Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 28 août 2017

Les Bio’Jours en Franche-Comté - 14ème foire éco-bio festive
Face à la fuite en avant d’un capitalisme financiarisé déconnecté du réel qui, dans sa course au profit, s’accapare toujours plus de richesses au détriment du commun,
Il est urgent de ralentir !
Les Amis de l’Emancipation Sociale, les Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté et l’association TERRES vous proposent  films et conférences-débats sur ce thème

LURE -  Vendredi 8 septembre 2017  au cinéma Méliès à 20h30 (3€)
Film suivi d’un débat avec le réalisateur Philippe BORREL
« L’urgence de ralentir » 
Ralentir, c’est repenser notre rapport à la consommation, au travail, aux loisirs, pour retrouver une autonomie en réapprenant à faire et à vivre ensemble. Le changement ne viendra pas d’en haut, des élites de plus en plus hors sol qui nous dirigent vers une catastrophe écologique annoncée, mais bien d’en bas, de chacun d’entre nous, qui collectivement, en France et dans le monde, construisons des résistances et des alternatives.

FAUCOGNEY et la Mer salle culturelle municipale
 Samedi 9 septembre 2017

14h30/16h - conférence-débat              Les limites à la croissance
avec Etienne Mangin
                                                           Association belfortaine d’information sur les limites à la croissance

17h/20h – film et débat                          « L’urgence de ralentir »
                                            en présence du réalisateur  Philippe BORREL

FAUCOGNEY et le Mer  salle culturelle municipale
Dimanche 10 septembre 2017 

11h/13h – conférence-débat       La notion du temps dans les îles du Pacifique
                                      Vie sociale et politique dans l’Etat de Niué
                                                     avec Josef SCHOVANEC
                   Chercheur en philosophie et sciences sociales, spécialiste de l’autisme. Parrain des Bio’Jours

15h/17h – documentaire    « Prise de terres »
                                            et débat sur l’accaparement des terres et les résistances en France, en Inde et au Sénégal
                                            avec les réalisateurs  Patrick et Pascal AUBRY                                                                                                                                                               

17h30/19h – conférence-débat                  Les pesticides en déclin ?
                                     Où en est-on ? Freins, leviers…
avec un représentant de Veille au grain Bourgogne et le témoignage d’une phyto-victime

Les 9 et 10 septembre, les entrées sont gratuites. Participation « au chapeau » selon vos moyens

Contact : aesfc@orange.fr   03.84.30.35.73
PES n° 36 est paru
Ci-dessous l’éditorial ainsi que quelques articles et notamment
Le macronisme existe-t-il ?
Yémen. La guerre ignorée
Salauds de pauvres
En vous abonnant, vous retrouverez l’ensemble du périodique


 Au bord du gouffre ?

Depuis les guerres du Golfe et d’Afghanistan, les interventions militaires se multiplient dans le monde. La déstabilisation des formations sociales dans ces pays, comme dans tous ceux victimes d’un néocolonialisme prédateur, maintenu par des dictatures fantoches, produit l’instrumentalisation régressive des religions et engendre un chaos dont on ne voit ni la fin, ni la finalité. Sur fond d’une concurrence, exacerbée par la mondialisation financiarisée, et de déclin relatif d l’hyperpuissance US, des puissances émergentes font valoir leurs intérêts régionaux. Leurs rivalités dans un nouveau jeu de partage du monde ont fait surgir des dirigeants fantasques, prêts à toutes les rodomontades les plus excentriques. De Trump à Erdogan, de Poutine à May l’anglaise, de Kim Jung Un à l’horrible Bachar El Assad… Tous ces somnambules (1) participent à la balkanisation du monde.
Quant à Macron, le petit qui s’invite dans la cour des grands prédateurs, le pommadé (2) se doit de gérer les guerres et conflits du pré-carré de la Françafrique (Côte d’Ivoire, Mali, Centrafrique, Sahel) tout en soutenant les engagements des Etats-Unis et de l’OTAN au Moyen-Orient. Ces noctambules en s’alliant avec des énergumènes de  pire espèce aggravent encore plus le chaos. Les guerres oubliées du Yémen mais également du Cachemire, pour ne citer que celles-là, où les hôpitaux, les écoles et les infrastructures sont bombardées, tout comme les populations civiles prises pour cibles, en sont de tragiques exemples.
La montée des nationalismes, y compris en Europe, n’est que le revers de la médaille de la mondialisation. Les jeux d’alliances et de sécessions fluctuantes, le retour des forces droitières néolibérales en Amérique latine, illustrent la gangrène de la barbarie qui se répand. Face à la crise du capitalisme financiarisé de 2007-2008, les grands et plus petits dinosaures n’ont tiré aucune leçon sérieuse, sinon celle de la fuite en avant. L’heure de la disparition de ces espèces n’a pas encore sonné.
Il y eut de Seattle aux printemps arabes, en passant par l’occupation massive des places en Occident et en Turquie, l’espoir d’une initiative d’ampleur des peuples susceptible de fendre l’armure de tous ces égocrates. A ces défis, ils ont répondu là-bas par la répression de masse, ici par l’austérité et la précarisation accrues. Et vis-à-vis de l’afflux massif de migrants fuyant la guerre et la misère, par le rejet, l’externalisation en s’alliant au besoin avec les milices maffieuses comme en Libye ou avec Netanyahu afin de légaliser de fait la colonisation rampante et l’enfermement des Gazaouis.
Et pendant ce temps où le dérapage vers la guerre est possible (Corée du Nord) dans le cadre de la montée en puissance de la Chine impérialiste ou dans celle de la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, la « maison brûle » et ils « regardent ailleurs ».
Le réchauffement climatique, conséquence du productivisme industriel carboné s’amplifie, provoque des catastrophes et des migrations incontrôlables. Contre Temer, ce dirigeant brésilien qui vient de décider que l’on pouvait raser une partie de l’Amazonie pour favoriser l’extraction minière lucrative, aphones sont les dinosaures ! Les déclarations grandiloquentes de la COP 21 sont pratiquement restées sans effet.
Au bord du gouffre, les classes ouvrières et populaires, les peuples, se doivent de reconquérir leur autonomie libératrice pour éviter d’être entraînés dans des catastrophes dont elles seraient les premières victimes.

Le 27.08.2017,
(1)   Réf. au livre  Les Somnambules. Eté 1914, comment l’Europe a marché vers la guerre
(2)   Depuis qu’il est président, Macron a dépensé 26 000€ en maquillage !


Le macronisme existe-t-il ?

L’avènement de Macron à la présidence de la République, ainsi que d’une majorité de députés à sa dévotion, ne résulte ni d’un complot, ni d’une volonté ourdie par les classes dominantes. Il est plutôt le produit inattendu de l’interaction entre le rejet du personnel politique d’alternance, la corruption du candidat de la droite et le désaveu du Parti dit Socialiste d’une part, et d’autre part, de l’instrumentalisation politique et médiatique de l’épouvantail Le Pen. De cette dialectique, a découlé à la fois une abstention historique, et Macron, l’apparent moindre mal. Ce qui est sûr en revanche, c’est bien le soutien qui lui fut accordé lorsqu’il apparut que l’effondrement de Fillon, et son entêtement à se maintenir, ne laissaient d’autre solution aux forces économiques et médiatiques. Les ralliements de Bayrou et de tous ceux qui sentirent le vent tourner en attestent. La macromania orchestrée fut comme l’indiquait l’édito du n° précédent de PES, des plus éphémères. Il n’en reste pas moins que le macronisme, dans la conjoncture présente, correspond aux intérêts de l’oligarchie européenne et plus précisément, à ceux du capital financier. Ce bonapartisme de parade est, « en même temps » ( !) autoritariste et fragile : c’est ce que montre un certain nombre de faits que devraient confirmer les coups de boutoir d’un mouvement social d’ampleur pour autant qu’il se produise. En effet, sur ce point, rien n’est assuré et ce,malgré les certitudes largement répandues dans les classes ouvrières et populaires que, décidément, dans le Macron y’a rien de bon ! (1).

Le macronisme, un bonapartisme de parade

Macron représente les intérêts de la fraction dominante de la haute bourgeoisie financiarisée et des grandes entreprises mondialisées. Il est celui qui a réussi à tisser une alliance avec les couches supérieures et moyennes de l’encadrement public et privé, ceux qui bénéficient (ou espèrent bénéficier) de revenus élevés, d’une assurance d’ascension sociale pérenne. Il s’agit de cadres, de professions libérales, de patrons de PME et de start-up et de ralliés à la « modernité » d’une concurrence sans rivage. Cette base sociale et électorale étroite peut-elle s’élargir jusqu’à convaincre, pour le moins, les couches moyennes et inférieures de l’encadrement ? Face aux régressions sociales annoncées, la seule réponse de séduction fut celle d’un autoritarisme proclamé jupitérien, sur papier glacé, avec une morgue affichée à l’égard de ceux qui ne sont pas susceptibles de comprendre « la pensée complexe » de cet homme providentiel ! Il incarne, en effet, ce néo-libéralisme qui entend rassurer les créanciers de l’Etat (2 147 milliards de dettes à honorer) et le patronat et, dans le même temps, maintenir sous le joug toutes les protestations. A cet effet, il dispose de l’arsenal répressif et liberticide légué par Hollande, à savoir cet état d’urgence qui serait transposé, pour l’essentiel, dans le droit commun Il n’empêche, l’inquiétude demeure : à preuve, ces mots du 1er ministre : « Le pays est un volcan qui gronde de plus en plus fort », assortis de la croyance dans la vertu supposée d’une croissance revenue, au terme d’une austérité draconienne. Comment tenir jusque-là ?

Fanfares et mises en scène ! Et ce fut le début du quinquennat d’un grand petit homme : sourires, accolades, poignées de main, embrassades. Merkel, puis Poutine reçu à Versailles comme un tsar, Trump et sa Mélanie choyés devant le défilé des blindés et des légionnaires, puis Netanyahu, l’étrangleur de Gaza, y eurent droit. Macron, invitant dans sa cour les grands rapaces, entendait ainsi figurer dans la nébuleuse des hauts dignitaires de ce monde.

Mais lorsqu’il s’est transformé en capo-chef, humiliant le général De Villiers, faisant comprendre aux militaires qu’ils sont là « pour en chier » en « silence dans les rangs », on entendit une sourde grogne qui n’est pas prête de s’éteindre. Quoi ? Donner 40 milliards à AREVA et rien pour les « bleus-bites » ? Cet outrage révélait le gouffre entre autorité admise et autoritarisme imposé : « Je suis votre chef », « je n’ai besoin de nulle pression et de nul commentaire », « j’aime le sens de la réserve » ; c’était déjà trop et il fallut que le garde-chiourme Castaner, porte-parole du gouvernement, ex-PS rallié, en rajoute, méprisant vis-à-vis de ce général traité de « poète revendicatif ». La mise en scène permanente de cet autoritarisme fut en partie, momentanément, compensée par le ballet des partenaires sociaux, invités à la comédie de concertation sur les ordonnances. Mais, entretemps, la verticalité du pouvoir tentait de s’affirmer par la mise au pas des chefs des administrations centrales de l’Etat et la mise sous tutelle du 1er ministre et des membres du gouvernement. Las, bien qu’il ait affirmé sa volonté de moraliser la vie politique, Macron aux affaires fut très vite empêtré dans les affaires et fut obligé d’exfiltrer des ministres trop compromis. Reste néanmoins, le système hyper-centralisé à l’Elysée, ses compères ultra-libéraux : Kolher ancien directeur de cabinet de Moscovici et Emilien ce strausskhanien, tous passés auparavant qui, chez Rothschild, qui, chez Havas… et cette comm tous azimuts. Las, des journalistes ne jouaient pas le jeu de s’autocensurer. Et Macron, le 3 juillet, trônant devant l’ensemble de la représentation parlementaire (sauf les Insoumis qui boycottèrent cette cérémonie) tenta de masquer qu’il était déjà sur la défensive avec force grandiloquence de creuses généralités. Sa dénonciation du « monde d’avant », celui des « querelles stériles », de « l’opacité », du « clientélisme », des « conflits d’intérêts et de la corruption ordinaire » (diantre !) était aussitôt assortie d’une mise en garde des journalistes irrévérencieux, accusés « d’entretenir la délation, le soupçon généralisé », cette « frénésie indigne » qui détruisait les réputations. Cette défense à peine voilée des Ferrand et autres Modem, éclaboussés par leurs propres turpitudes, n’était que « chasse à l’homme » ? Messieurs les journalistes, de « la retenue », voyons ! Ce centralisme technocratique, outre qu’il doit tenir compte de la rumeur publique et s’attacher à étouffer toute critique, doit faire gober les vieilles ritournelles de ses bonnes intentions à force d’éléments de langage bien creux : « Il faut donner du sens », diffuser la « confiance » dans la « fierté » d’une « ambition » et d’un « pari » pour la France. C’est révéler la fragilité de la posture autoritaire et l’impossible pédagogie des régressions sociales et liberticides annoncées, et ce, même auprès des novices macroniens.

Au terme des 100 premiers jours du quinquennat, ce qui  n’est qu’un bonapartisme d’opérette, révèle déjà ses failles.

Un pouvoir fragile qui se fragilise

A réduire à marche forcée les dépenses, le macronimse apparaît pour l’heure, comme l’art de se mettre à dos les piliers de l’Etat que sont l’armée, la police, la justice et les notables des collectivités territoriales. La solution de rechange du personnel politique et la volonté de disposer d’un parlement croupion, véritable chambre d’enregistrement des oukases présidentiels, rencontrent déjà des obstacles délétères, ruinant la santé des Marcheurs. Certes, certains novices découvrent et s’émerveillent de pouvoir, en leur qualité de députés, disposer d’un budget pour s’acheter, elle, une robe de cocktail, lui, un costard cravate, disposer d’un chauffeur avec voiture 24H sur 24 et voyager gratuitement en 1ère classe, mais pour tous ces cadres issus du privé, si ce n’est pas rien, c’est tout de même affligeant de devoir raboter les indemnités, les fiscaliser, pour faire « moderne » (2). Le Valls nouveau, apprenti godillot devenu, s’est empressé de venir à leur secours en proposant une augmentation… Passe encore l’idée de réduire le nombre de parlementaires puisqu’elle sera appliquée lors de la prochaine législature mais, réduire le temps d’examen des textes et faire preuve d’unanimisme, c’est plus dur. Un député de la droite s’en est même offusqué, révélant la nature du régime : « Sous la 5ème République, c’est en réalité l’exécutif qui légifère et on veut ôter au Parlement son pouvoir de contrôle ». Il faisait référence à la commission des finances, osant inviter le général De Villiers qui, bien que délivré du secret professionnel, aurait dû la fermer. Tout était pourtant prévu pour cadenasser la macronie naissante, aucune dissidence ne devait sourdre, tout devait être sous contrôle, la preuve par le règlement adopté : discipline de vote, dépôt préalable des propositions de loi, des questions écrites auprès de Ferrand (qui se fit très vite remarquer par ses absences, empêtré dans ses affaires de Mutuelle). Interdiction également de s’exprimer librement en dehors du groupe auprès de la presse sans en référer préalablement auprès de la direction du groupe parlementaire afin que leur soient délivrés les indispensables éléments de langage. Enfin, il était déconseillé de déjeuner avec un journaliste ! Pas étonnant qu’en séance, un député marcheur, ayant omis de couper son micro, s’exclame : « On a un groupe qui dort, qui ne monte pas au créneau (contre l’opposition) qui (reste) vautré » ; ça fit désordre dans les rangs. On leur avait dit de la fermer et maintenant, il fallait qu’ils l’ouvrent pour défendre le gouvernement. Et la France Insoumise y mit du cœur à l’ouvrage face aux députés très soumis. Cela inquiéta d’ailleurs le chien de garde médiatique, Olivier Duhamel, qui vilipenda cette opposition qui crée « la pagaille », « casse les codes », « subvertit l’institution parlementaire, ridiculise la démocratie parlementaire ». Et Bechillon, un juriste très gaulliste, macron-compatible, de crier au vandalisme.

Lorsque, contre toute attente, les novices macroniens se réveillèrent, ce fut la pagaille, le bal des esclandres, puis la panique. Il en fut ainsi lorsque certains voulurent, par amendement, faire sauter le système d’ancien régime, le verrou de Bercy. Prenant aux mots l’égalité des citoyens devant la loi, la moralisation (pourtant vite transformée en loi de confiance), ils n’admettaient pas que le Trésor public s’arroge le privilège des poursuites pour fraude fiscale permettant aux gros poissons d’échapper à la justice contre transaction financière discrète. Et pour leur faire entendre raison, il fallut au Président de l’Assemblée recompter trois fois les votes !

Cacophonies, cafouillages dans l’hémicycle, cela pouvait encore se régler mais, hors de cette enceinte, ce n’est pas si simple de faire adopter le vœu d’obéissance entreprenariale.

En effet, Macron et ses plus fidèles affidés ne disposent ni d’une armature organisationnelle, ni d’une cohérence doctrinale assurée. Les branches du renouveau, sur le papier, seraient 373 000 inscrits gratuitement par internet, 32 000 d’entre eux ont fait un don et 2/3 de ces derniers n’ont versé qu’une obole de moins de 60€. Quant aux comités locaux revendiqués, ils brillent par leur inexistence. Et déjà, malgré les référents qui tentent de les maintenir en liberté surveillée, des dissidents se rebellent.

Ainsi, le Collectif en marche a osé déposer un référé au tribunal de Créteil, arguant que les statuts que l’on voulait leur imposer sont antidémocratiques, les délais trop courts pour en débattre, que tout cela est en décalage avec les valeurs (claironnées) de la démocratie participative. Ces naïfs adhérents qui ne veulent pas être réduits à un rôle de supporters ont néanmoins obtenu, par voie de justice, que les délais d’un échange tronqué soient rallongés de deux semaines.

Et que dire de cet autre Collectif des Marcheurs en colère qui s’époumone « contre la toute-puissance des référents départementaux », se déclarant « délégués du personnel  d’une entreprise qui va mal » dont le conseil d’administration serait composé d’élus, de référents et de 25% des inscrits… tirés au sort. Peut-être, comme l’affirme la DRH Barbaroux, directrice par intérim, ne s’agit-il que de crispations minoritaires ? Les 20.5 millions d’euros qu’empochera la République en Marche dès 2018, suite aux scores électoraux, les résorberont-elles ? A voir. L’inexistence du macronisme, en incapacité d’obtenir un consentement durable, s’est déjà illustrée dans l’importance de l’abstention et des votes nuls lors des élections et depuis, dans l’impopularité de Macron, qui bat les scores de Sarko et de Hollande. Alors !

Peut-on mettre à terre Jupiter ?

La défiance est toujours là et ne cesse de s’accroître. Entre 2013 et 2016, les sondés jugeant que les politiques sont corrompus sont passés de 62 à 77%, 89% estimaient qu’ils agissent principalement pour leurs intérêts. 48% qu’il faut renforcer la protection des salariés, 8% qu’il faut au moins conserver les acquis sociaux, 76% que le système dit démocratique fonctionne mal… Et ni les affaires de l’entourage de Macron, ni la morgue de l’intéressé ne vont consolider son entreprise. A preuve, lorsqu’interrogé sur son escapade illicite (pas d’appel d’offres) et coûteuse (plus de 300 000 euros), à Las Vegas, l’hautain condescend à répondre qu’il ne s’abaisse pas à « commenter les péripéties du quotidien » (sic). Toutes ces casseroles risquent de brouiller les images complaisamment répandues : Macron qui fait du tennis en fauteuil roulant, de la boxe mimée ou encore son hélitreuillage sur le sous-marin le Terrible. Elles ne suffisent pas à tarir la défiance dont il est l’objet. De fait, la pérennité techno-macronienne ne repose que sur le consentement passif de la grande masse des exploités, dominés et stigmatisés, qui se décline en renoncement, découragement, ressentiment, dépolitisation et retrait abstentionniste électoral et social. La peur répandue par la médiatisation des attentats et l’absence d’une alternative crédible et partagée y contribue.

Toutefois, comme la mobilisation contre la loi El Khomry l’a montré, ce consentement à l’austérité et à la régression sociale est des plus précaires. Le dégagisme électoral peut très bien prendre pour cible les macroniens. Il suffirait d’une mobilisation massive reflétant la volonté venue d’en bas de se rendre ingouvernable. Encore faut-il au-delà des défilés que surgissent des lieux de débats, organisant l’insubordination, le soutien et la coordination des luttes avec un objectif clair : y’a rien  à négocier dans les reculs proposés. Non seulement il s’agit d’obtenir l’abrogation des lois régressives et liberticides mais aussi d’avancer des revendications répondant aux besoins des travailleurs : travailler moins pour travailler tous et, pour ce faire, mettre à terre Jupiter. Le mouvement, s’il a lieu, doit se défier des négociateurs complaisants, mais aussi des socialauds et autres récupérateurs intéressés à ce que rien ne change fondamentalement. La question de la capacité des travailleurs en lutte de se doter d’organisations autonomes, indépendantes, sera cruciale pour obtenir de nouveaux acquis sociaux (les 32 H) mais également un changement de régime. Le peut-il ? Rien n’est moins certain car il faudrait qu’il s’empare d’autres questions tout aussi primordiales : la dénucléarisation, la fin des interventions militaires à l’étranger, une Constituante…

Ce cheminement vers une alternative du Bien commun, du Bien vivre décemment pour tous, pour l’émergence d’un autre mode de production et de consommation, d’une expropriation des actionnaires des grands groupes capitalistes, doit être jalonné d’une prise de conscience à la hauteur des enjeux. C’est là qu’on attend ceux qui, bien trop minoritaires, les militants de l’émancipation sociale, peuvent épauler le mouvement, le conduire le plus loin possible vers des victoires assurées. Dans la période de « droitisation du monde » c’est d’un basculement social dont nous avons besoin. Et la conjoncture semble favorable.

Gérard Deneux, le 22 août 2017


(1)   prochain article à paraître : « Y’a rien de bon dans le Macron » dans lequel seront recensées les propositions régressives de Macron
(2)   actuellement, l’indemnité de député est de 7 210€/mois et l’indemnité représentative de frais de 5 240€/mois, ce dernier revenu devrait être délivré aux frais réels.


De quelques casseroles macroniennes

Pénicaud, ministre du travail, chargée de casser le Code du Travail, possède un cynisme à toute épreuve. Cette ancienne DRH de chez Danone a réussi à spéculer sur les licenciements programmés dont elle était chargée. Assurée que les actions du groupe allaient s’envoler, liquidant ses stock-options au bon moment, elle s’est assurée un pactole de 1,13 million d’euros. Ses actions achetées 34,85€ l’unité ont été revendues à 58,41€. Bref, en une journée, elle a empoché ce que gagnent des milliers de smicards. Conflit d’intérêt ? Cachez ce business que je ne saurais voir !
C’est à cette experte que Macron a confié l’organisation d’une soirée chic à Las Vegas le 6 janvier dernier. Monsieur, pas encore candidat, entendait polir son image de moderne techno adepte des start-up. L’encore ministre de l’économie de Hollande prétendait ne pas se soucier de l’intendance. Madame Pénicaud se dévoua pour gérer cet escapade confiée, sans appel d’offres, à l’agence Havas. Cette opération était pourtant sous la tutelle de trois ministères ( !) et organisée par « Business France », une agence de l’Etat… chargée de la promotion de la France. Coût estimé : 300 000€ dont une subvention du Medef de 65 000€ qui n’arriva jamais. Qu’importe que la mise ne concurrence s’avère obligatoire, au seuil de 207 000€ ! 
Mais les avanies macroniennes ne s’arrêtent pas là. L’hôtel réservé à Las Vegas a exigé, sur place, un acompte de 30 000 dollars. Et Henri Joux, directeur financier de Business France dut payer avec sa carte pour éviter l’annulation. En outre, la salle de réception, prévue pour accueillir la ribambelle d’invités, s’avéra trop petite car Macron avait multiplié les convives. De 150 ils furent 800. Rocambolesque ? On ne connaît toujours pas la facture finale. Reste une information judiciaire confiée au juge Van Ruymbeke pour « favoritisme et recel de favoritisme ». Difficile la moralisation dans la confiance !   

Encore ne faudrait-il pas remettre la cerise sur le gâteau… et un sarcasme. Le devis de l’hôtel The Venetian était de 28 528 dollars comprenant les frais de bouche pour 500 invités pour une durée de 4 heures. Pas satisfait, le cabinet Macron choisit finalement un hôtel plus class. Coût accepté : 87 160 dollars. Le 10 juillet dernier, Castaner, porte-parole du gouvernement, était légèrement embarrassé et obsédé par les mensonges répétés de la ministre Pénicaud. Il eut ce lapsus révélateur, l’appelant Muriel Pinocchio. Ce n’était certainement pas pour son nez trop long. A suivre…

Environnés par le spectre de la mort
Engendrés par les guerres
Pourchassés par le vent du désespoir
Ils se fraient un passage dans les ténèbres
Ils s’avancent en titubant
Avides de paix et de lumière
A la recherche d’un asile sûr

Mais là-bas se dressent d’infâmes murailles géantes
A contourner ou à franchir
Sans s’affranchir de la peur de l’inconnu
La fatigue les lamine sans merci
La faim leur entaille les tripes
La soif leur tenaille le gosier
Et autour d’eux sans cesse rôde l’épouvante

Le point de non-retour est déjà atteint
Mais quand les exterminateurs seront-ils à jamais anéantis ? 



Maggy De Coster
Poète française d’origine haïtienne.
Extrait de son dernier recueil
Les versets simplifiés du soleil levant
(ed. du Cygne, Paris, 2017)





« Salauds de pauvres !»

Pendant la campagne électorale présidentielle, les discours anti-pauvres et anti-immigrés ont fleuri. La « pauvrophobie » liée souvent à « l’immigraphobie » prend diverses formes : de la culpabilisation des chômeurs qui se complairaient dans l’assistanat sur le dos de ceux qui travaillent, aux arrêts anti-mendicité édictés par plusieurs villes, jusqu’aux incendies volontaires de centres d’hébergement. Pour combattre les idées reçues… et répandues, ATD Quart Monde a publié « En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté »(1), rappelant quelques évidences… trop souvent oubliées par les colporteurs de préjugés.

Préjugé n° 1 : les pauvres pourraient travailler s’ils le voulaient. Près des 2/3 des Français seraient convaincus que « si l’on veut travailler, on trouve ». Les ex-ministres du Travail Rebsamen et El Khomri ont déclaré, pour le premier que 400 000 postes, pour la seconde 300 000, étaient « abandonnés » chaque année faute de candidats.
CQFD - Ce qu’il faut dire : Ce qui freine la reprise d’emploi, c’est le manque de moyens de transport, de formations adaptées, de modes de garde accessibles pour les enfants, les problèmes de santé et surtout le manque d’emplois décents et suffisamment rémunérés. Les personnes pauvres sont aussi victimes de discrimination à l’embauche : à qualification égale, un Français perçu comme étant « d’origine immigrée », postulant pour un emploi, a 5 fois moins de chance qu’un autre d’obtenir un entretien. Une personne qui fait apparaître sur son CV un emploi en insertion ou un domicile en foyer d’hébergement a également moins de chance de décrocher un rendez-vous. Entre 2007 et 2011, un demi-million de personnes ont renoncé à un poste en raison de problèmes de logement et du surcoût de la mobilité exigée. Il y a enfin des offres d’emploi farfelues : par ex. une heure de ménage par semaine, en pleine campagne, le dimanche.

Préjugé n°2 : les pauvres ne paient pas d’impôts alors que les classes moyennes seraient matraquées par le fisc ?
CQFD : Oui, les personnes en situation de pauvreté échappent à l’impôt sur le revenu. Elles paient cependant comme tout le monde le principal impôt, la TVA, sur tous les produits et services qu’elles achètent, qui constitue 50% des recettes fiscales de l’Etat. Les célibataires gagnant plus de 10 700 €/an (plus de 892€/mois) paient aussi la CSG et la CRDS, contribuant au financement de la sécurité sociale.
Résultat : les 10% de la population française qui ont les revenus les plus bas paient en moyenne 40% d’impôts quand les 0.1% les plus riches en paient environ 35%. Une personne avec 1 000€ de revenu/mois contribue aux cotisations sociales, aux impôts sur la consommation, à l’impôt sur le revenu qui mobilisent une proportion beaucoup plus grande de ses maigres revenus que les 0.1% les plus aisés (plus de 250 000€/an). Et ces données ne prennent pas en compte les niches fiscales, permettant aux plus hauts revenus de diminuer encore leur taux d’imposition.

Préjugé n° 3 : Les pauvres touchent des aides indûment ou fraudent massivement.
CQFD : Si elle est bien réelle, la fraude aux prestations sociales est très faible par rapport aux autres types de fraudes. En 2016, la fraude au RSA a coûté 100 millions€ à l’Etat, soit 30 fois moins que la fraude fiscale qui a amputé le budget de la France de plus de 3 milliards€. Et 168 fois moins que la fraude patronale aux cotisations sociales, estimées par la Cour des comptes à 16.8 milliards en 2012. La fraude douanière coûte, elle, plus de 400 millions€.
Les fraudes aux prestations familiales sont estimées à 1 milliard€. A ce chiffre, il faut les 11 milliards/an d’économies de l’Etat du fait des non-recours à ces prestations, soit 5.3 milliards pour le RSA, 4.7 milliards pour les prestations familiales et le logement, 828 millions pour l’allocation personnalisée d’autonomie ». Nombre de personnes renoncent à leurs droits du fait de la complexité des démarches, de leur dématérialisation croissante, de la volonté de ne pas dépendre de l’aide publique, du manque d’information…   

Préjugé n° 4 : les pauvres profitent des logements HLM et du RSA.
CQFD : 65% des familles vivant dans la pauvreté sont logées dans le parc privé, souvent dans des logements dégradés et surpeuplés et ce, du fait du coût sans cesse croissant des logements HLM. La part du loyer et charges dans les revenus des locataires HLM est passé de 16% en 1984 à 23% en  2011.
On ne peut pas gagner plus avec le RSA qu’avec le Smic. Le montant du Smic net mensuel est de 1 144€ (2016), celui du RSA de 525€ (461 en cas d’aide au logement). Un couple avec 2 enfants de moins de 14 ans, percevant chacun le RSA et une aide au logement vit avec 1 523€/mois. S’ils travaillaient chacun payé au Smic, ils gagneraient 2 211€/mois soit une augmentation de 45%. Non, les pauvres ne font pas d’enfants pour s’enrichir. Le taux de fécondité des familles ouvrières françaises est à peine plus élevé que celui des familles cadres : 2,3 enfants contre 2,2 !

Préjugé sur les immigrés. Ils viennent massivement en France pour  l’aide sociale.
CQFD : entre 1975 et 2013, l’immigration a augmenté de 1,4 point. De 6.6% en 1931, la part de la population immigrée est passée à 7,4% en 1975 à 8,8% en 2013. Nous sommes très loin des 23% qu’imagine une partie des Français. La France a accueilli très peu de réfugiés syriens, ils ont été seulement 10 000, entre 2011 et 2015, à obtenir le statut de réfugié, soit 2 000 en moyenne/an alors que l’Allemagne en a accueilli plus d’un million rien qu’en 2015 ! La France n’attire guère : en 2014, elle a rejeté 83% des demandes d’asile, de plus, les demandeurs sont soumis à des démarches complexes, opaques, sans droit de travailler, sans autre aide que la faible allocation pour demandeur l’asile (200 à 340€/mois) et l’aide médicale de l’Etat. Il n’y a pas d’accès automatique aux aides sociales : pour prétendre au RSA, ils doivent être titulaires depuis au moins 5 ans d’un titre de séjour les autorisant à travailler ; pour le minimum vieillesse, il faut un titre de séjour depuis 10 ans avec autorisation de travailler et résider régulièrement en France. Personne ne peut donc débarquer en France et toucher le minimum vieillesse ou le RSA du jour au lendemain.

Rien de tel pour répondre à ceux qui  répandent la peur et la haine du pauvre et de l’immigré.

Signalé par Alain Mouetaux


(1)   Edition 2017, de Claire Hédon, Jean-Christophe Sarrot, Marie-France Zimmer,  éd. l’Atelier  
Yémen. La guerre ignorée.

La guerre subie par les Yéménites depuis mars 2015 n’intéresse guère les médias qui, lorsqu’ils en parlent, n’expliquent rien des enjeux et des raisons de ce conflit, qu’ils nomment « guerre civile ». Après deux ans d’affrontements entre ceux du nord et ceux du sud, le Yémen se retrouve, aujourd’hui dans une guerre entre puissances pour le contrôle d’un territoire hautement stratégique. L’Arabie Saoudite entend conserver la maîtrise économique et commerciale sur la péninsule arabique et ne pas laisser le leadership à l’Iran. Et, voilà que l’on nous parle de guerre de religion, sunnites contre chiites. Les appels désespérés des ONG encore présentes là-bas, dénonçant les conditions sanitaires catastrophiques et l’attente des aides humanitaires pour sauver les populations, ne font l’objet que de flashs rapides, pour nous parler du choléra comme d’une calamité honteuse. Seules les associations militantes s’intéressent à ce bout du monde, poudrière de la péninsule. Il est temps de  s’interroger sur ce qui se passe là-bas, en commençant par un retour sur l’histoire du Yémen, en examinant les forces en présence et enfin dénoncer le désintérêt de la communauté internationale, sur les morts, les destructions des structures sanitaires et économiques infligées aux populations civiles par ceux qui, sous couvert de l’ONU, bombardent pour la paix !

Retour sur l’histoire

Une longue lutte pour l’indépendance du Yémen Nord et du Yémen Sud.
Le Yémen est sous domination ottomane jusqu’en 1918. Sa situation géographique attise les convoitises, notamment pour sa partie littorale au sud. Aden, le grand port du Yémen sud, contrôlé par les Ottomans depuis 1517, devient, en 1839, colonie britannique, sur la route commerciale avec les Indes.

En 1918, la révolte des imams zaydites contraint le pouvoir ottoman à accorder l’autonomie à  ceux qui peuplent une partie des montagnes au Nord. Le royaume mutawakkilite est instauré, par l’imam Yahya, et ce jusqu’en 1962 ; il marque la fin de la domination turque. Cela ne s’est pas passé sans douleurs, notamment après la création, en 1932, du royaume wahhabite d’Arabie Saoudite qui a prétention à étendre son territoire : Ibn Saoud, en 1934, envahit le Yémen et s’approprie 3 provinces du nord.
En 1962, un coup d’Etat mené par des officiers nasséristes renverse l’imam-roi. Ils prennent le contrôle de Sanaa et déclarent la République Arabe du Yémen (qui durera jusqu’en 1990). Saleh en prend la tête en 1978. C’est le début d’une guerre opposant les nationalistes arabes, soutenus par la République arabe unie (Egypte et Syrie) et les royalistes d’Al Badr, soutenus par l’Arabie Saoudite et la Jordanie. Le conflit s’atténue, sans toutefois s’éteindre définitivement, avec le retrait des forces égyptiennes en 1967, le départ des forces britanniques d’Aden en 1967 et la reconnaissance en 1970 de la République arabe du Yémen par l’Arabie Saoudite.

50 ans après le Nord, le Yémen sud devient indépendant : la République démocratique populaire du Yémen, se revendiquant du marxisme, est instituée en 1970 (jusqu’en 1990).

Une unification du nord et du sud à marche forcée. La République du Yémen est déclarée le 22 mai 1990 mais, face aux factions rivales au nord et au sud, entretenant les mouvements de révolte et de sécession. Dans les faits, elle sera imposée en 1994, suite à une ultime tentative sécession du sud, défaite par l’armée du nord, alliée à des milices islamistes et tribales, hostiles aux socialistes. Les leaders sudistes furent exilés, Aden mise à sac… mais la République du Yémen advint : Saleh en sera le président (jusqu’en 2012), Sanaa (au nord), la capitale et le président du Sud, 1er  ministre.

Le feu ne s’est jamais éteint. Dans cette période, toutefois, les conflits restaient ancrés dans des logiques tribales locales et ne se revendiquaient pas de conflits confessionnels, ce qui va changer, notamment à partir de 2001 et de la folle chasse, sans fin, menée aux djihadistes par les USA soutenus par leurs alliés locaux, celle-ci entretenant le développement de l’autre, celui des mouvements djihadistes au Moyen-Orient. En 2009, l’armée saoudienne intervient au nord-Yémen, opération « Terre brûlée » contre l’insurrection des Houthis, Riyad voulant protéger sa frontière qui serait menacée par les chiites pro-iraniens ; le conflit s’insère, dès lors, dans un affrontement entre les deux puissances régionales, Arabie Saoudite et Iran.

Réapparaissent alors les conflits non éteints, la République du Yémen, n’ayant pris aucune mesure pour lutter contre les inégalités sociales et économiques entre le nord et le sud, dans un contexte, après l’unification, de déstabilisation de la société yéménite, d’affaiblissement de ses structures traditionnelles et du rôle fédérateur des tribus. En 2004, des chiites zaydites (nord) entrent en conflit avec Saleh, le président étant perçu comme inféodé aux USA, dans la guerre contre le terrorisme : la guerre de Saada durera jusqu’en 2010. S’engouffrent, dans cet imbroglio de forces en présence, les mouvements djihadistes : naissance de l’AQPA – Al Qaida dans la Péninsule Arabique- fusion d’Al Qaida saoudienne et yéménite. La guerre a aussi ouvert la porte à l’OEI –Organisation de l’Etat Islamique- qui revendiquera des attentats et assassinats contre les forces de sécurité du président Hadi en 2015.

Vague d’espoir : le « printemps yéménite » en janvier 2011 à Sanaa rassemble des mouvements progressistes, dans la vague des « révolutions » arabes et des revendications sociales au nom de la Justice, de la Dignité et de la démocratie. Les Houthis rejoignent les manifestations. Saleh sera contraint à signer un accord de transition en novembre, prévoyant son départ en la faveur de Hadi (vice-président). En janvier 2012, des milliers de manifestants réclament le départ de Saleh, Hadi est élu président par intérim (99.8% des voix). Un gouvernement de coalition avec le parti islamiste Al Islah est formé. Mais, comme dans d’autres pays arabes, le soulèvement s’enlise dans le processus politique mis en place par le pouvoir : la conférence de dialogue national, chargée d’écrire une nouvelle Constitution est au point mort. Par ailleurs, la situation économique du pays est catastrophique, au point qu’il doit solliciter une aide internationale. En mai, Hadi entreprend une offensive contre AQPA, qui revendique aussitôt un attentat-suicide à Sanaa (plus de 100 morts). C’est la spirale du chaos. En 2014, la conférence de dialogue national préconise l’instauration de 6 provinces, provoquant le total désaccord des Houthis qui exigent, notamment, l’accès du nord à la mer Rouge. C’est l’impasse.

Le début d’une nouvelle guerre « civile ». Le 21 septembre 2014, les rebelles houthis, qui réclament plus d’autonomie pour leur gouvernorat au nord-ouest, conquièrent la capitale Sanaa, Hadi démissionne et fuit à Aden (d’où il retire aussitôt sa démission). En mars 2015, les Houthis et Saleh (qui s’est rallié à ses anciens ennemis) prennent Taez (3ème ville du Yémen) et le port de Mocha (sur la mer Rouge) puis la base aérienne et l’aéroport d’Aden. Hadi s’exile à Riyad, les Houthis contrôlent tout l’ouest du pays.
Le 26 mars 2015, l’Arabie Saoudite prend la tête d’une coalition internationale (1) pour bombarder massivement le pays. C’est l’opération « Tempête décisive », déclenchée sous l’égide de l’ONU, aux fins de rétablir le président Hadi et de neutraliser les Houthis, accusés de mener une révolution chiite dans le cadre d’un «complot iranien ». En fait, elle mène une propagande saoudienne anti-chiite, alimentant les tensions, et ce, pour sécuriser le détroit de Bab el Manbed, 4ème passage maritime le plus important au niveau mondial en termes d’approvisionnement énergétique.  
L’Arabie Saoudite inscrit sa guerre contre le Yémen dans le théâtre médiatique d’une guerre irano-saoudienne. Il s’agit pour elle d’assurer son leadership régional tout en contrant l’emprise djihadiste qu’elle a elle-même favorisée. Pour leur part, le Conseil de sécurité de l’ONU semble impuissant. Quant au Royaume Uni, à la France et aux Etats-Unis, ils fournissent à la coalition, armes et aide en matière de renseignement militaire.
En avril 2016, des négociations de paix ont lieu sous égide des Nations Unies. Les forces yéménites et les soldats émiratis et états-uniens reprennent aux rebelles du nord, Al Mukalla, la capitale du gouvernorat de l’Hadramaout : importante « prise de guerre », cette ville se situe à la frontière saoudienne, et Riyad envisage d’y construire un oléoduc pour exporter du pétrole sans passer par le détroit d’Ormuz !

Les civils, hommes, femmes et enfants qui meurent tous les jours, sont de peu de poids dans les choix stratégiques d’intervention de la coalition « pour la paix » ( !). En janvier 2017, l’ONU recense 10 000 morts (dont 50 % de civils), ces chiffres sont sous-estimés et ne prennent pas en compte les victimes indirectes (famine, maladie), l’OMS déclare que 80% de la population a besoin d’une aide humanitaire d’urgence, le retour du choléra (en avril 2017) fait des morts par milliers… Qui s’en émeut ?

Luttes de pouvoir et alliances mouvantes

Les Houthis sont issus de la minorité zaydite chiite, au nord du Yémen. Ils s’opposent au président Hadi et à ses alliés islamistes sunnites et tribaux du parti Al Islah. Ils n’ont jamais accepté la fin du régime millénaire de l’imamat zaydite. Ils inscrivent donc leurs luttes contre le pouvoir central, contre la République instaurée en 1962, en nostalgie du pouvoir royaliste. Le renouveau zaydite s’opère dans les années 1980, conséquence des pratiques discriminatoires du régime républicain, vis-à-vis des bastions royalistes zaydites, les oubliés du développement qui sont très présents notamment dans la ville de Saada (au nord-ouest). En 2004, on l’a lu précédemment, Saleh tente d’arrêter le leader Al Houthi, et enclenche la guerre de Saada. Résultat : des dizaines de milliers de victimes, des bombardements destructeurs, 200 000 réfugiés ignorés de la communauté internationale ; tout cela renforça l’ancrage du mouvement zaydite, d’autant que l’Etat, défait, dut se résoudre à laisser les Houthis exercer le pouvoir autour de Saada. Autonomie qui s’accrut en 2011 quand les Houthis décidèrent de soutenir le « printemps yéménite » au nom de l’anti-impérialisme, face à l’ingérence des USA dans la lutte contre le terrorisme. En 2015, ils s’opposent au président Hadi et à ses alliés islamistes sunnites et tribaux du parti Al Islah ; ils dénoncent les dévoiements du pouvoir et sa faillite économique, tout en s’appuyant sur leur ennemi d’hier, Saleh, qui a conservé son réseau de relations politiques et militaires, ce qui permet aux Houthis de tenir la capitale, de réprimer l’opposition, les intellectuels indépendants et les acteurs islamistes sunnites.

Le front sud, contre les Houthis, est plus divisé. Soutenu par la coalition menée par l’Arabie Saoudite, il compte : le mouvement séparatiste du sud Al Hirak, le parti sunnite Al Islah et multiples groupes islamistes sunnites ; tous contestent radicalement l’unification de 1990 et ont mené campagne contre le président Hadi, sapant son autorité, en dénonçant le maintien d’un déséquilibre politique et économique en faveur du nord. La coalition, quant à elle, est divisée sur l’avenir du Yémen : Riyad veut remettre Hadi au pouvoir et s’appuyer sur les mouvements islamistes sunnites ; les Emirats Arabes Unis, tout en ne voyant pas d’un bon œil le parti Al Islah, proche des Frères Musulmans, se reposent plus sur le mouvement sudiste et recherchent le compromis pour sortir d’une impasse où les forces militaires émiriennes font la grande part de travail de terrain, même si, Emiratis et Saoudiens emploient des mercenaires fournis notamment par la société militaire privée américaine Academi (ex-Blackwater) (cf encart 1).

Les griefs entre Nord et Sud rendent compte de l’échec du processus d’unification : le summum fut l’occupation houthiste d’Aden, au sud. Mais la confrontation armée entre militants du sud et ceux du nord n’est pas nouvelle. En 1976 et 1979, deux conflits avaient abouti à un statu quo jusqu’à l’unification, apparaissant aussi comme le résultat d’une crise au leadership socialiste du Sud, qui, lors d’une purge interne, en un mois, janvier 1986, fit plus de 10 000 morts. Il y eut aussi la sécession sudiste de 1994 défaite par l’armée du nord, alliée à des milices islamistes et tribales hostiles aux socialistes. Saleh et ses alliés ont monopolisé les ressources politiques et économiques et généré un sentiment de marginalisation au sud. La privatisation des terres (après la chute du régime socialiste) a largement bénéficié aux élites du nord. Le Sud est lui-même divisé, les islamistes sunnites, antisocialistes, ont contribué à l’effort de guerre de Saleh contre les sécessionnistes. De plus, dans la guerre contre le terrorisme, Saleh cible les bastions djihadistes au sud, d’où des tensions renforcées.

Bref, si la guerre de 2015 est le fruit de l’échec de la transition politique entamée avec le soulèvement de 2011, elle est aussi le lieu de confrontation des puissances extérieures pour leurs intérêts stratégiques qui font et défont les alliances des forces internes au Yémen.

Le conflit actuel est un abcès de fixation des tensions régionales. La « paranoïa » saoudienne du «complot iranien » porté par les Houthistes, ne doit pas nous faire ignorer que la capacité militaire des Houthis s’est accrue il y a quelques mois pour menacer les villes saoudiennes avec des missiles de longue portée ou pour endommager, avec des drones maritimes, un navire militaire saoudien en mer Rouge.    

 Quelle issue à la guerre pour les Yéménites ?

La crise humanitaire s’intensifie, le front militaire est enlisé, les perspectives après 24 mois de guerre ne sont guère encourageantes et ce, dans la quasi-indifférence de la communauté internationale.

La situation civile et sanitaire est catastrophique : 80% des 28 millions d’habitants ont  besoin d’un aide alimentaire urgente, les civils des deux côtés sont victimes de cette guerre oubliée. Le pays est fermé aux journalistes, interdits par l’Arabie saoudite d’emprunter les vols humanitaires. Les ONG s’interrogent sur les risques qu’elles font prendre à leurs personnels. Les aides en médicaments et aliments ne parviennent pas aux populations. Le dédoublement de l’Etat, et notamment le rapatriement de la banque centrale de Sanaa vers Aden en 2016, a privé des Yéménites du nord de leur salaire…. Les armes, par contre, continuent d’entrer sur le territoire. De cette guerre, les pays occidentaux s’en lavent les mains, en en étant complices par la vente d’armes aux pays du Golfe.

Pour l’heure, la localisation géographique du Yémen limite la capacité des civils à fuir le pays, d’autant que la société majoritairement rurale permet encore de se nourrir. Ainsi les réfugiés yéménites sont-ils encore peu nombreux (environ 300 000) hors du pays et convergent faiblement vers l’Europe. Car, la grande peur des dirigeants européens réside uniquement dans la mise en branle vers l’Europe de réseaux migratoires qui verraient les Yéménites se joindre aux Soudanais du sud, aux Erythréens et autres Africains prêts à tout pour traverser la Méditerranée… Plus la guerre dure, plus la pression des réfugiés va s’accroître mais, l’on assiste, de la part des dirigeants des pays européens, à la politique de l’autruche… ce qui leur évite, également, de constater que les djihadistes (OEI notamment), qu’ils disent vouloir combattre par ailleurs, se renforcent sur ce terreau de misère humaine. « Les ingrédients sont dès lors réunis pour faire du Yémen un front central du djihad international » (Laurent Bonnefoy)

L’Iran limite son implication, l’orientant vers un soutien logistique. La Russie ainsi que les grandes puissances occidentales n’ont pas fait du Yémen un terrain d’affirmation de leur puissance, ce qui laisse entendre une certaine indifférence de la communauté internationale (cf encart 2), tant que ses intérêts stratégiques et économiques ne sont pas menacés. L’ONU et son représentant Ismail Ould Cheikh Ahmed verra toutes les tentatives de paix achopper tant qu’il fera peser l’entière responsabilité du  conflit sur les Houthistes et Saleh, empêchant l’émergence d’une alternative politique au président Hadi.

L’unité yéménite n’est plus qu’une fiction et il deviendra de plus en plus impossible de recoller les morceaux, l’alliance entre les Houthistes et Saleh ne faisant, pour l’heure, l’objet d’aucune faille, le mouvement sudiste voyant dans la guerre une occasion d’acter la séparation pour laquelle il se bat depuis plus de 10 ans. Car, « la guerre yéménite n’est pas celle d’une guerre entre un camp révolutionnaire et un autre contre-révolutionnaire, mais entre deux factions en opposition avec les aspirations fondamentales pour lesquelles la jeunesse du Yémen s’est soulevée en 2011. L’intervention saoudienne soutient une faction pour des considérations strictement liées à la sécurité du royaume »(2) et au contrôle de la péninsule arabique.

Qui est en capacité de changer de stratégie dans le conflit, de prôner un abandon de l’option militaire et de favoriser l’émergence d’un nouveau leadership, offrant aux Yéménites un horizon sérieux pour la reconstruction ? Ce qui n’est pas une mince affaire ! Il faut d’abord que «…tous ceux qui manifestent la volonté de faire revivre le processus révolutionnaire lancé par le « printemps arabe » condamnent l’assaut réactionnaire tombant du ciel, quel qu’en soit l’origine. C’est l’un des aspects indispensables de la construction dans le monde arabe d’un pôle progressiste indépendant de tous les pôles et axes des anciens régimes arabes et de leurs concurrents réactionnaires. C’est la condition indispensable si l’on veut que la révolution arabe surgisse à nouveau et reprenne la marche qu’elle a engagée. Sans cela il n’existe pas d’espoir de dépasser la situation catastrophique dans laquelle la région a plongé » (2). La guerre au Yémen s’inscrit dans une contre-révolution globale qui a commencé avec l’unification forcée de ce pays. Elle s’est réactivée avec les printemps arabes et la volonté des pays du Golfe, Arabie Saoudite en tête, d’instaurer une hégémonie globale sur la région avec l’assentiment des Etats-Unis.

Odile Mangeot, le 23 août 2017

(1)   Arabie Saoudite, Egypte, Soudan, Emirats Arabes Unis, Maroc, Jordanie, Koweït, Qatar (qui en sera banni en 2017), Bahreïn
(2)   Gilbert Achcar, auteur de nombreux livres sur le Moyen-Orient sur le site alencontre.org/ 

Sources : Manière de Voir, le Monde Diplomatique, De l’Arabie Saoudite aux émirats. Les monarchies mirages  n°147 juin-juillet 2016 (Laurent Bonnefoy), les clés du Moyen-Orient, A l’encontre, le Monde (reportage des envoyés spéciaux Jean Philippe Rémy et Olivier Laban-Mattei, du 1 au 5 août 2017


Encart 1
A Taëz, sur la ligne de front
« … les Houthistes ne sont pas loin. Il y a des checkpoints partout, qui changent selon les jours, contrôlés par une multitude de milices, une préfiguration du puzzle des groupes armés de toutes sortes qui constitue le camp anti-houthiste à Taëz. Une bonne source en ville les a comptés : 35 formations au total. Il y a des salafistes, comme Abou Al-Abbas, des groupes liés au parti politique Al–Islah (proches de Frères musulmans)…, des éléments de l’armée régulière, la 35ème brigade et enfin des djihadistes d’Al Qaida ainsi que certains éléments appartenant à l’organisation Etat Islamique (EI). A cela s’ajoutent divers groupuscules dont les affiliations peuvent changer selon les circonstances… » le Monde 2.08.2017


Encart 2

Dans le golfe d’Aden « La coalition a ses avions dans les airs, ses navires en mer et, au sol, un peu de troupes auprès des Yéménites restés fidèles au président Hadi, en plus de celles du Soudan et, dans certains cas, de mercenaires. Au large, tout est fait pour que la guerre au Yémen ne perturbe pas le passage des porte-conteneurs et le commerce mondial. Sur la côte, en revanche, tout bloque. Il ne reste aux rebelles houthistes que le port de Hodeïda pour décharger des marchandises avec des grues. Or, la coalition saoudienne a annoncé à plusieurs reprises vouloir poursuivre son opération « Flèche d’or » entamée début 2017 sur les rives de la mer Rouge jusqu’à s’emparer de ce port, et ainsi asphyxier le réduit houthiste dans les régions montagneuses du Yémen. Plus de 18 millions de personnes sont déjà coincées dans cette immense nasse. Les Nations Unies supplient qu’on leur confie le soin d’administrer Hodeïda, pour éviter le cataclysme humanitaire qui menace déjà. Les deux tiers de la population de l’Etat le plus pauvre du monde arabe sont dépendants d’une aide humanitaire qui parvient peu et mal dans l’ensemble du pays, désormais en proie à la plus grosse épidémie de choléra de la planète… » le Monde  01.08.2017