Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 26 avril 2020


Europe. Virus de la discorde et de la haine

(édito de Gérard Deneux dans  PES n° 62 - avril 2020)

On sait que l’Europe est un grand corps malade des marchés financiers et de l’austérité imposée. Nombre de ses membres sont asphyxiés par leurs dettes, par le corset des règles budgétaires, par l’introduction de la monnaie unique au sein de pays inégaux. Avec la gangrène du coronavirus, la discorde s’est amplifiée, entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, sans parler du Brexit qui est loin d’être réglé.

Dans cette Europe de la marchandisation, des tabous ont sauté. Les interventions des Etats dans l’économie, hier interdites, sont permises, les fameuses règles butoirs controversées, contournées, sont désormais mises au rencart : on était déjà bien loin des 3 % de déficit annuel et des 60% de dettes par rapport au PIB dans de nombreux pays ! Même la prude Allemagne a rayé d’un trait de plume l’article de la Constitution imposant zéro déficit. C’est dire que la situation est grave et que, désormais, prévaut le chacun pour soi.

Ce qui s’est joué le 9 avril est révélateur de la concurrence exacerbée qui s’annonce entre les membres désunis de l’Europe. Après un psychodrame de deux semaines sur l’état de santé de l’Italie, les dirigeants des Etats se sont entendus, difficilement, sur la saignée à lui administrer, accompagnée d’un placebo. Tous, sauf l’Italie, de crier victoire : le virus de la discorde a été momentanément confiné. Qu’on en juge !

Des aides, oui, sous forme de garanties d’emprunt, à hauteur de pas plus de 20 % des sommes que l’Italie ira quémander sur les marchés financiers. La mise en œuvre du MES (Mécanisme Européen de Stabilité, ce FMI européen créé en 2010 suite à la crise de l’Europe et à la strangulation de la Grèce), les dirigeants italiens n’en voulaient pas, conscients qu’ils sont, des « conditionnalités » austéritaires et de dépendance qu’il signifiait. Les docteurs Diafoirus de l’euro-groupe ont adouci la saignée : « Vous n’aurez pas plus de 500 milliards à la condition de les utiliser uniquement pour résorber la crise sanitaire ». C’est « peanuts » se sont écrié les Italiens. « C’est mieux que rien » leur a-t-on répondu et il n’est pas question de créer des eurobonds (emprunts européens) comme vous le souhaitez ! Eh oui, l’Europe n’est pas fédérale. Elle s’est bâtie sur la suprématie allemande à défendre, quoi qu’il en coûte.

Retour sur le diagnostic au-delà des péripéties où Macron a joué les entremetteurs entre l’Italie et Merkel, cette dernière s’appuyant sur les intransigeants Pays Bas. Schröder puis Merkel ont imposé dans leur pays une compression drastique de la demande interne, tout en s’appuyant sur l’appareil productif à haute valeur ajoutée, perfusé par des délocalisations et de la sous-traitance, dans les pays de l’Est notamment. Cette politique s’est traduite par la réduction des dépenses sociales et des pensions de retraite, un taux de pauvreté plus important qu’en France, une fragilisation des classes moyennes subissant de nombreuses taxes importantes (TVA, taxes sur l’énergie…). En revanche, l’économie allemande, boostée, tournée vers l’exportation, s’est imposée en écoulant ses produits dans les pays du Sud. Ces derniers ont accumulé des déficits publics alors que l’Allemagne engrangeait des excédents. Cette dynamique de développement inégal qui profite à l’Europe dite du Nord, ne peut être harmonisée d’autant que l’Europe des marchés s’est toujours refusé à définir une politique sociale, fiscale, et financière commune.

Qui plus est, l’euro a cadenassé toute velléité de recours à des dévaluations compétitives. Il est pourtant évident que la création d’eurobonds ruinerait la spéculation sur la dette des Etats les plus endettés. Ce saut dans la solidarité entre pays capitalistes européens semble, pour l’heure, insurmontable. Les égoïsmes nationaux l’emportent. Et d’invoquer les contribuables qui ne supporteraient pas de payer pour les « frivoles » du Sud ! Derrière cette justification, il y a la peur des élites au pouvoir, celle de la propagation probable du virus de la haine xénophobe qui gangrène déjà de nombreux pays. D’autres virus sont également inquiétants : à preuve la concurrence sauvage pour s’approvisionner en matériels sanitaires, les prix s’envolent, la multiplication d’intermédiaires  douteux, voire maffieux, spéculant sur la pénurie, opèrent des détournements de produits, de véritables rapts dont l’Etat français, dans ses relations avec les régions, n’a guère à s’enorgueillir.

De la stagnation économique séculaire annoncée avant l’arrivée du coronavirus, on est passé à une crise aux multiples facettes dans laquelle les zélotes qui s’affrontent aggravent encore les conséquences.

Quand dirons-nous : Basta ! Vous êtes le problème, pas la solution ?

GD le 21.04.2020

Nous avons lu ....


Lesbos, la honte de l’Europe

On devrait pouvoir ne plus présenter Jean Ziegler, cet infatigable spécialiste et militant des droits humains et auteur de nombreux ouvrages de dénonciation du système. Actuellement conseiller à la défense des Droits de l’Homme à l’ONU. Il s’est rendu en mai 2019 à Lesbos, cette île grecque sous responsabilité de l’Union européenne, censée accueillir les réfugiés. L’ouvrage est à la fois un témoignage, une enquête et un appel aux citoyens que nous sommes : 18 000 personnes de différentes nationalités s’entassent dans 3 camps dans des conditions inhumaines : droit d’asile nié, nourriture avariée, difficultés d’accès à l’eau, conditions d’hygiène épouvantables, négation des droits de l’Enfant. Ces camps poubelles de l’Humanité où les rats, les poux côtoient les immondices sont également le lieu où des militants d’ONG se débattent contre leur propre impuissance à rendre visible un lieu de survie. Effarant ! L’auteur, en conclusion, nous interpelle : « Nous détenons le pouvoir de la honte, c’est à nous  de renverser les rapports de force. Nous devons mobiliser l’opinion publique, organiser notre combat, déclarer la guerre à la stratégie de la terreur, imposer la fermeture immédiate et définitive de tous les hotspots, où qu’ils se trouvent, car ils sont la honte de l’Europe ». GD
Jean Ziegler, Seuil, janvier 2020, 14€


Nous avons lu...  


La face cachée de l’économie, néolibéralisme et criminalité.

La démonstration de l’auteure est impressionnante. Selon cette spécialiste l’infiltration maffieuse dans l’économie s’est amplifiée avec la globalisation des échanges de capitaux et de marchandises. La frontière entre économie légale et criminelle est pour le moins poreuse à l’heure de la toute puissance du marché. Il existe des « zones grises » où les passerelles et les liens maffieux, blanchiment et recyclage d’argent sale, s’accommodent de la corruption, de la fraude fiscale, des déviances entrepreneuriales, des  protections ouvertes ou tacites et des relations de pouvoir dans lesquelles baignent les politiciens véreux. Criminalité en col blanc et crime organisé peuvent jusqu’à un certain point faire bon ménage. Les objectifs des uns et des autres poursuivent les mêmes buts, l’enrichissement sans limites et des positions de pouvoir. Les paradis fiscaux s’intègrent parfaitement dans cette zone grise où se conjuguent le « légal » et l’illégal. En outre, et c’est la partie, peut-être, la plus instructive de cet ouvrage, les économistes néolibéraux occultent la réalité criminelle des affaires derrière la main invisible du marché, sale certes, mais partie intégrante de la croissance où les intérêts particuliers rejoindront l’intérêt général. Le droit s’affaisse devant les transactions financières. Les institutions, elles-mêmes, à l’instigation par exemple de la Commission européenne, recommandent fortement d’intégrer dans le Produit Intérieur Brut (PIB) la marchandisation maffieuse… par approximation ( !). D’ailleurs, depuis les années 80, l’extension maffieuse dont l’ancrage est toujours local, mais l’extension globale, fait « vivre » de nombreux spécialistes en placement d’argent sale dans ce circuit légal, de brouillage en traçabilité et d’experts dans l’intégration dans l’économie : acquisition d’œuvres d’art, d’immeubles, montages de holding et sociétés écrans et mêmes création d’entreprises… A lire sans retenue. GD
Clotilde Champeyrache, PUF, octobre 2019, 21€ 


Crise sanitaire et crise économique

Cet article fait suite à celui paru dans le PES précédent (« le virus de la crise économique qui vient ») en portant la réflexion sur les tentatives de sortie de crise, initiées par les « élites » nationales, et leurs conséquences probables. Si personne ne conteste que l’arrêt du système économique provoque une crise sérieuse (désormais), l’ensemble des solutions proposées entendent maintenir le système capitaliste « coûte que coûte ». Elles prolongent et accentuent les traitements imposés lors de la crise de 2007-2008, et ce, dans une conjoncture bien plus défavorable.

Apories du traitement de la crise de 2007-2008

Pour éviter des faillites massives, des « plans de sauvetage » massifs ont été mis en œuvre. Ils ont consisté à déverser des « liquidités » dans le système financier (9 000 milliards rien qu’aux USA) en espérant que cette injection de capital fictif se traduirait en une redynamisation de l’économie réelle. Certes, l’effondrement des banques et autres véhicules financiers a été évité mais cette avance de capital n’a pas relancé la croissance capitaliste, ou si peu. Cet effort colossal a été également soutenu par les Etats, accroissant leur endettement. Dans la logique du système néolibéral, il fallait également réduire l’imposition des entreprises, des sociétés, des plus riches, en espérant ainsi que cet « allègement de charges » favoriserait l’investissement dans la production. Cette croyance dans l’interventionnisme désintéressé du capital occultait sa véritable nature, à savoir sa recherche du profit. Or, les banques, comme les riches investisseurs, ont préféré thésauriser, spéculer. A preuve, à titre d’exemple, le (re)versement de trop plein de liquidités des banques privées auprès des banques centrales. Ainsi la BCE, face à l’importance de ces dépôts gratifiants, rémunérés à des taux positifs, a imposé des taux négatifs pour forcer les banques privées à employer ces sommes dans l’économie réelle. Ce fut, en grande partie, peine perdue. De même, les taux d’intérêt extrêmement bas, voire gratuits, octroyés par les banques centrales n’ont permis qu’une reprise anémique, voire artificielle. On a surtout assisté à un boom boursier, à des rachats d’actions afin de provoquer la hausse de leurs valeurs nominales. Ce furent les actionnaires les plus riches (les 1%) qui en profitèrent sous forme de dividendes et de rémunérations mirobolantes. D’autre part, avec le recours à l’emprunt à des taux sans équivalent, la concentration capitaliste s’accéléra sous forme de fusions-acquisitions, sans effets notables sur la croissance. Les Etats capitalistes eux-mêmes, surtout européens, furent mis en demeure de pratiquer des politiques d’austérité visant à résorber les dettes, dont la plupart étaient surchargés. On assista ainsi à l’étranglement des pays les plus faibles, comme la Grèce.

Cette logique de transfusion financière, de destruction des acquis sociaux et des services publics, pour sortir de cet endettement généralisé, visait à contrecarrer la purge du système capitaliste en crise, nécessaire à sa reproduction. Ce grand nettoyage n’eut pas lieu : il aurait signifié la destruction de capital (faillite de banques et d’entreprises) favorisant une nouvelle concentration. Il aurait entraîné (comme en 1929-30), la dévalorisation-destruction des forces productives, une baisse drastique des salaires, et plus générale du prix de la force de travail, y compris dans sa reproduction (santé, retraites, prestations sociales). Si cette voie fut suivie, elle le fut de « manière mesurée » face aux possibles mouvements sociaux irrépressibles. Pour le dire autrement, c’est bien la volonté des classes régnantes de maintenir (ou de contenir) les réactions populaires, une forme de consensus social, qui a prévalu, y compris en soutenant des banques et des entreprises zombies. Bref, un nouveau cycle d’expansion capitaliste fondé sur la destruction des forces productives n’a pas eu lieu, la stagnation et la récession l’emportèrent. Il y avait bien sûr une autre voie, celle d’une rupture radicale avec le système capitaliste mais elle était sans voix et sans forces.

Et survint la crise sanitaire

Avant même son apparition, la récession était annoncée, les tensions entre Etats s’amplifiaient, ouvrant la perspective du repli nationaliste et du rejet du multilatéralisme, sous l’égide des Etats-Unis. La première puissance mondiale, déjà sous Obama, plus encore avec Trump, s’est engagée dans une guerre commerciale contre le capitalisme d’Etat chinois expansionniste. Puis vint cette guerre du pétrole opposant l’Arabie Saoudite, la Russie et les Etats-Unis. Faire baisser le prix du baril afin d’asphyxier le pétrole de schiste US, lui ravir les parts de marché qui l’avaient hissé au premier rang des producteurs de pétrole, en inondant le marché qui ne pouvait plus l’absorber, aujourd’hui encore moins qu’hier. Dans la même période, ou la précédant de peu, la première et la deuxième vague des printemps arabes déstabilisèrent les pouvoirs en place ou déchaînèrent les forces répressives jusqu’à étendre le domaine de la guerre impitoyable (Syrie, Yémen). Le retrait relatif de l’empire étatsunien s’est accompagné d’une politique de sanctions et d’embargos contre l’Iran, la Russie et même l’Europe, sommée d’une part d’appliquer les sanctions US au détriment de ses parts de marché acquises (Iran…) et d’autre part d’augmenter ses dépenses militaires (OTAN).

C’est sur ce terreau délétère qu’est survenue la pandémie du corona virus, révélant, par ailleurs, la fragilité systémique de l’économie mondiale : la délocalisation de la production de médicaments, les chaînes de production en cascades de biens tels les masques chirurgicaux, l’abandon par les Etats centraux de toute  politique sanitaire susceptible de faire face à une épidémie, ainsi que l’austérité, le management imposé aux hôpitaux…, à la recherche fondamentale, furent autant de facteurs cumulatifs aggravant la crise sanitaire. Pour tenter de la résorber, et afin d’éviter le sur-engorgement des hôpitaux démunis de lits en nombre suffisant, ne restait que le confinement durable, dans l’attente de livraison de masques, de matériels de protection les plus prosaïques (gels, blouses…), d’appareils respiratoires. On y ajouta les effets de manche des politiciens, bien divisés au départ, sur les solutions les plus appropriées. En effet, mettre l’économie à l’arrêt n’était pas a priori, dans leurs gènes, ni d’ailleurs la protection de la vie des populations, une priorité. Ils durent néanmoins s’y résoudre, avec plus ou moins d’empressement. Et, très rapidement, l’activité économique fut réduite (30%), les chutes boursières s’enchaînèrent avant d’être quelque peu rassurées par l’injection à tout va de liquidités pour sauver les actionnaires. L’on assista de nouveau à l’endettement catastrophique des Etats, les banques centrales recourant par ailleurs à la « monnaie par hélicoptère »(1). A la différence du jour d’avant, celui de 2007-2008, la production à l’arrêt, le recours au chômage partiellement pris en charge par l’Etat, du moins dans certains pays européens, ou la distribution aux USA, de revenus… momentanément, sont contraires à tout apurement des dettes contractées. Ils sont autant de recettes de TVA, de recettes fiscales en moins. Quant au recours aux instances européennes comme roue de secours sur notre continent, il s’avère des plus laborieux, les égoïsmes nationaux jugulant toute solidarité réelle. Même pas question (pour le moment ?) de grand emprunt européen, partageant le risque et soulageant les pays les plus en difficultés. Les coronabonds réclamés par l’Italie ne sont pas de saison, ni pour l’Allemagne, les Néerlandais… et Macron dans tout ça, naviguant à vue entre les pays du sud (Espagne, Italie, Portugal) et Merkel.

Il est un dilemme plus préoccupant pour les classes dirigeantes. Elles ne peuvent résoudre, en même temps, la crise sanitaire et la crise économique. Elles sont tenues à espérer la fin du confinement afin de remettre au plus vite les gens au travail. La pression en ce sens des patrons est très forte. Certains d’entre eux, comme Amazon, Peugeot Vesoul, font prendre des risques aux ouvriers dans des secteurs non essentiels. Par ailleurs, les mesures de sécurité et de distanciation sont loin d’être respectées partout. Et l’on assiste ainsi à l’injonction paradoxale « Restez confinés » pour les uns, « allez au boulot » pour les autres, ces petites mains si indispensables. Qui plus est, en haut lieu, l’on redoute au sortir de la crise sanitaire, la « gilets-jaunisation » des mouvements sociaux. D’où la stratégie de la com, tout azimut, afin de contrôler, apaiser la sourde colère qui traverse le corps social. Bref, les gouvernements sont pris en tenaille entre deux nécessités contradictoires, contenir la crise sanitaire par le confinement et relancer au plus vite  la machine économique d’exploitation capitaliste

Colmatage ou rupture

Malgré tout, les dirigeants des appareils syndicaux, la gauche dite critique, les écolos, s’en remettent au pouvoir, au gouvernement, aux parlementaires. Certes, ils avancent des revendications, demandent des inflexions politiques, souhaitent même, pour certains, la fin du néolibéralisme et de la domination du capitalisme financiarisé, prônant un retour au keynésianisme et à l’interventionnisme de l’Etat. Toutefois, ils demandent à être entendus par une caste oligarchique qui s’est déjà révélée sourde à leurs injonctions. Ils refusent de s’en prendre au pouvoir, certains que la voie législative est la seule possible, oubliant déjà la leçon infligée par les Gilets Jaunes. Il va sans dire que Macron et sa bande feront quelques concessions, en particulier en direction de l’hôpital public mais, au-delà, ce sont bien d’autres choses qui s’annoncent : les « retroussez- vos manches », la surveillance généralisée et la répression. Le PDG de Peugeot a déjà annoncé la couleur : des semaines de 60 heures pour produire autant que nécessaire, pour ne pas perdre des parts de marchés au profit notamment des Asiatiques, Japonais et Coréens !

Des commandes de grenades lacrymogènes et autres doux instruments de paix sociale ont été passées tout récemment. En outre, la tendance liberticide de gestion des populations en recourant aux nouvelles technologies (traking, caméras de reconnaissance faciale) sont à portée de mains. Enfin, la peur d’une nouvelle vague d’épidémie pourrait bien justifier l’interdiction de grèves et de manifestations.

La rupture doit d’abord se manifester par les exigences à faire valoir. Ensuite, elles doivent se traduire par le renforcement et l’éclosion de forces révolutionnaires, porteuses de l’objectif à atteindre : la transformation sociale anticapitaliste.

Il est certain que, par rapport à la crise sanitaire, il faut exiger que l’ensemble de la population soit testée en attendant la mise au point d’un vaccin. Plus fondamentalement, cela signifie la mise en place de dispensaires sur tout le territoire comme dans les années 1950-1960, afin de dépister puis soigner. D’où la nécessité plus large de crédits pour la recherche, l’hôpital public, la formation de médecins, infirmières… et, par conséquent, la rupture avec le système de santé actuel : retour à la dotation globale de fonctionnement des hôpitaux, définie et sous contrôle des soignants et des associations de patients, dissolution de l’ordre des médecins, des pharmaciens, corporations nées sous Vichy, socialisation des cliniques privées et rattachement aux hôpitaux publics. Ce secteur pose le problème plus général du renforcement et de l’extension du service public.

Plus fondamentalement, il s’agit de s’attaquer aux différentes formes du capitalisme, financier, industriel, commercial, sans omettre la rente foncière et immobilière. On peut citer à cet égard, la nationalisation des banques, la rupture avec la BCE, la séparation des banques de dépôts des banques d’investissement et de toute la finance avec les paradis fiscaux ainsi que la suppression de la Bourse, l’audit des dettes et l’abolition de la plupart d’entre elles.

La nationalisation des secteurs clés de l’économie, définis en fonction des besoins réels de la population, pose la question de la reconversion d’un certain nombre d’entreprises, de la relocalisation d’autres, tout particulièrement l’industrie pharmaceutique. De même, la nationalisation-socialisation des grandes enseignes commerciales devrait s’imposer tout en assurant et promouvant le commerce de proximité et le développement de coopératives, y compris dans les domaines de l’artisanat et de l’industrie.

Quant aux rentes foncières et immobilières, il serait nécessaire de les réduire à leur plus simple expression, à savoir, l’entretien des terres et des immeubles. Dans ce dernier secteur, la construction de logements décents est plus qu’indispensable. Dans la société nouvelle à construire, logements insalubres, taudis, bidonvilles doivent être détruits. Il va sans dire également que l’éradication des inégalités et des poches d’accumulation éhontée de richesses doit être drastiquement prescrite. Rien ne justifie qu’un PDG, trader, rentier gagnent 300 fois plus qu’un chercheur, un médecin et 600 fois plus qu’un ouvrier, dont on découvre, en pleine crise financière, l’utilité sociale. Imposer un revenu maximum, une échelle par exemple de 1 à 4, serait largement suffisante. Avec un SMIC à 2000€, cela signifierait 8000€ pour les mieux payés !

Ce catalogue non exhaustif n’a pour fonction que d’indiquer que tout est à la fois possible et, pour l’heure, improbable. Il ne peut être un programme de gouvernement dans le cadre même du système parlementaro–capitaliste. La démocratie représentative actuelle est incapable de l’imposer, l’appareil d’Etat lui-même ne peut l’admettre ; en d’autres termes, l’oligarchie dominante et tous les appareils à son service s’y opposeront jusqu’à la dernière extrémité. Ce qui importe, dans la conjoncture présente, c’est d’abord que ces idées de transformation sociale radicale infusent dans le corps social et en premier lieu au sein des classes ouvrières et populaires. La préservation de l’écosystème, la lutte contre les pollutions, l’aspiration à une vie saine, sont autant d’éléments favorisant la culture d’un terrain propice à changer de société.

Reste l’indispensable lutte des classes et l’évacuation d’illusions sur la capacité du système de se réformer. C’est d’elle et uniquement d’elle que surgira une nouvelle hégémonie, une nouvelle conception de vivre en société. De ce processus complexe de prise de conscience, au sens large (politique, culturel, de solidarité), peuvent surgir des formes démocratiques s’instituant comme alternatives au pouvoir institué. A terme, on ne pourra le faire avec l’appareil existant et les « élites » qui le perpétuent.

Dans l’immédiat, il est nécessaire, non pas de proposer au pouvoir des solutions afin qu’il puisse en partie les reprendre à son compte pour se relégitimer, mais essentiellement le railler, le pourfendre, le ridiculiser, en s’appuyant toujours sur des faits vérifiés (et il n’en manque pas) afin de le déstabiliser, accentuer la division dans ses propres rangs. En effet, toute sa politique de communication, ses éléments de langage sont bâtis pour tenter de maintenir un consensus en sa faveur. Qui plus est, dans la conjoncture présente, il est dans l’obligation de faire des concessions. Celles-ci doivent être comprises comme autant de reculs décrédibilisant le pouvoir, sa politique présente comme celle qu’il a pu mener antérieurement. Pour filer la métaphore de la guerre de tranchée, au sens gramscien, ce combat symbolique doit s’appuyer, favoriser la lutte des classes et l’organisation de « bataillons » sur des bases radicales. C’est en suscitant la démocratie par en bas, en soutenant les formes « d’institutions » contestant le système (assemblées générales, coordination des luttes, comités de grève…) que l‘on modifiera le rapport de forces sociales. Aller dans ce sens signifie qu’il faut nécessairement destituer, symboliquement, les institutions actuelles. En d’autres termes, s’en tenir à une critique convenue du néolibéralisme, du capitalisme financiarisé, laisse supposer qu’un retour au keynésianisme avec les institutions actuelles serait possible. Cette illusion d’un capitalisme rénové, vert, dans le contexte de crise économique, risque d’ouvrir un boulevard à une rupture apparente, celle du  nationalisme xénophobe fascisant. Prévoir le pire, celui d’une alliance entre l’extrême centre, la droite extrême dite sociale LR et l’extrême droite, comme l’exemple de nombreux pays nous y invite, c’est déjà conforter les assises du camp révolutionnaire. Pour éviter de se diluer, il faut se délimiter : les aspirations à l’égalité, à la justice sociale, à la démocratie radicale, ne sauraient être des béquilles verbales à ceux qui prétendent à un capitalisme à visage humain.

Gérard Deneux, le 12.04.2020   

(1)   Expression utilisée par Milton Friedman. Economiste libéral et monétariste, il considère notamment que la société n’est faite que d’individus consommateurs. En cas de crise, il suffirait de relancer la consommation par l’injection de liquidités dans le marché libre, directement aux particuliers, aux entreprises… sans passer par l’Etat. Il est également partisan des « théories » du chômage naturel… Créateur de l’école de Chicago, considéré comme l’un des pères du libéralisme, il soutint et promut ses théories à grande échelle, notamment au Chili, lors de la dictature de Pinochet. Les transfusions monétaires, outre l’endettement (fictif ?) des banques centrales, produisent non pas la relance mais l’épargne de précaution et la spéculation, accentuant encore les inégalités sociales.




L’UE choisit Black Rock
Black Rock, le plus grand gestionnaire d’investissements au monde, l’un des investisseurs les plus importants de huit des plus grandes firmes pétrolières de la planète, détient plus de 87 milliards de dollars de parts dans des entreprises d’énergies fossiles. Il s’est opposé ou abstenu dans 82 % des résolutions concernant le climat dans les entreprises dont il possède des actions, actionnaire de premier plan dans 12 banques de rang mondial,
Ce même Black Rock dont le PDG Fink a conseillé Macron dans sa contre-réforme sur les retraites (1), a remporté un appel d’offres organisé par la Commission européenne et rédigera un rapport sur la manière dont la supervision bancaire de l’UE pourrait prendre en compte le climat !
La transition écologique ne saurait être menée avec de telles institutions ! C’est confirmé !
OM
(1)   PES n° 59 « Qui va battre en retraite ? » p. 3




Contre l’épandage des pesticides
Le ministère de l’agriculture vient d’autoriser à réduire au minimum possible les distances de sécurité entre les habitations et les pulvérisations de pesticides, suite aux « zones de non traitement » définies récemment, largement insuffisantes pour la protection des riverains (10 m pour les cultures hautes (fruitiers, vignes), 5 m pour les grandes cultures (blé, maïs, colza…) 20 m pour les substances les plus dangereuses. Chaque département devait adopter une « charte d’engagement des utilisateurs », permettant de réduire les distances notamment. Le 3 février, une circulaire assouplissait déjà l’exigence, les utilisateurs engagés dans un projet de charte pouvant avoir une dérogation… Et comme le covid-19 empêche la concertation, pour obtenir la dérogation, il suffit de que la chambre d’agriculture ou le syndicat agricole (FNSEA) promette au préfet de le faire… dès que possible. Agir pour l’environnement a décidé d’attaquer cette décision devant le Conseil d’Etat. Reporterre.net   



Vérités et mensonges. Quelques brèves

Comment l’Etat a laissé tomber la production de masques

De l’usine, en Côtes-d’Armor, qui produisait les masques, il ne reste que les murs : tout a été détruit.  Avec 200 millions de masques FFP2 par an, destinés à l’Etat, « on était le plus gros producteur d’Europe ». En 2020, la France est totalement dépendante des aléas du marché mondial en crise (et notamment de la Chine), Macron, agacé par les critiques,  prétexte qu’on ne peut pas demander aux gens d’avoir prévu cette crise sanitaire sauf que… Il y a 15 ans, l’Etat l’avait prévu.

Face au Sras (2003, en Asie), puis virus H5N1 (2005), le ministère de la Santé préconise une industrie française du masque. L’Etat signe, en 2005, avec Bacou-Dalloz, un protocole pour 5 ans et installe sur le territoire national des ateliers de production de masques FFP2, à prix fixe (35 centimes), constituant ainsi des stocks d’équipement nécessaires à la protection des personnes.

En 2012, changement de majorité, avec le gouvernement Ayrault et Touraine, à la Santé, les stocks s’érodent, malgré la préconisation du Haut Conseil à la Santé Publique de continuer de stocker des FFP2. Toute la séquence que nous vivons depuis janvier, de pénurie, avait donc été anticipée. De l’avis d’un membre de l’équipe de X.Bertrand : « Quand on est partis en 2012, il y avait 1.4 milliard de masques, dont 600 millions de FFP2. Huit ans plus tard : le plan grippal censé être mis à jour tous les deux ans est toujours le même et il n’y a que 145 millions de masques chirurgicaux et aucun FFP2 ! » ;  « la question devra se régler devant une commission d’enquête parlementaire ». Mais Olivier Véran réfute la responsabilité de Touraine, (ex-socialiste devenue macroniste). Il est vrai qu’il fut au cabinet de la ministre Touraine, tout comme d’autres, aujourd’hui autour de Macron : B. Griveaux, G. Attal, B. Vallet (DG de la Santé en 2013 aujourd’hui en mission Covid-19), ou encore J. Salomon, actuel DG de la Santé, était en 2013 conseiller de Touraine, chargé de la sécurité sanitaire… La décision de Touraine, dès 2013, ne permet plus une gestion prévisionnelle des besoins et de l’approvisionnement en masques : le stock des FFP2  est placé sous la responsabilité des employeurs et des soignants mais personne ne vérifie les stocks.

A partir de là, sans commandes, l’usine de Plaintel chute. Honeywell bull la rachète et licencie, dès 2011, imposant une politique du zéro stock. La stratégie du « flux tendu » fait perdre des clients à l’usine, les plans sociaux s’enchaînent alors que le groupe fait des bénéfices et profite des aides de l’Etat français, comme le CICE. En tout état de cause, l’abandon des commandes de l’Etat contraint  l’usine à fermer  ses portes en 2018. Les machines de fabrication des masques, dont certaines étaient quasi neuves, sont vendues au prix de la ferraille, puis détruites. Plus cynique encore : à l’heure de la pandémie du Covid-19, le groupe Honeywell rouvre une usine à Rhode-Island pour subvenir aux besoins américains….

Extraits de l’article de Nadia Sweeny dans Politis du 14 avril 2020 (sur bastamag.net)

PS : depuis le début de la crise sanitaire, la réouverture de l’usine de masques de Plaintel fait débat. Région, département et agglo de Saint-Brieuc, sont prêts à soutenir le projet. Le Gouvernement, pas vraiment…

(1)   Xavier Bertrand ministre de la Santé en 2005-2007 (gouvernement Villepin sous Chirac). Il y est revenu à la fin du quinquennat Sarkozy (gouvernement Fillon) en 2010-2012. Roselyne Bachelot entretemps a été ministre en 2007-2010

L’abandon de la prévention au nom de l’austérité
Les médias dominants, toujours complaisants vis-à-vis des élites au pouvoir, n’insistent guère sur les décisions politiques qui ont conduit au dramatique manque de matériels de protection contre la pandémie.

Retour sur l’histoire d’un abandon criminel en notre nom. En mars 2007, suite à des alertes de scientifiques, une proposition de loi relative à la protection du système de Santé est adoptée. Un établissement public (EPRUS – établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) est créé dont la mission consiste à acquérir, fabriquer, stocker des masques chirurgicaux, des appareils respiratoires, des vaccins, etc. La petite équipe qui dirige cette structure parvient très rapidement à stocker 285 millions de masques. Elle est financée par l’Etat et l’assurance maladie. Son budget de 281 millions € en 2007 va s’effondrer à 25.8 millions en 2015 et l’EPRUS disparaît en 2016.

L’abandon de la prévention a, de fait, été précédé d’un formidable battage médiatique, orchestré par le sommet de l’Etat après l’épidémie de grippe aviaire H5N1. Haro sur Roselyne Bachelot ! La Cour des Comptes crie au gaspillage : 450 millions€, c’est trop ! Le déficit de la Sécu ne le permet pas. En 2011, l’Etat se désengage et confie au secteur privé (qui saura mieux gérer !) la mission d’acquérir entre autres, des masques, ainsi qu’aux hôpitaux désargentés de se procurer en plus des appareils respiratoires. Rassurants, début 2019, ces experts de santé publique, commandités par le gouvernement, déclarent dans leur rapport : iI n’y a « pas de menaces virales », « les stocks antiviraux sont suffisants ». Et quand fut venu le coronavirus, l’on fut bien dépourvu ! 

Pour commenter ce lamentable épisode d’imprévoyance austéritaire, il faudrait, dans cette affaire, souligner que la Gauche a montré qu’elle était plus zélée que la Droite. Marisol Touraine s’en défend piteusement, Hollande se tait et le ni droite ni gauche Macron ignore son passé de ministre de l’économie… et son présent de Président. On connaît la musique « Responsables mais pas coupables ». Cherchent-ils déjà des boucs émissaires pour s’absoudre comme ce fut le cas dans le scandale du sang contaminé ? Serge Victor, le 24.04.2020   

Des vérités qui ne sont pas bonnes à dire

Le 4 avril, le Préfet sanitaire du Grand Est confirme publiquement que le plan de l’ARS, prévoyant la suppression de 174 lits et de 598 postes au CHU de Nancy, serait bien mis en œuvre. Et le bal des hypocrites de clamer en chœur  « indécent »  ce qui était approuvé fin janvier et, en premier lieu par le maire de Nancy, Mathieu Klein, ex PS, rallié à LREM, ne pouvait être dit en cette période ! A cette époque, c’était pour l’édile, un projet « formidable assorti d’un bâtiment hôpital-usine de 515 millions ». Dans la lutte pour ravir la municipalité de Nancy, le petit Klein se devait de faire de la surenchère face à son adversaire PS qui n’en pense pas moins mais l’a mis en ballotage défavorable. Le conseil des Ministres a mis fin à cette polémique en révoquant le préfet trop bavard. La vérité austéritaire d’hier et de demain n’est pas bonne à dire aujourd’hui. Le bouc émissaire est tout contrit de l’apprendre à ses dépens. Serge Victor

Ils savaient mais n’en avaient rien à foutre !

Comme pour les alertes sur le réchauffement climatique et la destruction de l’écosystème, les politiciens sont sourds et aveugles à ce qui contrarie leurs obsessions idéologiques : néolibéralisme, productivisme, austérité… Eux qui prétendent que le surgissement de la pandémie Covid 19 était imprévisible, ont ignoré les experts, et non des moindres, qui les avertissaient.
2005 : les professeurs JP Derenne et F. Bricaire, puisqu’ils ne sont pas entendus publient un livre « La grande menace de la grippe aviaire » (Fayard). Ce neurologue et cet infectiologue suggèrent : prévoir le confinement, des équipements de réanimation, des respirateurs ; il faut former des médecins, des infirmiers. Et ils alarment : « 2 millions de masques par jour, des bottes, des casques, des bonnets, sont nécessaires. Vite, il faut faire un état des stocks ».
De l’autre côté de l’Atlantique, en 2003 déjà, un rapport de la CIA adressé à Obama alertait sur « l’arrivée d’une épidémie de virus » provoquant une maladie respiratoire « virulente » « extrêmement contagieuse », « sans traitement adéquat ». Elle pourrait entraîner « la dégradation des infrastructures vitales et des pertes économiques ». Le rapport fut transmis aux alliés des USA…
Juillet 2008, sous Sarko, le livre blanc de la Défense soulignait « le risque plausible d’une pandémie massive à forte létalité dans les 15 années à venir ». Des dispositions furent prises pour établir des stocks de matériels sanitaires, puis abandonnées ! 
 En 2013, nouveau livre blanc de la Défense, préfacé par Hollande ( !) précisant : « le risque existe d’une nouvelle pandémie hautement pathogène, résultant de l’émergence d’un nouveau virus qui aura franchi la barrière des espèces ».
Décembre 2017. La revue de la Défense des armées était tout aussi alarmiste. Ce qui fit dire à un haut dirigeant de la Sécurité intérieure sous forme interrogative : « Les décideurs politiques lisent-ils vraiment les notes qui leur sont adressées » ? La réponse est dans la question !
Serge Victor d’après des articles du Canard enchaîné du 8.04.2020


Bangladesh. Apocalypse pour les ouvrières du textile

Du fait du confinement, les grandes marques européennes de prêt-à-porter ont annulé plus de 3 milliards de dollars de commandes auprès de leurs fournisseurs bangladais qui ne peuvent plus payer leurs salariés. Les 2000 couturières de l’usine de jeans de Mostafiz Uddi n’ont plus de travail. Les clients, comme l’espagnol Zara et l’allemand Takko ont stoppé leurs commandes et ne prennent même plus les marchandises commandées : Mostafiz Uddin se retrouve avec 20 000 jeans sur les bras. Il a payé d’avance le tissu et le port, mais les grands groupes ont des mois pour régler les factures, sachant que chaque  salariée fait vivre en moyenne 5 personnes…

Le néerlandais C&A et l’irlandais Primark ayant annulé pour plusieurs centaines de millions€ de commandes, les fabricants des pays d’Asie luttent pour leur survie, en Birmanie, au Cambodge et au Bangladesh où le prêt- à-porter représente 84% des exportations. Aucune solidarité à attendre de leurs donneurs d’ordre. L’allemand KiK annonce « qu’il a à cœur les intérêts des couturières » mais ses préoccupations concernent déjà le sauvetage des emplois en Allemagne. « Chez nous, perdre son travail c’est en général ne plus avoir à manger » déclare la directrice du centre bangladais pour la solidarité des travailleurs. De plus, les travailleuses sont exposées à un risque d’infection élevé à l’usine et dans les baraquements qu’elles louent 100 dollars/mois près de l’usine. La situation est « apocalyptique » affirme Rubana Huq (association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh). Sans soutien des entreprises dans les trois mois à venir c’est plus de 4 millions de personnes travaillant dans quelque 4 000 usines qui seront à la rue.

Primark a annulé pour 273 millions de dollars de commandes, C&A, 166 millions. Au total, 46 % des productions ont été annulées. 72 % des donneurs d’ordre n’ont pas réglé les tissus achetés par leurs fournisseurs. Primark se dit prêt à un compromis et accepte de financer le salaire des ouvrières travaillant sur les commandes, annulées, C&A assure vouloir « minimiser les effets sur les fournisseurs »… D’autres, comme le suédois H&M ou l’allemand Tchibo ou encore Takko semblent davantage ouvertes au dialogue ?

« Cette crise fera peut-être prendre conscience que beaucoup trop de gens paient bien trop cher pour une production excessive à bon marché. Peut-être arrivera-ton à la fin de l’ère de la mode jetable », veut croire Gisela Burckhardt (Femnet, organisation de défense des droits des femmes). Rubana Huq a peu d’espoir « Les grands groupes reviendront vers nous et nous diront : le monde est différent maintenant, il nous faut des produits encore moins cher ».
Extraits d’un article de Nils Klawitter, Courrier International du 21.04.2020, transmis par William, abonné

Pour refuser les dégâts de la mondialisation ultralibérale, nous devons au minimum boycotter toutes ces marques (ndlr)  




Bangladesh
Apocalypse pour les ouvrières du textile

Du fait du confinement, les grandes marques européennes de prêt-à-porter ont annulé plus de 3 milliards de dollars de commandes auprès de leurs fournisseurs bangladais qui ne peuvent plus payer leurs salariés. Les 2000 couturières de l’usine de jeans de Mostafiz Uddi n’ont plus de travail. Les clients, comme l’espagnol Zara et l’allemand Takko ont stoppé leurs commandes et ne prennent même plus les marchandises commandées : Mostafiz Uddin se retrouve avec 20 000 jeans sur les bras. Il a payé d’avance le tissu et le port, mais les grands groupes ont des mois pour régler les factures, sachant que chaque  salariée fait vivre en moyenne 5 personnes…

Le néerlandais C&A et l’irlandais Primark ayant annulé pour plusieurs centaines de millions€ de commandes, les fabricants des pays d’Asie luttent pour leur survie, en Birmanie, au Cambodge et au Bangladesh où le prêt- à-porter représente 84% des exportations. Aucune solidarité à attendre de leurs donneurs d’ordre. L’allemand KiK annonce « qu’il a à cœur les intérêts des couturières » mais ses préoccupations concernent déjà le sauvetage des emplois en Allemagne. « Chez nous, perdre son travail c’est en général ne plus avoir à manger » déclare la directrice du centre bangladais pour la solidarité des travailleurs. De plus, les travailleuses sont exposées à un risque d’infection élevé à l’usine et dans les baraquements qu’elles louent 100 dollars/mois près de l’usine. La situation est « apocalyptique » affirme Rubana Huq (association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh). Sans soutien des entreprises dans les trois mois à venir c’est plus de 4 millions de personnes travaillant dans quelque 4 000 usines qui seront à la rue.

Primark a annulé pour 273 millions de dollars de commandes, C&A, 166 millions. Au total, 46 % des productions ont été annulées. 72 % des donneurs d’ordre n’ont pas réglé les tissus achetés par leurs fournisseurs. Primark se dit prêt à un compromis et accepte de financer le salaire des ouvrières travaillant sur les commandes, annulées, C&A assure vouloir « minimiser les effets sur les fournisseurs »… D’autres, comme le suédois H&M ou l’allemand Tchibo ou encore Takko semblent davantage ouvertes au dialogue ?

« Cette crise fera peut-être prendre conscience que beaucoup trop de gens paient bien trop cher pour une production excessive à bon marché. Peut-être arrivera-ton à la fin de l’ère de la mode jetable », veut croire Gisela Burckhardt (Femnet, organisation de défense des droits des femmes). Rubana Huq a peu d’espoir « Les grands groupes reviendront vers nous et nous diront : le monde est différent maintenant, il nous faut des produits encore moins cher ».
Extraits d’un article de Nils Klawitter, Courrier International du 21.04.2020, transmis par William, abonné


Etat d’urgence et Etat de droit

Si, pour d’incontestables et impératives raisons sanitaires, des mesures restrictives aux libertés constitutionnelles ont été décrétées par le gouvernement, englobées ensuite dans la loi d’urgence sanitaire, il ne pourrait être question de museler la liberté d’expression, de s’interroger sur les responsabilités politiques d’une situation, (certes inattendue) mais survenue dans un contexte connu en matière de manques criants de matériels et de personnels de santé. Cela fait tout de même plus de 6 semaines que Macron a promis des masques, toujours insuffisants pour les professionnels (et pour toute la population), barrière sanitaire indispensable pour tenir le virus à distance. Quant à la reprise du boulot et des écoles, là encore Macron et son gouvernement sont incapables de fournir des garanties techniques pour la protection de la population : pas de tests sérologiques en suffisance, dévoilant l’incapacité totale de ce gouvernement de prévoir… alors même que l’Etat commande pour 3 642 864€ de gaz lacrymogène !!! Tout cela a de quoi entamer la confiance (que certains auraient encore ?), dans la capacité de ce gouvernement à gérer cette pandémie ! Pour nous, il n’y a jamais eu de confiance en Macron, celui qui a poursuivi les politiques néolibérales, a multiplié les mesures liberticides, les interventions musclées pour réprimer les Gilets Jaunes, a répondu à coups de lacrymos et autres LBD aux professionnels de santé et des EHPAD, mobilisés depuis plus d’un an pour exiger des moyens en lits, en personnels, en matériels insuffisants en cas de catastrophe sanitaire. Sourds, méprisants, Macron et Buzyn le furent totalement.
Il ne sert à rien, aujourd’hui, que Macron louange « ces héros », leur promettant une prime, comme s’ils ne travaillaient qu’à la carotte ! Quelle indécence ! Nous n’en pouvons plus de ce mépris ! Nous nous en souviendrons et nous pointons déjà les responsabilités !
La suspension d’une partie des libertés publiques, pour essentielle qu’elle soit, doit rester provisoire. Déjà certains s’interrogent : « La macronie saura-t-elle résister à la tentation ? » Car, si l’état d’urgence sanitaire contraint certaines libertés, elle permet aussi de prendre des dispositions économiques conduisant à des dérives par rapport au droit du travail. Et, voilà que se pointe à l’horizon proche, l’introduction de la surveillance électronique.

En matière de libertés fondamentales

La loi du 3 avril 1955 a institué l’état d’urgence, qui peut être déclaré sur tout ou partie du territoire soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. Créé, à l’origine, pour faire face aux « évènements » pendant la guerre d’Algérie, il a été appliqué 3 fois pendant cette période, puis 3 fois en Outre- mer (notamment en Nouvelle-Calédonie 1985-1987) puis en 2005 (révoltes dans les quartiers populaires) et les 14.11.2015 et 01.11.2017 (menaces d’attentats).

Le 23 mars 2020, le Parlement a voté définitivement l’état d’urgence sanitaire, le 1er ministre étant chargé, par ordonnances, de préciser sa mise en œuvre. Inédite cette situation en 5ème République. Certes, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Il n’empêche qu’il convient d’être vigilant sur sa portée au regard des libertés individuelles et collectives et des risques de banalisation des dispositifs d’exception car l’état d’urgence donne au 1er ministre des pouvoirs exorbitants. Sans passer par les procédures habituelles, il renforce les prérogatives de l’exécutif, minimisant le rôle du Parlement qui est, uniquement, « informé » des mesures prises.

Personne ne conteste la nécessité de l’état d’urgence sanitaire, mais les défenseurs des libertés, et notamment la LDH et le syndicat de la magistrature, s’inquiètent de l’installation dans la durée, de ce régime d’exception qui bouscule les règles de l’Etat de droit.

La première inquiétude tient dans la définition floue de l’état d’urgence sanitaire : il peut être décrété « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». La CNDH avait proposé une description plus restrictive, non retenue ; de même, le contrôle scientifique n’a pas été adopté, seules les données scientifiques disponibles qui ont motivé la décision seront rendues publiques 
La deuxième inquiétude concerne la durée. La loi du 23 mars a créé l’état d’urgence sanitaire, inscrit dans le code de la Santé publique, créant un régime juridique temporaire qui ne pourra s’appliquer que jusqu’au 1er avril 2021. Décrété pour 2 mois (jusqu’au 24 mai 2020), il ne pourra être prorogé que par la loi. C’est l’histoire récente qui doit nous rendre vigilants : l’état d’urgence face aux menaces terroristes (2015) a été prolongé à 6 reprises (pour plus d’un mois à chaque fois) jusqu’à ce que le gouvernement le verse dans le droit commun (loi du 30.10.2017), ce qui permit, au passage, de restreindre les libertés de manifester lors de la COP 21 à Paris. Mme Belloubet a beau affirmer « qu’il n’est pas question que ces dispositions entrent dans le droit commun… et qu’elles cesseront immédiatement après la crise sanitaire... », qui croit encore, sur parole, le gouvernement ?

Qui contrôle l’action du gouvernement, dans cette situation ? Pas le Parlement qui n’est qu’« informé » des décisions du 1er ministre, sans pouvoir en débattre. Certes, elles peuvent être contestées devant le juge des référés et le Conseil constitutionnel reste le garant des libertés fondamentales, mais, là encore, M. Fabius, président du Conseil constitutionnel, a justifié le non-respect de la loi, à savoir un délai de 15 jours prévu entre le dépôt d’une loi organique et son examen par le Parlement, du fait des « circonstances exceptionnelles », présentée le 18 mars en conseil des ministres, la loi a été adoptée le 23 mars et promulguée le 24 mars. Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi par le gouvernement ni le Parlement pour analyser le projet et il a validé la loi organique du 30 mars qui suspend les délais pour contester une loi devant cette instance.   

Une trentaine d’ordonnances du 1er ministre rendent possibles la restriction des libertés, les réquisitions, mais aussi les sanctions et notamment : suspension de la liberté d’aller et venir, restriction de circulation des personnes et véhicules, interdiction aux personnes de sortir de leur domicile sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux et de santé, mesures d’isolement, de mise en quarantaine des personnes affectées par le virus.  
La liberté de réunion et de manifestation est suspendue : interdiction des rassemblements sur la voie publique ainsi que de tout type de réunions.
La fermeture des établissements recevant du public a été ordonnée, sauf les établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité.
Les mesures de réquisitions des biens et services et des personnels nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire, ont été élargies aux personnels des collectivités territoriales (établissements médico-sociaux). A noter que la réquisition est un statut quasi-militaire, auquel on ne peut s’opposer en usant des outils de défense collectifs à disposition : droit de grève, droit de retrait. Une personne qui refuse la réquisition est punie de 6 mois de prison et de 10 000 € d’amende, même si les réquisitions se font dans un cadre qui ne respecte pas toujours la protection de la santé des personnels !
Telles sont les mesures principales en matière de liberté contrôlées par les préfets sur la base de sanctions punissant ceux qui ne les respecteraient pas : contravention de 4ème classe (135€) et, en cas de récidive dans les 15 jours, une amende de 5ème classe de 1 500€

Si ce régime juridique ne disparaîtra du code de la santé publique qu’au 1er avril 2021, les règles prévues ne s’appliqueront plus lorsque l’état d’urgence aura pris fin, mais elles ne seront pas pour autant supprimées du code de la santé et pourront être réutilisées à chaque fois que l’état d’urgence sanitaire sera à nouveau déclaré par décret. Certes, la situation sanitaire contraint à des mesures arbitraires ; pour autant, il ne saurait être question de fermer les yeux sur des abus de mise en œuvre. Dans les quartiers populaires d’Ile-de-France notamment, des contrôles se sont mal passés, les réseaux sociaux ont relaté des dérapages évidents. Par ailleurs, certaines communes s’équipent de drones de surveillance, qui risquent de ne pas être rangés au placard après l’état d’urgence.

L’état d’urgence que nous vivons révèle, encore plus, les inégalités entre les classes sociales et certains médias mal-pensants n’ont pas manqué de pointer l’incivisme des habitants de la Seine-St-Denis, par exemple, ils ont malheureusement oublié de noter que les familles riches et bourgeoises de la région parisienne sont parties se réfugier en province, dans leurs maisons de vacances ou de campagne ! Sauve qui peut !  Mais, dans les quartiers populaires le confinement ajoute de la tension aux conditions de vie déjà dégradées.

Enfin, un grand nombre de personnes sont oubliées : SDF, personnes exilées vivant dans la rue ou dans des bidonvilles, sans espaces individuels suffisants. Pas question, pour le 1er ministre, de réquisitionner des biens, comme les hôtels, pour héberger ces populations. Pas question de décider de la régularisation des sans-papiers leur permettant l’accès aux droits à la santé, au logement et au travail : 104 parlementaires viennent d’en faire la demande, en évoquant l’exemple du Portugal. Celui-ci a prolongé les protections des exilés sans-papiers ou en procédure de régularisation. Castaner affirme que la France l’a déjà fait. Faux ! Si elle a prolongé l’hébergement et l’attribution de l’aide financière (6.80€/jour) et par là-même la protection minimale Santé, pour les demandeurs d’asile en procédure ou sous OQTF, c’est que les institutions et associations chargées du traitement et du suivi des demandeurs d’asile, ont fermé les guichets : toutes les procédures sont bloquées pour plusieurs mois. Par contre, les sans-papiers, avant le confinement, sont toujours sans papiers pendant le confinement ! On peut aussi évoquer les malades en hôpitaux psychiatriques, services déjà totalement démunis, ou encore des détenus dans les prisons surchargées.

Il y a encore loin pour atteindre une société d’égalité et de justice sociale, cette situation de crise nous le jette sous les yeux. Comment faire  aujourd’hui, et surtout demain ?

En matière de droit des salariés

Les ordonnances permettent au patronat de déroger au cadre des conventions collectives et du code du travail.

D’emblée, le gouvernement a imposé le télétravail, là où c’est possible, même dans la fonction publique : dès le 16 mars, le secrétaire d’Etat Dussopt décidait que tous les personnels de la fonction publique passaient en télétravail et, si impossibilité, les fonctionnaires devraient être placés en autorisation spéciale d’absence par l’employeur. Bien entendu, le télétravail ne peut s’appliquer à tous les métiers.

C’est pourquoi, la deuxième mesure, encouragée financée par l’Etat et l’Unedic, est le recours à l’activité partielle (ou chômage technique) : le salarié en chômage total ou partiel touche 84 % de son salaire net, l’employeur est dédommagé à 100% (dans la limite de 4.5 smic soit environ 4 800 € net/mois). Au 14 avril, 1 salarié sur 3 était en chômage partiel (soit 8 millions) + 1 million de parents en arrêt de travail indemnisé pour garder leurs enfants.

Ces mesures, ainsi que celles de prêts garantis aux petites entreprises pour alimenter leur trésorerie, du chômage partiel pour éviter les licenciements, un fonds de solidarité pour les TPE et indépendants (pour lesquelles les assurances refusent de couvrir ce risque !), font l’objet d’un plan d’urgence de plus de 100 milliards d’euros. Reste à savoir comment elles vont être appliquées de manière très concrète, par exemple pour les non-salariés, les intérimaires, les intermittents, les contrats précaires, les sans droits au chômage ?  

De son côté, le patronat prône le retour au boulot (pour les autres). L’ordonnance spécifique concernant la possibilité d’augmenter le temps de travail hebdomadaire (pouvant aller jusqu’à 60 h par semaine et 12h/jour) ou d’imposer aux salariés des jours de congé et RTT (dans la limite de 6 jours), en dérogeant aux délais de prévenance, est valable jusqu’au 31.12.2020 !

« La reprise, c’est maintenant » affirme la patronat, mais à quelles conditions ? Geoffroy Roux de Bézieux prépare le terrain d’un « après » où il faudra « travailler plus », « faire un effort considérable » « mettre les bouchées doubles » car « remettre la machine économique en marche, c’est reproduire de la richesse… ».  « Il faudra bien se poser la question du temps de travail, des congés payés et jours fériés ». Ben voyons ! Après… ce sera comme avant… voire pire ! Le Medef a la solution : baisser les « charges » d’un côté et « travailler davantage » de l’autre pour « reconstruire le pays » !

C’est donc dès maintenant qu’il faut se préparer pour organiser un front du refus de l’exploitation des travailleurs, pointer les régressions sociales qui sont déjà là, pour exemple : malgré les amendements parlementaires, la ministre Pénicaud a refusé de préciser le temps de validité des mesures relatives au droit du travail !  Le risque de pérennisation des mesures antisociales est bel et bien là.

Et pourtant, quand on veut, on peut : ainsi, dès le 24 mars, ont été supprimés les jours de carence pour tous les arrêts maladie (3 jours dans le privé, 1 jour dans le public) mais… dans ce cas de figure, la limite a été posée « jusqu’à la fin de l’état d’urgence ». De la même manière, les indemnités journalières de la Sécurité Sociale seront rémunérées à hauteur de 90% du brut, dès le 12 mars, même s’il reste beaucoup de questions : pour tous ? Ceux qui ont un an d’ancienneté et les autres ? Et ceux qui n’y ont pas droit : intérimaires, saisonniers, travailleurs à domicile, intermittents, comment vont-ils survivre ?

Nous avons à nous préparer pour affronter la crise économique et sociale qui va suivre pour ne pas être entraînés dans un cycle de régressions sociales. Le risque est grand.  

En matière de surveillance généralisée

Dès le 24 mars, le gouvernement a sollicité un comité pour examiner « l’opportunité » d’une identification numérique des personnes ayant été mises en contact avec les malades. Même si le ministre Véran se défendait, fin mars, de vouloir utiliser la géolocalisation des téléphones portables, qu’est-ce qui se mijote ? StopCovid, un prototype d’outil de traçage numérique destiné à « limiter la diffusion du virus en identifiant les chaînes de transmission ». Une application « installée volontairement, protectrice de la vie privée et respectueuse du règlement général sur la protection des données » Juré, craché ! C’est le ministre de la Santé et le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O qui l’affirment. Alors, pourquoi s’alarmer ? Et bien parce qu’après les séquences précédentes (gel, masques, tests…), la politique en zigzag du gouvernement est toujours aussi illisible et le verbiage des ministres aussi peu fiable. Car, il faut le rappeler, le 1er avril, le 1er ministre affirmait « Nous n’avons pas aujourd’hui d’instrument qui rendrait légal ce traçage et nous ne travaillons pas sur un tel instrument ». Soit il comprend rien, soit il ment ! Une semaine plus tard, le ministre de la Santé annonçait une solution retenue qui ne sera acceptée qu’après un large débat ! Et le 13 avril, lors de son allocution, Macron évoquait le débat sur le tracking (comme avéré) « qui pisterait sur la base du volontariat, les Français lors de la fin du confinement ». Voilà comment Macron et ses ministres pataugent dans le mensonge tous les jours !

Cédric O nous explique StopCovid. Lorsque deux personnes se croisent pendant un certaine durée (5 minutes, 15 minutes ?), et à distance rapprochée (1m, 2m ?), le téléphone portable de l’un enregistre les références de l’autre dans son historique via bluetooth, sans recueil de géolocalisation, et les données sont stockées localement (où ?) dans les terminaux. Lorsqu’un utilisateur est testé positif (encore faut-il qu’il y ait des tests !) il le signale dans l’application pour que les personnes qui ont été à son contact soient notifiées, sans que son anonymat soit levé… Magnifique ! Et, en plus, on arrête l’application quand on veut !

Dans la majorité LRM, ça grince ! C’est la première fois, en trois ans, qu’autant d’élus de la majorité s’opposent aussi fermement aux propositions du gouvernement. Un certain nombre sont opposés à cette technique au nom des libertés publiques, doutant de son efficacité (notamment pour les personnes âgées et ceux qui ne sont pas équipés), s’interrogeant sur le retour en arrière impossible, cette brèche pouvant conduire à une accoutumance de nos sociétés à des régimes illibéraux, ouvrant la voie à la ségrégation, à l’exclusion des personnes contaminées…. 

Quant à l’opposition, elle s’étrangle : « On n’est pas foutu de produire du gel et des masques en quantité suffisante et on travaille sur des solutions technologiques de pointe » ironise un député PS Hervé Saulignac ;  André Chasaigne (PC) accuse le gouvernement « de chercher des artifices » pour masquer « son incompétence ». Pour Mélenchon « le déconfinement est une opération très compliquée à mettre en place. Le tracking n’est pas la solution pour faire face. Il faut organiser la production de masques, de tests et préparer des solutions d’hébergement pour isoler ceux qui sont contaminés »…

Big Brother peut nous sauver ? Cela reviendrait-il à penser que les régimes autoritaires sont mieux armés que les démocraties pour répondre à une crise sanitaire ?

La Corée du Sud collecte non seulement les données personnelles de localisations cellulaires et GPS, mais aussi les données de transports publics, de cartes de crédit, les dossiers d’immigration… En Chine, les citoyens doivent télécharger une application agglomérant les données de leur téléphone avec leurs données de santé et attribuant à chaque personne un code de couleur reflétant leur état. Pour entrer dans un centre commercial, prendre un train, il faut scanner un code généré par le téléphone. Un algorithme détermine si la personne peut entrer ou non, le logiciel envoie alors les informations à la police locale… En Israël, les moyens de l’antiterrorisme sont mis à profit pour identifier les malades potentiels  en se fondant sur leur proximité, déduite de leurs données téléphoniques avec des personnes infectées. A Taïwan, le respect du confinement par les personnes malades est vérifié par le biais des données mobiles… Effrayant !

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« Notre démocratie » est vraiment mal en point si elle doit se fier aux algorithmes et aux technologies pour décider de la politique de santé publique la plus juste, la plus efficace. Reconstituer un service public de santé, égal pour tous, avec des moyens techniques, matériels et en personnels qualifiés n’est pas évoqué, Macron promet un plan massif pour la Santé (2 «pauvres » milliards). Pour quoi faire ? Pour doter tout le monde de smartphone ? Il faut arrêter le financement à l’activité des hôpitaux, qui les mettent en concurrence perpétuelle pour « gagner de l’argent » sur les actes rentables, ouvrir des lits, remettre en place la prévention, socialiser l’industrie pharmaceutique, redonner le pouvoir et la souveraineté sanitaire aux populations. Et enfin, remettre en cause le système d’exploitation sans fin de la nature. Ces pistes, nous devons nous en emparer, les faire partager par le plus grand nombre possible de personnes, d’organisations, de syndicats et autres institutions politiques, déterminés à renverser le système qui nous réduit à la fonction de consommateur, juste bon pour « augmenter la croissance » de ceux qui détiennent le capital.   

La colère doit être contagieuse pour qu’elle s’amplifie jusqu’à renverser ce système et tous ceux qui le maintiennent pour leur seuls profits.

Odile Mangeot, le 14 avril 2020 





Contre la suspension du droit d’asile

Depuis le 17 mars, l’accès à la demande d’asile est à l’arrêt, l’Office français de l’immigration et de l’intégration a suspendu sa plate-forme téléphonique et les guichets des préfectures sont fermés. Le gouvernement abolit de fait le droit d’asile. Le 14 avril, huit organisations ont saisi le tribunal administratif pour qu’il sauvegarde le droit d’asile et la garantie de protection des personnes en attente d’enregistrement de leurs demandes, enjoignant l’OFII d’ouvrir immédiatement les droits aux conditions matérielles d’accueil et à un hébergement individuel pour toutes les personnes en attente de protection.

Le 30 mars, le Conseil d’Etat refuse la fermeture des centres de rétention administrative (CRA) pour cause d’épidémie, demandée par Avocats pour la défense des droits des étrangers, Conseil national des barreaux, Gisti, Cimade, syndicat des avocats de France, considérant que les personnes enfermées doivent être libérées, alors même que les perspectives d’éloignement du territoire sont inexistantes, que les frontières avec les pays concernés sont souvent fermées.

Le 9 avril, une coalition de 92 associations a saisi 7 rapporteurs des Nations Unies en charge des questions de pauvreté extrême, de santé, d’accès à un logement décent, à la nourriture, à l’eau potable et à l’assainissement ainsi que des migrants et des défenseurs des droits humains, pour qu’ils bénéficient des mesures de prévention du Covid-19. Cette communication urgente demande aux Rapporteurs Spéciaux de rappeler au gouvernement français la nécessité de prendre des mesures de protection à l’égard de ces personnes. gisti.org