cynisme éprouvé. Alors qu’il n’avait mené qu’une étude d’impact sur une monnaie concurrente au dollar réunissant l’Equateur, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua et le Venezuela, il fut présenté comme un « suppôt de Chavez ». Un temps considérable fut donc consacré à répondre à ces accusations.

La stratégie de la peur qui s’ensuivit eut plus d’impact : Podemos fut présenté comme un parti antidémocratique de radicaux et d’extrémistes aux ordres de Chavez, qui allait provoquer le chaos. Le 1er Ministre Aznar et l’euro-groupe dont il fait partie ont parié sur l’identification avec Syriza et sur son échec, ce qui conforte l’idée auprès d’une partie de la population espagnole que, décidément, rien ne pouvait changer. Podemos commença à perdre de l’influence d’autant que la revendication légitime consistant à permettre aux prisonniers de l’ETA d’être rapprochés dans un lieu de détention proche de leurs familles fut l’occasion d’identifier ce parti aux « terroristes » de l’ETA. Pour répondre à cette campagne de « diabolisation » Podemos modéra son discours, affirmant entre autres qu’il visait à transformer l’Union européenne de l’intérieur tout en montrant qu’il était loin d’être isolé. Le 31 janvier 2015, des marches de soutien furent organisées, elles convergèrent vers Madrid ; des centaines de milliers de personnes y participèrent. Bref, pour les forces d’alternance, Podemos, à l’approche des élections, restait un danger qu’il fallait contenir.

Le dernier moyen mis en œuvre pour y parvenir fut la création de toutes pièces d’un nouveau parti « propre » susceptible de drainer une partie de l’électorat indigné par les scandales de corruption. L’idée fut émise par le directeur de l’une des plus grandes banques espagnoles : « Il faut faire un Podemos de droite ». Dans les médias, à partir de février 2015, un bourrage de crânes publicitaire renforça l’image d’un parti catalan Cuitadans pour lui conférer une audience nationale. Peu de temps après, Ciudadanos, le parti de la citoyenneté s’affichant centriste, fut présenté comme le recours aux maux de l’Espagne. Ses accointances avec des groupuscules d’extrême droite furent passées sous silence, on ne devait retenir que son apparente volonté de lutter contre la corruption. Il fallait en effet contrer la déroute probable du PP conservateur, englué dans les « affaires ». Albert Rivera, figure nouvelle, devint la coqueluche des télévisions ; ouvert sur les questions sociétales et de mœurs, il gomma autant que possible son programme libéral très proche du PP.

Coup d’arrêt à la progression de Podemos

Plusieurs facteurs concourent à enrayer la progression de Podemos. La stratégie d’abord, celle qui consiste à mener « une guerre électorale » en s’imaginant rallier un électorat du centre à l’extrême gauche, sans modification préalable et en profondeur de la « pensée unique » qui continue de peser sur le corps électoral. Pèse également l’absence de prévision de l’ampleur des campagnes d’intoxication dont est victime Podemos, tout comme la signification du repli des luttes de masse. Face à cette situation où Ciudadanos récupère en intentions de vote une partie de l’électorat modéré favorable au changement, la réaction de Podemos va consister à se battre sur le terrain de l’adversaire : en modérant d’une part ses propositions et en réfutant le caractère « nouveau » de Ciudadanos. Ainsi disparaissent le non-paiement de la dette, l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans… et indépendamment du clivage de classes est mis en avant le caractère inédit, neuf, de Podemos dans sa concurrence marketing avec Ciudadanos. Face à l’offensive dont il est l’objet, Podemos se présente donc comme un parti acceptable. Il s’ensuit un refus d’alliance avec Izquierda Unida, un certain désenchantement envers une stratégie essentiellement discursive et électoraliste, et ce, au détriment de l’échange avec les cercles de base qui se dépeuplent… puisqu’il suffit de voter. Le rituel des votes par internet appelé « boutons placebos » n’y change rien, au contraire.

Les dirigeants de Podemos réussissent, toutefois, à maintenir ensemble deux lignes contradictoires qui se matérialisent dans le programme « d’urgence sociale » à caractère électoral (1). Reste, au vu des résultats des élections législatives que Podemos réussit à casser le système bipartisan et que la tentative de faire émerger un nouveau parti « propre », « jeune » de centre droit est un échec. Podemos, 3ème parti du point de vue de son impact électoral, n’a pu néanmoins réduire suffisamment l’influence de PSOE et les illusions sur son improbable transformation à « gauche ».

La crise de gouvernementalité et le débat au sein de Podemos

Les élections législatives de décembre 2015 paralysent le système gouvernemental. Le parti conservateur de droite n’obtient pas de majorité pour gouverner. Ciudadanos qui n’a pas un nombre suffisant de députés pour parvenir à une alliance majoritaire avec  le PP renonce, après bien des atermoiements, à trouver un compromis avec cette formation minée par les scandales. Cette option ternirait l’image (virtuelle !) qu’il s’est construite. Dans le même esprit, le PSOE refuse l’idée d’une union sacrée pro-austéritaire : sa perte d’influence entamée s’accélèrerait... Impossible de trouver un terrain d’entente avec Podemos. Pablo Iglesias, en proposant un référendum interne, s’est prémuni contre cette tentation. Par internet (180 000 inscrits) 88% des votants rejettent tout soutien au PSOE + Ciudadanos qui permettrait d’obtenir un gouvernement minoritaire de « cette gauche » acquise au libéralisme austéritaire. Joutes parlementaires et tractations vont durer jusqu’en juin 2016. En effet, de nouvelles élections sont programmées l’été, pour tenter de sortir de l’impasse gouvernementale. Podemos, après consultation, fait cette fois le choix d’une alliance avec Izquierda Unida. Après le dépouillement des votes du 26 juin, le rapport de forces parlementaires reste inchangé malgré la perte d’un million de voix de Podemos et une forte abstention : la « guerre électorale » transversale a atteint ses limites, le débat resurgit dans Podemos, les uns reprochant l’alliance avec « l’extrême gauche », les autres quoique déçus critiquant la désidéologisation du discours tenu et son manque de radicalité. En tout état de cause, la paralysie du système gouvernemental n’est surmontée que par l’ingouvernementalité qui lui succède. En effet, le gouvernement PP et Ciudadanos est minoritaire face à des formations qui ne manqueront pas (plus ou moins) de contester ses choix austéritaires. Les conservateurs de droite espèrent en une embellie économique qui les conforterait ; le PSOE dans l’attente de nouvelles élections, pense pouvoir prospérer sur le désastre du PP. Quant à Podemos, il est à la croisée des chemins.

Son programme ne pouvait, à lui seul, permettre de devenir un parti majoritaire pour le mettre en œuvre. Il n’empêche, il a popularisé un certain nombre de mesures qui prouvent son articulation avec les aspirations largement partagées : arrêt des expulsions sans alternative de relogement, minimum vital de subsistance/gaz/électricité... Toutefois, on est loin d’une posture révolutionnaire appelant les masses à occuper les logements vides, ou encore pour ne prendre que ce deuxième exemple, occuper les sièges patronaux de ces industries de biens communs. En tout état de cause, demeure l’illusion que Podemos, en s’alliant avec le PSOE, aurait pu déloger le PP et forcer l’Union européenne à « démocratiser ses institutions », et à « convoquer une conférence européenne sur la dette ». Cette voie d’institutionnalisation et néo-sociale demeure.

Le Congrès de Vistalegre, le 11 février dernier, va trancher le débat entre deux lignes contradictoires. Ce qui a été présenté par les médias comme une querelle entre deux leaders, Pablo Iglesias et Inigo Errejon, est fondamental. Pour le premier, l’unité avec Izquierda Unida consiste à constituer un bloc historique concurrent à celui, fracturé, des partis dominants perpétuant le système capitaliste. Il suppose un travail de politisation et d’enracinement populaire et une démocratie effective laissant initiatives et propositions aux cercles de base, ce qui n’est pas acquis. Le second parie sur la transversalité de Podemos, son institutionnalisation. Il s’agirait de faire naître un nouveau parti social-démocrate, « décentralisé » et « pluraliste », ralliant les classes moyennes. Cette voie serait la seule à pouvoir, en alliance avec le PSOE et d’autres formations autonomistes, permettre la prise du pouvoir. Le Congrès a tranché à 67% en faveur de la première voie, celle que représente Pablo Iglesias.

Il sera désormais difficile de faire coexister les deux tendances contradictoires. Dans la décomposition/recomposition du paysage politique, une nouvelle épreuve attend Podemos, celle d’une démocratie moins éthérée (les votes par internet) qui permette une cohésion idéologique plus perméable à l’articulation avec les luttes sociales, y compris dans leur dimension européenne. Tout est encore possible, pour autant que cette formation face preuve d’une « longue impatience ». En effet, sans certitude aucune, il se pourrait bien que le processus de délitement de l’Union européenne et de politisation des grèves, manifestations, occupations, recrée un contexte favorable. Si les freins autonomistes, voire indépendantistes notamment en Catalogne, peuvent compliquer l’unité populaire destituante, celle-ci n’est pas, en Espagne, contrecarrée par la prégnance des forces xénophobes et fascisantes. Le souvenir du franquisme demeure dans les esprits comme un retour infréquentable. Le thermomètre électoral a néanmoins montré que la lutte pour l’hégémonie d’une vision de transformation sociale est loin d’être gagnée.

Gérard Deneux, le 19.02.2017    

(1)   Le programme de Podemos est exposé dans l’essai  Podemos, la politique en mouvement (p. 191 à 196) d’Alberto Amo et Alberto Minguez, éditions la Dispute