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dimanche 26 avril 2020


Europe. Virus de la discorde et de la haine

(édito de Gérard Deneux dans  PES n° 62 - avril 2020)

On sait que l’Europe est un grand corps malade des marchés financiers et de l’austérité imposée. Nombre de ses membres sont asphyxiés par leurs dettes, par le corset des règles budgétaires, par l’introduction de la monnaie unique au sein de pays inégaux. Avec la gangrène du coronavirus, la discorde s’est amplifiée, entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, sans parler du Brexit qui est loin d’être réglé.

Dans cette Europe de la marchandisation, des tabous ont sauté. Les interventions des Etats dans l’économie, hier interdites, sont permises, les fameuses règles butoirs controversées, contournées, sont désormais mises au rencart : on était déjà bien loin des 3 % de déficit annuel et des 60% de dettes par rapport au PIB dans de nombreux pays ! Même la prude Allemagne a rayé d’un trait de plume l’article de la Constitution imposant zéro déficit. C’est dire que la situation est grave et que, désormais, prévaut le chacun pour soi.

Ce qui s’est joué le 9 avril est révélateur de la concurrence exacerbée qui s’annonce entre les membres désunis de l’Europe. Après un psychodrame de deux semaines sur l’état de santé de l’Italie, les dirigeants des Etats se sont entendus, difficilement, sur la saignée à lui administrer, accompagnée d’un placebo. Tous, sauf l’Italie, de crier victoire : le virus de la discorde a été momentanément confiné. Qu’on en juge !

Des aides, oui, sous forme de garanties d’emprunt, à hauteur de pas plus de 20 % des sommes que l’Italie ira quémander sur les marchés financiers. La mise en œuvre du MES (Mécanisme Européen de Stabilité, ce FMI européen créé en 2010 suite à la crise de l’Europe et à la strangulation de la Grèce), les dirigeants italiens n’en voulaient pas, conscients qu’ils sont, des « conditionnalités » austéritaires et de dépendance qu’il signifiait. Les docteurs Diafoirus de l’euro-groupe ont adouci la saignée : « Vous n’aurez pas plus de 500 milliards à la condition de les utiliser uniquement pour résorber la crise sanitaire ». C’est « peanuts » se sont écrié les Italiens. « C’est mieux que rien » leur a-t-on répondu et il n’est pas question de créer des eurobonds (emprunts européens) comme vous le souhaitez ! Eh oui, l’Europe n’est pas fédérale. Elle s’est bâtie sur la suprématie allemande à défendre, quoi qu’il en coûte.

Retour sur le diagnostic au-delà des péripéties où Macron a joué les entremetteurs entre l’Italie et Merkel, cette dernière s’appuyant sur les intransigeants Pays Bas. Schröder puis Merkel ont imposé dans leur pays une compression drastique de la demande interne, tout en s’appuyant sur l’appareil productif à haute valeur ajoutée, perfusé par des délocalisations et de la sous-traitance, dans les pays de l’Est notamment. Cette politique s’est traduite par la réduction des dépenses sociales et des pensions de retraite, un taux de pauvreté plus important qu’en France, une fragilisation des classes moyennes subissant de nombreuses taxes importantes (TVA, taxes sur l’énergie…). En revanche, l’économie allemande, boostée, tournée vers l’exportation, s’est imposée en écoulant ses produits dans les pays du Sud. Ces derniers ont accumulé des déficits publics alors que l’Allemagne engrangeait des excédents. Cette dynamique de développement inégal qui profite à l’Europe dite du Nord, ne peut être harmonisée d’autant que l’Europe des marchés s’est toujours refusé à définir une politique sociale, fiscale, et financière commune.

Qui plus est, l’euro a cadenassé toute velléité de recours à des dévaluations compétitives. Il est pourtant évident que la création d’eurobonds ruinerait la spéculation sur la dette des Etats les plus endettés. Ce saut dans la solidarité entre pays capitalistes européens semble, pour l’heure, insurmontable. Les égoïsmes nationaux l’emportent. Et d’invoquer les contribuables qui ne supporteraient pas de payer pour les « frivoles » du Sud ! Derrière cette justification, il y a la peur des élites au pouvoir, celle de la propagation probable du virus de la haine xénophobe qui gangrène déjà de nombreux pays. D’autres virus sont également inquiétants : à preuve la concurrence sauvage pour s’approvisionner en matériels sanitaires, les prix s’envolent, la multiplication d’intermédiaires  douteux, voire maffieux, spéculant sur la pénurie, opèrent des détournements de produits, de véritables rapts dont l’Etat français, dans ses relations avec les régions, n’a guère à s’enorgueillir.

De la stagnation économique séculaire annoncée avant l’arrivée du coronavirus, on est passé à une crise aux multiples facettes dans laquelle les zélotes qui s’affrontent aggravent encore les conséquences.

Quand dirons-nous : Basta ! Vous êtes le problème, pas la solution ?

GD le 21.04.2020